ENFIN « LUI » !

En énormes caractères noirs sur une plaque de cuivre :

Jef MAPPINE & Peter GROSZOB
Import-Export

L'immense porte de verre dépoli à double vantail possède, en guise de poignée, une reproduction du pouce de César.

Je sonne, du moins l'espéré-je, car le timbre ne génère aucun bruit. Néanmoins un déclic succède et un des battants s'écarte.

Univers somptueux : tapis, tentures, tableaux s'harmonisent dans des tons beige et bleu. Mobilier chiassement futuriste : verre, acier, palissandre.

Derrière une table de marbre azur, une ravissante Eurasienne, seule dans le vaste espace, triture un appareil à l'usage mal déterminé.

Elle me distribue des sourires de bienvenue dont la chaleurosité ferait fondre la calotte polaire, et trimbale des nichebabes olidesques dans une robe de velours noir.

M'avance en souriant jusqu'à pouvoir capter les deux jolies bêtes tapies dans son bustier.

— Vous désirez, sir ?

— J'aimerais parler à Mr. Peter Groszob, de la part de miss Barbara.

Je surprends le mouvement qu'elle opère pour presser un bouton (qui n'est pas celui de son clitoris) sous le bureau.

— C'est à quel propos ?

— Private.

A compter de cette seconde, j'ai l'impression désagréable d'être regardé à travers un spéculum. Je périscope et renouche sans peine deux petits objectifs logés dans une moulure du plafond.

— Mr. Groszob ne reçoit que sur rendez-vous.

— Dommage ! laissé-je-t-il tomber. J'aurais pu lui épargner certaines tracasseries consécutives à la mort très récente de son amie Barbara.

Sans insister, je place une courbette d'adieu et tourne l'étalon.

Un léger zonzonnement me parvient.

— Je vous en prie, sir ! hèle la fille.

M'arrête.

Retourne.

— Pardon ? ingénué-je.

L'hôtesse se lève.

Elle a un prose qui fournirait une couverture vachement attractive au futur livre du futur roi d'Albanie, intitulé : « Et mon zog, c'est du poulet ? ».

— Venez ! elle m'enjoint (de cul lasse, naturellement).

Je suis son bilboquet à crinière dans un dédale de couloirs jusqu'à une porte matelassée de cuir et cloutée d'or. A droite, une plaque de verre s'inscrit dans le mur. La gonzesse pose sa main dessus. Un temps bref : l'huis coulisse.

— Vous pouvez entrer !

Voici un arc de détection d'armes : je le franchis et une sonnerie retentit.

— Vous voulez bien vider vos poches dans cette corbeille ? m'en prie la convoyeuse.

Je dégage mes quelques bricoles persos, y compris l'Opinel chirurgical évoqué antérieurement.

Nouveau franchissement de l'arceau. Tout est O.K. cette fois-ci. Une autre lourde coulisse et je déballe ma viande dans le sain des seins dont la règle est : super-luxe, super-confort.

Un homme est seul derrière un vaste bureau Design. La soixantaine harmonieuse, le cheveu noir calamistré. De race blanche, mais avec un zeste de Citron : pommettes saillantes, regard légèrement oblique.

Je le défrime, les mains croisées bas devant mes plantureuses génitoires ; il en fait autant.

Manière de fuir ses yeux acérés, je contemple une magnifique collection de statuettes d'ivoire datant de l'époque Ping-Pong, plus particulièrement un groupe de trois Chinagos occupés à se sodomiser courtoisement.

Enfin mon terlocuteur exprime :

— Qu'est-il arrivé à Barbara ?

Je tique en reconnaissant sa voix. C'est celle de l'homme qui m'a passé les coups de fil auxquels je dois de me retrouver en Chine.

Alors là, j'entre en érection mentale.

Sans y être convié, je m'empare d'un siège faisant face à Peter Groszob et en obstrue l'issue de mon gros côlon.

— Cher correspondant, jusqu'alors anonyme ! modulé-je, enfin je vous vois !

