CHEZ « MADAME »

Marrant, je n'avais pas prévu ça.

Et cependant, le découvrant, je ne pouvais que m'exclamer : « Bon Dieu ! mais c'est bien sûr ! », parodiant ainsi le fameux commissaire Bourre ! dans « Le Train sifflera trois fois » de Marguerite Duras et Roux-Combaluzier.

Tu sais ce qu'est la demeure de ma vieille vamp marécagée ? Un bordel, mon chou. Mais attention : pas le boxif infâme pour docker aux pistons entartrés ! Non, le claque tout suprême dans lequel les riches et les puissants (pléonasme) vont se faire souffler dans le gicleur ou détartrer le pot d'échappement au gode d'ivoire vaseliné.

L'immeuble rouge Sienne est construit en forme de pagode avec toit en volutes, gnagnas suspendus un peu partout, lanternes, dragons convulsés en relief sur la façade : une chiasserie qui ferait gerber un crapaud à peau verruqueuse.

La porte est magistreuse, moulurée, laquée et tout. Au-dessus, y a un texte chinois ressemblant à deux escabeaux cassés au cours d'un déménagement. Sous-titré en anglais, on peut lire : The Yellow Moon ! dont tout porte à supposer qu'il s'agit de celle des pensionnaires.

J'hésite à me présenter en ce lieu de délices, ma mise m'apparentant davantage à un trimardeur qu'à un prince de la France. Vais-je me laisser brimer par un accoutrement ? Que non point. En vertu de quoi, je gravis le perron et actionne le cordon de soie tressée par lequel s'annoncent les visiteurs.

Un Jaune en smoking blanc vient ouvrir.

Tu as déjà vu Lady Di regarder deux chiens qui s'enculent ? Les lotos du cerbère me font songer à cette excellente personne tant vénérée du public. Note qu'il est courant de voir une belle fille affublée d'un glandu, mais je n'en ai jamais rencontré qui provoque à ce point la sympathie apitoyée de ses contemporains. Elle a préféré son bidet au trône d'Angleterre, ce choix lui aura valu l'estime du peuple.

Ainsi donc, pour t'en reviendre, le délourdeur du claque m'examine comme les anciens douaniers soviétiques le touriste se pointant à leur frontière au volant d'une Rolls.

— Vous désirez ? me demande-t-il, à court d'aménité (il n'a pas été livré ce matin).

J'use du seul argument en vigueur dans les cinq parties du monde.

A savoir que je sors à demi de ma fouille une liasse de dollars plus épaisse qu'une tranche de pudding.

— Ce sont des vrais, assuré-je en lui soumettant une coupure à titre d'échantillon.

Et d'ajouter :

— Je suis un journaliste espagnol en reportage à Macao.

Mes façons le rassurent car il m'accorde un sourire, transformant sa frite en pamplemousse qu'on commence d'éplucher.

Je pénètre dans ce temple de la volupté. Elle devait le gérer de première, la sirène des marécages. Tout est riche, opulent : les tentures, les meubles, les œuvres d'art.

Nous quittons le hall pour gravir un escadrin en bois de machinchose (tu te rends compte ?). Une musique soutient des chants casse-couilles, mélopesques et niacouards. Le genre de ragasses sonores qui font grincer des chaules et mettent des lancées dans les roustons.

— Si vous voulez bien entrer dans le cabinet du Choix ! fait le Safrané.

Je m'empresse.

C'est une sorte de salon semi-circulaire dont toute la partie courbe est composée d'écrans de télévision.

Le manager m'explique que chacun correspond à une chambre « de travail ». Un contacteur comporte autant de boutons qu'il existe de taules. En les pressant, tu obtiens la piaule désirée. Tu as loisir, alors, de contempler les pensionnaires. Une fois le circuit accompli, il ne te reste qu'à faire ta sélection. Le poste d'une pièce « en cours d'exercice » ne s'éclaire pas afin de préserver l'anonymat et les ébats du client ; par contre la photo couleur de l'occupante s'y inscrit dans les différentes poses de ses prestations. Le procédé est, si j'ose le prétendre, d'une grande discrétion.

