Or donc (s'écrit également condor), j'arrive à l'immeuble de Franginot, l'homme qui peut remplacer ta femme au cul levé. C'est de la masure pour bourses moyennes, avec des prétentions au standing promis par les promoteurs (à deux temps). Un causophone est situé près de la porte, ainsi qu'un tableau pustulé de boutons correspondant à chaque locataire. J'enfonce celui réservé à Peter Brueghel. Pauley devait guetter mon arrivée car il décroche aussi sec.
Je sens son anxiété dans le « j'écoute ? » qu'il profère. Tu as déjà vu des locomotives entrer en gare ? Un truc commak, fabriqué avec un halètement.
— Un oiseau venu de France, me nommé-je-t-il.
Déclic. Je pousse la lourde vitrée ferforgétisée. Une odeur asiate me chope aux naseaux. Ça renifle la denrée alimentaire développée sur toute sa chaîne, jusqu'à la partie ultime : un carré de papier oblitéré par un anus.
— Vous montez avec moi ? demandé-je à Salami.
Mais ce foutu clébard n'est plus là. De toute façon, je n'ai pas besoin de lui pour rendre visite à un mecton qui a le fion plus large que l'autoroute du Soleil.
Sixième étage.
La radieuse pédale a déjà entrouvert sa porte. Par habitude, j'y toque avant de la pousser. Son entrée pourrait être celle d'un logement d'Aubervilliers. Une patère, une reproduction d'impressionniste évoquant les bords de Seine, un guéridon supportant un vase de fleurs artificielles.
— Hello ! Pauley ? appelé-je de cette voix niaise qu'on se croit obligé d'adopter en pareil cas.
Rien !
Cet endoffé aurait-il pris peur et se serait-il carapaté par l'escadrin tandis que je frétais l'ascenseur ?
De la lumière brille dans ce que je suppose être le living. M'y rends. Non, il ne s'est pas sauvé, le Franginot. L'est bien là, assis dans un fauteuil, avec la lame d'un poignard enquillée jusqu'au manche dans la poitrine. Il n'est pas tout à fait mort. Il a d'ultimes soubresauts et ses yeux retiennent un peu de vie.
— Pauley ! appelé-je en me penchant sur lui. Tu m'entends ?
Je crois déceler un frémissement sur ses lèvres, mais je me goure probablement.
Ma vaste intelligence se réactive. Un éclair pour piger : après mon départ du boxif, il s'est affalé, l'enfoiré, a tout raconté aux complices de la vieille Anglaise. C'est un délateur, on ne se refait pas !
Alors ils ont préparé une embuscade chez le pédoque, lui faisant croire qu'ils allaient m'y cueillir et « m'emmener promener au clair de lune ».
Lorsque je me suis annoncé, ils ont supprimé mon compatriote. Peut-être se trouvent-ils encore dans l'apparte ?
Je griffe la vieille pétoire et fonce à la chambre à coucher. La pièce est vide. Un regard dans la petite cuisine par acquit de conscience. Personne ! Elle sent l'oignon, ce qui n'a rien de surprenant ! Ils ont joué leur partition de première, ces salauds !
Je repasse dans l'entrée et pousse une frime cataclysmique. Ils sont quatre. Trois Chinagos et un Européen. L'un d'eux tient une mitraillette braquée sur moi. Que je te précise ces mecs appartiennent à la Police et portent des uniformes vert et jaune.
— Hands up ! m'intime celui qui a des galons.
Je lève les pognes.
— Messieurs, je leur articule, vous êtes, au même titre que moi, victimes d'une machination.
Mais autant fumer une queue de vache rousse en se persuadant que c'est un Davidoff ! Je suis cuit ! Les mâchoires du piège se sont refermées sur mézigue !
C'est pas la fête à Dudule, crois-le. Ce circus, madoué !
Un traquenard de ce calibre me rend fou. Je me dis que c'est une insulte à la conscience humaine. C'est pourquoi, au moment où le Coing en uniforme va m'assujettir les bracelets, je pique ma crise des grands jours. Faudrait me filmer au ralenti pour concevoir le turbin de Bibi !
Je vais tâcher de reconstituer la scène de mémoire.
Bon, il lève une boucle pour emprisonner mon poignet gauche. Au même instant, je lui saisis les sœurs Ninette de ma main droite et les tords avec une extrême violence. Il bleuit, donc devient vert à cause du mélange des couleurs. Je le bourrade à mort sur son pote à la mitraillette lequel lâche une rafale. L'homme aux bracelets chromés la biche en plein dans le tee-shirt. Effrayés, ses deux compagnons reculent. J'empoigne le vase de fleurs artificielles et le propulse dans la gueule du flingueur, lequel choit. Suivant une vieille coutume dauphinoise, je lui fabrique un suspensoir avec ma chaussure droite, en souvenir de ma jeunesse vouée au rugby.
A moi la sulfateuse ! J'utilise sa crosse pour estourbir le flic blanc qui voulait remonter en ligne. Ne subsiste plus qu'un gars aux pommettes tellement saillantes qu'on pourrait les transformer en portemanteaux.
Il tâtonne pour dégager son pistolet, sans me quitter des yeux. C'est précisément ces deux mirettes que j'astique au beurre noir avec toujours la crosse de l'arme.
Bon, ben : voilà le travail, mesdames-messieurs. Faut-il vous les envelopper, vous allez loin ?
La suite relève de la bonne petite ménagère.
Je les fixe l'un aux autres avec leurs menottes (quel joli nom). Je sais où tous les poulagas du monde placent la clé des cabriolets : dans la vague arrière de leur grimpant. Les en déleste. Me reste plus qu'à virguler les caroubles dans les chiches.
