COUP DUR

Ma Cadillac Seville paille et crème (sorbet pamplemousse-vanille), de louage, fait crisser les graviers.

Un chemin bordé de palétuviers roses m’a conduit jusqu’en ce lieu privilégié où le luxe se montre hardi et le modernisme insolent.

Je me dis que si mister P. J. France avait bâti ce petit palais dans la région parisienne, et qu’il lui arrive de débaucher son personnel, ça donnerait un fameux feu de joie ! On vit des temps où il est plus difficile de conserver que d’acquérir. Vivement le grand nivellement, qu’on se retrouve enfin dans une caverne, à souffler sur un brandon pour avoir du feu. Allumer un Davidoff no 1 à la flamme d’un Dunhill d’or, ça commence à bien faire, non ? Pas dommage qu’on ait enfin compris que la grande, la toute suprême aspiration de l’homme, c’est d’être ratissé, cul nu dans des orties. Finito, la Bourse, les demeures m’as-tu-vuses, les Ferrari, les yachts, la haute couture, le foie gras, la tête dans les trois étoiles. Ne doit plus rester que le sol, la mer, le ciel. Bouffer de l’écorce, devenir arboricoles (et non aborigènes comme tant s’imaginent), le pied…

Tiens, à propos de pied…

Mais non : je t’expliquerai plus loin.

Comme je stoppe devant une grille d’inspiration ibérique, en fer forgé magnifiquement ouvragé, quelqu’un jaillit. Pas dégueulasse. Une fille d’au moins un mètre quatre-vingts, vêtue d’une combinaison de cuir noir sur laquelle sont cousues deux mains en cuir blanc. La main droite est plaquée sur le sein droit de la guerrière, tandis que la gauche est appliquée sur son pubis, le médius n’est qu’amorcé et cesse au départ du pli merveilleux que tu sais, laissant accroire, par la magie du trompe-l’œil, qu’il s’est fourvoyé en un point chaud dont je ne vivrai jamais suffisamment pour en célébrer pleinement les mérites, ainsi que l’écrivait une grande romancière qui raffolait du gigot à l’ail.

La fille est coiffée très court. Elle est blonde, avec un visage géométrique et des yeux d’acier. Elle porte un pistolet à sa ceinture, et je gage qu’il s’agit d’un lance-gaz. Elle a au cou un walkie qui grésille en permanence comme le beurre de tes œufs au plat matinaux.

— Hello ! lancé-je, à demi défenestré. Je suis le journaliste français que mister France attend pour le lunch (car ici, c’est la loi du lunch qui est en vigueur).

Sans marquer le moindre intérêt pour ma personne, la fille jacte dans son zinzin. Les directives qu’elle reçoit sont en ma faveur car il lui suffit d’appuyer sur un contacteur fixé à sa ceinture pour que la grille s’enfonce dans le sol.

— Remontez l’allée jusqu’au parking, vous garerez votre voiture et quelqu’un viendra vous chercher, m’enjoint-elle.

Un vrai robot, cette nière.

J’ai beau essayer de l’amadouer en lui votant mon sourire humide 16 bis, amélioré l’an dernier, ponctué de mon œillade langoureuse C 19, elle reste d’acier. Déjà la grille remonte derrière moi. Alors je suis mon petit bonhomme d’allée carrossable.

La propriété est immense. Avec des vallonnements, des dunes gazonneuses, des boqueteaux de pins parasols, des plans d’eau, des statues grecques, des mobiles de Calder, une reproduction de la tour Eiffel grandeur nature, le Parthénon, des roseraies et bien d’autres merveilles.

Le chemin s’élève mine de rien dans cet univers forcené. Quand tu parviens au faîte, tu découvres une stupéfiante demeure hispano gréco-romano-coloniale. Tous les matériaux y sont rassemblés : le verre, l’acier, le bois, le marbre, l’ardoise. C’est le camp du Drap d’Or rêvé par un gus qui fait une indigestion d’escargots à la parisienne ou de crème Chantilly. Il y a là des terrasses, des patios, des péristyles, des perrons, des pergolas, des dômes, des clochetons, des baies, des fenêtres à meneaux, des beffrois, des poternes, des balcons, des corrals, des coraux, des barbecues, des tennis, des piscines, des pistes de ski artificielles, des serres, des cerfs, des desserts.

Sur l’immensité flotte une musique d’ambiance, très suave, un peu funèbre, qui serait mieux appropriée à la funeral house. Un mât haut de vingt-cinq mètres deux pouces supporte un gigantesque drapeau jaune frappé des trois lettres P. J. F.

