Le sénateur Holden leva son verre de Champagne en direction de la Mamma :
— A votre santé, Mrs. Pepini, vous avez fait du bon travail dans cette histoire et j’en suis très satisfait.
— C’est exact, ajouta Kovask. Grâce à elle j’ai pu ramasser tous les éléments du puzzle.
— Brrr…, nous l’avons échappé belle. Essayez d’imaginer le scandale et l’éclat de rire lorsque Diana Jellis aurait mis un enfant métis au monde. Ou même complètement blanc. Cela peut arriver.
— Comme il aurait pu être tout noir, dit la Mamma. C’est également possible.
— D’après la génétique il aurait pu naître très, très clair, précisa Kovask. Vous faites des progrès dans la négociation, sénateur ?
— Oui, mais il faut discuter âprement. C’est une femme qui ne s’en laisse pas conter. Mais je constitue un bon dossier et nous saurons mettre le gouvernement au pied du mur en attendant qu’un autre président soit enfin nommé.
Kovask but un peu de Champagne. Ils se trouvaient à New York au restaurant français du Rockefeller Center. De passage à New York, le sénateur leur avait donné rendez-vous pour arroser la réussite de leur mission.
— Moron a donc liquidé Petrus dans un moment de panique, demanda Kovask. Je ne me suis pas occupé de l’affaire et celle-ci est ignorée de la presse et du grand public.
— Heureusement. Moron appartenait au parti communiste américain qui voyait d’un très mauvais œil une grande partie de sa clientèle lui échapper. Ils avaient, au début, misé sur Diana Jellis mais celle-ci s’était écartée de l’orthodoxie communiste façon Moscou pour montrer quelques sympathies envers Pékin. Depuis le début de sa progression politique Moron, lui, avait été affecté pour la surveiller. Sous prétexte de lui servir de gorille il l’espionnait et elle ne s’en doutait nullement. Mais nous avons découvert qui était Simon Borney. En réalité il se nomme Simon Moron. Il est un cousin de l’autre.
— Savez-vous ce qu’il est devenu ?
Le sénateur qui découpait son filet en croûte avec délectation secoua la tête :
— Non et nous n’en entendrons certainement plus jamais parler. Comme de Petrus Lindson.
— Quelle sera la réaction du P.C. américain ?
— Oh ! ils encaisseront le coup sans se plaindre. Toute l’opération avait été montée en grand secret. Il ne fallait surtout pas liquider Diana Jellis mais la rendre suspecte aux yeux de tous. On aurait pensé qu’elle avait un amant blanc et que c’était sous son influence qu’elle désirait traiter avec moi.
Il enfourna une portion énorme, commença à mastiquer avec vigueur. La Mamma en faisant autant, son appétit n’était jamais pris en défaut. Son grand sac de cuir pendait à côté d’elle, la courroie ayant été remplacée.
— Cette fille, Ella Ganaway, a eu beaucoup de courage, dit ensuite le sénateur, mais à sa place je me méfierais. Certains doivent avoir la rancune solide.
— Diana Jellis la fera protéger. Elles sont très amies, dit Kovask. Mais comment allez-vous faire aboutir vos projets ?
Holden cligna de l’œil :
— Je vous l’ai dit, en échange de quelques broutilles. Il n’y a pas que des Petrus Lindson qui sachent faire chanter les gens. Moi aussi je suis doué pour ce genre de sport. Voilà qui est écœurant, dit la Mamma.
— Quoi ? Un filet en croûte aussi somptueux ?
— Non. Votre politique. Enfin la façon dont elle est faite dans ce pays.
— C’est aussi la vôtre, murmura Holden, et si vous voulez que tout se fasse plus honnêtement, avec plus de justice et de dignité, tâchez de voter dans ce sens-là.