Son impassibilité est considérablement ébréchée.

— Vous ne sauriez imaginer le plaisir que me procure notre rencontre, poursuis-je. J'ai tant de questions à vous poser !

— Contentez-vous de répondre aux miennes ! riposte-t-il.

— Que pourrais-je vous apprendre que vous ne sachiez, mon bon Peter ? Ma vie est cristalline comme du sperme de garçonnet.

— Qu'est devenue Barbara ?

J'ouvre les yeux du chat déféquant dans des braises brûlantes.

— Sachez qu'elle est morte tout à fait accidentellement, dans sa voiture. Comme sa sœur. Étrange destin, non ?

Cette fois il est secoué pour de bon.

Avec calme, et sans omettre la ponctuation, je lui décris les circonstances ayant entraîné la mort des dames jumelles.

— En somme, péroraisonné-je, la triste fin de Nelly est conforme à vos vœux, mon cher ; à cela près que vous vouliez la faire périr de ma propre explosion, ce qui serait passé pour un « accident du travail » auprès de vos « associés ». Son trépas a été décidé par Barbara. Vous y avez consenti car vous étiez l'amant de cette dernière. Au passage, je vous adresse mes compliments : c'était l'une des toutes premières baiseuses que j'aie pratiquées.

« Quant à votre collaboratrice de Macao, elle ignorait que je fusse « chargé », mais elle a phosphoré et pressenti qu'il se tramait quelque chose. Elle a alors tenté de me faire liquider par ses gens avant mon arrivée, chacun de vous possédant, semble-t-il, sa garde prétorienne. Hélas pour sa santé, le coup a raté. »

Il est tout bizarroïde, le big chief, pas joyce du tout dans ses baskets du dimanche.

— Je parie, ajouté-je, que ces très chères sœurs se haïssaient à cause de vous, mon brave Peter. Ah ! il faut reconnaître que vous possédez un grand charme, avec, je devine, la manière de vous en servir !

On se défrime avec des yeux d'entomologistes. Puis, me sentant d'humeur bavasse, je remonte à la tribune :

— Si vous me permettez, votre organisation paraît rocambolesque. Elle est le fruit d'aventuriers séniles ; ce n'est plus à vos âges qu'on devient Alexandre le Grand, voire simplement Al Capone.

« Apprenant le décès accidentel de votre maîtresse, j'ai profité de ce que je me trouvais chez elle pour fouiller son bureau et rassembler certains dossiers que j'ai déposés en lieu sûr avant de venir ici.

« Entre autres choses passionnantes, j'ai mis la main sur la liste des prochains « explosables ». Du beau monde : M. Agnelli, le Premier ministre canadien, Boris Eltsine, et pas mal d'autres ! Inutile de vous préciser que je les ai déjà fait prévenir. »

Celui que j'appelais « mon mystérieux correspondant », la secousse encaissée, reprend du poil de la bébête :

— Rendez-moi rapidement ces documents, sinon vous le regretterez !

— Si j'avais à le regretter, monsieur Groszob, vous ne vous en remettriez pas !

Son visage cesse d'être figé. Marmoréen, ça s'appelle en littérature-pousse-café.

— Ne parlez pas à tort et à travers, fait-il. Regardez plutôt.

Il se lève et s'approche d'un énorme téléviseur. L'appareil est monté sur un axe et pivote. Groszob presse une touche noire. L'écran s'allume. L'image met un temps à se constituer. Enfin, elle finit par se « rassembler », se coaguler, et que vois-je ?

Non, ne cherche pas à deviner, tu te fraiserais !

Une pièce blanchie à la chaux, nue comme l’œil dans son orbite. Deux nattes sont étalées sur le sol et trois personnes gisent dessus dans une grande détresse physique : les vêtements lacérés, des plaies au visage, la denture ébréchée, le crâne bosselé.

Je retiens un cri en reconnaissant Béru et les époux Pinuche.

— D'accord ? me demande Groszob.

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