Et puis alors, ils ont une tomobile, là dehors. Bleue, américaine, avec des phares à paupières. On s’y entasse à la va-comme-je-te-fourre. La vie n’est qu’une continuité. Qui a dit un recommencement ? Commencement zobanche ! Qu’est-ce que t’as déjà vu recommencer, toi, à part ta feuille d’impôts ? Et encore : la somme change chaque fois.
Je pense qu’hier, des gus siciliens m’ont embarqué dans une guinde. Et puis ce matin, les archers défunts de la défunte maman Linda. Et à présent, ces inconnus dont la bienveillance à mon endroit me laisse songeur.
— C’est indiscret de vous demander qui vous êtes, bien sûr ? j’hasarde à l’intention du blond.
Tu sais ce qu’il me répond ?
— Pfff…
Nature. Pffff… avec une moue désabusée, comme si ce qu’ils sont n’avait pas de signification, comme s’il en avait plus ou moins honte.
À quoi bon insister ? Un type, ça parle quand ça veut, surtout lorsqu’il est à trois contre un avec plein d’armes de précision, dûment graissées, et dont la garantie court encore.
Je me contente d’admirer le paysage. Ce qu’on calanche en Sicile ! T’as fais le compte ? Non ? Ben vas-y, moi j’ai la cosse.
J’aimerais savoir ce qu’est devenu mon cher Béru.
On roule bientôt plein gaz sur une route dégagée. De temps à autre, on double un attelage paysan. Des types aux gueules burinées font des bras d’honneur en réponse au klaxon de notre carrosse. Quand on atteint un charmant village, au bord de la mer, le conducteur (c’est le rouquin) va se ranger dans le port. Un canot à moteur se dandine à l’amarre comme un canard qui vient de trouver un trognon de pain détrempé dans sa mare.
Le blond et le cuivré descendent.
Le blond se tourne vers moi.
— Vous venez, vieux ?
— Où allons-nous ?
— En mer.
Je quitte la voiture.
— Et si je refusais de vous accompagner ? demandé-je.
Il hausse les épaules.
— Pourquoi refuseriez-vous ?
C’est vrai, ça : pourquoi je refuserais ?
Le barlu bat, comme on dit dans les pages maritimes des romans cheap (comme c’est le cas présent) pavillon panamien, ce qui, t’en conviens, ne me renseigne nullement sur sa nationalité fondamentale. C’est un barlu assez moche, mi-yacht, mi-cargo. Il aurait besoin de peinture, et aussi d’être refait. On le sent délabré, poussif, pas loin de la casse. Encore une tempête et il ira au Ris-Orangis des rafiots. Ce machin, selon moi, il ne sert plus qu’à la contrebande. M’étonnerait qu’il eût traversé l’Atlantique au (long) cours de ces trente dernières années, ou alors c’était sur le pont d’un porte-avions.
Un mec vaguement déguisé en capitaine, mal rasé et d’aspect débraillé, nous regarde radiner, accoudé au bastingage.
L’échelle de machinchose est descendue. On grimpe à bord. Le pseudo-officier n’a pas bronché, pas plus que tu ne te mets en frais dans un jardin public lorsque le balayeur remue les feuilles mortes pour mimer du Prévert.
Nous gagnons une sorte d’espèce d’habitacle, au centre du barlu. C’est vitré en verre teinté et on ne voit rien de l’extérieur.
Eh ben, mon vieux, c’est dommage. Quelle surprise ! Dès que t’as franchi le seuil tu crois rêver. V’là que tu déboules dans un luxueux salon, pas grand, mais admirablement décoré. C’est même raffiné, dans le genre. Moquette claire, épaisse, tapis de Chiraz, murs tendus de velours grège avec deux Vassarély exécutés par les enfants des écoles ou les petites infirmes de la fondation Dunœud tellement qu’ils ont l’air vrais. Les fauteuils sont profonds. Les quelques meubles bateaux, anglais-dix-neuvième, et le personnage à tempes grises qui nous attend en éclusant un scotch, ressemble à un armateur de Jules Verne.
Je siffle, admirativement.
— Mazette, que je dégoise, v’là un bâtiment qui cache bien son jeu. Si les machines correspondent à ce salon, votre barcasse doit se comporter comme un hors-bord.
— Elles correspondent, assure le blondinet.
En américain courant, il met le personnage à rouflaquettes au courant des péripéties que toi tu sais déjà. Ensuite, le cuivré lui fait écouter la bande du magnétophone sur un appareil habilement camouflé, qui comporte la stéréo, la télé, l’eau chaude et la table de multiplication.
L’homme écoute en buvant trois autres wiskies. Sa biberonnanche se lit sur ses pommettes où elle a tissé une fine toile d’araignée violette.
Lorsque le silence est revenu, il pose son verre, joint ses dix doigts, par paquets de cinq, et déclare :
— Très intéressant.
Puis, à moi, d’une voix neutre.
— Vous êtes le commissaire San-Antonio ?
— Entièrement. Vous me connaissez ?
— Plus ou moins, oui. Que faut-il penser de ces déclarations ? On vous avait drogué, n’est-ce pas ?