Voilà. Maintenant, faudrait peut-être que je pense à moi, non ? C'est beau l'altruisme, mais ça rapporte quoi ?
Sors.
Que m'arrive-t-il ? Je vais me mettre à écrire en style télégraphique, à l'instar de Marcel Proust-Proust ! A peine franchis-je la porte palière que je découvre mon éminent Salami assis sur le carreau mosaïqué de l'étage.
A ma vue, il se précipite, flamberge au vent. Quoi de nouveau, Pussy Cat ? Du regard, il m'intime de ne pas bruyanter. Je me dirige vers les ascenseurs, mais mon cador s'y oppose.
Nous nous rabattons donc sur l'escadrin. Je commence à descendre : nouvelle résistance de mon ange-chien-gardien. Alors je grimpe à sa suite. On atteint le haut de l'immeuble. Là, un dialogue s'engage, selon naturellement notre code.
— Le bâtiment est cerné, m'apprend mon ami à poils. Il y a des hommes aux aguets à l'étage au-dessous de celui de Pauley. J'ai flairé quelque chose quand nous sommes arrivés tout à l'heure, c'est pourquoi je suis allé vérifier. Bien m'en a pris. J'ai repéré deux voitures de police en stationnement dans les rues avoisinantes. Lorsque vous êtes rentré, ils ont investi la maison ; j'ai profité de ce que la porte restait ouverte pour y pénétrer à mon tour.
Je caresse son crâne blessé.
— Héroïque compagnon !
Conscient de la précarité de ma situation, je regarde autour de moi.
Deux appartements. A la maigre lumière du couloir, je prends connaissance des noms écrits au Dymo. A droite : « Mr. and Mrs. KALMANN » ; à gauche : « Miss LAMB ».
C'est à cette dernière que j'accorde ma préférence.
Avec des précautions infinies, je biche mon inséparable sésame. J'ai pris soin de le récupérer dans mes précédentes hardes.
Passionné, Salami me regarde agir de ses grands yeux qui le feraient ressembler à un chien s'il n'en était un. Je titille en extrême souplesse. Mes doigts de gynécologue toujours sur la brèche (si j'ose parler de la sorte) se font aériens. Un léger « cric », un « crac » plus marqué, la lourde se fait une raison.
Je m'insinue à l'intérieur, suivi de messire hound aux pattes de velours.
Referme.
Ce logement est la réplique de l'autre. Même vestibule, même living et, donc, même chambre.
L'oreille contre le trou de serrure, je perçois une respiration que la plupart des romanciers souffreteux réputeraient régulière. Surtout pas toucher aux lieux communs ! Le souffle d'un dormeur est régulier, comme le membre « turgescent » d'un bandeur. C'est la dure loi de l'écribouillure chez les forçats du pointalalignisme.
Actionne le loquet menu, menu.
Entre bientôt.
La faible clarté qui tombe des étoiles me découvre une rouquinasse quadragénaire, entièrement nue, couchée sur le ventre. Un gros cul à fossettes me sourit. Cette dame sent le fort, kif la plupart des gens à la peau porcine.
« Et maintenant ? me demandé-je sans ambiguïté. Ne serais-je pas un poisson en nasse ? Les draupers vont découvrir leurs camarades morts ou enchaînés, l'hallali se déclenchera. Chasse à l'homme en règle ! Je vais être abattu à vue. O Dieu ! l'étrange sort ! »
Tout en réfléchissant sur le mode déclamatoire, m'approche de la fenêtre, l'ouvre sans bruit. Mate en direction du plume. La rousse sème à tout vent car elle pète en dormant. Si j'en crois les flacons encombrant sa piaule, cette bonne femme doit se prendre des somnifères à 45°.
Retour à la croisée pour étudier la topographie. Illico je m'aperçois que l'enfant se présente bien, puisqu'il existe une sorte de corniche pour marquer le dernier étage. M'est avis qu'un mec de ma trempe doit pouvoir atteindre l'angle de l'immeuble sans trop d'encombre ni, surtout, s'offrir un billet d'orchestre.
— Écoutez, dis-je à mon camarade d'épopée, je vais vous reconduire au palier et refermer la porte à clé de l'intérieur. Ensuite, je filerai en marchant sur la moulure jusqu'à l'angle du bâtiment. Parvenu là-bas, à la grâce de Dieu, comme disent les bipèdes auxquels j'appartiens soit j'y trouverai une voie de salut, soit je m'y planquerai pour attendre des jours meilleurs.
Mon interlocuteur baisse sa queue au furet à mesure que je dis.
Inconvaincu par mes paroles, il m'interprète la grande scène de « Mater Dolorosa ». Pourtant, se rendant compte que mon plan est réalisable, il émet un soupir genre freins pneumatiques, et disparaît.
Ayant relourdé, je vote un souvenir intense à m'man, une exhortation plus modulée au Seigneur dans le cas où, et je joue la toux pour l'atout.
Première difficulté : clore la fenêtre derrière moi suffisamment pour qu'elle n'attire pas l'attention, car tout l'immeuble est climatisé. J'y parviens au-delà de mes vœux puisque le claquement annonçant le blocage se produit. Ce qui revient à dire que je suis « enfermé dehors » !
Seconde embûche (de Noël) : me déplacer sur un rebord large d'une vingtaine de centimètres. On a beau savoir braver le vertige, il compte néanmoins parmi les ennemis irréductibles de l'homo sapiens.
Le dos collé à la paroi, je me déplace en me récitant du Lamartine D.Q.S., période lacustre.
Un pas… Deux… Trois… Qua a a a…
La moulure de pierre a cédé sous mon poids. Dans le cul, Lulu !