Si une chambre sans fenêtres et dûment verrouillée peut être appelée « cellule », alors me voici dans une cellule en compagnie de Donato. Mais cellule confortable.

Il est un peu hagard consécutivement au traitement qu’il vient de subir, le frelot de la malheureuse vulcanisée.

Ses lèvres blanches remuent pour des mots indécis. Son regard semble ne pas me reconnaître.

J’attends que ça se tasse.

M’est avis qu’on doit nous observer attentivement, et nous écouter de même, bien que je n’aperçoive autour de nous ni micro ni caméra. Ils se sont admirablement équipés dans cet ancien monastère, ces messieurs-dames.

Ils continuent de jouer le jeu. D’où ces paras en robe de bure qui, dévotionneusement arpentent le jardin monacal ; pour d’éventuelles photos aériennes, probable. Ils constituent la couvrante. Mais ce que vous ne voyez pas en magasin, vous le trouverez à l’intérieur.

À tous les étages, des rayons singuliers.

Que j’aimerais visiter. Assurer un reportage sur cette caverne infernale, interviewer les monstres qui s’y mijotent, crois-moi-z’en, ce doit être passionnant.

* * *

— Tu vas mieux, fils ?

Les cercles concentriques de son regard se rassemblent. Une lueur d’intelligence point en ses prunelles.

— C’est vous ?

— Tu vois…

Bon, va falloir l’entreprendre. Le poulet devenu mouton : fable !

Il mate ce qui nous entoure. Une pièce tapissée en paille de riez de couleur… paille. Des meubles fonctionnels, plutôt modernes. Aux murs, des reproductions photographiques représentant des compositions florales.

— Souffres-tu, Donato ?

— Non, mais j’ai la gueule de bois.

— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

— Je ne sais pas. Je ne me souviens de rien.

— Tu as parlé ?

Il bondit. Bon Dieu, il ne songeait pas à cette éventualité ! Sa vadrouille dans le sirop l’anéantit. Il ignore tout de son coma. Pendant un certain laps de temps, il a été absent du monde et qui pis est, de lui-même.

Il a besoin de se raccrocher à une espérance, comme tous les hommes en danger.

— Vous croyez ?

— Tu verras bien.

— Comment ça, je verrai ?

— Comme ils veulent à tout prix savoir, si tu n’as rien dit, ils t’entreprendront de nouveau, et cela jusqu’à ce que tu te mettes à table.

Ça lui jaillit spontanément, farouchement du plus profond de l’âme :

— Je ne dirai rien, c’est impossible !

— Avec eux, tout est possible.

— C’est quoi, ces gens-là ?

— Peut-être des Ruskofs, mais je n’en suis pas certain. Je peux même ajouter pour ta gouvernante (comme dirait mon pauvre Béru) que je doute de plus en plus qu’il s’agisse de Soviétiques. À présent que je connais la nature des recherches entreprises ici, je ne vois pas pourquoi les Popofs prendraient le risque de camoufler un ancien monastère méditerranéen pour y pratiquer des expériences qu’ils auraient tout le loisir de réaliser sur leur immense territoire, non ? Soyons logique.

Un silence. Donato a du cloaque entre les mandibules. Rien de plus fâcheux pour l’haleine que les médicamentations.

— Tu devrais bien réfléchir à la situation, Donato.

— Bien sûr.

— S’ils sont en mesure de dénicher ta planque, tu aurais peut-être intérêt à parler.

— Ils ne la dénicheront pas.

— Tu sais, en ce bas monde, aucune cachette n’est inviolable.

— La mienne, si.

— Crois-tu pouvoir résister à la torture ?

— Oui.

— Aux piqûres amoliantes ?

Il secoue la tête.

— Ils ont commencé par là. Alors si je n’ai rien dit, je ne dirai plus jamais rien.

Je me penche à son oreille, décidé à tenter un coup.

— Fais gaffe, bonhomme, on nous voit et on nous écoute. Si on doit se dire des choses délicates, il faut se les chuchoter à l’esgourde. Tu piges ?

Cette patate a la réaction du mec à qui on gueule attention : il sursaute et regarde autour de lui.

Je place ma bafle contre sa bouche. Le voilà qui bredouille :

— Vous êtes certain qu’on est observé ?

Je me remets dans la position émettrice :

— T’es paralysé de la coiffe pour ne pas piger une telle évidence ! Ils nous ont mis ensemble dans l’espoir que tu te confieras à moi. Alors, motus, hein ?

