Et alors, bien sûr je reprends conscience, sinon comment saurais-tu la suite, faut être logique, et, en toute chose considérer la fin ; surtout celle d’un polar !
Je me trouve dans un endroit humide, sombre, avec pourtant une tache de lumière rouge en forme de rosace. Je suis allongé sur une surface marbreuse. En me forçant un peu les gobilles, je parviens à lire : « Famille Grimaldoni. »
Très bien : j’occupe un caveau. On m’a saucissonné avec du fil de fer très fin qui me rentre dans la chair. Bâillonné au moyen d’albuplast, et sans pleurer la marchandise.
Je récapitule les événements. Le goupillon. Bling ! Ce choc ! Inattendu. Ça me résonne encore dans la cabèche. Comme si ma hure était une cloche de bronze. Le gars à moustache, bien placide. Il m’empare le goupillon. Et vlan, passe-lui l’éponge ! Le tout avec une totale décontraction. Un bon regard tranquille… Sa chevelure luisante à laquelle il prodigue des shampooings à l’huile d’olive… Je crois bien qu’il portait un complet de velours dans les tons marron foncé. Oui, il me semble.
J’entends pépier des zoziaux dans les cyprès du cimetière. Les locataires du sépulcre sont silencieux. Combien de temps va-t-on me poireauter de la sorte ?
Je voudrais dormir, manière de passer le temps. La ronflette, c’est la meilleure des abstractions. Celui qui dort s’économise, corps et âme. Il se disponibilise. Seulement le coup effacé à ma tempe me souffre terrible. Il s’y opère de profondes lancées qui me cravachent le bulbe. Quand je ferme les yeux, la douleur s’accroît. Alors je les rouvre. Et du temps que je suis lucide, j’en profite pour gamberger. Je conclus que je vais devoir jouer serré, mais que tout va bien pour nos affaires. Le Vieux sera joyce. Il se frottera les paluchettes quand il saura.
Du temps ruisselle. La rosace se fait moins vive. Son rouge-sang-frais se change en rouge-sang-séché. Le soir descend. Mes lancées s’espacent et diminuent d’intensité. J’éternue à cause du froid marmoréen.
Éternuer avec une plaque de sparadrap sur le clapoir, je te recommande. Soudain, un sifflet retentit. Mélodieux en diantre. Une mélodie interprétée par un artiste au souffle généreux. Cela s’approche. La porte du tombeau s’ouvre. Je reconnais le moustachu. Il continue de siffler, tout en faisant son signe de croix. C’est pas incompatible. Il me chope une cheville et m’arrache de la guitoune. Je cascade sur des surfaces méchantes, me pète la gogne de-ci et là. L’homme qui goupillonne comme un équarisseur me charge sur une brouette à la roue caoutchoutée. Tiens, y’a longtemps que je n’avais pas voyagé en benoîte. Le gus s’attelle dans les brancards et nous v’là partis à travers les mignonnes ruelles fleuries du cimetière ; parvenu à l’entrée, il s’arrête brutalement, siffle dans ses doigts et licebroque dans la nature. Quelle pression ! On dirait le jet d’eau de Genève, lequel est, comme nul n’en ignore, le plus haut édifice de Suisse Romande.
Une camionnette se pointe. On me charge sur le plateau arrière.
Ça démarre.
Le voyage dure une bonne heure. On grimpe par une route aux lacets tellement serrés que le véhicule, par instants, est obligé d’opérer une manœuvre pour négocier son virage.
Tu parles d’une galère. Je golgothase péniblement, la viande cisaillée par le fil de fer. De grandes lueurs embrasent le ciel. On dirait qu’on tire un feu d’artifice silencieux. Y’a des embrasements brusques, des pétées de lumière majestueuse, et puis la noye retombe mollement, comme un parachutiste. Elle rouvre son grand pébroque de velours noir.
La teuf-teuf stoppe. Un vrai bourrin épuisé. Arrêtée, elle continue d’avoir des soubresauts, la guinde. Elle frissonne, fume, hoquette. On sent que des séances pareilles ne valent rien pour sa santé. Qu’on l’abrège vachetement en l’obligeant de gravir des escarpements de ce tonneau.
Deux messieurs obligeants me ramassent. Dès que sorti de la camionnette, je pige la source des grandes lueurs brasillantes : l’Etna. Nous sommes sur ses pentes et nous nous trouvons à faible distance de son cratère. Ça bouillonne dans la marmite. Y’a d’immenses souffles colorés, indigo, pourpres, violacés. On se trouve dans un univers de lave noire, de rocailles lunaires. Très impressionnant.
Je retapisse des ombres d’hommes assis en rond près d’une jeep. Ils sont quatre. Par instants un flamboiement du volcan illumine leurs visages. On dirait des diables. Pas de bons diables, plutôt des démons, nuance !
On me file sur le sol, trop rudement au gré de mes côtelettes.
Je constate alors que quelqu’un se trouve déjà étendu sur un lit de lave, dans la même posture que moi. Au bout de quelques éruptions de gaz embrasé, j’ai la stupeur de reconnaître Lila.
