Magine-toi sa majesté, toute nue.
Et à quatre pattes.
C’est du spectacle, non ?
Mais cela ne constitue pas le principal du pittoresque, pas plus que le pittoresque du principal.
Y’a pire.
Ou mieux, le selon comment que tu prends les choses.
Donc, Alexandre-Benoît est à quatre pattes, dis-je, mais dans une sorte de bauge, en compagnie d’un cochon aussi gros que lui et peut-être aussi gras. Le porc se frotte à lui, tendrement, et Bérurier lui rend ses caresses, non pas de la main, mais de la joue. En bref, les deux personnages semblent être au mieux.
Je regarde Ulla, interloqué.
Elle est pince-sans-rire, la gosse, car tu sais ce qu’elle me dit ?
Elle me déclare le plus sérieusement du monde :
— Rassurez-vous, ce goret est une truie, il n’est pas question de libérer des instincts contre nature. Je ne crois pas que l’accouplement puisse avoir lieu avant un mois, car votre auxiliaire commence seulement le traitement, toujours est-il qu’il a déjà des élans de tendresse, comme vous pouvez le constater.
Tout bredouilleur, comme une Anglaise de la High qui sort du couvent, je commence par le commencement :
— Mais comment se fait-il qu’il soit ici ?
Ulla hoche la tête.
— Mystère facile à élucider, mon cher. L’autre nuit, nous surveillions la maison de Dom Cesarini où l’on avait amené le baron Populi qui nous intéressait pour les raisons que vous devinez. Le fait que ce filou soit retenu prisonnier par ses amis nous donnait à espérer qu’il possédait encore l’attaché-case. Aussi, lorsque Cesarini et lui sont repartis, dans la nuit, en compagnie de quelques hommes, dont ce M. Bérurier, les avons-nous… interceptés. Courte échauffourée au cours de laquelle Cesarini et ses sbires ont trouvé la mort.
Mort, Cesarini ! Voilà donc pourquoi il n’avait pas reparu au matin, lorsque sa petite-fille m’a apporté le caoua chez le grand vioque !
— Nous avons embarqué Populi et votre type, mon cher. Un interrogatoire poussé, très poussé, nous a permis de constater que ni l’un ni l’autre ne pouvait nous renseigner. Alors, nous les avons amenés ici pour qu’ils participent à nos expériences.
— Quelles expériences ?
La promptitude et aussi la naïveté de ma question semblent la déconcerter. Puis elle se décide et le fait qu’elle me dise la vérité me renseigne sur mon avenir. Dorénavant, je ne sortirai plus d’ici.
— Dans cette base camouflée, certains savants étudient une mutation de l’espèce humaine. Je ne veux pas m’étendre sur une aussi grave question, puisque le temps nous presse ; sachez seulement que ces chercheurs sont en train d’opérer un croisement de l’homme avec l’animal afin de réaliser chez ce dernier une promotion spirituelle. Ils partent du principe que chaque humain ressemble à un animal donné. Par un procédé qu’ils ont mis au point, ils parviennent à accentuer extraordinairement ce mimétisme au point que le sujet traité finit par s’identifier à la bête qui lui sert de modèle. Vous allez voir…
Une nouvelle image remplace la pitoyable scène de Bérurier flirtant avec sa truie.
Elle nous découvre, dans une grande cage, deux formes insolites. L’une est un grand singe, l’autre quelque chose de moins précis mais qui ressemble à un singe.
Ulla grossit sur l’individu en question. Un grand malaise me biche. Cet être qui bascule dans la nuit animale est terrorisant. Tu retiens ton souffle, à considérer son formidable système pileux, son nez dont la camardise finit par se confondre avec la bombure du front, ses petits yeux clignotants, ses oreilles en conques, sa bouche proéminente dont les lèvres sont promptes à découvrir la denture. Mais ce qui surtout impressionne, c’est la longueur des bras. Ses mains atteignent le niveau de ses mollets. Et les doigts se recroquevillent comme ceux des arthritiques.
Ulla règle son appareil jusqu’au très gros plan. Elle capte alors des yeux éteints, sans conscience, qui regardent autour d’eux sans s’arrêter à la notion des objets.
La jeune fille passe ensuite sur la guenon. Le mimétisme est hallucinant. Indiscutablement, déjà, ces deux êtres sont unis par des caractéristiques fondamentales.
— Stupéfiant, n’est-ce pas ?