Il s’écarte, l’air malheureux. On dirait un gamin déçu. Les hommes en détresse, tout de suite, ils se mettent à ressembler au môme qu’ils n’ont jamais cessé d’être. Ce qu’on nomme « le respect humain », c’est rien d’autre que le « jeu de l’adulte ».

Au bout d’un instant, il dit en se massant l’estomac :

— J’ai envie de vomir.

— Si tu veux gerber, camarade, essaie d’ouvrir cette porte peinte en blanc, c’est peut-être celle des chiches.

Il y va en titubant. La lourde obéit. Effectivement, elle donne accès à une salle de bains au sanitaire très complet.

Illico, Donato va au refile. Ses spasmes font un fracas de cataracte. Du train où il y va, je te parie qu’il va déballer sa panoplie à croque.

Ça dure cinq bonnes minutes. Des efforts à ne plus pouvoir. Rien que de les entendre, j’en ai l’estom’ en portefeuille. C’est plus entraînant que la musique militaire, le bruit d’un mec qui dégueule. Communicatif. T’as envie de te mettre à l’unisson, de t’engager dans les (haut le) chœurs comme baryton.

Un fracas de verre cassé. J’interviens. Je trouve un verre à dents brisé sur le carreau, et Césarin agenouillé devant la cuvette des gogues avec un visage défait.

Il est frais comme un merlan à la poubelle, Donato. Il en a le regard, les gluantes luisances. Et il fouette l’horreur à t’en faire grincer les dents.

— Eh ben, mon pote, t’es malade à crever !

Il s’ébroue :

— J’ai froid. Je me sens glacé. Vous croyez qu’un bain, ça me réchaufferait ?

— Ça ne peut pas te faire de mal.

Courageusement, j’enjambe des flaques indescriptibles pour atteindre la baignoire. Je règle les robicots et lui fais couler un bain bien chaud.

Il commence à se dessaper seulâbre car je n’ai pas le courage de porter la main sur ses vêtements sanieux.

Quand il est à loilpé, il se glisse dans la flotte.

— Ça va mieux ?

— On dirait, merci…

Je le laisse mariner. Toujours du temps de gagné, tu comprends ? Moi, je ne suis pas pressé.

Une fois dans la chambre, je vais m’allonger sur l’un des lits jumeaux et j’essaie de récupérer un poil. Tout ça, cette équipée, ces meurtres, ces enlèvements, ces hommes-singes ou chiens, Béru goret, les moines-paras…

Je flaire un grand mystère. Énorme.

Pourquoi une sorte de quiétude subsiste-t-elle en moi, que ma situation pourtant critique, vraisemblablement désespérée, n’entame pas ? Une confiance idiote, spontanée, de mon individu. J’ai beau mesurer la hideur de notre sort, au Gravos et à moi, je conserve une certaine sérénité. Un peu comme un homme qui se sent protégé parce qu’il se croit protégé.

Protégé par quoi ? Par qui ?

Dieu ?

Je te vois sourire. Dieu qui ? Dieu quoi ? Dieu pour quoi faire ? Les hommes, on se livre à une espèce de va-et-vient avec Lui. La lâcheté de la jeunesse nous en éloigne, mais la lâcheté de l’âge nous ramène à sa notion vague et nécessaire. J’aime pas que les jeunes croient en Dieu, c’est pas de leur âge. Ils perdent quelque chose d’irremplaçable qui est cette espèce de voyage au bout de leur âme. Ils mangent leur pain bénit le premier. N’auront plus, quand sera le temps de prendre congé, que des croûtes d’hostie à ronger. Ça les enconne d’avoir la foi. Les anémie du mental. Ça leur convient aussi mal que la fortune. T’as déjà vu quelque chose de plus pitoyable, de plus effrayant qu’un jeune riche, toi ? À l’inverse, un vieux sceptique m’incommode. J’ai l’impression que son âme finira célibataire. Car l’âme finit pour qui ne souhaite pas la prolonger au-delà de lui-même. T’imagines tout de même pas que le Barbu est plus déiste que toi, merde ! Quand tu n’en veux pas, il la remet dans son ciboire, le Tout grand. Enfin, quoi : mets-toi à sa place ?

Moi, à force de m’y mettre, je finis par roupiller pour de bon.

Un vrai chérubin, je te dis.