Un homme au nez aquilin, aux sourcils épais, à la chevelure blanche, frisée, se penche sur moi et arrache mon bâillon.
— Merci, murmuré-je. Je commençais à fatiguer des narines.
L’homme demande de but en blanc (ou en noir) :
— C’est Lila qui vous a donné le nom du baron Populi ?
— J’ai fait ce qu’il fallait pour ça, vous auriez tort de lui en tenir rigueur.
Il ne répond rien, mais donne un ordre en dialecte sicilien. Tous se lèvent. On me charge ainsi que Lila dans la jeep. Le vieux aux gros sourcils prend place devant, près du chauffeur. Les autres se juchent sur les marchepieds du véhicule et nous v’là partis vers le tout sommet de l’Etna. Surtout n’espère pas de moi quelque calembour style « L’Etna c’est moi », la situation est tellement tendue que si elle se baissait, son slip éclaterait. J’ai pas le cœur à déconner.
À mesure du fur qu’on approche, la chaleur devient insoutenable. On se croirait au Creusot, mon pote. On a une préfiguration de l’enfer.
Caïn, Abel, et caha, on monte dans les plis stratifiés de la lave refroidie. L’air pue le cramé, le soufre, le minerai en fusion. C’est apocalyptique comme sensation. Je visionne les visages de ces messieurs. Tu verrais leurs frimes, plus jamais tu n’aurais le hoquet. Dis, ça rime à quoi t’est-ce ce cinoche ? On a rendez-vous avec Haroun Tazieff ou quoi ? T’as pas l’impression que je danse sur un volcan, mine de rien ?
Je commence à glaglater vilain malgré la chaleur.
L’air est maintenant absolument irrespirable. La jeep s’arrête enfin. Elle est en équilibre discutable, inclinée vers la vallée.
Tout le monde descend.
On est au bord du cratère. Des sortes de flammèches tourbillonnent autour de nous. Deux des hommes dégagent un drôle d’engin qu’ils déploient comme un immense parapluie qui serait carré. C’est un bouclier pour se protéger des projections. Il est beaucoup utilisé dans la région de l’Etna par certains mycologues téméraires qui s’aventurent jusque sur les lèvres du cratère pour y cueillir une variété de champignons appelés fleur de lave, lesquels se consomment à la vinaigrette. Mais outrons, passons et outrepassons.
Si tu le veux bien.
Ce qui va suivre, je te préviens, illico presto, vaut mieux que tu le sautes si t’as le guignol en dérapage incontrôlé. Ames sensibles s’abstenir.
Le vieux chef arrache le bâillon de Lila d’un geste brutal. La môme prend une grande goulée d’air dont elle conserve l’oxygène pour son usage personnel et profite de ce qu’elle rejette le gaz carbonique pour hurler.
Le vieux la gifle. Elle se tait.
Il dit alors, le Vénérable, les paroles que je te traduis pieusement ci-dessous :
— Lila Convolvolo, tu as trahi la cause en donnant à cet homme le nom du baron. C’est pourquoi nous t’avons condamnée à périr par le feu jailli de notre sol natal.
Elle incrédulise, la môme. Non, non, qu’elle fait de la tête. La v’là qui castagne des croqueuses. À gla gla…
Moi, chevalier courageux, je m’hâte d’intervenir.
— Je vous en prie, tout est de ma faute. Je lui ai fait croire que je lui avais inoculé le choléra et je l’ai menacée de ne pas lui donner l’antidote si elle ne me révélait pas le nom de l’homme que je cherchais…
Le Sicilien aux gros sourcils oppose une main ferme et verticale à ma plaidoirie.
— Allez ! ordonne-t-il.
Me reste plus qu’à te raconter la suite. Voilà, ça s’opère de la façon suivante : deux types s’emparent d’une longue corde qu’ils nouent à la taille de Lila en prenant soin de laisser dépasser un bon mètre cinquante de part et d’autre de la jeune fille. Ils en bichent une deuxième et procèdent identiquement, mais cette fois, au niveau des genoux. Ensuite de quoi, chacun saisit deux extrémités de corde et soulève la malheureuse du sol. Les porteurs de bouclier s’avancent vers le cratère, protégeant leurs camarades. Les cris de Lila sont monstrueux. Elle est authentiquement folle de terreur, la pauvre gosse.
Le cortège s’arrête. Les types qui tiennent les cordons impriment un balancement à leur charge humaine.
Le vieux joue les barreurs.
— Un… Deux… TROIS !
Les préposés aux basses œuvres lâchent tout. La silhouette de Lila tournoie mollement sur un fond d’Apocalypse. Son dernier cri s’engloutit dans l’enfer. Elle va disparaître, elle disparaît, elle a disparu.
Plus un poil de sec, le San-A. mon fieux. Ma raie culière fait un travail de chéneau. Bien sûr, y’a la chaleur, mais surtout la perspective d’aller valdinguer à mon tour dans l’Etna. Wagnérien, comme mort, non ? Tu parles d’un final !