Ma parole, elle en est fière, comme une bonne petite ménagère est fière de la tourte aux quetsches qu’elle vient de cuisiner.
— Mais attendez, enchaîne-t-elle, ce n’est pas le plus beau. Le chef-d’œuvre de ces messieurs, c’est un basset artésien. J’espère qu’on n’est pas en train de le toiletter…
Elle manœuvre son satanesque fourbi.
Gros plan sur une écuelle.
Un homme-chien bouffe (j’ai cherché, y’a pas d’autres termes adéquats) une solide pâtée, à même le plat.
Et tu peux me croire, gentil mec de mes chères deux, qu’il est déjà plus chien qu’homme, cet homme-chien-là.
Dedieu, ce monstre. Imagine-toi un truc, ou un machin, comme tu voudras, qui est allongé de corps, et dont la position horizontale paraît définitivement acquise, au point que lorsqu’il se dresse sur les antérieures pour quémander un susucre, ça doit tout de suite faire numéro de cirque. Les pattes de devant sont arquées. La tête a le modelé d’un gros marteau. Les oreilles très longues pendent. Le museau galochard est ponctué d’un appendice sombre qui, un jour, aura le noir brillant d’une truffe de médor en parfaite santé. Tout le corps est couvert de poils blonds, durs et ras. Ne manque à cet animhomme qu’une queue fouetteuse pour compléter son identification avec un basset artésien.
Il dévore son Canigou en faisant ronron, le brave toutou. Il a des grains de riz, plein les babouches[5], quand il s’interrompt de bâfrer, c’est pour se torchonner les labiales avec une langue qui rendrait follingues un régiment de gougnes.
Soudain, la porte de la cage s’ouvre, et un mec en blouse blanche fait entrer une chienne.
Basset artésien, elle aussi !
Elle se précipite en jappant de joie sur le clébhomme, lequel, montrant par là que son comportement animal l’emporte sur son comportement humain, abandonne sa pâtée pour venir renifler le prose de l’arrivante. Jamais tu verras un homme procéder pareil. Le jules attablé, quand il s’empiffre, tu peux lui amener la plus sensas demoiselle, c’est tout juste s’il soulèvera son cul de sa chaise pour la saluer. Et encore seulement, dans le cas où le quidam que je fais état est un gentleman.
Après une sérieuse partie de reniflade, empreinte de volupté, le monstre se met à escalader la clébarde en balançant du braque et alors, cette fois c’est le comportement humain qui domine, puisqu’il se la fait en levrette.
Pudique, Ulla coupe le contact.
— Alors, convaincu ? elle me demande.
— Abasourdi.
— Votre ami, quant à lui, deviendra un homme-porc. Ce n’est pas fait pour vous surprendre, n’est-ce pas ?
Que dire ?
Je me détourne, le mental ravagé. Béru, tel qu’en lui-même. Enfin ! Accédant à son destin tracé dans la nuit de sa vie comme une ligne jaune sur le noir goudron d’une nationale. Béru arrivant à bon porc, somme toute. Béru forniquant avec des dames truies. Béru parcourant sa vallée d’auges. Devenant monstre pour de bon, après n’avoir été si longtemps que monstrueux. Béru achevant sa route à quatre pattes derrière le fessier jambonneux d’une gorette. Béru procréant des vivures obscures, insanes, à groins, avec la queue en tire-bouchon et les oreilles en œillères. Ah, sort cruel ! Ah, louche dégénérescence ! Ah, dévaloir olidesque ! Abîme sans fond des plus noirs instincts ! Cochonnerie universelle ! Qui vivra « verrat ».
Je me dresse sur mes deux poings appuyés au bureau, comme un coq sur son tas de…
Un coq !
Voilà le sort qui m’est peut-être promis sur l’ordinateur monstrueux de ces gens sans âme. Moi, le poulet de charme, je deviendrai coq ! Leurs basses-œuvres me transmuteront en roi de basse-cour. Tu veux parier ? Merde, moi qui me sentais si heureux d’être mammifère, comme ça, instinctivement. Moi qui éprouvais je ne sais quel sentiment fraternel pour tout ce qui est primate, insectivore, chéiroptère, carnassier, ongulé, rongeur, marsupial, édenté, monotrème et même, tu m’entends ? oui, même cétacé. Moi, San-Antonio, je ressens pour la baleine et autre cachalot une confuse tendresse que l’oiseau aux plumes les plus enchanteresses ne m’inspire pas.