* * *

Bruit de pas.

Nombreux, violents. Des voix mauvaises.

Je tressaille ; saute à pieds joints de ma dormissure.

Ulla est irruptée dans ma pièce, en compagnie de trois paras scalpés du mamelon.

Ils ne s’intéressent pas à moi.

Foncent droit à la salle de bains. Je les entends rouscailler dans une langue inconnue de moi, mais je pense pas que ce soit de l’ursse moderne.

Curieux, désommeillé en plein, je vais jusqu’à l’encadrement. Misère !

Tu sais quoi ? Donato Convolvolo s’est tranché les veines dans son bain. L’eau est toute rouge. Et brusquement, je pige tout. Il avait pas envie de dégobiller, c’était pour prétexter seulement. Se barrer dans la salle d’eau. Son ramdam provenait des efforts accomplis pour se soulever le cœur. Il a d’abord brisé le verre à dents. Pris un morceau en douce. Il m’a dit grelotter et m’a demandé si un bain lui ferait du bien. Une fois dans l’eau, à l’abri de la baignoire, il s’est tranché les veines en douce.

Le circuit vidéo, dans la base, n’est pas en couleurs, sinon ils se seraient aperçus, les tortionnaires que le pauvre gars se vidait de son raisin.

Maintenant, il est clamsé, Convolvolo. Exsangue dans l’eau tiède où un gros nuage pourpre filandre. Il a plus pu tenir. Son secret lui a paru plus important que sa vie. Quel étrange raisonnement ! Il a préféré les documents à sa peau…

Les sbires de la belle Ulla viennent emparer une couverture. Ils y déposent le cadavre, l’enveloppent comme dans un linceul et l’emportent. Ulla reste en ma compagnie. Elle prend place sur le bord du lit. Tu peux pas imaginer l’à quel point cette fille est splendide. Et puis y’a autre chose : telle qu’elle se tient, sa blouse blanche retroussée, je vois ses cuisses. Et il me reprend une envie d’elle que pour te la décrire tout bien, on aurait droit à la commission de censure de ceci-cela.

Je sens mon regard qui fait des « 8 ».

Elle s’en aperçoit. Moi, ça me revient dans la mémoire glandulaire, la manière que son frifri joue à l’essoreuse. Cette sensation d’être embarqué dans les rotatives d’un quotidien par le meilleur bout.

Mon zigzigplomplon se souvient des somptueuses contractions de la chagatte dorée : vzouffff tchpok, qui t’emportaient bien loin du laid rivage terre à terre, vers ces fabuleux abîmes du désir, là que la volupté se fait océane…

Hou loulère, cette trique, gente dame ! Ce mandruche à capuchon imperméabilisé. J’ai le sommet de Popaul comme un casque suisse. T’as déjà vu les casques de l’armée suisse ? Eh bien ça ! En plus dur encore. Voilà que mon soubassement prend des proportions, des dimensions, du volume.

— Vous cachez mal vos sentiments, ricane Ulla.

— Si c’était pas télévisé, je vous les prouverais volontiers.

Elle déboutonne sa blouse.

— Ce n’est plus télévisé pour l’instant.

— Vrai ?

Et puis je m’en tambourine l’occiput que mes prouesses soient ou non projetées sur écran large. Y’a des moments, tu plies ta pudeur soigneusement et tu la glisses dans ton paquetage.

Une bonne partie de tringluche, c’était de cela que j’avais besoin.

Les bonshommes, j’ sais pas ce qui nous passe par les têtes, mais on a des instincts bizarres, parfois. Ainsi, le croiras-tu ? mais elle m’excite beaucoup plus, maintenant que je sais qui elle hait, que lorsque je la croyais petite touriste suédoise paumée en Sicile. Ça met du piment dans notre étreinte. Je décide de ne pas me rater l’embarquement en gondole, cette fois-ci. Faut que j’éblouisse en même temps qu’elle. J’y tiens à mon feu d’artifesses, à ma chandelle bellissime !

Surtout que j’ai bien pigé son comportement dans l’appentis de l’albergo. Elle déchausse du panard brutal, Ulla. Sans assurer son ventral. C’est le grand saut à ouverture retardée. Quand elle épanouit du pébroque, t’as plus de marge de sécurité. Faut pas différer ta propre manœuvre, sinon t’es chocolat, mec.

Ta seule vraie chance de participer au grand métinge de l’extase réside dans le synchronisme.