— Oui, mais…
Mon « oui, mais » pêche à la traîne. C’est un oui tout mou, suivi d’un mais tout bête.
Il me stoppe d’un geste prompt.
Ce type, il a beau vider des bouteilles pleines, il conserve la tête froide. À part le mètre étalon déposé au pavillon de Breteuil, il ne doit rien y avoir de plus précis que lui.
— J’ai l’impression, murmure-t-il, que vous ne savez pas trop pour le compte de qui vous voyagez. Vos supérieurs vous ont chargé d’une mission apparemment sommaire, mais qui pourtant vous dépasse. Je reconnais bien là cette foutue marotte française qui consiste à toujours en dire trop ou pas assez. L’esprit cartésien, quoi. On se refuse à considérer un agent comme un simple rouage, alors on lui fournit un minimum d’explication pour satisfaire son orgueil. Et naturellement, cela fausse tout. Il se croit détenteur de la vérité et roule les mécaniques. Mais rien n’est plus dangereux qu’une partie de vérité.
Il se tait.
— À qui ai-je l’honneur de devoir ce brillant exposé ? lui demandé-je.
Il hausse les épaules.
— Comme je ne suis pas Français, j’ai le choix entre deux éventualités, commissaire San-Antonio : ou bien tout vous dire, ou bien tout vous taire.
— Personnellement je suis à fond pour la première.
— En l’occurrence, moi aussi. Vous voulez un whisky ?
— Après la vérité, c’est la chose qui m’intéresse le plus.
Il rit, me sert lui-même ; sans pleurer la marchandise. C’est de la dose travailleur de force.
— Pas de glace ?
— C’est secondaire.
— Moi, je n’en mets jamais, l’eau est si polluante.
Il adresse un signe à ses deux acolytes. Le blond et le cuivré nous quittent avec un maximum de discrétion. Ils se retirent comme la mer, à marée basse, sans qu’il y paraisse. À un moment donné ils ne sont plus là, et c’est tout.
— Je dirige une branche des Services Secrets américains, secteur Méditerranéen.
— Mes compliments.
— Pour bien piger, il faut parler clairement et tout reprendre depuis le début…
— J’aimerais infiniment.
— Alors résumez la situation, vous-même, et ensuite je rectifierai.
— Volontiers…
Je bois la gorgée propitiatoire, celle qui te ramone les muqueuses et te lubrifie la gamberge.
— Un agent de l’Est est passé à votre solde.
— Exact.
— Il devait opérer un gros coup en vous livrant des documents d’une extrême importance, mais dont, personnellement, je ne sais rien.
— Premier point d’ignorance, je vous éclairerai là-dessus, San-Antonio, continuez.
— Les Services de Renseignements français, mis au courant, ont tenté d’intercepter lesdits documents. Un de nos agents, dont j’ignore tout, également…
— Je vous parlerai de lui aussi, ensuite ?
— … est parvenu à chouraver ces documents en cours de voyage.
— Juste !
— C’est alors qu’à l’escale de Catane s’est situé un incident cocasse : l’agent double a eu son attaché-case dérobé par un voleur professionnel.
— Exact.
— Notre propre agent nous a remis les documents. Les responsables français ont alors décidé de brouiller un peu le jeu, par mesure de sécurité, et, pour blanchir leur homme, m’ont envoyé ici avec mission d’essayer de récupérer ostensiblement cette charognerie de valise. Et déjà, pas mal de gens sont morts pour cet attaché-case qui ne vaut pas plus de vingt dollars à l’heure actuelle.
— Rigoureusement faux, laisse tomber mon interlocuteur avant de drainer dix centilitres d’alcool pur jusqu’à son tube digestif.
— Qu’est-ce qui est faux ?
— Que la valise ne vaille plus rien. Moi, je vais vous reprendre l’histoire en remplaçant les cases vides ou fausses par la vérité, O. K. ?
— Tout ce qu’il y a de plus O. K., boss !
— Bien, tout d’abord, les documents. Ils sont relatifs à une mystérieuse base que les copains russes et leurs satellites aménagent dans la région méditerranéenne. Un truc expérimental, au plan purement scientifique. Il s’y prépare des machins pas piqués des vers, mon vieux, susceptibles de révolutionner l’humanité.
Un petit ricanement m’échappe.
— Je lis ça dans « Ici Paris », au moins une fois par mois. C’est un de ces moutons à cinq pattes dont le populo est friand.
Il hoche la tête.
— Le moment arrive où les moutons à cinq pattes vont se mettre à marcher, San-Antonio. Et comme ils auront cinq pattes, ils iront plus vite que les autres. Le truc inventé par les Russes a trait à une déviation de l’espèce.
— Pourquoi sont-ils obligés de venir faire ça dans la région méditerranéenne, c’est pas suffisamment grand, la Russie ?
L’homme aux favoris gris hausse les épaules.
— Comme disait ce professeur sur lequel un autre professeur venait de cracher : c’est leur problème, pas le mien !
— Bon, d’accord, base expérimentale, d’ordre scientifique, ayant pour objectif une déviation de l’espèce humaine, ensuite ?
