COUP DE CŒUR

Dieu qu’elle est belle !

Tu te souviens de la pauvre chère Grace Kelly avant qu’elle change de métier ?

Elle !

La même classe, le même visage lumineux, le même regard empli d’idéal mais qui te filait le tricotin sournois.

Elle s’est saboulée en noir, avec une grosse broche sur le bustier. Maquillage d’une somptueuse délicatesse. Son sac doré, sa ceinture dorée sont aussi impressionnants que sa bonne renommée.

Elle s’avance vers moi, comme mon Aquarama Spécial Riva fend la mer. Tu dirais la plus gracieuse des embarcations sur le flot d’azur (la moquette est bleue).

Je me précipite à sa rencontre, lui souhaite la bienvenance, m’égosille de sa beauté, de son élégance, toutes choses qu’apprécie une femme. Nos compagnes, comme on dit, ne sont plus guère gâtées question délicatesse. La galanterie, n’en parlons plus. Tu peux aller chercher un escabeau (le plus beau possible) pour retirer le mot du dictionnaire. Il est devenu superflu, sans signification. L’homme est entré en goujaterie, comme en religion, à cause sans doute de la femme qui aspire aux droits masculins et réclame l’égalité avec le julot en toutes choses, pauvre connasse linotte, si c’est pas malheureux avec un cul pareil, à faire bander tous les singes du zoo.

Elle s’installe, surprise par ma prévenance qui va jusqu’à lui pousser délicatement son fauteuil bridge sous les miches en le tenant par le dossier, siouplaît !

Et la manière que j’hèle le loufiat. Et que je propose à la belle superbe des boissons vaporeuses et artistiquement alcoolisées, en homme qui en possède toute la liste variée et qui est capable de te la réciter comme du Verlaine de la bonne année. Maggy opte pour un rose (dont la feuille sera pour plus tard, espérons-le ; tu peux toujours prier à cette intention en attendant, ça m’avancera).

Quant à moi, c’est le bloody-mary cher au Vieux, le pauvre cher homme résilié, renvoyé coucouche-panier d’un trait de plume.

Nous éclusons un godet, puis deux, et après le troisième nous passons à table où je compose un menu d’inspiration française avec les conneries mises à ma disposition. Une bouteille de bordeaux chauffée au bain-marie et qui coûte un saladier, complète l’illuse.

Nous mangeons tout en parlant. Maggy me raconte les dessous de sa curieuse profession ; cette emphase de la mort, ce culte de la sépulture surchoix, et je t’embaume, je te bichonne, pomponne, linceulise dans la soie. Et je te commande un caveau éclairé au néon, avec des anges qui se grattent le trou du luth, plein marbre, des fleurs tellement artificielles qu’on jurerait des vraies, des cercueils en first, cérémonie Barnum, orchestre, majorettes sans majoration, very très beaucoup bioutifoules ; un vrai bonheur de se laisser ensevelir dans de telles conditions ; pour un rien, on se suiciderait afin de connaître au plus vite les fastes de l’enterrement-zim-boum-boum.

Mes questions sont pertinentes. Je prends des notes, manière de faire vrai. Après quoi, j’en arrive à la haute direction : qui dirige une telle boîte ?

Maggy s’empreint de solennité pour me répondre que c’est mister P. J. France, un tout grand businessman de la région. Il gère d’autres affaires très éclectiques, P. J. Compagnie de transports routiers, distillerie de bourbon, fabrique de meubles, elle en passe et des moins bonnes. Moi, je fais mine de m’énerver comme une puce dans le slip d’Ursula Andress.

— Mais il faut absolument que j’interviewe ce monsieur !

Alors, Maggy fait la moue (et bientôt l’amour, j’espère de plus en plus fortement).

— Ça ne va guère être possible, vous savez.

— Pourquoi ? réponds-je avec mon sens du dialogue extrêmement proverbial.

— Mister France est plus difficile à approcher que Dieu le Père. Il vit retiré à Santa Prostata dans un ranch de luxe, gardé comme un prince arabe. Il a une piste d’atterrissage pour son jet privé et ne reçoit que les gens qu’il doit rencontrer pour ses affaires, des P.-D.G. de son envergure. Chez lui, tout se fait par télex. Il dispose d’une armada de collaboratrices car il n’est entouré que de filles. Ses gardes du corps sont aussi des femmes.

