CHAPITRE XX

— Il est lucide, mais ne l’interrogez pas trop longuement, recommande le toubib.

Je m’approche de Messonier. Le pauvre bougre est exsangue dans son lit. Je fais signe au planton de quitter la chambre, car je désire demeurer seul avec mon gars. L’agent hésite, mais il obéit. Il se dit qu’après tout, si j’ai envie de finir le condamné, ça me regarde.

— Je sais tout, Gilbert, fais-je en m’asseyant à son chevet.

— Comment ?

— J’ai tout découvert, suivant la promesse que je vous ai faite hier dans votre cellule. Et pour vous le prouver, je résume…

« Vous n’étiez pas l’amant de Geneviève Coras, mais seulement son fournisseur de drogue. Son véritable amant, c’était Alban Désacusaix, qui devint par la suite votre avocat. Le trop fameux samedi des meurtres, Geneviève est allée à Neauphle chercher sa drogue. Pendant qu’elle se trouvait en votre compagnie, un homme est arrivé chez vous, votre pourvoyeur, je suppose. Vous avez eu une discussion avec ce type et l’avez tué. Geneviève s’est affolée. Elle a eu peur du scandale. Elle a alors téléphoné à son amant, puisqu’il était avocat, afin de lui demander conseil. Désacusaix lui a dit de rentrer chez elle, et à vous, il vous a recommandé de ne rien faire. D’après lui, il fallait laisser l’homme dans la cave où il gisait. Vous deviez emmener l’auto de votre victime loin de chez vous, sur la route de Lille, revenir chercher votre propre auto et rentrer à Paris à votre domicile. Geneviève et vous avez obéi. Désacusaix est un homme sans scrupule qui vivotait à l’époque. Son cabinet ne marchait pas.

« Avocat sans causes, il était alors traqué par ses fournisseurs. Comprenant le parti qu’il pouvait tirer de la situation, il s’est rendu chez le mari de Geneviève Coras afin de le faire chanter. Sa femme impliquée dans une affaire de meurtre et de drogue, c’était la fin du diamantaire. Moyennant la forte somme, le cher maître lui a proposé d’arranger le coup. Seulement Coras n’était pas une lavasse, de plus il était, aux dires de sa domestique, très jaloux. Il s’est emporté, a accusé l’autre de chantage. Bref, Désacusaix a perdu la tête et a fracassé celle de son antagoniste, puis celle du père Coras qui radinait à la rescousse… Vous me suivez ? »

— Oh ! oui, gémit Messonier. Est-ce possible ? Maître Désacusaix… faire une chose pareille !

— Il a avoué.

— Seigneur !

Je continue :

— Ses meurtres commis, il s’est dit qu’il pouvait en tirer bénéfice. Le coffre du diamantaire était ouvert, il s’est servi. C’est après que l’idée machiavélique de faire retomber ça sur vous lui est venue. Il s’est rendu à votre domicile et y a caché des diamants. Un coup de fil anonyme le lendemain, pour mettre la police sur votre piste, et le tour était joué. Il savait, et pour cause, que vous n’aviez pas d’alibi. Si : en fait d’alibi un autre meurtre ! Le plus fort, c’est qu’il s’est présenté, dès votre arrestation, comme étant votre avocat. Et vous, bonne âme, vous avez cru que c’était Geneviève qui vous l’envoyait. La pauvre femme n’a rien fait pour vous, car elle pensait que vous étiez allé tuer son mari pour vous procurer de quoi fuir. Elle s’est dit que vous n’en étiez pas à un meurtre près.

« Quant à Désacusaix, il vous a fait adopter le système des aveux complets. Il vous a laissé croire que vous aviez intérêt à répondre d’un crime crapuleux plutôt que d’un crime perpétré dans des circonstances mystérieuses sur la personne d’un trafiquant de drogue… Bonne pomme, vous avez marché. Lui, pour vous sauver la mise, a fait disparaître le cadavre de votre victime à vous ! Ensuite, devant une telle preuve de dévouement, vous n’avez plus pu revenir sur vos déclarations. Vous n’êtes pas fils d’officier pour rien ; le sens de l’honneur, c’est coriace. L’avocat a découpé le corps de votre type, l’a enfoui dans la fosse à mazout. Puis il a détraqué la canalisation. Il a remplacé la porte de la chaudière par une porte normale, arraché les briques réfractaires et apporté du charbon.

