17. « Destination fin du monde »

Témoignage de Louise Baltimore.


Jamais je n’avais vu régner un tel calme dans la salle des opérations lorsque j’y débarquai, revenant de la chambre d’hôtel de Bill.

Tout cela est relatif, bien entendu. Je n’étais pas revenue depuis dix secondes que l’officier de garde à la synchro m’avertit de dégager le passage juste comme une centaine de soldats romains du IIe siècle déboulaient de la rampe, direction le triage.

Mais sitôt qu’ils furent passés, le coin redevint totalement calme. Les jours creux, la salle des opérations est à peu près aussi tranquille qu’un Nouvel an chinois.


Je montai au p.c. de la Porte. Lawrence était à sa console, ce qui n’avait rien d’étonnant vu qu’il ne pouvait pas la quitter. Ce qui l’était, en revanche, c’est que sur les centaines d’autres postes, ne restaient que cinq ou six gnomes en permanence. C’était un peu comme si, lors d’une expédition au Népal, vous découvriez que la moitié des sommets de l’Himalaya étaient partis faire une virée au Japon.

Un poste demeurait occupé, c’était celui du second de Lawrence, David Shanghai. Il basculait des interrupteurs, un par un, et chaque fois un voyant s’éteignait sur sa console. Il avait un vague sourire aux lèvres.

« Salut, Louise, dit Lawrence. J’espère que la mission n’a pas été trop dure.

— Lui, il l’était déjà bien assez. Mais qu’est-ce qu’il y a ?

Où sont-ils tous passés ? Je croyais qu’on suspendait les escamotages tant que le paradoxe ne serait pas résolu ? »

Il haussa les épaules.

« On n’en avait effectivement pas programmé. Et puis cette situation s’est présentée en Afrique du Nord et on a tout simplement décidé d’y aller. Je suppose que les vieilles habitudes sont tenaces. Nous avons repêché quatre-vingt-treize centurions en excellente condition. Voilà qui fera un “bataillon perdu”, comme ils disent, je crois. »

Le tableau de David était presque entièrement éteint, à présent. Quand ne lui resta plus qu’un seul voyant encore allumé, il se tourna pour regarder Lawrence.

« Adieu », dit-il et il me fit un petit signe de tête. Il éteignit la dernière lumière.

Ses yeux se fermèrent et il s’effondra sur son siège.

« Adieu », répondit Lawrence sans même le regarder. Il était trop tard, de toute façon. David était déjà mort. Il avait éteint son cœur, son cœur situé quelque part sous son siège.

« Voilà donc où ils sont tous partis…

— Eh oui. Tu auras encore besoin de moi ?

— Ta gueule. Quelle question ! Où est Sherman ?

— Chez toi. Il m’a dit de te rappeler que ta seconde capsule temporelle attendait que tu l’ouvres d’ici une demi-heure. D’après lui, quand tu l’auras lue, tu sauras quoi faire. »

Je considérai Lawrence. Il ne me rendit pas mon regard, laissant simplement ses yeux errer sur la salle des opérations déserte.

« Es-tu vraiment prêt à te couper le jus ?

— Rien ne presse. Je peux attendre jusqu’à ce que tu aies vu Sherman.

— Venant de moi, c’est un sacré truc de te demander ça, mais… enfin, j’aimerais bien, oui. Le temps simplement que je puisse voir s’il n’aurait pas une autre idée derrière la tête.

— Tu sais où me trouver. »

Je me rendis au vestiaire pour prendre quelques vêtements. Trois de mes filles étaient là, mortes, main dans la main.

« Gommez-moi ce sourire. Ça risque de faire mauvais effet dans votre dossier. »

Elles n’eurent pas l’air d’apprécier mon humour outre mesure. Je me dirigeai vers mon vestiaire, l’ouvris et fouillai dedans. Vous parlez d’une garde-robe : j’avais là-dedans des tenues qui allaient de la peau de léopard mal tannée à la combinaison spatiale qui, pliée, tenait dans une poche-revolver. Mais ma dernière paire de jeans avait été bousillée, il y a peut-être un million d’années, par le légume qui l’avait portée et qui avait également mon visage.

Qu’est-ce que vous mettriez pour aller assister à la fin du monde ? Quelle est la tenue convenable pour une extinction ?