Le parking où j’aboutis a la forme d’une formidable coquille de verre fumé. Il y a là de la place pour une centaine de voitures. Une douzaine de Rolls, autant de Cadillac, six Ferrari, huit Porsche, cinq Land Rover et une 2 chevaux Citroën y sont déjà rangées, toutes marquées aux initiales du milliardaire.

Une nouvelle gonzesse qui est la réplique rigoureuse de celle de la grille ; à croire que celle-ci a pris un raccourci pour m’accueillir. Elle me montre un box. J’y enfourre ma tire.

Lorsque je sors, elle a une inclinaison de tête.

— Si vous voulez me suivre.

Je l’emboîte. Nos pas nous conduisent à un arc de contrôle tout pareil à ceux qui figurent dans les salles d’embarquement des aéroports.

— Franchissez le radar, s’il vous plaît, enjoint ma guidesse.

J’obtempère. L’appareil module un tuuuuuuuut désagréable.

— Vous avez quelque chose de métallique sur vous, dit-elle.

Je lui tends un petit stylo-bille réclame ennobli d’une agrafe.

— On parie que c’est ce petit machin ?

Sans piper (hélas !) elle prend l’objet. Je repasse le tunnel. L’appareil me donne quitus. L’exquise mégère me rend mon stylo et nous débouchons dans un jardin de rêve dont les pelouses se composent uniquement de trèfles à quatre feuilles et les massifs d’orchidées doubles. De l’eau teintée de bleu glougloute dans une vasque d’albâtre flanquée d’une statue admirable que ça représente un berger grec en train de sodomiser un angelot.

On attaque alors un labyrinthe authentique, composé de haies épineuses de deux mètres. Le camarade Dédale n’aurait jamais fait mieux, et son fiston pouvait toujours se coller des plumes au fion pour l’en arracher ! Mon guide s’y déplace sans hésiter.

Après un ahurissant cheminement qui me donne l’impression de danser le tango : trois pas en avant, deux en arrière, nous débouchons sur une vaste terrasse de quinze cents mètres carrés, au centre de laquelle est dressée une tente à rayures jaunes et blanches, de soie brochée, voire reliée.

Une tente ? Non : un vélum. Les tantes sont dessous. Deux.

Mais que je te les raconte, non pas par le menu, car elles sont énormes, mais dans les grandes lignes, comme disait un marchand d’articles de pêche.

Figure-toi deux gusmen de cent vingt kilogrammes heure chacun. L’un avoisine les cinquante berges, l’autre n’a pas franchi la trentaine. Ils sont en maillots de bain extrêmement brefs qui ne cachent que le principal, c’est-à-dire la panoplie grand veneur. Soit, peu de chose au demeurant. Roses et velus, portant l’un comme l’autre une barbe abondante, taillée en rond, les deux individus mentionnés dans le paragraphe en cours impressionnent par leur bestialité gaillarde.

Le plus âgé a de grands yeux bleus, candides, d’épais sourcils blonds, des seins de bouchère, un ventre de poussah, des lèvres boudinées, une fossette boudeuse, les cheveux pleins de bouclettes, et des bijoux partout : au cou, aux oreilles, aux doigts, poignets, chevilles, que probable, si tu voudrais bien te donner la peine de parier, il doit avoir une orerie quelconque aux burnes.

Son compagnon, aussi gras, aussi rose, aussi barbu, mais barbé de brun, pourrait après tout être son fils s’ils ne faisaient à ce point pédoques tous les deux, dans leur graisse, leurs poils, leurs ors.

Ils bouffent avec application et jubilation interne.

Du foie gras arrosé de Château d’Yquem 1967, merde, faut pouvoir s’offrir tout ça. Nous autres, en pleine reconversion sociale, du foie gras et de l’Yquem, à moins qu’ils soient remboursés par la Sécu (f.d.) c’est pas demain la veille.

Ils clappent de la manière ci-dessous :

Chopent un toast croustillant fait à la seconde par une amazone blonde, déposent dessus une tranche de foie gras venu par jet spécial de chez Girardet (Helvétie), puis une tranche de truffe, et l’une comme l’autre sont aussi épaisses que le toast. Ils mordent dans ce bonheur à pleines chailles. Qu’à peine la bouchée engloutie, ils éclusent un godet de Sauternes glacé ; rouvrent la main et recommencent. Bravo pour la prestation.