— L’agent double nous alerte et promet de nous céder un dossier sur cette base. Les services secrets français apprennent la chose. Flairant la bonne affaire, ils branchent sur notre bonhomme un type de première grandeur, un dénommé Jean La Baule ; en le priant de dérober coûte que coûte les documents pendant leur transfert. La Baule réussit sa mission. Il dérobe les documents en question… et nous les remet, car cet homme travaille en réalité pour nous, et fait partie du noyautage Ouest-Europe. Ce qu’il donne aux Français, c’est des secrets de pacotille, fournis par nous.
Une moche sueur à basse température me serpente depuis la nuque jusqu’à la régulière.
— Pourquoi me racontez-vous cela, boss ? Vous brûlez votre gars ou alors vous avez l’intention de me neutraliser définitivement, comme on dit avec élégance dans votre job ?
Il sourit.
— Vous avez entendu parler de l’aéroport de Roissy en France, mon cher ? Hier, on a retrouvé La Baule la gorge tranchée dans les cabinets flambant neufs de ce magistral aéroport. Pour le brûler, maintenant, il faudrait un crématorium !
Il rit.
Il boit.
— On continue ?
— Faites.
— Ce que vos chefs ont omis de vous préciser en vous expédiant ici, c’est qu’ils ne voulaient donner le change qu’à nous autres, Ricains, à propos de cette valise. En réalité, leur plan consistait à négocier la restitution des documents à l’U. R. S. S. en échange de certains avantages d’ordre nucléaire, car à Paris, on en a assez de faire partir à Mururoa des pétards moins spectaculaires que ceux du 14 Juillet. Question de prestige. On a besoin d’un boum, si j’ose dire, chez vous.
Là, il se place la lampée du siècle. Un demi-glass de grand-mère. Gloup ! S’il ne lui pousse pas des étincelles dans le caberlot, c’est que celui-ci marche à transistor.
— Drôle de salade, ronché-je.
— Russe, pouffe mon vis-à-vis. Vous suivez le labyrinthe, cher ? La France vole à un agent double des documents russes qu’il allait livrer aux Amerloques. Mais l’agent français travaille pour les Américains et remet à ceux-ci le produit de son vol. Il fournit aux françouzes des machins très secondaires que vos éminents chefs, triomphalement, s’empressent de restituer aux Russes.
Je rigole.
— J’imagine la frime des Ruscoffs.
— Pendant que vous y êtes, imaginez également celle des Américains, mon vieux, car les documents étaient bidons.
Parvenu à ce point de racontage, faudrait marquer un temps mort, comme je préconise parfois, mon chou bleu. Que tu reprennes tes pauvres esprits surmenés. T’es là, je te déméninge avec mes récits de corne-cul. T’en perds la boussole, le latin, et ce qu’est pire, l’appétit. Ça embrouille à telle allure que tu vas plus savoir qui est qui d’ici cinq minutes. T’as une brèche dans la chambre noire. Tu fissures de la pensarde. Tu te crois dans Tintin, et encore, je déconne : Tintin, c’est facile à suivre.
Le mieux, tu sais quoi ? Je sirote mon glass, sans me presser, au petit trot de la glotte. Il est comme la bite dégustée par Marie-Chantal : il a un goût. Bon : c’est pas du scotch, mais du bourbon. Donc, c’est plus doux, moins chatoyant, selon moi.
— « Four Roses », jette mon terlocuteur, comme s’il suivait pas à pas ma pensée. Pour un buveur de cognac, ça n’est pas le pied, évidemment.
En tout cas c’est le sien, vu qu’il recharge ses batteries. Je me décide à enchaîner.
— En somme, quoi ? je hasarde.
— En somme, nous valsons en plein bal des dupes, San-Antonio. Tout le monde feinte, double, baise tout le monde. À ne plus savoir où nous en sommes, ni ce que nous cherchons. Le tout sur un fond de massacre. Les vilains du « Code Z » travaillaient pour les Russes, ce qui tendrait à laisser croire que ces pauvres gens ont bel et bien perdu leurs sacrés documents, à moins évidemment qu’il s’agisse aussi d’une ruse à grand spectacle destinée à nous égarer. Que sont les documents devenus ? comme le chanteraient vos vieux poètes. Qui les détient ? Qui a récupéré la valise ? Vous ?
Le regard qu’il porte alors sur ma personne achèverait de faire basculer la tour de Pise sur un monceau d’appareils photographiques japonais.
— Non, pas moi.
— Alors pourquoi tous ces gens sont-ils persuadés que vous la détenez ? Il n’y a pas de fumée sans feu, bon ami. Les Siciliens, qui ont flairé la bonne affaire, croient ferme que vous l’avez récupérée, et les copains du « Code Z » également. Pour ma part, je vais vous dire…
— Disez, boss, disez !
— Je ne suis pas certain que vous l’ayez, mais je pense que vous êtes bien placé pour l’avoir ?
— Expliquez-vous, ça m’intéresse…
Il va pour, seulement, tu sais quoi ? Le capitaine pour bateau pirate aperçu à l’arrivée radine en trombe dans le salon.