Je choisis la robe que j’avais quand on avait embarqué le Titanic. C’était le bon temps.


J’entendis les coups de feu comme j’approchais de la station de métro qui devait me conduire au Bâtiment fédéral. Une cascade de rires ponctuait les détonations. Apparemment, les drones étaient partis pour se massacrer joyeusement.

Je ralentis le pas. Les armes que le G.O. permet aux drones de porter sont assez puissantes pour vous faire sauter la cafetière – pour peu que vous vous mettiez le canon dans la bouche – mais elles étaient sans comparaison avec ma puissance de feu ! Et je n’étais pas d’humeur à liquider une troupe de drones – même à tendance suicidaire.

Les bruits s’éloignèrent et j’entrai dans la station. Il y avait six ou sept corps. L’un d’eux bougeait encore. Je m’approchai de la fille et la retournai. Elle avait pris quatre ou cinq pruneaux, était couverte de sang et quelque peu surprise.

« Ça fait mal », dit-elle. J’acquiesçai.

« Il se pourrait bien que tu tiennes encore deux heures.

— Oh, j’espère que non. »

J’acquiesçai encore et pris sa tête entre mes mains. Elle leva les yeux vers moi et sourit.

« J’aime bien votre robe », dit-elle.

Je lui rompis le cou.


Cette fois, il n’y avait pas un chat au Féd. J’allai m’asseoir sur l’unique chaise de la salle. Ma seconde capsule temporelle m’attendait sur la table en face.

« Enfin te voilà, Louise, dit le G.O. Je constate que tu y es arrivée.

— Je suis arrivée, c’est déjà ça.

— Veux-tu l’ouvrir tout de suite ?

— Est-ce l’heure ?

— Pas loin. »

Je me suis donc approchée de la table et j’ai pris le rectangle de métal brillant qui gisait parmi les fragments de la brique métallique. Cette fois encore, le message était de ma main.

Pas de blague, ce coup-ci, Louise. Il existe un moyen ; tout n’est pas perdu. Sherman dit vrai. Fais exactement ce qu’il dit, sans t’occuper des avis contraires. Je te parlerai encore le dernier jour.

Le message restait muet quant à l’urgence de la situation. Une bonne chose ; je n’étais pas d’humeur à me presser, et puis j’avais renoncé au Projet. Je n’en avais parlé à personne – bien que ça n’ait plus guère d’importance.

Je gravis une éminence à la lisière de la cité et contemplai ce qu’il en restait.

Ç’avait été une sacrée ville, dans le temps. Il y avait là des édifices qui dataient de quarante mille ans. Le Féd était le plus grand.

Et puis, il y avait des constructions plus récentes. La Porte était là depuis des milliers d’années, mais les structures que nous avions édifiées pour l’abriter n’avaient pas plus de six siècles. Juste à côté se trouvait la décharge. S’étendant dans l’autre direction, il y avait les deux cent cinquante kilomètres carrés de casiers à légumes : des entrepôts bas, contenant les cent millions de casiers dont un abritait mon enfant.

Sur le troisième côté du complexe de la Porte se dressaient une série de dômes hémisphériques ; ces derniers n’étaient là que depuis deux siècles. Le frigo, la conserverie, comme on disait. Ce qui s’y trouvait en conserve, c’étaient deux cent mille être humains endormis et quatre-vingt-treize centurions romains fort perplexes qui n’allaient pas tarder à dormir eux aussi – si quelqu’un était encore là pour mener à bien l’opération.

Ils étaient maintenus en animation suspendue, à quelques degrés au-dessus de zéro. Leur cœur battait à peine. Ils flottaient dans une solution bleutée de fluorocarbone et si vous en aviez mis un à côté d’un légume, vous auriez eu bien du mal à faire la différence. Elle était essentielle, pourtant : eux avaient un esprit, des souvenirs et une vie passée.

Bon Dieu, j’imaginai d’ici le carnaval si on les avait, une fois ranimés, tous déposés sur une planète vierge.