Ma guide se plante à quelques mètres de la table en argent massif sur laquelle ce couple surprenant fait la dînette. Immobile, garde-à-vous, fixe ! elle attend le bon vouloir.

Le quinqua engloutit une bonne demi-douzaine de toasts avant de se préoccuper de l’arrivante. De guère lasse, je m’assieds en tailleur sur le sol marmoréen.

Quand la grosse gonfle a fini son foie gras, elle rote avec brio et demande, sans seulement tourner la tête vers nous :

— Quoi, Barbara ?

— Le journaliste français, mister France.

— Oh ! yeah !

Le mec daigne alors me visionner. Il a la bouille de Carlos, en blond, en pas très sympa.

Me voyant assis par terre, il sursaute.

— Il est malade, ce type ?

D’une détente j’exécute un rétablissement qui me remet à la verticale.

— J’ignorais si l’attente serait encore longue, mister France, et je tenais à conserver tout mon potentiel énergétique pour le moment où vous vous intéresseriez à moi.

Le barbu éclate de rire. Sa main courtaude, ruisselante de gemmes, se pose sur la cuisse d’haltérophile poids lourd de son petit ami.

— Il est marrant, ce Frenchman, dit-il.

Son giton reste crispé. Souvent, les petits amis des souverains se croient obligés de faire la gueule pour se composer une autorité qu’ils n’ont pas. J’ai déjà remarqué : les courtisans des vedettes, les minets des pédales fameuses ou des grossiums, tous arborent une mine compassée (qu’ont passé dessus) afin de marquer de l’hostilité. Instinct de préservation. Ils ont peur de ce qui rapplique de l’extérieur, voire également de ce qui, à l’intérieur de la place, risque de mettre la leur en cause. Faut calmer le jeu, désamorcer l’enthousiasme, neutraliser la sympathie. Ils vigilent sur leur territoire, prêts à le défendre bec et ongles. J’en ai connu, des noms à pas citer sur livre, because procès. Les ai regardés avec rassurance, pas qu’ils redoutent de moi qui ne veux rien, ne serai jamais suceur — cireur à la cour, moi qui paie pour qu’on ne me paie pas. Les devants ! Seulâbre ! Liberté ! Tu piges ? Merci.

France a lâché le cuissot de son pote et, de ses deux mains d’empereur romain, masse doucement son propre ventre.

— On finit le petit déjeuner et on passe à table, me dit-il. Vous buvez quoi ? J’ai un bourbon qui pourrait rivaliser avec vos meilleurs armagnacs.

— En ce cas, il ne faut pas le boire, mister France, mais le garder pour le musée de la pharmacie.

Ma réplique accroît sa jubilation.

— Il est inouï, non ? insiste-t-il en posant cette fois sa main sur le maillot de son chérubin où il ne se passe rien qui mérite d’être signalé à l’attention des populations.

Le barbu brun prend un air de constipé chronique et renfrogne de plus rechef.

— En ce cas, dit France, que voulez-vous boire ?

Je désigne la bouteille ambrée qui a les fesses dans la glace.

— Un demi-verre de ce nectar me ferait éjaculer de plaisir, mister France.

— Facile !

Il claque des doigts à l’intention de son esclave en cuir noir (et mains blanches lascives) pour lui intimer d’apporter une nouvelle bouteille et un verre.

— J’admire votre art de vivre, déclaré-je sans jambage. Fichtre ! foie gras et Château d’Yquem au petit déjeuner, dans un cadre pareil et avec un joli garçon comme mademoiselle, fais-je en désignant l’éphèbe barbu.

France part d’un nouveau rire. Son minet (angora) gronde comme un doberman quand tu t’approches trop près de sa gamelle.

— Puisque vous êtes français, déclare soudain le grand boss des pompes funèbres et d’une chiée d’autres entreprises, vous allez pouvoir me rendre un service.

— Avec plaisir, mister France.

— Avant le repas, j’aimerais que vous me décoriez de la Légion d’honneur.

Sa requête me déconcerte, mais passagèrement, car j’en ai entendu d’autres au cours de ma prestigieuse existence.

— Ce serait volontiers, hélas ! je n’en ai pas sous la main.

— Ne vous tracassez pas : un ami m’en a offert une de toute beauté, en or enrichi de brillants, qui appartint à je ne sais plus lequel de vos hommes illustres, Louis XIV peut-être… Cet ami se trouvant être américain n’a pu me décorer. Vous tombez à point nommé.

— Eh bien, ma foi, résigné-je, si vous estimez que je puis faire l’affaire…

— Evidemment.