— La police portuaire italienne ! annonce-t-il. Leur vedette pique droit sur nous.
— Et alors, nous sommes en règle, non ? objecte mon hôte.
— Lui aussi ? demande, en me désignant, le gros sac déguisé en officier de marine.
— Moi aussi, certes, fais-je, mais n’oublions pas, cher boss, qu’ici la maffia est souveraine et… qu’elle me recherche.
— Well, well ! rétorque pertinemment l’homme aux favoris gris frisés. Malcom, conduisez notre ami dans la planque si vous en avez le temps.
L’officier de marine m’adresse un hochement de menton comminatoire. Je le suis. On dévale dans la coursive. Il m’entraîne au pas de charge jusqu’à la cabine du fond.
Je regarde le logement, surpris. Une planque, ça ? Elle est sèchement meublée de l’essentiel, à savoir d’un lit et d’une penderie fermée par un rideau. Deux hublots l’éclairent. C’est alors que mes sens hallucinent, camarade. Magine-toi que le commandant Malcom fonce droit au hublot situé le plus près de la poupe. Il biche la poignée de cuivre, tire un bon coup. Le hublot s’ouvre, avec ses rivets, ses boulons et tout. Il s’agit en fait d’une trappe verticale. Au lieu de la mer que je voyais danser le long des golfes clairs, une seconde auparavant, j’ai plus qu’un trou sombre. Et alors, tu vas comprendre, c’est du travail d’illusionniste : derrière le hublot, on a aménagé un système optique dans un gros conduit coudé, comme pour un périscope. Si bien que la mer, mon pote, elle est pas juste derrière le hublot, mais un peu plus à droite. En face, c’est effectivement une cachette sombre, prise dans la courbure de la poupe. Oh, y’a pas de quoi s’y installer avec sa femme et sa belle-mère. Mais quoi, un julot normalement constitué peut y tenir. Le commandant m’aide à m’insinuer dans le goulet et il referme le hublot, ce qui m’oblige à me tasser sur mes cannes, biscotte l’appareillage optique qui en mène large. Un peu diabolique sur les bords, hein ? Là, espère, c’est vraiment la planque idéale, sans discussion. N’importe quelle pomme pénétrant dans cette cabine, je la mets au défi d’y flairer du louche. Il sondera le plancher, le plafond, les cloisons internes, mais jamais la coque du barlu, du moment qu’il voit la mer derrière. Chapeau, ces Ricains, quand ils se mettent la cervelle en position de suractivité, on peut leur faire confiance quant au résultat.
Me reste plus que d’attendre la fin de l’alerte, en espérant pour mon futal qu’aucune envie de licebroquer ne me prendra.
Dans ma guitoune, la vie est contractée jusqu’à sa plus simple, mais plus belle expression : moi. Il m’est impossible : d’y jouer au tennis, d’y embroquer une fille, ni de m’y faire une réussite, à l’instar de notre bon de Gaulle qui est mort juste après qu’il en eut fait une (à propos, on n’a jamais su s’il l’avait réussie ?).
Je respire à un trou gros comme une pièce de deux francs percé dans la paroi. Cet orifice me permet de visionner la petite rade, le port au loin, avec ses pêcheurs raccommodant leurs filets. Mon bide émet des glouglous désespérés, car la faim me tenaille. Mais il n’est point l’heure de l’omelette au lard, fiston.
Je perçois un martèlement à bord. Des pas font vibrer la coursive. Il y a des appels, des heurts. À un moment donné, j’entends nettement qu’on explore la cabine par laquelle j’ai accédé à la cachette. Et puis un claquement de porte. Du temps s’écoule. Je réfléchis à tout ce que m’a révélé Favoris-frisés. Ça me fait songer aux histoires à épisodes de mon enfance, que j’achetais sous forme de petites livraisons, chaque semaine à la papeterie-mercerie-journaux de notre quartier. Il y flottait, dans cette boutique, une odeur inoubliable, que je cherche en vain, ne retrouve plus. Une odeur qui m’a donné envie d’écrire. L’odeur de mon enfance. L’odeur des Pieds Nickelés, mes maîtres. Mes seuls maîtres d’à tout jamais. Quel sac d’embrouilles, je ne le redirai jamais assez : agents doubles, voire triples. Documents volés au voleur. Echangés, perdus… Valise truquée ? De l’écume de roman d’espionnage. Du brouet de feuilleton. Du mêli de mêlo. Personne n’y retrouve plus les siens. Tout le monde a trahi sa mission, y compris ton San-A. qui, parce qu’il était chargé d’une mission bidon de dissuasion, ne se fait pas tirer la sourde oreille pour jacter, se raconter en long en large, la pomme véreuse ! Et mon cher grand absent, mon Béru, pendant ce temps, dis, gueule de Zob ? Tu le situes où, en quel état ? En quel triste état ?
Brèfle, je commence à vieillir dans mon trou. Décidément, ma claustrophobie en prend pour son algarade ! Sépulcre, cercueil, oubliette, rien n’y manque.