Les quatre gars reviennent abrités sous leur péproque anti-lave.
— Il fallait que vous sachiez comment meurent ceux qui nous trahissent, me dit le vieux. À présent, rentrons et causons.
Ouf ! Paroles suaves à entendre. Musique divine. Luth ineffable (de Florian). Je vais pouvoir verser un pleur sur l’horrible trépas de Lila, morte par ma faute.
Jeep, jeep, jeep : hurrah !
Camionnette. Route en épingle à cheveux…
Bord de mer. La lune brille à l’infini sur les flots argentés.
Il a dit : « Rentrons et causons. »
Quand tu vois la mort des autres de si tellement près, t’as fortement envie de causer, crois-moi. À perte de vue. De dire n’importe quoi à n’importe qui. Parler de la pilule et du Bottin.
Il a dit « Rentrons ».
Mais « rentrer » où ?
Si j’en crois mon vieux sens de l’orientation, nous fonçons sur Messine. « Allons à Messine, pêcher la sardine », dit une chanson.
Je cesse de visionner la mer par une déchirure de la bâche. C’est à présent une étendue d’oliviers… Çà et là des maisons aux fenêtres décorées de ferrures. Les lueurs de l’Etna continuent d’illuminer les nues.
On parvient enfin à destination. Une odeur de bois frais et de peinture me chatouille les trous de nez. Ces messieurs me débarquent dans une cour encombrée de véhicules automobiles, de planches entassées, de seaux de peinture vides. À droite, un vaste atelier. À gauche, une maison d’habitation de fortes dimensions. C’est là qu’on me dirige.
Nous pénétrons dans une vaste salle commune, voûtée. Les murs sont aussi épais que la platée de spaghetti que Bérurier est en train de bouffer. Un vrai numéro de music-hall, le Mastar, aux prises avec ses pâtes. On a dû lui en faire cuire deux kilos. Ça forme montagne devant lui. Haut comme l’Etna, et aussi rouge vu la sauce tomate qu’on a déversée au sommet. Il batifole là-dedans comme un hareng dans de la saumure. Il ne bouffe pas par fourchettées successives. Non, son repas est continu. Il briffe son tas de nouilles sans interruption. Une tréfilerie vivante, le Gros. Il absorbe sa quenouillée de spaghetti avec la puissante ingestion d’un boa, à grandes coulées du gosier, inexorables. Le débobinage s’opère en douceur. La montagne se fait colline. Les yeux mi-clos, il avale, respirant du nez seulement, le faciès barbouillé de sauce tomate jusqu’aux oreilles, son chapeau en avant, les épaules rouleuses, le ventre accompagnant d’un formidable mouvement d’entrailles. Il mange tout juste. Au vrai : il absorbe. C’est du stockage plus que du bouffement. Il fait passer les pâtes du plat dans sa personne par ce conduit fabuleux qu’est son tube digestif, accessoire sublime qui lui tient lieu d’idéal.
Il m’a vu entrer. Il a grogné « Haon haon ». Ce qui, traduit de la nouille-gaveuse, signifie : « Tiens, te voilà. » Et puis, sans le moindre ralentissement, il a continué de happer les interminables fils blonds dégoulinant de sang de tomate.
Deux dames aux bras croisés le regardent boulimer, debout devant la table, immobiles, fascinées, presque incrédules. La mère et la fille. Belles et brunes, chacune dans son genre. Regards de braise, taille souple, profil grec, cheveux mousseux sur les tempes et séparés par une raie que je vais qualifier de médiane sans que ça fasse un pli. Habillées de noir, l’une et l’autre, comme les dames de l’Île de Sein. Avec des seins comme des îles. Et des lèvres brillantes comme l’huile de ricin. Et des culs si perfectionnés que tu voudrais t’y faire naturaliser Sicilien ! Et des jambes que c’est dommage qu’elles portent des jupes si longues tellement on les devine bien complètement parfaites, de bas en haut. Et des bouches qui te font penser à des colliers à zob. Et des dents si blanches que tu comprends la fraîcheur consécutive de leur haleine. Et des oreilles que n’importe quel connard à petit tirage d’écrivaillon prétendrait finement ourlées, parfaitement, ma chère. Et aussi des épaules douces et rondes que leurs bras s’y accrochent à la perfection. Et des nuques pour le baiser. Et puis putain d’Adèle, des ventres plats, fermes et souples à la fois, pour te servir d’oreiller avant et après l’amour. Et puis encore, des mains de madone, kif-kif sur les tableaux de Fra Machin et de Michel-Ange. La mère, la fille. Superbement identiques. Se donnant la réplique du miroir à dix-huit ans d’intervalle. Bellissimales, les deux. À croquer. Que dis-je : à bouffer ! Et comme il faut, espère. Sans rien en laisser, feuilles et poils, pis qu’artichaut. À lécher comme les belles gelatti aux couleurs