Me voilà donc parti à butiner le boxif de la mère Tatezy.

Il est parfaitement équipé. Tu y trouves toutes les races : Scandinaves, Arabes, Chinoises, Noires, Blanches. On te propose de la Japonouille, de l'Italienne, de l'Anglaise, de l'Indienne. C'est le cul de Babel ! T'en as l'eau à la bouche.

D'en plus, pour les ceux qu'aiment le trognon de chou, sur un second contacteur t'as des gitons, des minets aux yeux de biche, des costauds tout en musculature, des Noirs au zob colossal, des androgynes, des gnards atteints de gibbosité, des…

Dedieu ! Qui reconnais-je, voire reconnaissé-je ? J'en ai l'aorte comme une figue de Smyrne, toutac.

Pauley Franginot !

T'as bien lu ? Hein ? Que dis-tu ? Que ce nom ne te dit rien du tout ? Mais putain, y a pas que des mecs qui s'appellent Pasqua, Zola, Van Gogh ou San-Antonio dans la vie ! J'en sais d'autres, heureusement. Et parmi ceux-ci Franginot Pauley. Pour tout te dire, je le croyais mort, cézigue. J'en reviens pas qu'il soit toujours vivant et prenne encore des betteraves sucrières dans les miches ! Après ce qu'il lui est arrivé, j'aurais parié la ménopause prochaine de Line Renaud contre un abonnement au Chasseur Français, que même les asticots consécutifs à son trépas étaient décédés.


Jamais, au cours de ma carrière, je n'ai rencontré un enculé professionnel ayant tant de couilles ! Excepté dans l'oigne.

T'as deux minutes, que je te narre ?

Franginot, il a toujours aimé le travail en lupanar. Lui, la drague dans le bois de Boulogne, c'était pas son five o clock tea. Il s'expliquait dans un clandé où il assumait le rayon « messieurs et garçonnets ». Sa dernière usine s'appelait Le bouquet d'Auteuil, une boîte de rendez-vous plutôt chicos.

Il affurait assez gros. Y avait un côté attractif dans ses transports peu communs. Quand les clients ne le « consommaient » pas, ils s'amusaient à lui carrer dans le prose des objets pas croyables, genre balayettes de gogues ou ampoules électriques. Son record : un magnum de champ' millésimé. Faut vraiment avoir l'anus aussi large que les arènes de Nîmes pour s'enquiller un truc de ce volume ! Une autre fois, ç'avait été un melon d'eau à grosses côtes. Cet endoffé n'arrivait plus à l'expulser ; y a fallu le lui décalotter, tel un œuf coque, dans l'intestin, et le vider à la cuillère !

Si je te raconte ces choses inragoûtantes, c'est pour te faire piger de quel individu il retourne.

Un jour, le gros patacaisse se produisit dans sa vie de sodomite ! Il s'est passé du vilain grabuge au Bouquet d'Auteuil. T'as entendu parler de Ramona, le fameux truand, surnommé « The King » ? Sa spécialité ? Le braquage de banques. Il raffolait des petites succursales de banlieue. S'y pointait travesti en gonzesse, accompagné d'un gazier sérieux, portant beau. Le couple demandait à parler au dirluche. Ce dernier les recevait en développant le tapis rouge. Les trois s'enfermaient dans son bureau. Ils ressortaient, vingt minutes plus tard, avec le fondé de pouvoir ligoté dans sa partie supérieure, la zézette sortie, une cartouche de dynamite, mèche allumée, scotchée aux roustons. Les alarmes neutralisées, ces messieurs-dames n'avaient plus qu'à se servir. Puis, ils se cassaient dans le calme après avoir serré les mains de l'assistance.

