La cloche, dans le ciel qu’on voit, doucement tinte…
Et si on la teignait, cette cloche, hein ?
On pourrait dire que la cloche teinte tinte.
Et on ne serait pas plus avancé.
Ding, dong !
Premier service.
Religieux.
Je vois processionner des moines en bure brune, scalpés du plafonnier, comme sur les gravures anciennes. Les mains dans les manches, la tête inclinée sur cette terre qui les attend et dans laquelle, probable, tout comme un chiare en vacances va faire des pâtés sur la plage, ils creusent leurs tombes, à pelletées songeuses. Méditant sur l’inanité des choses, laquelle, par réaction, engendre la gloire de Dieu. Bon, je t’arrête la philosophie en eau bénite avant qu’elle tourne en eau de boudin. Plus t’approfondis, plus tu fais du home-trainer. La philosophie, ça n’est qu’un exercice qui te laisse sur place. Donc qui n’est valable qu’au plan de l’assouplissement des méninges. Et puis merde, qu’est-ce j’ sus là à te causer, comme si toi et moi pouvions comprendre ce que je pense ! T’as bouffé quoi, à midi ? Une choucroute ? Elle était bonne ? Et ta nana, elle brosse bien ? Ah ! tu viens de changer ton poste de tévé ? Tu te laisses biter en couleurs, maintenant ? Bravo ! Fallait qu’un jour l’autre t’en arrives là. L’enculage en couleurs, c’est tellement mieux pour le cerveau ! Tu veux ma pensée ? Ça le lave plus blanc.
Ces gentils moinillons passent. Une vraie troupe silencieuse. Ce qui frappe, c’est leur jeunesse. Le plus vioque doit pas dépasser 35 piges. Une espèce de pépinière. Un séminaire, quoi ! Mais un vrai, là qu’on fabrique les prêtres avant leur mariage ; pas ces réunions d’étude d’à présent, comme on les appelle.
Séminaire…
Moi, y’a une huitaine d’années, je reçois une invitation de l’Escarpit de Bordeaux (et du Monde) big boss de l’Intelligencia d’Aquitaine. Un exquis, celui-là, et qui pense beaucoup plus loin que lui-même, ça se voit à son regard. Donc, voualà qu’il m’écrit pour me demander de participer à un séminaire en mon honneur. Le séminaire San-Antonio ! Messe à six plombes ! J’ai cru que j’allais quitter le désordre pour entrer dans les ordres. J’ savais pas encore l’extension. Séminaire. Je m’imaginais déjà cul soutané, grimpant en chaire pour bourdalouer le bordelais. Les prédications de Nostradardus ! Je me voyais en bossueur de force ! « Mes bien chers frères, mes bien chairs fraîches… » C’est des trucs commak qui t’inculent le vocabulaire ; que t’es bien obligé de compulser ton Larousse au reçu d’une telle proposition. Peu à peu, t’apprends le langage moderne. Tu finis par dire « planning », « au plan de… », « par parenthèses » et tutti frutti. Tu causes bien, quoi ! Very important. C’est pas avec tes fringues que tu restes dans le coup de la mode, c’est à ta jactance. L’homme suranné est celui qui s’applique à parler Pléiade. Et pourtant, les julots d’aujourd’hui se masturbent devant Proust. Enfin moi, ce que je t’en dis, c’est vraiment pour ne rien dire, tu conviens ?
Cela dit, comme on dit, tu dois te demander d’où sortent ces moines complètement burés, dûment tondus, et préservés des taches d’humidité.
Eh ben, mon canard, ils sortent d’une porte aussi basse que romane, traversent le jardin fleuri où je me trouve (à l’intérieur d’une cage de fer qui dut être un chenil, jadis) et pénètrent dans une immense chapelle.
Moi qui opère un retour des pommes de grande classe, je les hèle :
— Hello, les padres, les fratelli !
En passant mes bras à travers les barreaux, comme un gorille réclamant des cacahouètes.
Les agitant d’implorance.
Eh ben, ma vacca, crois-moi ou va faire prendre ta température avec l’Obélisque de la Concorde, mais y’en a pas un d’eux qui m’accorde un regard.
Comme si j’étais muet, absent, non avenu.
Vu qu’il en sort toujours, l’idée me vient de les compter, à partir du grand blond qui me passe devant.