Je raterai pas le coche, même s’il prend la mouche. Je lui suce la roue, comme on dit puis dans la pédale. J’ai son orgasme en point de mire, à la toute somptueuse gueuse (alambic). Le quadrille des lanciers ! Elle peut pas se permettre une échappée, je suis paré pour le démarrage. Tout, de haut en bas. Ce qu’à de chouette, d’unique en amour, c’est la totale participation de son être. Mobilisation générale, gentleman. Le corps entier, de la pointe du cheveu à l’ongle du gros orteil. L’âme complète. L’instinct, en suppléant. Y’a monstre malaxage dans la boutique cadeaux.

Et le Santonio, impec, mon julot. Le cran de sûreté relevé. Le tube lance-torpilles bourré jusqu’à la gueule, avec des réserves dans les caissons de quoi assurer un siège (si j’ose me permettre). Un bain de siège ! Un Saint Siège. Un siège et ses seins ! Un état de siège ! Un siège en bon état. Rrrran et rrran, boum, huerg, chplafffff ! La fusée volante. Allez, faut lui déclencher l’opération nettoyage. La ramoner entièrement. Zézette en survoltage, le majeur dans le prozibe (là, faut pas souffrir de rhumatismes articulaires) avec la bouche arpenteuse, omniprésente : nichemard gauche, vive Marchais ! Nichemard droit : vive Nonœil ! Et en avant marche, comme ils disent dans le génie. Et cette main gauche qui fout rien, la traîtresse ! Feignasse, va ! Où que tu peux l’employer, cette foutue chômeuse, dis, Cent ans de tonneau ? L’inaction est la mère de tous les vices. Faut d’urgence la consacrer à une tâche. Consacrer ! Attends, ça me donne une idée. Ce sera moins sacré que je souhaiterais, mais question emploi, first bourre, mon pote. Un gratouillis sousqueutard ! Ça te parachève drôlement une troufignard’s party ! La Malibranle ! Moniche choit qui mal y penche ! La caresse complémentaire. C’est le bouquet de l’édifice. Le drapeau planté sur Fort Alamo. Taratata, tata, tatère… La paluche princière ; la pogne à Pogna, tiens donc !

Et, comblée, toutes amarres larguées, la v’là qui cambre du Sicambre et qui pousse son surprenant : « Oooooooooh Yéééééééé » d’énamouranche.

Elle m’a pas feinté. Je lui déballe ma hotte secrète en même temps.

Et puis je m’hâte de récupérer ma pleine lucidité afin de lui tirer au bouc un crochet comme le gars Cassius sait même pas qu’il en existe.

Son regard rechavire.

Elle est groggy. Flasque.

Bibi s’empresse de l’entraver avec ce qui lui tombe sous la main comme liens de fortune, ou plutôt d’infortune. Je sais : ce que je fais là est d’une monumentale bêtise. D’une inutilité flagrante. Mais un homme d’action, ça ne se refait pas, faut qu’il actionne, fût-ce pour du beurre.

Je remets de l’ordre dans ma mise et fonce à la porte.

Dans le fion, p’tit gars. Elle est fermée. Mais, je crois te l’avoir dit à la page j’ me rappelle plus combien, t’as qu’à chercher, ces lourdes ne comportent ni verrous ni serrures.

Trois secondes de réflexion.

Comment a-t-elle ouvert celle de la salle de visionnement, tout à l’heure, quand elle m’y a drivé pour assister à l’animalisation de ses clients ?

Eh ben, mon canard, elle n’a rien fait.

Du tout !

Ça a délourdé tout seul.

Je me rabats vers le lit. Au pied d’icelui gît la blouse blanche de ma chérie. Dans la poche, je te l’ai bien dit, probablement à la même page j’sais plus combien, ce qui te prouve que je te fournis loyalement tous les éléments, mais tu es tellement bazu que tu marches à côté, se trouve un petit appareil avec un brin d’antenne. Il est à peine plus gros que ces trucs à ondes chmolles que portent les toubibs d’un hôpital afin qu’on puisse les alerter, où qu’ils se trouvent.

Je le file dans ma vague à moi et retourne à la porte.

Qui s’ouvre, oui, en effet, bravo, t’as gagné un paquet de petits sablés bretons.

Et maintenant, tu sais quoi ?

Ben, je vais te raconter la suite.

Car y’en a une !

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