CHAPITRE XVI

A 5 heures, il se présenta devant l’immeuble de Diana Jellis, une vieille maison en briques sans beauté, noircie par les suies d’une usine : voisine. Deux types fumaient dans le hall du rez-de-chaussée mais ne parurent pas faire attention à lui. Il monta à l’étage et la porte fut ouverte par un Noir de grande taille.

— Mon nom est Mel Santos. Entrez.

C’était l’ami de Diana Jellis, l’homme avec lequel elle vivait depuis des années. La jeune femme arriva peu après. Elle portait un pantalon soyeux qui moulait ses longues jambes et une tunique brodée mais très simple. Elle était si belle, si attirante que le Commander éprouva une émotion fugace. De plus on devinait en elle une force et une volonté qui accroissaient encore son charme.

— Au téléphone, vous avez insinué qu’une sorte de complot se tramait dans l’ombre, dit-elle.

— C’est exact, dit-il. Mais, avant toute chose, où est Petrus ? J’ai quitté le Motel depuis une heure et demie car je devais rencontrer quelqu’un. Il devrait être ici.

— C’est Moron et deux amis qui sont allés le chercher. Il ne risque rien. Ce sont des durs mais ils ont beaucoup d’expérience. Vous pouvez commencer sans lui. Il lui suffira de confirmer ce que vous avez à me dire.

Kovask chercha les yeux en amande de Diana :

— Ce que j’ai à vous dire est terrible et répugnant. Vous allez vous sentir salie, atteinte dans le plus profond de vous-même.

A la longue on remarquait la rondeur de son ventre.

— Mais, ajouta-t-il avec un sourire, rien n’est perdu. N’oubliez pas qu’il y a un espoir de tout arranger.

— Je vous écoute, fit-elle d’une voix grave. Je suis à même d’apprendre le pire.

Elle eut un regard pour Mel Santos qui lui sourit tendrement. Kovask commença son récit par la demande du sénateur Holden, puis le poursuivit par ce qu’ils avaient découvert à Los Angeles. Au fur et à mesure que Kovask parlait et alors que la jeune femme restait impassible, Mel Santos montrait des signes de nervosité.

— Dois-je poursuivre ? demanda Kovask arrivé au moment critique.

— Oui, faites-le, dit Diana avec la même sérénité.

Avec angoisse il fit alors le récit de la journée, parla de Stewe Score, de la façon dont il gagnait sa vie, de Simon Borney et des sœurs Ganaway. Mel Santos paraissait respirer difficilement mais il restait plus calme. La jeune femme encaissait encore mieux le choc. Elle n’eut qu’une petite moue de dégoût lorsqu’il expliqua ce qui s’était passé chez la gynécologue.

Un long silence suivit. Jusqu’à ce que Diana allume une cigarette :

— Très bien. Je sais maintenant ce qui me reste à faire. Vous avez fait un travail exceptionnel, monsieur Kovask, et je vous en remercie. Le sénateur Holden avait raison de se méfier. Comme vous aviez raison de dire que cette épreuve me toucherait dans ce que j’avais de plus cher et de plus intime.

— Un instant, madame, je suis passé chez Ella Ganaway tout à l’heure. C’est ce qui m’a retardé. Nous avons discuté farouchement. Elle mettait en avant le secret professionnel. Tout ce que j’ai pu obtenir c’est que vous acceptiez de lui téléphoner ?

— Non. Je ne pourrai plus lui parler, dit Diana Jellis. Je l’excuse car elle a agi sous la menace mais je ne veux plus la revoir.

— Appelez-la quand même. Elle craignait le pire à cause de sa sœur et de Petrus. Dites-lui que ce dernier est neutralisé. Il est possible qu’elle ait quelque chose à vous révéler.

Diana quitta la pièce et les deux hommes restèrent face à face.

— Ce Score est-il au courant ?

— Non. Il ignore à qui il a eu à faire. Lui aussi était en butte au chantage.

Mel hocha la tête. Kovask le trouvait très digne. Même s’il était blessé dans sa fierté de futur père il n’en laissait rien paraître.

— Pour qui travaille Petrus Lindson ?

— Il prétend l’ignorer et c’est fort possible. Son patron se nomme Simon Borney. Il n’est plus dans la région d’après ce que j’ai compris et Petrus agissait seul.