J’en dénombre 38.
Après quoi le cortège s’achève sur un plus vieux moine qui sert de voiture-balai.
Le jardin reste alors vide d’humains (si tu m’exceptes, ce qui serait un comble). Des abeilles bourdonnent. Le soleil cogne. Des fleurs, bien disciplinées par un jardinier compétent, sentent aussi bon qu’elles le peuvent dans leurs massifs bordés de buis.
J’examine ma geôle. Elle est haute d’un mètre vingt, ce qui, comme je ne suis pas le nain Piéral, m’oblige d’y demeurer assis ou agenouillé. Le sol est de ciment. Les barreaux pourraient contenir la fougue d’un rhinocéros et la porte basse ferme grâce aux soins éclairés d’une très formidable serrure.
C’est dans cette curieuse cellule que je suis revenu à vous, mes chéries. Mon attention ne se trouvant plus mobilisée par les moines, je la consacre à la serrure. Tu vas m’objecter qu’entre un moine et une serrure, il n’existe pas de commune mesure, et j’en conviendrai volontiers ; pourtant, il se trouve que je porte à la seconde un intérêt au moins aussi soutenu qu’au premier. Certes, j’ai été fouillé. L’on m’a ôté toutes mes armes, sauf une toutefois : mon sésame, que j’avais logé dans une minuscule poche ménagée dans la couture verticale de mon pantalon.
Je feins l’immobilité et m’acagnarde contre la porte. Ma main droite, pleine de dextérité, comme son nom l’indique, se met à jouer du sésame dans le trou de la serrure, en virtuose.
Je sens obéir des clicziques dans la serrure. Je brouillave des urlupes, dégage des moulavons, fais coulisser l’argache connexe.
À cet instant, un fort sifflement métallique retentit dans le jardin. Je reconnais en ce bruit, le branchement d’un haut-parleur. Un organe féminin s’élève dans la paix virgilienne du lieu.
— Oui, c’est cela, monsieur le commissaire, ouvrez votre porte et venez nous rejoindre dans la chapelle.
Puis le silence.
Il est toujours très désagréable de passer pour un con, même vis-à-vis d’une poignée d’abeilles affairées. Je suis plus marri que l’immaculée conception. Tu juges d’une organisation, Gaston ? Il doit être truffé de caméras, le couvent. Drôle de boutique, mon révérend.
Sans plus me cacher, je délourde le chenil et sors dans le jardin. Un panorama prodigieux m’attend. Je découvre que je réside dans un monastère situé au sommet d’un éperon rocheux dressé dans la mer. Un gigantesque récif, pour te dire. Et il est vraisemblable que la terre végétale du jardin a été amenée ici avec les pierres ayant servi à bâtir l’édifice. Aussi loin que la vue puisse porter, c’est la grande bleue, vraiment, authentiquement bleue. Tu crois que les abeilles se sont pointées ici toutes seules ou bien qu’on les y a installées ?
La voix du haut-parleur résonne à nouveau :
— Venez vite, commissaire, vous admirerez le panorama plus tard…
J’ai beau mater autour de moi, je ne distingue aucun objectif.
Soumis, je me dirige vers la chapelle.
Il y a tout d’abord une première porte, bon.
Et puis alors, ça forme comme un tambour d’église. Tu sais ? Je continue d’ouvrir les lourdes qui s’interposent. Cela me permet de déboucher (drôle d’expression : tu me vois réellement déboucher, avec une ventouse de caoutchouc, à manche ou un tire-bouchon ?) dans l’église.
Tu sais, la cathédrale de Chartres ?
Ça !
Mais sans autel, et puis avec le sol garni d’un épais tapis de corde.