de pastel. Maman, fifille, l’une après l’autre ou ensemble. En quitter une pour gagner l’autre à la godille. Gondolier fouilleur de lagune. Au revoir, madame, bonjour, mademoiselle. Tel quel. En laisser une à marée basse, et vite foutre l’autre à marée haute. Flux, reflux, refoule-me, refous-me-le. À t’t’à l’heure, damoiselle, pronto, signora ! Me revoilà, m’y revoici. Ah ! ce qu’on est bien, ce qu’on est bien tous les trois. Toi et moelle. Attends que je continue un doigt de cour. Bouillaver surréaliste, mon frère. Se regarder émettre dans les yeux du portrait. Panard pour tous. Maman, fifille. Miss et Mistress. À toi, à vous, à moi Auvergne ! Jouez, hautbois ; résonnez musettes ! Tiens, smock ! Attention les yeux ! C’est bon pour la conjonctivite, conjonctivite et bien. Je te conjonctionne. En dos majeur, en pubis mineur, à hue et à quatre pattes. Elles m’époustouflent, que je te dis. Sont admirables. Je donnerais ta vie pour une heure avec elle ; la mienne, pour une journée. Un grand plumard pour y forger la séance du siècle. Je le construis dans ma pensarde. Très bas pour qu’on en puisse tomber, et rouler l’amour sur de l’épaisse moquette veloutée. Et tu sais pas quoi ? Une dame vient d’entrer : la mère de la mère. Belle encore, belle toujours. À caramboler d’office, sans chichi, pour le sport, la performance. Dévaler les générations en engouffrant son frifri grisonnant. Un pied majestueux. Le calçage sexagénaire. Bioutifoul en plein. Sobre, net, précis. Respect pour les poils occultes blanchissants. Cérémoniard, tu mets. Permettâtes-vous, Maâme, que je pénétrasse céans votre séant, océan de délices ? Mémé, maman, fifille. La trilogie, la trique au logie. Vrzoum ! En brochette. Tu les concélèbres. Lagardère ira tatouer ! Et chlafff chlaff, dans l’ovale. L’échanson de Roland qui a épousseté la belle Aude. Aude-toi de là que j’humecte. Pan dans la lune à mémère, à mère, à fille. On m’appelle Trinitate. Tâte, c’est du Belgium ! Laquelle servir en first ? La vioque, question urgence ? Pour des raisons de conservation ? La petite-fille pas déberlinguée total, qui s’entreprend au médius pour joindre le nubile à l’agréable ? Ou alors, la celle du milieu ? Plonger en son milieu à elle. À cheval sur deux générations.
Et pendant, Pépère Grabide s’enspaghette imperturbablement, comme tourne la terre sur son axe. Il se remplit doucement, profondément. Il avale sans discontinuer. Gobe, gobe ! Si, signore. L’eusses-tu cru ? Et les trois dames, belles à bêler, le contemplent comme tu regardes se coucher le soleil sur l’océan dans un bouquin de Flaubert : « … et lorsque son doux reflet n’ondula plus, il sembla qu’une grande tristesse s’était abattue sur la mer. » Je te cite de mémoire. Pas à la virgule près. La culture, c’est toujours approximatif. Autrement, tu passes en lever de rideau au Lolympia-Cocatriste.
Le vieux aux crins blancs, tu sais, le vulcanicide ? Il me désigne un siège face au Gros.
J’adopte.
— Vous avez faim ? il demande.
— Mon Dieu, cher monsieur, c’est offert de si bon cœur…
Il dialecte avec les dames. La jeune fille va me quérir quelques aliments froids dans un cellier dont la bouffée de fraîcheur sent le gros vin rouge.
Le vieux s’assoit. C’est je pense l’époux de la grand-mère, c’est-à-dire le père de la mère et le grand-père de la petite-fille.
Ses copains ont disparu. Il sort un cigare noir et tordu, l’allume et prend place à table.
Béru essaie d’articuler quelque chose à travers ses câbles à haute tension. Ne parvient qu’à vagir confusément et renonce.
J’ai un regard pernicieux pour les trois madames. Alternativement, elles baissent les yeux comme se couchent les hautes herbes au passage de la brise.
— En somme, je murmure à mon hôte, ça consiste en quoi, tout ça ?
— Une mise au point.
— Mais encore ?
Il se sert à boire. Du beau picrate rouge violacé qui met de l’émail sur les lèvres et fait des trous à l’estomac.
— Nous n’aimons pas beaucoup vos manières.
— Qui, nous ?
Il répète, durement :
— Nous !
En ponctuant du poing sur la table.
Curieux bonhomme, suant l’autorité absolue. Sorte de monarque folklorique. Disposant du droit de vie et de mort sur ses sujets. Ignorant toute forme de contestation. Sûr de lui et du bien-fondé de ses décisions les plus extrêmes.
— Vous êtes un grand patron de la maffia ? demandé-je.
Il balance un jet de fumée bleue qui met longtemps à se dissiper.
— Il y a des conversations qu’il vaut mieux éviter, signore.
Façon comme une autre de répondre par l’affirmative.