Une pétarade de moteur naval me réconforte. Ces messieurs argousins s’en retournent bouffer la polenta, bredouilles. Fectivement, leur vedette traverse mon champ de vision et va mourir dans les confins.
Des crampes m’arrachent les muscles. Vivement la délivrance. Depuis combien de temps je moisis dans mon trou ? Plus d’une demi-heure, sûr ! Qu’est-ce qu’ils attendent, les amis Ricains, pour venir me délivrer ? Du moment que l’alerte est passée ? Je mijote encore, mort d’impatience. Et pour lors, le doute me point. Je me dis : « Et s’ils avaient décidé de te laisser crever dans ce trou, San-A. ? Après tout, maintenant que t’as craché ce que tu savais, ils n’ont plus besoin de toi. Ici, t’es gênant, à preuve : ils ont dû te planquer. Du temps qu’ils y sont, ils vont te laisser crever gentiment dans ton tuyau. Plus tard, en mer, ils n’auront qu’à te faire cadeau aux requins. »
Lorsque des idées pareilles t’assaillent et que tu te trouves dans ma posture actuelle, je te mets au défi de ne pas perdre la boussole. Me voilà en effervescence. Je remue à en faire éclater la coque du rafiot. À deux mains, après des tortillades d’homme serpent, j’empoigne le gros coude de l’appareil optique et je le pousse en avant. Dieu soit… Mais non, pourquoi « loué » ? L’essentiel est qu’Il soit.
Et Il est.
Puisque le hublot s’ouvre. Tu comprends, il ne comporte pas de système de verrouillage. Une forte pression en assure la fermeture hermétique grâce à une combinaison de ventouse.
Donc, en poussant fort, je parviens à l’ouvrir.
Le circus, les contorsions, les reptations, les efforts pour m’arracher du trou, je préfère pas te les relater. D’abord parce que t’en as rien à branler, égoïste comme je te connais, ensuite parce que c’est bien suffisant de les vivre que s’il faut remâcher tout ça, quoi, merde, on y passerait sa jeunesse, et alors y t’ reste quoi, quand tu l’as gaspillée, ta jeunesse, dis, diarrhée ? T’as l’air malin, branlant entre deux cannes, entre deux déconnages, entre deux rabâchages d’écroulé gâtoche. Vidé de ta substance. Et vidé par les autres, naturellement, ces fumières d’abeilles pompeuses qui t’écrèment tout ton pollen, foutre y compris, bordel ! Foutre y compris. Elles recrachent même pas. Glaoup ! Tout : le suc, le sucre, l’albumine, ces salopiottes. Pour ensuite laisser la place toute froide aux asticots qui t’en finissent. Te pratiquent l’ultime contrôle antidopinge avant de te mettre en fagot ! Chéris aztèques. Mon rêve, tu sais quoi ? Qu’on vienne me ramasser les asticots dans le sépulcre, un jour, pour la pêche. J’aimerais partir dans le matin frileux à côté des casse-graines. Me laisser embrocher par bestioles interposées sur les mignons hameçons. Venez tous à la cueillette, amis de la joyeuse gaule. Prélevez les bloches dans la région de mes burnes, ils seront plus gras, plus vigoureux et peut-être auront-ils, eux aussi, les yeux bleus. Tu peux pas savoir combien c’est irrésistible pour un goujon, des asticots à zyeux bleus.
Me voici extrait de la cache.
Plus chiffonné que la bergère qui garde ses troupeaux pendant les grandes manœuvres militaires. J’ouvre la porte de la cabine assez précautionneusement, vu que l’attitude de mes « sauveurs » ne me dit rien qui vaille la peine qu’on le peigne en doré.
Je file un bel œil curieux dans la coursive. Mon sang ne fait qu’un tour, mais alors de toute beauté. Même le Tour de France a moins d’allure que ce tour que fait mon sang, alors tu vois.
Un, dont le sang ne fait plus de tour du tout, par contre, c’est le brave captain Malcom. Tu le verrais gésir à rond ventre sur la moquette râpée, le visage dans sa casquette pleine de sang, sa cervelle posée à côté de lui, tu ne pourrais pas imaginer que ce monsieur a été vivant y’a pas longtemps. En tout cas, la vie, il a totalement oublié la manière de s’en servir.
Pressentant du louche, comme dirait Béru, j’enjambe ce « navigateur solidaire », et me dirige vers l’escalier. Mon pôvre ! Tu sais quoi, encore ? Le cuivré ? Je l’aperçois, dans une cabine dont la lourde est restée béante, à la renverse, ses membres décrivant une croix de Saint-André. Lui, il a effacé une louche de potage en plein poitrail. Et de deux. Je commence à me dire que les collègues ricains furent bien inspirés en me placardant. Ce faisant, tu veux parier qu’ils m’ont sauvé la vie ?
Je me mets à explorer les cabines. Dans une seconde, je trouve deux hommes d’équipage foudroyés pendant qu’ils jouaient aux cartes. L’un d’eux tient encore un brelan à pleines mains.
Dans l’escadrin menant au pont, il y a le cadavre du beau blond, décédé d’une balle dans la nuque.