Leurs dates de naissance s’échelonnaient de 3000 avant le Christ à 3000 après. Il y avait des soldats et des civils, des bébés et des octogénaires, des riches et des pauvres, des noirs, des blancs, des bruns, des jaunes et des verts pâles. Nous avions des nazis, des huguenots, des Boers, des Apaches, des méthodistes, des hindous, des animistes et des athées. Il y avait des voleurs minables et des auteurs de tueries, des saints et des génies et des artistes et des maquereaux et des docteurs et des chamanes et des sorcières. Il y avait des Juifs de Dachau et des Chinois de Tang-Chen et des Bengali du Bengla-Desh. Des mineurs d’Arménie et de Silésie et de Virginie occidentale. Des astronautes d’Alpha du Centaure. Nous avions Ambrose Bierce et Amelia Earhart.

Les nuits d’insomnie, je me demandais toujours le genre de société qu’ils formeraient une fois débarqués sur la Nouvelle Terre.

Partant des conserveries, un monorail menait au spatioport, à peine visible dans le lointain. Dressées là-bas se trouvaient une douzaine de navettes, plus guère utilisées à présent… et la Nef.

La Nef était presque achevée. Deux ou trois ans encore, et on y serait arrivé.


Sherman attendait sans trahir le moindre signe d’impatience. Il n’était pas assis dans la posture du lotus, mais il arrivait à ressembler au Bouddha. Je le considérai en me demandant s’il voulait que je sonne des clochettes, que j’allume de l’encens ou quoi… Mais je toussais méchamment depuis mon retour du XXe radieux et toutes affaires cessantes, je fonçai droit vers le revitaliseur. Je m’assis pesamment. Dès que je me fus branché la prise ombilicale, la machine commença ses prélèvements.

Je demandai : « Quels sont les ordres ?

— Ne le prends pas ainsi, Louise. Je n’ai pas demandé à le faire.

— Moi encore moins. Mais on prend ce qu’on a, pas vrai ?

— Il le faut bien.

— Dorénavant, je te considérerai comme l’Œil tout-puissant. Je vais supposer que tu sais tout sur toute chose. Et supposer que tu connais mes pensées avant même que je les pense. Et tu sais quoi ?

— Tu t’en fous totalement. »

Je haussai les épaules. « D’accord, quand tu parles à un prophète infaillible, tu n’as jamais l’occasion de prononcer tes meilleures répliques. Ça doit être mortel, non, de savoir à l’avance exactement ce qui va arriver.

— Mortel n’est peut-être pas le terme adéquat. »

Je réfléchis à sa réponse et parvins à en rire.

« Je suppose. Tu sais que j’ai démissionné ?

— Je sais. Et que tu as enfreint la sécurité en avouant à Bill qui et ce que tu étais réellement, du mieux que tu as pu, mais qu’il ne t’a pas crue.

— Pourquoi tenais-tu à ce que je lui dise que je le reverrais le soir même ? J’étais déjà retournée dans le hangar. Je ne pouvais pas revenir dans sa chambre d’hôtel.

— Je voulais garantir qu’il se trouverait bien dans le hangar pour t’y rencontrer, comme nous avions déjà pu le constater. »

Celle-là me cloua le bec un moment. La réponse était évidente, mais je ne la croyais pas parce que tout mon entraînement me forçait à considérer la situation sous un angle bien particulier. Puis je vis.

« Tu poussais au paradoxe.

— Correct.

— Pourquoi ne pas me l’avoir dit ?

— L’aurais-tu fait ? »

J’étais incapable de répondre. Sans doute pas.

« Le Conseil n’aurait pas autorisé la mission, non plus, poursuivit-il, si je leur avais dit que son but était d’assurer que Smith et toi alliez effectivement vous rencontrer. Ta rencontre avec lui, voilà la cause première qui a fait que la situation paradoxale nous a échappé.

— Alors à quoi bon ? Pourquoi suis-je revenue ? »

Il réunit en pont le bout des doigts et demeura un long moment silencieux. À cet instant, il avait l’air étonnamment humain.

« Au sein du Projet de la Porte, nous sommes tous prisonniers d’une certaine perspective », commença-t-il enfin. « Nous voyons ce moment-ci comme le présent, entre guillemets. Quand nous remontons le temps, nous y pensons comme à un voyage dans le passé et le retour comme à un retour au présent. Mais lorsque nous arrivons dans le passé, c’est vraiment le présent. C’est le présent de ceux qui y vivent. Pour eux, nous sommes venus du futur.

— C’est plutôt élémentaire.

