CHAPITRE XVIII

C’est une vieille bonne qui vient m’ouvrir. Petite, rondouillarde, et l’air pas commode. Le genre de fille revêche qu’on engage un matin en se disant qu’avec cette tronche-là on ne la supportera pas plus de quarante-huit heures, mais qui finit par élever vos petits-enfants !

— Vous avez un rendez-vous ?

— Non, mais…

— Alors c’est impossible. D’ailleurs Monsieur revient de voyage et…

— Ç’a été un voyage éclair, souris-je, car nous étions ensemble il n’y a pas tellement longtemps.

Je lui montre qui je suis. Elle ne s’étonne pas outre mesure. Simplement son obstruction fléchit.

— Je vais voir.

Elle va voir.

Deux minutes plus tard, maître Alban Désacusaix s’annonce, souriant, le battoir tendu.

— Quelle surprise ! Vous, cher commissaire !

On se serre la louche cordialement.

— Je ne vous dérange pas, maître ? Votre Intelligence-Service m’apprend que vous rentrez de voyage ?

Il hausse les épaules.

— Elle grossit tout. Je suis seulement allé à Montmorency où je possède une propriété. Les jardiniers sont terribles. Ils m’envoient des factures comme s’ils avaient le parc de Versailles à entretenir et quand j’arrive chez moi, ça n’est pas du gazon que je trouve mais du foin. Quoi de nouveau depuis cette nuit mémorable ?

— Mme Coras a disparu !

— Hein !

— Tel que, mon bon maître.

— En fuite ?

— Non : décédée !

Il ouvre des gobilles grandes comme l’entrée du tunnel de Saint-Cloud.

C’est façon de parler, car il attend que je parle au contraire.

— On est peu de chose, hein ?

— Que lui est-il arrivé ?

— Je l’ignore au juste. Tout ce que je sais, c’est qu’elle a été assassinée.

— Grand Dieu ! Quelle affaire !

— À qui le dites-vous !

— Vous êtes certain de ce que vous avancez ?

— Oui.

— On a retrouvé son corps ?

— Pas encore, mais je sais où il est.

— Ah oui ?

— Oui. Il se trouve du côté de Montmorency, vraisemblablement dans la propriété d’un avocat.

Le mecton tourne au jaune caca-d’oie.

— Votre plaisanterie, commissaire, est plutôt…

Je le coupe net.

— Ah non ! Épargnez-moi la tirade sur les plaisanteries et évitez de nier, ça ira plus vite. Vous connaissez trop bien votre métier pour vous mettre à ergoter quand vous êtes confondu.

— Mais enfin !

— Geneviève Coras est venue vous trouver ce matin. Elle était armée. Elle a commencé par vous dire qu’elle était dans le pétrin et vous a demandé de l’en sortir. Elle s’est faite menaçante. Vous l’avez calmée et, pour éviter le scandale ici, vous l’avez emmenée. Ne niez pas, j’ai interviewé votre concierge, elle a vu entrer Mme Coras à une heure ultra-matinale et vous a vu ressortir en sa compagnie…

Désacusaix hausse les épaules.

— Effectivement, elle est venue me demander conseil, mais…

— Mais ?

— Mais je ne l’ai pas tuée, Grand Dieu ! Mon travail consiste à défendre les gens, pas à les supprimer…

— Je trouve que vous les tuez mieux que vous ne les défendez, mon vieux !

— Je vous interdis !

— Oh ! Oh ! Écrasez. Vous allez me suivre gentiment, on va continuer cette conversation dans mon bureau ; il y a plus d’ambiance !

— Je proteste contre cette arrestation ! Vous avez décidément décidé de stopper votre carrière, San-Antonio. Je peux vous annoncer que ça ira mal pour vous ! Pour commencer, je vous informe que je ne vous suivrai pas avant que vous m’ayez présenté un mandat d’amener régulier. Et que…

Je vais ouvrir la porte d’entrée.

— Psst !

Le Gros et Magnin s’annoncent. Ils en avaient classe de moisir sur le palier.

— Embarquez-moi ce monsieur de gré ou de force ! leur dis-je.

— C’est une honte ! glapit l’avocaillon. Je vais de ce pas téléphoner à…

— À mes trucs ! dit le Gros en lui propulsant une mandale qui couche le cher Maître.

Bonne âme, il le relève par sa cravate. La vieille servante dévouée depuis trois générations arrive à la rescousse avec son plumeau. C’est la charge de la brigade sauvage. Elle fait un ramdam qui rendrait sourd M. Armstrong en personne.

Je me tourne vers Désacusaix.

— Dites à votre vieille nourrice de la fermer et de ne pas faire d’histoire, je parle dans votre propre intérêt.

Sent-il qu’il ne gagnera rien à regimber ? Toujours est-il que l’avocat se calme et enjoint à sa déplaceuse de poussière d’en faire autant.

Nous l’emmenons sans mal. Il est pâle, mais semble déterminé. Comme nous prenons place dans ma charrette fantôme, il demande :

— Qu’est-ce qui vous a conduit chez moi ?

Je souris.

— Ceci, fais-je en lui désignant le cabriolet rouge de Geneviève Coras. C’est l’auto de votre victime. Elle était stoppée presque devant votre porte !

Une fois à la Cabane Coup de Triques, c’est encore Désacusaix qui questionne.

— Mais pourquoi avez-vous pensé que Geneviève Coras pouvait m’avoir rendu visite ?

— À cause d’une idée, mon beau maître. Une idée que je me reprocherai toute ma vie de n’avoir pas eue plus tôt. Si je l’avais eue, cette idée-là, Geneviève Coras serait peut-être encore vivante.

Et d’expliquer.

— Hier, quand elle est venue me trouver, elle m’a dit que Messonier allait être exécuté aujourd’hui. Or, une seule personne pouvait lui avoir appris cette nouvelle que j’ignorais moi-même : vous ! Vous, l’avocat du condamné. Car la presse n’informe le public que lorsque tout est consommé. Donc, elle était en rapport avec vous ! J’ai cherché votre adresse dans l’annuaire et me suis aperçu que vous habitiez boulevard Raspail. Maintenant il faut vous mettre à table, mon bon ami.

— Je n’ai rien à dire. Geneviève Coras est venue me parler de ses avatars de la nuit afin de me demander conseil. Je lui ai dit qu’elle devait vous voir et je lui ai proposé de l’accompagner ; elle a accepté. Nous sommes partis. Une fois dehors, elle m’a dit qu’elle préférait venir seule ici. Comme j’étais levé, j’ai décider de profiter de l’occasion pour aller à Montmorency.

— Rien à ajouter ? je questionne flegmatiquement.

— Rien, sinon que je proteste contre cette arrestation arbitraire.

— Allons donc ? vous savez bien que vous êtes venu ici de votre plein gré. Ces messieurs sont prêts à en témoigner.

— C’est une indignité !

— Bon, réfléchissez, on vous reverra plus tard. Pour l’instant j’ai mieux à faire. À propos, l’adresse de votre maison à Montmorency ?

— Allée des Platanes. « Mon Repos ».

J’ordonne à Magnin de coller mon client dans la volière et je demande à l’inspecteur Bérurier s’il veut bien m’escorter jusqu’à la villa de l’avocat.

« Mon Repos » ! C’est choisi, non ?

« Mon Repos Eternel » me paraît mieux indiqué.

J’ai horreur des demi-mesures.

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