Ce carnage ! Tu sais que la Saint-Barthélemy, en comparaison, n’a été qu’une partie de colin-maillard ?
Mister Favoris-frisés est toujours dans son fauteuil, avec un trou gros commak à la place de l’œil droit. Et puis, pour finir le lot, deux autres matafs en maillot rayé sont mortibus dans le poste de pilotage. En tout, huit personnages en quête de fossoyeurs. Tableau de chasse impressionnant.
Travail soigné, ratissage express. C’est sûrement pas des policiers siciliens qui ont opéré ce coup de main. Pour scrafer huit malabars, eux-mêmes armés, et qui n’exercent pas la profession de bibliothécaire dans une sous-préfecture, crois-z’en my old expérience, mais faut un commando sérieusement entraîné. D’accord, les autres n’étaient pas sur la défensive, croyant avoir affaire à des fonctionnaires officiels, cependant, je note qu’aucun des morts ne conserve dans l’au-delà la moindre attitude indiquant qu’il amorça un mouvement de défense. L’opération a été rudement menée. Nettoyage rapide. Deuil express, comme disent les teinturiers. Note que, de nos jours, pour ce qui est du deuil, ils en font leur deuil. Le noir se perd. De plus en plus, les veuves et les orphelins abandonnent sa bannière. Bientôt, tout comme à La Nouvelle-Orléans, on dansera le jerk ou la bamboula, ou le tralamonpaf aux enterrements. Foin de crêpes, on fera des crêpes, comme à la chandeleur. Moi, je préfère. La mort, c’est pas un cérémonial, mais tout le contraire. On ne fait pas monter la bière : on la fait descendre. Pourquoi marquer d’une pierre noire le jour où l’on commence à t’oublier ? Ah ! qu’il soit le plus-comme-les-autres possible, celui de ma glissade. Je ne le souhaite pas solstice de juin bien que je sois cancer, mais solstice de décembre ; le plus court possible, comprends-tu ? Que vite une première nuit passe sur mon absence pour en faire vraiment une définitive absence. Je veux un minimum de planches, de terre, de gens, de fleurs, d’encens, de pleurs, de noir. Oh oui, oh oui, par grande pitié et suppliance, très peu de gens. Ils m’auront tellement fait chier au temps de mes jours et parfois de mes nuits. Qu’ils s’abstiennent donc, ce beau jour-là. Qu’ils m’en fassent cadeau, de ma dernière balade en surface. Pas la peine, surtout, qu’ils se découvrent sur mon passage ; je ne leur répondrais pas. J’aurai enfin le courage de ce que je pense et, dans ma boîte, je serai moins mort que méprisant.
Or, pour donc, me voici maître d’un bateau chargé de morts. Tu ne trouves pas ça farce, toi ? Qu’est-ce que je pourrais te superlater ? D’aberrant, tiens donc ! Que ça se dit beaucoup de nos jours, aberrant. Dans n’importe quelle circonstance, à tout propos, pour exprimer ce qui te chante : le beau, le moche, le bien, le mal, tes opinions politiques et tes aperçus sur l’art. dans le fond, exister socialement n’est pas difficile. Il y faut une panoplie. Une poignée de mots-clés, quelques idées toutes faites, mais qui paraissent hardies, un brin d’impertinence, ta connerie lie le tout. C’est la béchamel universelle. Le fond de sauce de la turpitude humaine.
Donc, situation aberrante pour le cher Santantonio, seul à bord, comme un enfant de mutin, et bien emmerdavé de l’être. Ne sachant à quel cadavre se dévouer. Hésitant entre la proue et la poupe, bâbord et tribord, rester ou filer.
Coupé de tout, même de l’espérance. Blousé, bité, perdu. Je me convoque pour un conseil des sinistres restreint. Et je décide d’affronter les nécessités de cette pauvre vie dans leur ordre d’importance.
Primo : j’ai faim. Alors, vouère ise the cambuse ?
Quand t’as l’estom’ rembourré, tu considères les choses avec davantage de sérénité que lorsqu’il fait bravo. Moi, après une boîte de 125 grammes de caviar de la Casse-pied (comme dit Béru) et un demi-poulet froid, le tout arrosé d’une bouteille de brut frappée à bloc, je me sens redevenu Tarzan, mitigé Zorro, avec un soupçon de James Bond, bref, pour te résumer ça en un mot composé : San-Antonio.
Je décide d’attendre la noye avant de m’esbigner.
Pour passer le temps, j’explore le barlu de la cave au grenier, comme on dit dans la marine ; mais mes bons Ricains sont des gens de grande prudence car je ne découvre d’insolite à bord que des armes. De guerre las (pourquoi lasse, je ne suis pas de la pédale ?) je cramponne un matelas dans une cabine pour aller m’étendre dans la guitoune du radio.
C’est à ce genre de détail que tu vois le professionnel. D’aucuns seraient allés se zoner dans un coin douillet. Moi, que nenni. Aux aguets, toujours.