Les moinillons se sont déburés et ont accroché leurs robes à des portemanteaux fixés aux murs, sous les vitraux représentant la vie édifiante de saint Nichemard-le-Pieux. On le voit aux différentes périodes de sa mission terrestre : quand il était pêcheur et que ça bichait, et puis quand il a été visité par l’archange Vazymou, lequel lui a préconisé d’affréter un bateau de guerre pour aller faire le siège de Saint Throppée. On voit tout bien, en couleurs ensoleillées : sur les remparts, l’escalade, les gus avec des chaudrons d’huile Lesieur bouillante que les assiégeants profitaient pour se faire des frites. On voit saint Nichemard guérissant la blennorragie du prince Couldu, distribuant des boîtes de conserves aux enfants déshérités, lavant les pieds aux culs-de-jatte, débouchant l’évier de sa concierge, tartinant le caviar de son bienfaiteur, le connétable Potzobanche et lui taillant une pipe dans du bois de sycomore. On le voit quand il va à la selle, pour pourfendre les hérétiques, et aussi au cours de la vingt-deuxième croisade, devant le bureau d’El Al de Jérusalem. Complet, je te dis. Cela bonni, c’est pas les vitraux, le plus surprenant. Oh youyouille, que non ! Où t’as du fadinge dans la pensarde, c’est quand tu vois les moines en action.
Et pas des actions de grâce !
En maillot rouge, ils suivent un entraînement de paras, les mecs, sous la houlette du plus âgé qui fermait la marche et qu’a une frime terrible, sans les vêtements qui lui servaient d’auto. Tu te rappelles le général Massu ? Oui, celui qui ressemblait à un casse-noisettes. Eh ben, lui !
En presque pareil.
Un peu plus pire, tout de même, mais à peine. Il pousse d’abominables cris, ce gus. À s’arracher le corgnolon, la luette, les amygdales et les cordes vocales. En plus, la voûte romane réverbère. Si bien qu’il est impossible de savoir en quelle langue il gueule. D’ailleurs, ce genre d’ordres est apatride. C’est Brutale-lande, le pays d’origine.
Les ci-devant moines, maintenant, ils ressemblent plutôt à des bonzes, mais ça doit venir de leurs cailloux rasés sur le dessus.
Les exercices auxquels ils se livrent fileraient la diarrhée verte à des dobermanns écumants. La beuglante qu’ils poussent en les accomplissant ressemble à un tonnerre. Ils ont chacun devant soi un billot de bois. Dessus est posée une bûche. Au commandement du chef, ces frénétiques fendent la bûche du tranchant de la main. Et ce ne sont pas des bûches en chocolat !
Hagard, je m’amorce un mouvement de recul. Tout cela est si impressionnant, si terrific. Crois pas surtout que je tourne mauviette, mais franchement, tu serais à ma place, faudrait te mettre une serpillière entre les jambes pour prévenir des catastrophes. Tu relâcherais des muscles inférieurs, gars. Péterais des durites. Éclaterais des joints. Un manchot ferait du trapèze pour échapper à ce spectacle, s’enfuir, façon Tarzan, de liane en liane.
Une main se pose sur mon bras. Je découvre alors la môme Ulla près de moi… Elle porte une combinaison blanche, légère. Le vêtement comporte une seule poche, entre les seins. Un petit appareil également blanc en émerge. Elle a modifié sa coiffure. Ses beaux cheveux de lin sont tirés et plaqués à l’aide d’un serre-tête d’écaille.
— Suivez-moi, dit-elle, ici on ne s’entend pas.
On traverse la vaste nef jusqu’au chœur. Je t’ai déjà révélé qu’il n’existait plus d’autel dans cette église, il a été remplacé par une cage d’ascenseur, très vaste, en acier chromé, drôlement anachronique dans cet édifice pur roman.
Ma compagne ouvre la porte coulissante.
— Entrez !
Je pénètre dans une cabine aux parois métallisées. Je constate, à ma vive surprise (mais je ne suis plus à une stupeur près dans cette affaire), que le tableau de commande s’assortit de six boutons numérotés. Y’aurait-il six étages dans le sol ?
Elle appuie sur le troisième.
La cabine plonge.
— Je suppose que vous n’êtes pas plus Suédoise que je suis Pékinois ? dis-je en lui votant un sourire qui s’efforce.
Elle hausse les épaules.
— Vous vous trompez, je suis Suédoise.
— Et vous travaillez pour qui ?
Elle hausse ses ravissantes épaules.
— Travailler, cela veut dire quoi ?
— En tout cas, bravo pour la feinte du viol, sur la falaise, je m’y suis laissé prendre comme un garnement.
— On surveillait le bateau à la jumelle pour voir si quelqu’un allait s’y rendre, au contraire, on vous en a vu partir, ce qui nous a beaucoup surpris car nos hommes l’avaient fouillé entièrement.