Le sang-froid du King, ses trouvailles, en faisaient un héros de légende.

Le vice de Ramona, c'était d'emplâtrer une frangine en levrette pendant qu'une tante, qui n'était pas à héritage, hébergeait entre ses miches une statuette représentant Charles XIV de Suède par Bosio. Pourquoi avoir transformé cette œuvre d'art en godemiché ? Seul le gangster aurait été en mesure de répondre à la question.

Un jour qu'il se prodiguait, assisté de Pauley, une crise homicidaire l'avait conduit à étrangler la gentille Eglantine, mignon tapin de vingt ans, fleuron indiscuté du Bouquet. Les proprios du claque s'étaient écrasés à condition que Ramona les débarrasse du côté résiduel de son délit.

Mais la cata les guettait, puisque Franginot s'empressa de mettre le cap sur le Quai des Orfèvres et de tout raconter à nos services. On gaula l'assassin au moment où il emmenait sa victime du côté des Andelys pour la flanquer en Seine lestée d'un bloc de béton. Convaincu de meurtre et d'un tas d'autres forfaits, il avait chopé perpète, bien que son bavard eût plaidé la crise de folie érotique. Pauley chargea copieusement sa carriole aux Assiettes. Mis hors de soi, le tueur lui prédit qu'il ne finirait pas l'année. Le champion du magnum culier disparut effectivement peu après.

Et voilà qu'un concours d'événements me permet de revoir l'ami de Charles XIV. L'univers est bel et bien aussi minuscule que je l'ai cru.

Fasciné par le petit écran révélateur, je le regarde plein châsses. N'a pas changé en cinq ou six ans, Misteur Prends-de-l'oigne. Si, s'est fait teindre en blonde et poser des brillants sur les ailes du pif ainsi qu'aux lobes des baffles. Il porte son costume marin familier, dont la culotte courte révèle ses cannes lisses et potelées de vieux bambin.

En attendant la pratique, il lit le dernier book de Didier Van Cauwelaert qui fait un tabac en Francerie.

— Ce garçon est bien ? demandé-je au trouduculteur.

— Nous n'en avons que des compliments.

— Alors, ce sera lui !

Mon mentor me sourit.

— C'est l'un des collaborateurs les plus chers de la maison, assure-t-il.

Comme quoi j'ai eu tort de lui montrer mon matelas de talbins.

— Combien ?

— Mille dollars de l'heure !

— Pour ce prix-là, on devrait se payer la reine d'Angleterre !

Le Jaune hoche la tête :

— Essayez, sir. Si ça ne marche pas, vous pourrez toujours revenir.

En soupirant, j'extrais les billets et en compte dix de cent points. Le gonzier les saisit prestement.

— Si vous voulez bien m'accompagner, sir…

Le « sir » lui file le dur en réfléchissant. Il se dit que l'existence est pleine d'imprévus à ras bord.

Au fond de la pièce « du choix », une porte laquée coulissante à laquelle je n'avais pas pris garde. Elle donne accès à un coquet ascenseur tendu de soie chamarrée.

Mon hôte m'offre un circuit touristique au premier étage. Lorsque l'appareil stoppe, une lampe s'allume dans la cabine.

— Un instant ! s'excuse le cicérone ; il y a quelqu'un dans le couloir.

Un moment passe, la lumière devient verte et la porte s'ouvre. Nous suivons un vestibule moelleux. Les paturons s'enfoncent dans de la moquette plus haute que les foins en mai.

Bref parcours. Des portes dorées s'échelonnent, chacune marquée d'un numéro.

L'officiant s'arrête devant l'une d'elles et presse un timbre.

Le faux blond, mais vrai pédoque, aperçu sur l'écran, nous ouvre.

— Voici Jimmy ! me fait le Chinago en smoking.

Il exécute une courbette et disparaît.

— Go in ! gazouille mon petit pote au prose en forme de hotte à vendanges.

J'entre !

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