J’essaie de ne plus penser. C’est diff, tu sais, de s’abstraire lorsqu’on a le chou qui ronfle à six mille tours. Un vrai gyroscope, mon cerveau. Un de ces quatre soirs, tu vas me voir m’élever au-dessus de la ville, comme un hélicoptère. Bien droit, les mains jointes. Le jour de l’Ascension, nouvelle manière. L’irrésistible ascension de San-Antonio. En l’air, en l’air, tout le monde aviateur ! que disaient les patrons de manèges. Rien que par la giration de mes pensées. Tu m’imagines ? Un soir, à Roland Garros, dans la lumière des projecteurs ? Pfffroutttt ! Bonsoir, m’sieurs-dames.
À force de penser que je n’arriverai jamais à ne plus penser, je finis par m’endormir.
Un grésillement caractéristique.
J’ouvre les deux yeux à la fois. Car, mon pauvre gars, les auteurs qui te racontent qu’ils commencent par ouvrir un œil sont des fieffés menteurs qu’il faut plus leur acheter les livres sinon ça rime à quoi de payer pour se faire berlurer alors que t’as de grands écrivains, et je fais exprès de ne pas me citer, qui ont un tel souci de la vérité que s’ils avaient vingt-cinq centimètres de talent en moins, leur carrière résisterait pas. Non ? Je me mets à genoux d’abord. Ça, oui. L’imploration spontanée, sous-cutanée, et les talons sous cultanné aussi, du temps que ça se trouve.
Me relève en plein.
M’approche de la table aux appareils.
Coiffe le casque, pousse le tarabusteur d’opacité conjugale à inclination salpingiste, trémouille l’admission syndromagnétique, et décalotte le glandium triphasé.
« Apple appelle Newton » répète monocordement une voix surnasillée. « Apple appelle Newton. »
La pensée m’effleure que j’ignore le blase du barlu, n’ayant point eu l’occasion de le lire depuis le canot. Cependant, dans les steppes de la pensée san-antoniaise, se forme la déduction que mon barlu pourrait très bien se nommer Newton, ce qui justifierait l’appel d’une pomme.
Alors, moi, avec un aplomb de sans-filiste, je déclare, en exagérant mon nasillement pour que ça fasse plus américain :
— Ici, Newton ! Ici, Newton !
Sur fond de cinquième symphonie, naturellement.
La voix tombée des éthers reprend :
— Message pour Jupiter, message pour Jupiter. Notez.
— Prêt à noter, répond l’infaillible San-Antonio.
L’homme de l’espace se met à articuler :
— Dix par dix, stop. Trois cent soixante-cinq, stop. Deux mille livres, stop. N’a pas toujours été génisse, stop. Bain quatre, stop. Extrême urgence. Terminé. Veuillez répéter.
Je répète docilement.
L’autre dit O.K., puis interrompt le contact.
J’intervertis alors le potentiel d’inflation à conjonctivite écrémée. Et je me mets à potasser le message.
Y’a du rébus, là-dedans. Mais ce que je t’ai pas dit, non tu vas voir, prends une chaise et délace tes souliers, c’est que ce message m’a été virgulé en français.
Et c’est cela qui me donne à flairer son aspect rébus. Sinon, l’autre me l’aurait passé en angloche, non ? Pourquoi changer de langue ? Il causait anglais avant de dicter et il a repris l’anglais à partir de « Bain quatre ». Si y’a un chose que je suis doué, comme dirait le secrétaire perpétuel de l’agadémie, dont la main est affligée, je suppose, du mouvement de même nature, c’est bien les charades et autres devinettes pour noces et banquets.
Je me regarde droit au fond des yeux, comme si je serais la France, et je me déclare tout net ce qui va suivre et dont je t’engage à noter l’esprit de décision, indice d’une nature ferme, propre à l’individu volontaire dont, nana nanère…
San-Antonio, ce message français, tu vas donc le transcrire dans les dix minutes qui viennent, sinon plus jamais tu n’oseras te saluer quand tu te rencontreras dans la rue…
Voilà qui est parlé en homme, non ?
Alors je m’y colle.
Et ça me prend beaucoup moins de dix minutes.
« Dix par dix, égale cent. J’écris CENT.
« Trois cent soixante-cinq, c’est la durée d’une année, j’écris AN.
« Deux mille livres (à moins que ce ne soit des livres sterlinges) donnent une tonne. J’écris TONNE.
« Une qui n’a pas toujours été génisse ? Dis, ce ne serait pas Io, la fille d’Inachos ? J’écris IO. »
Et relis l’ensemble déjà obtenu.
T’as déjà maculé le résultat, pomme à l’huile ?
CENT AN TONNE IO soit, si tu veux bien que je le réintègre dans son contexte initial, comme diraient les commentateurs de radiotévé qu’ont un sens forcené de la concision : SAN-ANTONIO.