— Les armateurs ont aménagé une planque formidable à bord.
— En effet.
L’ascenseur s’immobilise.
Dommage. J’aurais aimé que ce tête-à-tête se poursuive, j’ai tellement de questions à poser.
Nous déboulons dans une sorte de hall aux murs d’acier largement éclairé par des lampes incorporées dans le plafond. La jeune fille me conduit à une porte sans loquets ni serrures, mais qui s’ouvre automatiquement à notre approche. Elle la franchit, certaine que je vais la suivre.
Je la suis.
C’est un burlingue.
Ultra-moderne et d’une simplicité… monacale. Un grand bureau d’acier chargé d’appareils dont l’utilité n’apparaît pas spontanément, et puis quelques chaises de plastique transparent. Rien sur les murs, rien d’autre au sol qu’un revêtement de caoutchouc.
— Dites donc, la crypte du monastère, c’est les Galeries Lafayette, non ?
Ça la fait ricaner, Ulla.
— Vous avez des bases de comparaison à l’échelle de votre petit cerveau, San-Antonio.
Elle me désigne un siège et prend place derrière le bureau. Cette table ressemble plutôt à une régie de télévision. Elle est garnie d’une foule de touches de couleurs différentes, de cliquets, de boutons moletés. La môme entreprend de manipuler ce bigntz et alors, réellement, ça se met à devenir passionnant. Dans un premier temps, un panneau d’acier coulisse au mur du fond, démasquant un écran de verre de deux mètres sur deux environ. La seconde phase de l’opération éclaire l’écran.
— Je vais vous expliquer, dit-elle.
Sa manœuvre suivante amène une image. Laquelle représente Donato assis dans une sorte de chaise électrique, avec plein d’électrodes appliquées sur sa tronche. Il est ligoté, apparemment inconscient, avec le nez pincé et les joues creuses. On dirait d’un mannequin de cire.
— Opération vide-cervelle ? fais-je froidement.
— Pas exactement. Figurez-vous que nous essuyons un échec, ce qui est moins rare qu’on ne croit. Notre spécialiste prétend qu’il y a chez cet individu un blocage du subconscient consécutif au fait qu’il avait préalablement organisé une version des événements et se l’était en somme si fortement imprimée dans l’esprit qu’il la restitue automatiquement. En bref, il ne dira pas la vérité en état d’inconscience, comprenez-vous ? Sa volonté est montée sur boucle, il répète inlassablement son mensonge, comme un disque rayé.
— Et, bien entendu, vous vouliez savoir ce qu’il a fait de la valise ?
— Bien entendu ! Alors, c’est à ce stade que vous intervenez, Sans-Antonio. Nous vous avons amené ici seulement en vue de ce cas particulier, car nous sommes des gens prévoyants. Vous étiez notre poire pour la soif.
— Votre soif est grande et la poire est grosse, soupiré-je. Mais que puis-je faire ?
— Vous aviez commencé de capter la confiance de Convolvolo, nul doute que vous parveniez à l’accoucher complètement.
— Erreur, ma chère. Donato s’adressait à moi comme au représentant d’un pays susceptible de lui proposer également beaucoup d’argent. Vous avez vu à quel point c’est un garçon cupide ? Au lieu de le médicamenter, il fallait lui proposer des dollars…
— Nous l’avons fait.
— Il a refusé ?
— Oui, car il est prisonnier. Il a exigé avant toute chose sa liberté.
— Alors il convenait de la lui donner. Du moins pour commencer.
— Impossible.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il est venu ici.
Elle me fixe. Je frémis. En somme, la ravissante donzelle est en train de m’expliquer qu’un étranger connaissant le monastère ne peut plus en sortir vivant.
— Diable, mon futur branle au manche, on dirait ?
— Pas nécessairement, un homme de votre valeur peut se convertir à une grande cause.
Est-elle sincère ou bluffe-t-elle pour me décider à jouer son jeu ?
Je décide de voir venir.
— Pour en revenir à votre préoccupation, douce Ulla, je reste convaincu que vous auriez eu plus de chances de retrouver la valise en laissant cet imbécile de Sicilien dans son élément naturel.
Elle se justifie comme si elle référait à son supérieur.