Tu penses que le gars Donato (que Dieu ait l’âme de sa grande sœur !) s’est empressé de référer aux instances supérieures quand j’ai eu quitté ma maison. Le tam-tam maffiosien a illico joué et quelques minutes après notre installation au San’Antonio de Taormina on était déjà sous surveillance.
— Cette valise, me dit-il brusquement, qui la veut ?
— Eh bien, mes supérieurs, naturellement.
— Moyennant finances ?
— Heu, la question n’a pas été envisagée.
— Eh bien, il convient de l’envisager.
— Je peux transmettre. C’est cher ?
— Vous devez le savoir mieux que moi.
— Je ne suis pas situé assez haut dans la hiérarchie, cher monsieur. Je n’ai qu’un rôle d’exécutant.
— En ce cas il faudrait vous renseigner.
— Si vous avez le téléphone, c’est facile.
Il lance un ordre à la femme intermédiaire. Celle qui est la maman de la fille et la fille de la grand-maman.
— Suivez-la ; elle va demander votre communication. Dites à vos chefs que nous ne céderons la valise que contre une somme très importante. Très importante, n’oubliez pas. Il suffira de la virer à un compte suisse dont nous donnerons le numéro si nous nous mettons d’accord. Autre chose…
Il vide son verre, rallume son cigare pestilentiel.
— Ne tentez rien de violent dans cette maison, vous n’en sortiriez pas vivant, votre ami et vous.
Je suis la femme dans la pièce voisine. Il s’agit d’un bureau exigu comportant quelques vieux classeurs branlants, un gros meuble à cylindre sur lequel trône un appareil téléphonique comme on en trouve encore au Marché aux Puces. Il y a deux chaises garnies de cuir râpé, un fauteuil de bois au coussin aplati. Je note que la fenêtre est pourvue de barreaux.
La femme prend le téléphone et agite la manivelle.
— Quel numéro ? demande-t-elle.
Je lui virgule celui du Vieux. Elle le note sur un bloc. La standardiste doit être en train : de se faire les ongles et elle attend que le vernis sèche ; ou bien : de satisfaire les instincts bestiaux de son petit ami ; voire encore de lire un de mes polars, à présent qu’ils sont traduits en italien par les soins éclairés de la célèbre maison Mondadori à laquelle j’adresse au passage l’expression de ma reconnaissance émue.
Bref, on tarde à répondre.
Je fais un pas en direction de la dame, si belle, altière, machin et tout dans ses vêtements noirs, avec sa jolie poitrine des dimanches et ses fesses que tu peux pas savoir ce que la main m’en démange, crébongu !
— Vous êtes veuve, n’est-ce pas ? je murmure.
Elle a un léger sourcillement.
— Comment le savez-vous ?
— Je l’ai deviné. Que lui est-il arrivé ?
— Il est mort accidentellement, à New York.
— D’une rafale de mitraillette, qui est partie toute seule ?
Elle ne répond pas. Son visage se crispe. Ce qui me retient de la prendre contre moi et d’ajuster mon hémisphère sud au sien, tu peux m’expliquer ce qu’il s’agit, toi ?
Une voix pas joyce de dame que son travail importune demande ce qu’on attend d’elle. La ravissante veuvasse récite mon numéro en précisant que c’est en urgent qu’il faut l’obtenir, et pour le compte de M. Aldo Cesarini. Le nom doit faire de l’effet, car de rogue, la voix devient miauleuse.
Mon hôtesse raccroche. Je m’attends à lui voir quitter la pièce, mais non, elle reste debout devant le bureau, bras croisés, s’efforçant de regarder autre chose que moi, et y parvenant difficilement, merci, je savais que tu comprendrais.
— Vous êtes très belle, chuchoté-je après un instant de silence pendant lequel seuls les battements de nos cœurs…
Elle ne réagit pas. Je fais un pas de plus vers elle.
La v’là qui recule d’un autre.
— Désormais, quand je penserai à la Sicile, c’est votre merveilleux visage que je verrai. Je peux savoir comment vous vous appelez ? Même les rêves ont besoin d’un nom.
C’est pourtant gentil, hein ? Presque poétique sur les bords. Eh ben, crois-moi ou va te faire admettre par les Grecs, cette farouche personne continue de mutismer.
Moi, tu me connais ? Qu’à la fin ça m’agace.
— Vous devez bien sentir les ondes qui partent de moi ? m’enhardis-je, en pensant que c’est pas les ondes mais surtout l’antenne qui va dans sa direction.
Je me permets un troisième pas. Elle, adossée au burlingue, qu’est-ce qu’elle peut fiche ? Simplement secouer la tête en regardant la porte fermée avec terreur.