Elle est satisfaite de ma commotion, Ulla. C’est bon signe. On martèle le cuivre pour le mieux modeler. L’homme choqué devient osier, quand même il semblait cœur de chêne.
La gueuse reprend la parole.
— Mais je suppose, dit-elle, que vous le préférez porc plutôt que mort ? Vous savez, c’est heureux, un cochon. Ça se roule dans son fumier avec délectation. Ça mange et ça fornique sans relâche. Et puis, la mort que nous réserverions à votre ami ne serait guère enviable. Aucun désespéré n’en voudrait. Car savez-vous ce que nous lui ferions ? Nous le donnerions à dévorer à des… vous savez quoi ? À des gorets, mon cher, ni plus ni moins. Nos chercheurs lui ont inoculé des hormones de porc. D’emblée, pour un véritable cochon, il est assimilé à la race porcine. Or, en quelle situation se trouve-t-il présentement ?
Elle repasse l’antenne à Béru. Toujours en cajoleries avec sa compagne de détention.
— Voyez : il est en compagnie d’une truie en chaleur. Si on lâche un mâle avec cet aimable couple, il se jettera sur M. Bérurier et le dévorera tout cru. Nous avons de forts beaux spécimens, ici. Des bêtes de concours pesant le triple de votre ami. Alors, acceptez-vous d’accoucher Donato Convolvolo ?
Je hoche le chef (depuis qu’il est interdit de le branler en public[6]).
— Douce camarade, si je parvenais à percer son secret, cela ferait sûrement progresser vos intérêts, mais en tout cas pas les miens…
Ulla retrouve son sourire.
Et il ne me dit rien qui vaille. Cette fille n’appartient pas à la catégorie des gens qui pensent avec des béquilles, espère un peu. Ses décisions, elle les prend pas après avoir consulté Mme Soleil.
Elle appuie sur un bitougnard gladoché de couleur grise.
— Dispositif « C » ! dit-elle.
That’s all.
Elle se tourne vers l’écran où Béru continue de mamourer avec sa cochonne. Le temps de compter jusqu’à je sais pas combien, mais d’une seule main et une porte s’ouvre dans la porcherie. Plus exactely, c’est un panneau qui coulisse. Dedieu de vingt gu, tu verrais débouler ce monstre, tu serais obligé de changer de slip avant la fin de l’émission.
De quoi faire rêver les ministres de l’Agriculture au Marché Commun (qui est plutôt une Foire commune). Un bestiau gros comme un lion. Avec une tronche patibulaire. Pourtant, a priori, ce serait plutôt sympa, un cochon, non ? Débonnaire, je trouve. Cocasse. Appétissant puisque tout est bon dedans. T’aimerais pas être cochon, toi, dans le fond ? Te savoir entièrement comestible : tes bras, ton cul, ta tronche, tes claouis et même tes rouages à tubulure. Franchement, un porc, ça connaît une fin édifiante. Après celle de Jeanne d’Arc, j’en sais pas de plus nette.
Bon, c’est pas le tout.
Tu vas voir si c’est du lard ou du cochon, amigo.
Le verrat renifle sa donzelle. Il se dit que y’a bon radada. Il paraît un instant tout joyce à l’idée de pointer. Il se promet de reluire comme un homme ; se sent devenir presque aussi cochon. Et puis, il découvre Béru, alors sa jalousie est instantanée. Un vrai bonhomme, je te répète ! Il se met pas en boule, étant donné qu’il y est déjà, non, il entre en fureur comme ton intelligence en hibernation. Se précipite sur le Gros, le culbute dans la paille souillée.
Savante dans la vilenie, Ulla coupe l’image.
Le sens du suspense, compte sur elle ! On a des leçons à lui prendre, nous tous, polardeux merdouillards, tisseurs de mots de la fin, pénélopes en burnous mouillés de sueur.
— Pour la dernière fois, acceptez-vous ma proposition, San-Antonio ?
— En échange de quoi ?
Elle me fixe pleins phares.
— En échange de rien, grand imbécile. En échange de notre bon plaisir. Obtenez un résultat et nous verrons…
— Mais… Mon ami, il faut…
Elle rebitougne le scarpin chipolateur.
— Stoppez le dispositif « C ».
C… comme cochon.
Ton San-Antonio surmené exhale un soupir qui ferait choir d’un seul coup toutes les pommes de Normandie.
Dont moi !