Il jette à la vestale :

— Eva, ma Légion d’honneur, dans ma chambre…

La fille va pour s’éloigner, mais moi :

— Un moment, please !

Et à France :

— Il conviendrait que vous passiez un veston, mister France, car je n’oserais accrocher cette décoration à votre slip de bain, de peur de vous blesser à un endroit délicat.

— Juste ! admet le monarque. Amenez une veste de smoking pendant que vous y êtes, Eva. Dans les blancs, ça crachera davantage. Quoiqu’un rose serait mieux en harmonie. Faites venir mes musiciens et mes chargés de presse.

Il est tout gamin, P. J., trémousseur, content. Il caresse à tout bout de champ le sexe de son jeune camarade, éclate en rires brefs mais stridents.

Alors bon, que je gaze un peu.

On livre la bouteille d’Yquem 67, sublime, à goût de fleurs de tilleul et de miel sauvage, un vin que tu manges plus que tu ne le bois, car tu le mâches. Et quand tu l’as avalé, c’est pas terminé : la fête continue en profondeur, et l’âme te chante.

Et puis un orchestre se pointe : trente-deux musiciens en uniformes jaunes portant le monogramme du P.-D.G. au revers.

Et l’Eva ramène deux vestes de smok : l’une rose suave, l’autre blanc virginal.

Et encore voilà six photographes, un cameraman, un preneur de son, un chef opérateur.

P. J. France se lève en soupirant. Une fois qu’il est à la verticale, tu t’aperçois qu’il est tout petit et beaucoup plus gros qu’assis. Son bide a quelque chose de phénoménal. La fortune que représente une brioche pareille, c’est pas chiffrable ! Ces tonnes de caviar, foie gras, truffes, homard, mon neveu ! Ça impressionne. Y aurait de quoi alimenter le Biafra, l’Inde, les favellas de Rio ! Mais c’eût été moins spectaculaire, moins complet comme réussite.

— On y va ? demande France.

— Je suis à votre disposition.

Il hésite entre les deux vestes, place sa Légion d’honneur (une pièce rare qui a dû coûter un saladier chez un antiquaire spécialisé dans le bijou) alternativement sur l’un puis l’autre vêtement, finit par opter pour la veste blanche qu’il enfile aussi prestement que son jules.

— Où dois-je me placer ? demande-t-il.

Je désigne la pièce d’eau.

— Cette toile de fond me paraît idéale, mister France.

— O.K., allons-y ; vous savez que je suis ému, french boy ?

— Je le conçois, mister France.

Il va se mettre au garde-à-lui. Et tu ne peux pas te figurer le combien c’est dingue, un instant pareil. Cet obèse barbu, loqué d’une veste de smok et d’un slip de bain, nu-pieds devant un triton de marbre qui crache de l’eau bleue, tandis que trente-deux musicos sont disposés à l’arrière-plan et que des flashes crépitent, qu’une caméra mouline.

France jette un ordre. La musique attaque l’hymne américain. Des pigeons blancs s’envolent à tire-d’ailes. Miss Eva, figée dans son vêtement de cuir, ressemble à une Martienne de bande dessinée. Le giton est seul à table, vautré, réprobateur.

France lui aboie un :

Stand-up ! pour garde-chioume du bagne, époque Stevenson.

En rechignant, le gros barbu flasque soulève son fond de commerce, lequel coïncide avec son fond de culotte.

Le ciel est toujours bleu au-dessus de la résidence P. J. France, des hélicoptères bien équipés y veillent.

On a arrangé les échos de manière à ce que la sonorité soit tip top. La nature, faut pas croire, mais ça se remodèle, mon pote. Si t’as la fraîche, des gusmen astucieux font le reste. A Denain on te crée des couchers de soleil sur le Pacifique, des plages d’or, des atolls ondulés, des jardins exotiques, on peut t’y amener la Méditerranée si tu veux. Il suffit de pouvoir douiller les magiciens, ils sont mâtins, les bougres, comme dit le bon Pauwels.

Quand l’hymne ricain est fini, je comprends que c’est à mégnace-gommeux de jouer.

J’empare la médaille.

M’approche du magnat maniaque.

S’agit de trémoler un peu, pour créer l’ambiance. Que juste, il me vient un pouème que je te bénéficie dans la foulée :

Déroulède ?

Des roux l’aident

A dérouler

Des roues laides.