J’avance ma main vers son menton. La pose délicatement contre son maxillaire. Il y a un bref instant de rien du tout. Mettons, de félicité, si ça peut te faire plaisir, qu’est-ce que j’en ai à branler ? Elle ferme à demi les yeux. À demi, je te répète, juste que je voie chavirer son regard. Qu’il devienne moins brûlant…
Ma main descend jusqu’à son avant-scène. Machinal chez moi, j’ai un côté taste-glandes incorrigible. Alors, promptement, elle empare ma dextre, la porte à sa bouche. Je songe in chose (petto, je crois ?) que la carburation est exquise. Les circonstances le permettraient, je te calcerais Maâme comme une reine (qui ne serait pas trop bêcheuse). Mais elle me détrompe durement. T’as des femmes qui trompent, très beaucoup, majorité surécrasante ! Et puis d’autres qui détrompent, d’une façon colonelle (pourquoi toujours générale ?), les premières sont plus attrayantes que les secondes. Moi, confiant comme le gars qui achète le talisman Perlimpimpin sur la foi d’une publicité, je crois qu’elle va me bisouiller les phalangettes, me lichouiller le resserrement du creux de paume (ce dont j’adore, vu que ça me répercute des frissons jusqu’au terminus de la moelle épinière). Que tchi, mon frère ! Cette garce, tu sais quoi ? Elle me mord. Mais pas à la mutine. À la louve romaine, gars ! Comme Béru mord dans une entrecôte. Au sang, t’entends ? Tout juste si elle ne m’a pas prélevé un morcif de bidoche. Ses quenottes quadragénaires ont pratiqué six trous dans le tranchant de ma pogne. Ça saigne et violace.
Je contemple les dégâts (j’aimerais mieux contempler des Degas, bien que mes goûts me portent au surréalisme). Puis je regarde la femme droit au fond des yeux, même chose que Giscard la France.
— Chacun a les baisers qu’il mérite, je murmure. Il n’importe, vous êtes si belle…
C’est beau, c’est généreux, non ? Gaulliste, positivement.
Là-dessus, comme la situation, en se prolongeant, risquerait de me donner les allures d’un manche à couilles, le bigomuche carillonne opportunément (une fois que t’as mis les pieds dans l’adverbe, tu ne peux plus t’en passer). Parigi (la sortie). Le Vioque.
— Ah bon, c’est vous, alors ?
Sa phrase d’attaque. Lui, c’est sempiternellement : « Alors, raconte ! » Un vrai fauconnier. Quand le faucon que je suis regagne son gantelet, il lui regarde le bec avant toute chose, sans s’occuper de savoir s’il a ou non perdu des plumes.
— La valise est retrouvée, Boss.
— Parfait, vous l’avez ?
— C’est-à-dire qu’un aimable signore Aldo Cesarini, chez qui je me trouve en ce moment, prétend nous la vendre.
— Voyez-vous !
Silence.
— Cher ? il laisse négligemment tomber, le Dirlingue.
— Il attend une belle proposition.
Nouveau silence.
— C’est stupide, marmonne mon vénérable suzerain.
— Je sais, mais je me trouve dans une position qui ne permet guère le marchandage.
L’organe du Vioque se durcit.
— En plus !
Un grand mécontentement perce. Il se retient pour ne pas me traiter de nœud volant. Mais se rend compte à temps que le savonnage n’est pas de circonstance.
Je relance la toupie.
— Il conviendrait donc d’avancer un prix.
— Bien sûr. Proposez cinquante mille francs, c’est mon dernier mot.
Il raccroche sec pour bien me marquer sa profonde réprobation. Tu mords le topo ?
La femme va ouvrir la porte après avoir reposé l’écouteur annexe. Car elle a suivi notre converse, ce qui m’explique pourquoi Cesarini lui a confié le soin de régler avec moi cette question du téléphone : Madame cause français.
De retour dans la pièce commune, j’ai la stupeur de constater que Béru a liquidé la platée phénoménale de spaghetti. Avachi sur la table, les épaules calées sur les deux coudes et la tête sur ses épaules, il somnole en se libérant de gaz intempestifs. Mon retour le fait à peine réagir.
La fille du vieux met ce dernier au courant de la situation. Pendant qu’ils discutaillent dans leur langue maternelle, je demande au Mastar quelques explications à propos de sa présence ici. Il me raconte que quatre policiers en uniforme sont venus les quérir au San’Antonio, Lila et lui, et les ont séparés. Lui, on l’a amené dans cette maison où il a réclamé à bouffer. Dont acte.
Il émet un bruit violent, le double, prétend chasser ses conséquences olfactives en s’éventant le bassin d’une main lourde et réclame à boire.
La jeune fille le sert.
Il boit.
Moi, j’entortille un mouchoir autour de ma main blessée. Cette carne m’a salement mordu et j’ai des lancées jusqu’au niveau du coude.
Aldo Cesarini a fini de parler à sa fille.
Il va à la fenêtre, siffle entre ses dents. Dare-dare, se rabattent les mercenaires de tout à l’heure.
L’homme aux sourcils féroces leur dit quelque chose.
Les types sortent leurs couteaux avec un ensemble remarquable. On jurerait un ballet moderne. Les quatre « clic » claquent en même temps. Voilà ces messieurs qui nous entourent, le Gros and me. Parés pour la grande scène du duc de Guise (eux, c’est le duc d’aiguise, si j’en juge au fil de leurs méchantes rapières).
Alors le grand patron se lève. Il a les deux poings sur la table. Il se penche par-dessus le plat vide de Sa Majesté.