— Nous devions agir vite. Dans l’autre cas, il eût fallu ruser, et puis il y a « les autres » qui nous talonnent. En ce moment même, sachant que Convolvolo détient la valise, ils doivent remuer toute la Sicile pour essayer de mettre la main dessus.
Je ne réponds rien.
Réfléchis.
Les gens manquent de psychologie. Ainsi, la bande à Ulla n’a pas une notion réelle du tempérament italien. Au lieu de s’embarquer dans un kidnapping et d’user de méthodes scientifiques, ces gnafs auraient obtenu un résultat immédiat en appliquant un revolver sur la nuque de Mme Convolvolo mère, en présence de son fils, et en réclamant la valise contre la cervelle de la mamma.
Ulla murmure doucement :
— San-Antonio…
— Tendre amie ?
— Je crois que vous pouvez nous faire gagner du temps. On va vous boucler avec votre ami Donato. Essayez de lui arracher les vers du nez.
— Faut-il que je me mette également à bêler pour davantage ressembler à un mouton ?
— Vous savez que l’heure n’est plus aux démonstrations d’honneur, San-Antonio ?
— L’heure est toujours à l’expression la plus haute de sa personnalité, demoiselle Ulla. En outre, je sais pertinemment ce qu’il advient des peaux de bananes après qu’on ait mangé la chair qui se trouvait à l’intérieur. Si j’avais six ans d’âge, vous pourriez me promettre la vie sauve en échange de mes bons et loyaux services. Mais dans le cas présent, vous ne possédez aucune monnaie d’échange, si ce n’est la torture, la classique, l’éternelle, la bonne vieille torture. Or, réfléchissez : elle représente pour moi l’unique prolongation de vie envisageable puisque, tant que je résisterai à vos sévices, je reculerai l’instant fatidique où vous n’aurez plus besoin de moi.
« Or, vous êtes très pressés, dites-vous ? Et “ceux d’en face” aussi. En outre, s’ils ont découvert le traitement infligé à leur équipe du bateau, ils vont mettre les bouchées doubles et ces bouchées doubles seront des bouchées d’ogre, mon Ulla… Alors, moi, que voulez-vous, je reste sur mon quant-à-moi et m’en remets aux soins éclairés de la Providence. Cela peut vous sembler puéril et d’un romantisme éculé, je sais bien. Mais chacun ses recettes. Il y a des gens qui guérissent grâce aux sulfamides et d’autres qui doivent leur salut à l’eau de Lourdes ; bien que je reconnaisse que les premiers sont en plus grand nombre, je ne puis nier la réalité des seconds. Là où la chimie est impuissante, le psychique gagne la partie, quelquefois… »
Si elle ne bâille pas, c’est uniquement par une sorte de respect humain, afin de ne pas sembler conventionnelle. Car, tu sais bien qu’au ciné, la belle tortionnaire, ou César, ou le gus qui joue Himler, se décrochent la mâchoire chaque fois qu’on leur parle le langage de la raison et surtout celui de la pitié.
— Vous dites des choses passionnantes, San-Antonio ; seulement je vous ai expliqué que le temps nous pressait. Alors, voilà…
Elle a un geste coquet, du tranchant de la main, pour rectifier sa mèche blonde.
— Il faut que d’ici deux heures vous ayez percé le secret de Convolvolo. Deux heures, pas davantage…
— Sinon ?
Elle fronce les sourcils.
— Pardon ?
— Ce genre d’exhortation s’accompagne immanquablement d’une menace. On dit « Il faut que vous fassiez cela, sinon vous aurez la tête arrachée », non ?
— Exact.
— Alors, Ulla bien-aimée, sinon, quoi ?
La fuligineuse blonde lève la main pour m’intimer de patienter et tourbricotte ses manettes, bitougnaux, clapouillards et autres stimbulingues.
— Sinon, ça… fait-elle.
L’image de Donato s’anéantit sur l’écran. Une autre lui succède. Brouillée au départ, compacte, filandreuse. Mais qui s’étale et se précise pour donner, tu sais quoi ? Bérurier.
T’esgourdes, dis, Beethoven ?
Roulez, tambours. Grondez, tonnerre. Ejaculez, singes lubriques. J’ai bien dit et je répète : Bé-ru-rier.
Mais tu le verrais en situation, le gros…
Attends, on va tourner la page pour se donner un peu d’oxygène, y’a pas le feu, si ?