Aragon n’a jamais fait mieux, je m’excuse. Çui-là, faut que je l’adresse à quelqu’un en hommage. Tiens, à M. maître Rheims, pour le remercier de m’avoir offert un Grand Prix de l’Académie française du dix-huitième siècle en parfait état, juste une trace de monture et quelques taches de moisissure.

Ma petite médaille aux doigts, je m’avance jusqu’à l’hurluberlu pour déclamer, d’une voix de store (Béru dixit) :

— P. J. France, en vertu des pouvoirs qui ne me sont pas conférés, en mon nom et sans celui du président de la République Française, je vous fais Grand Officier de la Légion d’horreur.

Mffui mfuifff, deux bises dans la barbouze. L’orchestre, pas bêcheur, attaque la Marseillaise. Minute de toute beauté. Tiens, prends-la, elle est à toi.

Mister France a les larmes aux yeux. Si beau, avec sa barbe, sa veste à revers de soie, sa Légion d’honneur, son slip de bain, ses beaux pattounets pédicurés.

On doit être frais, tous, immobiles sous le ciel texan dans lequel monte la chanson de Rouget de Lisle.

Croquignolets.

La cérémonie prend fin, musicos et photographes s’esbignent.

P. J. tombe la veste décorée et va piquer une tronche dans la piscaille en compagnie de son camarade de franche connexion. Oh ! les jolis dauphins ! Comme ils s’ébattent bien, se frôlant, plongeant, jaillissant, geysérant à qui mieux mieux ; barbes irisées, ventres comme des bouées d’amarrage, rires déployés.

Deux larbines venues silencieusement les attendent, pareilles à des chauves-souris, en tenant de grandes serviettes de bain noires déployées. Avec leurs combinaisons noires idem, il ne leur reste plus que de se suspendre la tête en bas pour parfaire l’illuse.

Les deux gros messieurs se laissent sécher, bichonner. Puis changent de slip avant de passer à table.

Celle-ci a été amenée au bord de l’eau vert émeraude. Toute dressée. Et faut voir comme !

— Vous ne prenez pas un petit bain avant le lunch ? s’inquiète mon hôte.

— Non, merci, j’ai déjà batifolé dans la piscine de mon hôtel avant de venir, mister France.

— Deux bains valent mieux qu’un, assure Barbamorpions.

Et comme il déclare, son gros vilain julot de merde se rue sur ma pomme et d’un coup d’épaule forcené me propulse à la baille.

Je me retrouve dans la tisane comme un glandu, avec mon costar d’alpaga et mes mignons croquenots de chez Jourdan, le bottier qui me botte. Un brin furax, espère. L’envie me démange d’assaisonner la grosse gonfle à barbe, de lui savater la frime d’importance avec, en conclusion, un shoot terrifiant dans ses petites sœurs des pauvres.

Grabotteux, spongieux, ruisseleux, je m’arrache aux tentacules de la piscine. L’escadrin de bronze doré est dur à gravir, ainsi trempé.

Bien entendu, ces deux sagouins sont pliés en deux. Je découvre enfin le rire du giton qui ressemble à un piège à loup dans un tas de broussailles.

Alors moi, tu sais quoi ?

On ne se refait pas, que veux-tu… J’ai beau être invité… Avoir une mission au four…

Je chope la table chargée de verreries, porcelaine de Sèvres-Babylone, cristaux, argenterie, caviar, vodka, toasts. Et vlaouff ! D’une détente, la file au jus.

Ça tourne à la branquignolade, ma visite. Au Laurel et Hardy belle époque.

Le gars France cesse de rigoler, son julot aussi. Ils regardent flotter les assiettes creuses, un instant avant de couler, et la nappe se gonfler, et le caviar se délayer (une boîte de cinq kilogrammes !).

— Au revoir, m’sieurs-dames !

J’adresse au couple un salut détrempé de la main. Et puis fais demi-tour.

Leurs regards me charançonnent le dos.

Malgré la chaleur, je claque des dents, because ma détrempe. Un gonzier fringué, lorsqu’il sort de l’eau, il trembille, normal.

Je quitte l’immense terrasse en me disant que ces deux zozos, merci beaucoup, ça finit par faire trop pour un seul homme.

Et je m’engage dans une allée bordée de plantes vives, très hautes. Elle oblique à droite. Je prends à droite. Ensuite, elle débouche sur une autre allée père-pend-dix-culs-l’air.

J’hésite, chope à gauche, mon agitation, ma rage m’empêchent de me concentrer.

Ce n’est qu’un bout d’un petit moment que je réalise la vérité : je suis paumé dans le labyrinthe.

Ça se sardaigne, non[4] ?

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