— Vous vous êtes suffisamment moqué de moi comme cela, dit-il.
— Il n’est pas content ? me demande Béru.
Je diffère ma réponse, attendant la suite. Le regard presque blanc de mon interlocuteur raconte la haine, la menace, le meurtre, la volupté de la vengeance qu’on mijote, qu’on déguste par avance…
— Cette proposition ridicule est la preuve que vous essayez de me berner, poursuit-il. Cinquante mille francs, la valise !
Il a un rire atroce.
— Il est probable, monsieur Cesarini, que ces documents ne valent pas davantage.
— Ah, vraiment ?
Le fait que je l’appelle par son nom l’a fait tiquer et il a marqué le coup.
— Barone ! gueule le vieillard.
Apparaît alors le barone Vittorio-Emanuele Populi, dans sa tenue d’enterrement du matin. Il n’est point seul. Un méchant en bras de limouille l’escorte, un pétard passé dans sa ceinture.
Vachement pâlot, le frère. Il a comme des ratés dans l’horoscope. Se sent mal dans sa noble peau. Craint que sa particule ne roule dans le cratère de l’Etna…
Que se passe-t-il donc ? Pourquoi ce revirement de situation ?
Le vieil Aldo va à Populi, tire de la poche de celui-ci un méchant carnet à couverture noire.
— Son carnet de vols ! annonce-t-il.
Il le feuillette, se fixe à une page donnée et lit :
— 24 mai : un parapluie de dame ; un appareil Nikon ; un portefeuille contenant huit cents dollars et cent vingt mille lires ; un sac Air France contenant une bouteille thermos pleine de café ; une boîte de préservatifs ; un pot de rillettes ; un numéro d’Ici-Paris et une bouteille de Côtes du Rhône ; une trousse de toilette ; une petite valise noire contenant des papiers dactylographiés ; un rasoir ; un livre écrit en étranger ; un pyjama blanc ; un étui à raquette de tennis contenant une raquette de tennis.
— Voilà, me déclare Cesarini, le baron a bien trouvé la valise le 24 mai. Bon. Nous sommes mis au courant de votre venue en Sicile et de votre intention de voler cette valise. Nous prions le baron de nous confier la transaction. Il accepte. Mais au moment d’aller chercher la valise, il s’aperçoit qu’elle a disparu.
Je bondis.
— Hein ?
Note que j’aurais pu crier une exclamation moins banale, telle que « Allons donc ! Vous me la baillez belle ! » « Qu’est-ce à dire ! » ou même : « Vous rigolez ! » Toujours est-il que mon « hein » me suffit et que si tous mes choses-frères montraient le même souci d’économie que moi, ils contribueraient à résoudre la crise du papier comme on nous le recommande par voie d’affiches.
Franchement, je te jure : je crie « hein » parce que la nouvelle est stupéfieuse, antidérapante et un peu oléagineuse dans son contexte principal. La valise volée à Populi ! Dedieu, par qui est-ce ? Mais quicommentquand ? Dans quel but ?
S’agit-il d’une ruse ?
Eh bien, pour du nouveau, voilà qui n’est pas banal.
— Je vais vous dire ce qui s’est passé, continue le père Aldo.
— Vous m’obligeriez, riposté-je.
— Quand cette garce vous a dénoncé le baron, vous êtes allé chez lui. Vous avez fouillé, trouvé la valise et l’avez cachée.
— Mais je…
— Silence ! Ensuite, comme vous aviez déjà alerté Donato Convolvolo, vous avez décidé de continuer à jouer le jeu et vous êtes allé réclamer la valise au baron. Jusqu’à votre coup de téléphone à Paris, j’avais des doutes. Je me suis dit que le baron, peut-être informé par Convolvolo, avait garé cette foutue valise pour essayer d’en tirer profit plus tard. Oui, cela se pouvait… Mais à présent je sais que non. La somme que vous proposez prouve que c’est vous le voleur.
Béru, qui vient de s’endormir, las d’une conversation qu’il ne peut suivre, lâche quelques solides perlouzes non dénuées d’intérêt au plan des sonorités. Le pet des profondeurs. Il reste présent jusqu’au tréfonds de ses absences, le Gros. Ses entrailles vigilantes continuent de l’affirmer depuis les inconsciences.
— Monsieur Cesarini, votre argumentation ne tient pas debout et je vais vous le démontrer en moins de temps qu’il n’en faut à vos ogres pour flanquer une ravissante fille dans le cratère de l’Etna. Si j’avais la valise, vous m’écoutez, monsieur Cesarini ? Si j’avais la valise, qu’est-ce qui me retiendrait de vous en proposer une fortune fabuleuse, puisque je saurais que vous n’êtes pas en mesure de me la donner ? Au contraire, la relative modicité de la somme avancée vous prouve ma bonne foi.
Là, je crois que je viens de marquer un point.
Et même de le marquer sur le « i » du verbe « impressionner ».
Le vieux reste un moment indécis, yeux quasiment fermés. Seul un coin de ses lèvres remue pour téter le cigare poisseux qui pue le goudron en fusion.