— Certes, mais je parle de perspective. Dirigeant la Porte comme nous le faisons, nous ne sommes pas accoutumés à la perspective de Bill Smith. Nous ne sommes pas habitués à cette idée de l’existence d’un futur qui soit le présent de quelqu’un d’autre. »

Je me redressai.

« Bien sûr que si. J’ai reçu un message du futur pas plus tard que tout à l’heure. Me disant de te faire confiance.

— Je sais. Mais de qui était-il ?

— De moi, tu le sais. Du moins…

— D’une version future de toi-même. Mais tu ne l’as pas encore écrit.

— Si tu vas par là, je n’ai pas encore non plus rédigé le premier. Et je ne suis pas sûre de le faire.

— Tu n’as pas besoin. Regarde ça. » Il me tendit deux plaques métalliques. Je savais ce qu’elles devaient être, mais les regardai quand même. Je les jetai par terre.

« Falsifier une écriture n’a rien de difficile, Louise. Le G.O. a confectionné ces plaques sans grand effort. Elles seront réexpédiées d’ici quelques heures. »

Je soupirai. « D’accord, tu m’as fait aller et venir, je l’admets. Mais tu ne m’as toujours pas dit pourquoi un paradoxe était préférable à un autre.

— Il y a plusieurs raisons. Dans un paradoxe, celui que tu aurais provoqué en ne retournant pas la nuit avec Bill Smith, tu aurais disparu à l’instant même où tu aurais raté l’heure de ton retour par la porte. Parce que, vu du côté du futur, tu l’avais déjà franchie, cette Porte. C’était devenu partie intégrante de la structure des événements – au même titre que la perte du paralyseur.

— Mais cette perte n’en faisait pas partie. C’est bien là tout le problème.

— Justement si. Je suis en train de t’expliquer que le paradoxe est intégré dans la structure du temps. Que les événements que nous observons depuis tant et tant d’années représentent l’illusion et que la nouvelle réalité qui est en train de dévaler la ligne temporelle est la vraie réalité. Et nous n’en faisons pas partie. »

Il me flanquait la migraine. La théorie du temps n’a jamais été mon fort. Je m’accrochai à ce terme de théorie : « J’avais cru justement que tout cela n’était que des théories. Qu’on ne savait pas réellement ce qui se passait dans un paradoxe.

— Ce n’étaient que des théories. Mais j’ai reçu de nouvelles informations auxquelles j’ai tout lieu de me fier. » Il ouvrit les mains. « Nous sommes handicapés ici par le langage. D’abord, nous n’avons pas de définition pratique de la “réalité”. Je crois que ce qui s’en approcherait le plus serait de dire que chaque série de possibles engendre sa propre réalité. Il y a celle que nous avons examinée, dans laquelle Smith n’a jamais retrouvé le paralyseur et elle est liée avec celle où il n’aurait pas pu le trouver tout simplement parce qu’il n’a jamais été perdu.

— Mais ce qui nous préoccupe ici, c’est celle où il a bel et bien été perdu et où il l’a bel et bien trouvé et où la réalité se ré-ordonne d’elle-même. Et s’apprête en passant à nous oublier.

— C’est exact. Jusqu’à plus ample informé.

— J’ai bien peur, personnellement, d’être incapable d’aller plus loin. Ce que tu es en train de dire, c’est que… peu importe que j’y sois ou non retournée. Si je n’y étais pas allée, j’aurais simplement disparu plus vite. »

Il me considéra de son visage maintenant bien plus expressif et j’y lus quelque chose que je ne sus identifier.

« Dans une perspective à long terme, ça peut certes n’avoir qu’une importance minime, dit-il, mais personnellement, je préférerais un univers où tu serais encore là à un autre où tu as déjà disparu. »

Je ne savais que dire. Je fis passer sa remarque à travers la mécanique fatiguée qui me tient lieu de cerveau et j’en ressortis avec quelque chose. Deux choses :

« Merci. » – c’était la première. « Mais avais-tu réellement le choix ?

— Je ne sais pas. Si le message de ma capsule temporelle m’avait dit de t’éliminer de la trame temporelle, je préfère penser que j’y aurais désobéi. Par chance, ma seule possibilité était de faire ce que j’ai effectivement fait – et qui était également ce que je désirais faire.

— Avons-nous un libre arbitre, Sherman ?