« Savez-vous pourquoi ? Parce qu’il pensait au retour de Vermi-Fugelune. Il ne voulait pas qu’on découvre ce cadavre avant que vous ne fussiez guillotiné. Vous y êtes ? Or, si votre copain l’acteur était revenu plus tôt, s’il avait voulu faire du feu dans sa maison de campagne, il aurait fait venir un spécialiste pour arranger la canalisation et on aurait découvert le crime. Il fallait qu’il puisse se chauffer, le cas échéant. Gagner du temps… Ah ! il a compté les jours en attendant votre exécution, Désacusaix, et vous pouvez être certain qu’il n’a pas plaidé votre cause avec fougue auprès du Président de la République ! »

— C’est épouvantable ! murmure le blessé.

— Oui, j’avoue n’avoir pas rencontré de meurtrier aussi sadique depuis belle lurette. Pour terminer, Geneviève Coras a eu des doutes. L’attitude de son amant, la brusque aisance de celui-ci, tout cela l’a troublée. Lorsque Désacusaix lui a dit que votre exécution était pour aujourd’hui, le remords a été le plus fort, elle a voulu vous sauver coûte que coûte et elle est venue me trouver.

« J’ai mordu à l’hameçon. Seulement, lorsque mes premières investigations m’ont conduit à Neauphle, elle a eu peur. Elle s’est dit que j’allais découvrir le cadavre là-bas, et la compromettre elle sans vous sauver, alors elle a perdu la tête. Au petit matin, elle est allée chercher sa voiture qui contenait un revolver. Son plan : obtenir les aveux de Désacusaix et l’abattre. Elle l’a trouvé à son domicile. L’avocat l’a calmée, lui a dit que votre exécution avait été ajournée et qu’elle devait se cacher. Auparavant, il était de bonne politique de m’écrire un mot pour essayer de m’amadouer. Il lui a dicté une brève lettre qui pouvait passer pour un message de désespérée sur le point d’en finir. Pour partir en voyage, il faut des effets.

« Comme elle ne pouvait pas retourner à son domicile parisien, qu’il savait surveillé, il l’a décidée à aller faire une valise à Montfort. Une fois là-bas il lui a logé une balle dans la tête et a mis la lettre d’adieu en vue. Seulement cet idiot n’a pas pensé qu’elle avait été écrite dans son bureau à lui, avec son propre stylo, sur du papier dont nous avons retrouvé un bloc dans l’un de ses tiroirs.

« Auparavant, il était venu prendre de vos nouvelles ici. En tant que votre avocat, il en avait le droit. Vous étiez sous l’effet des anesthésiques. Il vous a ouvert les veines du poignet.

« Ainsi, ayant supprimé les deux seuls témoins gênants, il était à l’abri définitivement. Il n’avait oublié qu’une chose : le commissaire San-Antonio ! »

Je m’arrête, essoufflé, la gorge sèche. Vraiment au bout du rouleau.

Le blessé ne dit rien. Il assimile tout ce que je viens de lui déballer. Le médecin paraît.

— C’est assez pour aujourd’hui, commissaire.

— J’arrive, docteur.

Je me lève, mais avant de sortir je chuchote à l’oreille de Messonier.

— Pour la première fois de ma carrière et pour le plus grand bien de celle-ci, je vais faire une entorse à la vérité. À Neauphle, c’est Geneviève Coras qui a tiré. L’homme était un maître chanteur. Elle m’a fait des aveux avant de m’assommer, vous pigez ? Dites comme moi. J’estime que vous avez assez payé comme ça. Et puis vous devez bien comprendre que, vis-à-vis de mes supérieurs, mon rodéo de la prison était destiné à sauver un innocent, pas un coupable ! Vu ?

Il bat des cils.

— Merci, San-Antonio.

— De rien, fais-je, tout le plaisir a été pour moi !

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