Me semble lui avoir télescopé le mental.
À la fin, il sort son horreur à combustion lente de sa bouche et la pointe dans ma direction.
— De toute façon, quelque chose cloche dans tout ça et je découvrirai la vérité. On ne propose pas cinq millions d’anciens francs contre des documents ayant motivé le déplacement de deux agents en Sicile et causé la mort de celui qui se les est laissé dérober.
À son tour d’aller à dame. Ce vieux cabochard est une fine mouche. Il a compris que les apparences sont trompeuses. Moi, tu veux que je te dise ? Eh bien, le Big Boss vient de se comporter comme le roi des cons.
Et je pèse mes mots. J’aurais dû dire : l’empereur.
Leur mettre la puce à l’oreille après que j’eus agencé tout ce bigntz ! Je t’ jure : y’a des retraites anticipées qui se perdent.
Et ensuite ?
Tu vas voir comme on plonge dans le saugrenu.
Les archers du « dom » m’entraînent à l’extérieur.
On traverse la cour qui sent le bois, la colle à bois, la peinture fraîche, pour gagner l’atelier aperçu en arrivant.
Lumière.
Quelle bizarre vision ! Tu sais ce qu’il fabrique, Cesarini ?
Des cercueils ! C’est ça, sa couvrante, sa raison sociale officielle : marchand de boîtes à osselets.
Tu verrais ce tableau, l’ami, ton slip te finirait pas la semaine ! Des pyramides de cercueils. Tous plus bathouzes l’un que l’autre. Ouvragés. Peints. Avec des incrustations formides. Y’en a à fresques, d’autres avec des inscriptions latines, d’autres à Christ façon gisant. Certains ressemblent à des tombeaux de Westminster Abbaye ; le couvercle, c’est un ange sculpté, grandeur nature (j’ai jamais vu des anges au naturel, mais j’imagine). Y’en a à lucarne, que tu peux mater l’occupant, lui envoyer des baisers depuis la vie. On en aperçoit des à baldaquin, pour les richards. D’autres sont en forme de bateau, gracieux tout plein : l’esquif pour franchir le rubicon… Y’en a à urnes incorporées ; et puis des qui font mausolée d’appartement.
On se croirait au Salon du Cercueil sicilien. Y’en a pour tous les âges, tous les goûts. Des cercueils de jeune fille vierge ; des cercueils d’homme d’affaires, des cercueils de grand-mère. Et aussi : de notaire, de médecin, de paysan, de marchand, de pêcheur, de curé, de voleur, d’homosexuel, de vigneron, de commissaire-priseur, d’agent de police, de technocrate, de bureaucrate, de poète, de barbu, de préfet, y’a même un cercueil de pontife qu’on lui a ménagé une semi-remorque pour la tiare ainsi qu’une galerie pour la crosse, avec fixations de sécurité, ostensoir amovible. Une série de cercueils pour militants communistes (y’a peint sur le couvercle la faucille et le marteau, plus une petite croix par en dessus). Des cercueils-sabots pour les bossus. Des cercueils de banquier (en acier, munis d’une serrure à combinaison). Des cercueils de pompier (ignifugés). Des cercueils de coureur cycliste (à guidon bas, poignées en duralumin perforé, deux plateaux, dix vitesses). Des cercueils de grand repos à garniture anatomique personnalisée en polyester. Jamais vu une gamme aussi variée. Ignorais même que cela existât. Suis baba. Stop !
Mes tortionnaires (car ils le deviennent) me religotent. Et puis alors, non, je te jure, faut y vivre pour y croire, m’allongent dans un cercueil capitonné. Cette opération terminée, ils replacent le couvercle et le vissent. Dis, je croyais pas que ce fût aussi pareillement funèbre, la Sicile. Heureusement, il y a un trou dans le couvercle, à peu près au niveau de mon visage. Un trou pas plus grand qu’une pièce de cinq francs, mais qui vaut mieux que pas de trou comme un billet de cinq cents, non ?
La voix du vieux Cesarini me parvient. Il a dû se pointer sur la fin de l’opération.
— Vous êtes bien, là-dedans ?
— Un vrai pullmann !
— Vous y demeurerez jusqu’à ce que vous parliez.
— Je n’ai rien à dire.
— Alors jusqu’à ce que vous trouviez quelque chose à me dire. Ça n’a l’air de rien, mais c’est une épreuve qui a toujours donné d’excellents résultats. Je n’ai connu aucun échec. Les plus coriaces ont craqué le quatrième jour. Mais en général ils ne tiennent pas jusque-là. Je vous préviens que non seulement il faudra me dire la vérité, mais qu’en outre vous devrez me fournir la preuve que c’est bien la vérité. Je passerai vous parler une fois par jour, pas plus. Si vous ne me parlez pas demain, il vous faudra attendre après-demain, et ainsi de suite, compris ?
Mutin, il se penche sur la bière et expulse dans mon sarcophage une énorme goulée de fumée âcre.
Je tousse.