— Oui.

— Tu peux dire ça, en sachant ce qui va se produire et que je m’apprête à faire ?

— Oui. Je n’essaierais pas de te convaincre de ce que tu dois faire si je ne croyais pas à notre libre arbitre. »

Cela me donna à réfléchir.

« N’essaie pas de me bourrer le mou, Sherman. Tu sais que j’ai démissionné et malgré tout, tu sembles dire qu’on peut encore faire quelque chose. Si on doit le faire, il va d’abord falloir que tu me persuades de rempiler. »

Il m’adressa un large sourire. Je vous jure.

« Nous avons bien un libre arbitre, Louise. Simplement, il est prédestiné.

— Je suis fatiguée de ces jeux sur les mots. Tu sais que je suis à deux doigts de rejoindre la majorité et de sauter par la fenêtre, là derrière. Tu sais également que tu n’as qu’un seul moyen de m’en empêcher et qui est de me dire ce que tu sais et ce que tu comptes faire. »

Et donc il me le dit.


J’avais fini par être certaine que l’univers ne pouvait plus me surprendre, encore moins m’intéresser. J’avais tort. Il parvint à faire les deux en l’espace de dix minutes.

Et pendant que Sherman me racontait tout cela, mon revitaliseur – qui m’avait bourré de médicaments et d’éléments nutritifs tout en examinant mon état physique – m’en apportait la confirmation.


Mon immeuble – déjà pas gai en temps normal – me parut lugubre lorsqu’accompagnée de Sherman, je pris le trottoir roulant. La nouvelle s’était répandue que la fin du monde était proche. Rares étaient les drones à vouloir y assister. Leurs corps jonchaient l’atrium. Non, joncher est un mot trop fort. Si l’on voulait bien y regarder, les Derniers Âges n’étaient guère en mesure de produire d’impressionnantes scènes de carnage : nous avions peut-être trois cent mille drones dans une ville bâtie pour trente millions d’habitants. Les corps étaient disséminés avec goût. Il y avait là-dedans quelque chose de japonais : un long corridor très Bauhaus, avec un cadavre, un seul, légèrement de biais. L’art de la composition corporelle.

Il y avait un couple qui avait scellé son pacte suicidaire en plein coït. Je trouvai l’idée plutôt chouette, après tous ces foutus maniaques de la chute libre. Une manière de retour à l’essentiel pour vivre ses derniers instants.


Le suicide a toujours constitué notre passe-temps national. À présent, c’était devenu une épidémie. En entrant dans la salle du Conseil, nous découvrîmes qu’il n’en restait plus que cinq. Plus question de jouer la finale de base-ball, peut-être qu’on pourrait se rabattre sur le basket.

L’Anonyme était encore là. Je me demandai s’il/elle/ça remarquerait la fin du monde. Présentes aussi, Nancy Yokohama et Marybeth Brest, la tête parlante. Et bien sûr, Peter Phoenix. J’imaginai qu’il tenait à être là au dernier moment afin de s’assurer que tout serait fait dans les formes.

Le nouveau membre était Martin Coventry. Il semblait encore avoir sa mobilité. Je suppose que le G.O. l’avait appelé faute de candidats franchement décatis.

J’étais fière de Sherman. Il faut lui reconnaître l’art de la mise en scène. Il connaissait la fin de l’histoire et pourtant, il se donnait à fond. Il se dirigea droit vers leur grande table incurvée et s’y assit, négligemment, sur une fesse. Marybeth lui jeta un regard méprisant. Il se pencha et lui ébouriffa les cheveux.

« Vous devez sans doute vous demander pourquoi je vous ai convoqués ? »


Le G.O. fit pour une fois une exception en raison des infirmités du Conseil. Les faire venir au Féd aurait impliqué quantité de préparatifs logistiques, étant donné que la plupart de leurs fonctions organiques ne s’effectuaient que grâce à plusieurs tonnes d’appareillage médical. On fit donc parvenir les cinq capsules temporelles qui furent ouvertes en leur présence. Je les regardai lire leurs messages. Chacun disait en gros ce que ma dernière capsule avait dit : « Faites tout ce qu’il vous dira. »

Sherman leur laissa le temps de digérer ça. Puis il se redressa et leur fit face :

« Bon. Voici ce que nous allons faire. »

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