— Voilà qui s’appelle prendre la vie du bon côté.

Maggy a un léger sourire.

— Détrompez-vous : P. J. n’apprécie le beau sexe que dans le travail.

— Voulez-vous dire que ses mœurs sont celles d’Oscar Wilde ?

— Je ne connais pas le monsieur dont vous parlez, me répond Maggy (car aux U.S.A., même quand on est une jeune femme élégante, on reste peu ouvert à la culture européenne), mais je pense, poursuit-elle, que la personne en question n’avait de vraiment masculin que son prénom. Pour P. J. France, c’est un peu pareil.

— Me trouvez-vous apte à séduire un homosexuel, Maggy ?

Elle pouffe.

— Un homo et aussi une femme !

— Ne serait-il pas possible de laisser entendre à mister France que le journaliste qui désire le rencontrer ressemble davantage à Gary Cooper qu’à Mme Golda Meir ?

— Vous ne vous mouchez pas du coude, me répond-elle en américain, ce qui est beaucoup plus propre.

Je la veloute de mon regard enjôleur.

— Allons, Maggy, faites quelque chose pour moi et essayez de contacter ce curieux boss que je brûle d’approcher. Soyez un amour : allez téléphoner à France.

— Je le ferai demain.

— De grâce, appelez-le maintenant, les instants sont chargés d’électricité, quand on veut les reporter à plus tard, une déperdition s’opère. Je sens que dans la foulée, vous aurez gain de cause !

J’avance mes deux mains en conque vers sa jolie figure.

— Tenez, je vous charge d’ondes bénéfiques, ainsi lestée, rien ne peut vous résister.

Elle rit, mais continue d’hésiter.

— Je crains que P. J. ne m’envoie sur les roses, soupire la merveilleuse.

— Si c’est le cas, j’ôterai les épines une à une.


Alors bon, elle file au turlu. Y séjourne un bon moment et en revient plus radieuse que le printemps en fleurs dans la vallée de Chevreuse.

— Gagné ? lui lancé-je.

— Au-delà de toute espérance, Tony, vos passes magnétiques sont terriblement efficaces, car France vous invite à déjeuner demain.

— Oh ! Maggy, je vous aime ! exclamé-je. Connaissez-vous le coup de la chevrette corse ?

— Non ; de quoi s’agit-il ?

— Et celui du tambourinaire en folie ?

— Non plus.

— La position de Mme Angèle chez le duc d’Aumale ?

Elle sourit de plus en plus large.

— Pas davantage.

— La bécane du pasteur Morton ? La flûte du sous-préfet ? La calebasse mongole ? La tige convertible ? Le pied dans le gazon ? La langue fouineuse ? Rien de tout cela ?

— Mais non !

— Seigneur ! Que de temps à rattraper ; nous allons mettre les bouchées doubles, ma chérie.

Elle a un sourire flou, incertain, léger comme duvet en brise.

A cet instant, un grand zig avec une frite de catcheur bien recousue s’approche de notre table, découvrant trente-deux ratiches à la parade, et qui semblent inamovibles. Le gars porte un costar léger, bleu très pâle, une chemise bleu roi déboutonnée jusqu’au nombril, et qui laisse admirer une sorte de totem (un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout) d’or qui brimbale sur sa poitrine toisonnante.

— Hello ! il nous fait.

Maggy me dit :

— Oh ! Tony, permettez-moi de vous présenter Bob, mon mari ; je lui avais demandé de venir me chercher à la fin du repas.

Je coule un regard sur l’armoire dressée devant moi.

— Vous avez bien fait, approuvé-je. Asseyez-vous, Bob, et prenez une entrecôte avec du sucre en poudre comme dessert.

Ça recroqueville dans ma poitrine ; le phénomène se généralise, dévale jusqu’à mes testicules qu’il investit.

Les regrets de la viande et du cœur vous font souvent cet effet-là.

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