Deux minutes, il m’a fallu. Pas même. Je le humais, çui-là. Ça filouille vilain à mon propos. Je suis l’objet d’une effervescence qu’à coup sûr je ne mérite pas. Toutes les forces secrètes conjuguées sur la Méditerranée me croient en possession de choses que je ne soupçonne même pas. On ne prête qu’aux riches. Et moi, démuni, ignare, égaré quasiment, je joue les paumés pour moi tout seul. Au bénéfice exclusif de mon ange gardien. Les autres m’estiment superman, alors que je ne suis que supercon. Le peu que je savais je l’ai dit, répété… Je mendie des lambeaux de vérité. Je fais les poubelles pour essayer de piquer un trognon de tuyau pas trop pourri, une épluchure d’indication, un déchet d’hypothèse. À se fendre le pébroque, te dis-je !
Ce que je voudrais trouver aussi rapidement, c’est ce qu’est le « bain quatre ». Mais là, j’ai beau chercher, échafauder, tripatouiller ces deux mots, ils gardent leur mystère, probablement qu’ils correspondent à quèque chose de propre à ces bonnes gens et qu’il est impossible de deviner.
La noye étant tombée délicatement, je décide d’abandonner cette nécropole flottante pour gagner des lieux plus hospitaliers, comme on dit quand on cherche ses effets.
Me v’là qu’arpente la coursive.
Je visionne une dernière fois le ventre du barlu fantôme. Et je remarque que, tout comme à bord d’un paquebot de ligne, les cabines sont numérotées. Oh, il s’agit d’une simple petite plaquette ovale apposée au-dessus de la serrure et comportant un chiffre en réserve. La « 4 » est celle où fut assaisonné le cuivré. Ces mecs, si j’étais moins feignasse, j’aurais pu leur affubler un nom, tu vas me dire, mais pour l’usage que je fais d’eux, ça ne vaut pas le coup de se cailler les cellules grises, hein ?
Bien. Je passe outre. J’outrepasse.
Cabine « 4 ».
Le bain « 4 ».
Y’a une salle de bains dans cette cabine ?
Moui.
Banale, rudimentaire.
Presque tout de suite, une chose particulière m’attire l’attention. Je vais t’expliquer. Le bec verseur du robinet est très long et descend jusqu’au fond de la baignoire. C’est pas banal, tu conviens ? Je l’ouvre. Et aucun liquide ne coule. Pourtant, un chuintement retentit. On dirait que du gaz s’échappe. Et puis, attends, je t’oublie le principal : cette baignoire comporte un couvercle. En plastique blanc. Il est accroché à la cloison par un piton. Moi, ça me cigogne les esprits, cette combine. Alors, tu sais quoi ? Je vais récupérer le cuivré qu’est raide comme ma zézette dans la main d’une âme sœur et je l’installe dans la baignoire. Qu’ensuite j’ajuste le couvercle par-dessus.
La marmite norvégienne. Faut laisser mitonner à feu doux. Attendre un peu. Ou longtemps, j’ignore. Le gaz continue de siffloter dans le récipient émaillé. S’agit-il d’un gaz asphyxiant ? Cette baignoire bizarre sert-elle à liquider des contestataires ? En ce cas, c’est pas en y plaçant un gus déjà mort que j’en aurai la preuve. Alors, pourquoi tenté-je une expérience avec le cuivré ?
Histoire de passer le temps, je m’équipe. Le sol sicilien est malsain pour moi et je préfère me couvrir. En dix minutes, me voici transformé en arsenal ambulant. J’ai un pistolet mitrailleur accroché à la ceinture, deux « feux » extra-plats dans les vagues de mon bénouze, deux autres dans celles de mon veston, des calibres plus confortables, ceux-là. Je te cause pas des munitions de rechange, et, pour compléter mon équipement du parfait petit scout, je glisse dans mes chaussettes deux couteaux très effilés de la lame avec leur gaine de cuir souple. De quoi tenir un siège (et non pas un cierge, comme une vieille frappe de mes amis prédilectionne).
Je retourne à la cabine number 4.
Je soulève le couvercle, en me retenant de respirer, pour si des fois le gaz de perlimpinpin possédait des propriétés nocives.
Et je fais bien de me retenir de respirer vu que je manque d’air, tout à coup.
La baignoire est vide.
T’entends, visage de nœud ? Vide ! V.i : vi ; d.e : de ! Anéanti, le cuivré, désintégré absolument. Disparu de ce monde. Non avenu. L’oubli est plus concret qu’il ne l’est à présent. À sa place, y’a la transparence, le rien intégral. J’ai transformé sa carcasse en prototype d’absence complète et définitive. Tu te rends compte, l’importance de cette invention ? Pouvoir faire disparaître totalement un mec, sans qu’il subsiste de lui la moindre dent en or, le plus minuscule poil de derche, la plus petite boucle de ceinture ?
Mais v’là qu’un frisson rétrospectif me dévale le toboggan culier. Le message… On ordonnait ni plus ni moins à mes copains de me gommer d’urgence… Sans l’intervention du commando de choc, j’y passais. Bye-bye Sana ! On aurait jamais plus entendu parler de bibi. Félicie se serait consumée dans les attentes, sur le pas de sa porte. Son grand fiston eût été rayé de la planète, changé en air. Dis, le cuivré, sûrement que je le respire, en ce moment.
Affolé à cette perspective, je me barre du bateau fantôme.