— Simon Borney ? Oui, on nous avait signalé la présence de personnages douteux dans le quartier. Moron qui assume notre sécurité et surtout celle de Diana avait même fait une enquête mais n’avait rien pu prouver contre le personnage.

La jeune femme revint dans la pièce. Elle ne manifestait aucune émotion particulière mais Kovask avait pourtant l’impression que ses yeux brillaient comme si elle avait pleuré brièvement.

— J’ai eu Ella au bout du fil. Vous avez bien fait de m’encourager à l’appeler. Ce qu’elle avait à me dire me concernait seule et elle ne pouvait le faire qu’une fois certaine que sa sœur et ses neveux n’étaient plus en danger.

Elle baissa les paupières :

— Ella est une fille formidable. Je regrette d’avoir douté d’elle durant quelques secondes.

Prévenue assez longtemps à l’avance par ce Borney elle avait eu le temps d’y réfléchir et elle a réussi à permuter habilement le matériel nécessaire. Je ne veux pas entrer dans des détails trop précis mais jamais elle ne m’a inoculé de la semence de Stewe Score.

— Elle courait un grand risque, remarqua Kovask.

— C’est ce qu’elle m’a expliqué. Elle avait prévu de quitter la ville à l’automne avec Billie et les gosses et de disparaître. C’est une femme exceptionnelle.

Une sonnerie lointaine se fit entendre et Mel Santos se leva pour répondre.

— Je vais partir, dit Kovask, mais auparavant j’ai quelques petits détails à préciser. Tout d’abord au sujet de Petrus Lindson…

— Nous le forcerons à quitter les U.S.A. En le prévenant qu’il risque sa vie s’il y revient.

A ce moment-là Mel Santos revint le visage contracté, le regard fixé sur Kovask.

— Il est arrivé un pépin, dit-il.

Kovask leva les yeux vers lui :

— De quel genre ?

— Petrus a voulu fausser compagnie à Moron et ce dernier l’a abattu. Non loin d’ici dans un terrain vague.

— Je vois, dit Kovask.

— Moron est un garçon pourtant très froid, très maître de lui.

— Je n’en doute pas. D’ailleurs je voulais vous demander, monsieur Santos, et à vous madame Jellis, si vous lui aviez confié que vous attendiez un heureux événement.

Ils se regardèrent interloqués :

— Mais bien sûr.

— Vous ne l’aviez confié qu’à lui ?

— Pour l’instant oui. C’est notre ami. D’ailleurs il couche et prend ses repas avec nous. Il n’ignore rien de nos activités.

— De vos rencontres avec le sénateur Holden ?

— Egalement. Il était au courant.

— Il approuvait ?

— Il n’a jamais manifesté sa réprobation ni son enthousiasme. Mais qu’avez-vous contre Moron, monsieur Kovask ?

— Vous devez me prendre pour un maniaque de la méfiance et croire que mon ancien métier m’a déformé. C’est vrai en partie. Mais il se passe une chose qui me gêne énormément. Moron doit venir ici ?

— Oui. Le temps de s’occuper du corps de Petrus Lindson.

— Je ne regrette pas qu’il soit mort. Il aurait pu rester dangereux pour des tas de gens. Mais j’en reviens à ma préoccupation. Voyez-vous il se trouve qu’Ella Ganaway n’a jamais révélé à personne que vous attendiez un enfant. Pas même à sa sœur. Jamais Simon Borney ni Petrus Lindson ne se sont inquiétés du résultat de leur ignoble action. Comment dans ces conditions savaient-ils que vous étiez enceinte ? Après tout l’opération aurait pu échouer ? La preuve ! Elle a réussi à les tromper. Le hasard a voulu que vous soyez enceinte mais seul Moron le savait.

— Etes-vous sûr de ce que vous avancez ?

— Absolument, dit Kovask en se levant. C’est un cadeau que je vous fais. Peut-être est-il empoisonné mais ce sont vos affaires et elle ne me regardent pas. Je ne connais pas ce Moron et je ne désire pas le rencontrer. Vous avez certainement des choses à vous dire et je ne veux pas être indiscret. Si vous ne me croyez pas, téléphonez à Ella Ganaway. Après tout vous n’êtes pas obligés de croire en la parole d’un Blanc, ce qui serait tout à fait justifié.

Il s’inclina, se dirigea vers la porte, les laissant statufiés. Il comprenait leur désenchantement.

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