20. Le Pays de la peur

Témoignage de Louise Baltimore.


Fais tout ce que te dira Sherman, avait dit le message de la capsule temporelle. La capsule temporelle que Sherman reconnaissait avoir combinée avec l’aide du Grand Ordinateur.

Mais quel choix avait-il ? Je devais faire comme si j’y comprenais quelque chose et j’avais cessé d’avoir cette impression à peu près… eh bien, à peu près au moment où j’avais brisé le cou de cette malheureuse drone. Voilà bien la plus grande faveur que j’aie faite à quelqu’un depuis longtemps, avais-je pensé alors.


Sherman dit que nous devions retourner pour interrompre la rencontre entre Smith et Mayer. Et qu’il fallait leur faire tout un putain de cinéma.

Eh bien, on aurait pu en remontrer à P. T. Barnum.

La Porte provoque souvent quantité de phénomènes bizarres, localement, quand elle débouche dans le passé. Il existe trois douzaines de dispositifs destinés à annuler ces effets quand on a envie d’arriver, mettons, au beau milieu de la salle de lecture d’une bibliothèque. Sherman avait demandé à Lawrence de tous les déconnecter, avec pour résultat que si nous avions prévu de débarquer à Times Square le soir du nouvel an, on aurait été les plus bruyants du patelin. Et pour faire bonne mesure, on leur avait rajouté un bon paquet d’effets spéciaux, histoire de les rendre nerveux.

À partir de là, j’improvisai. Je crois que même Sherman a dû être surpris quand je le fis passer pour une machine à torturer ambulante. Mais enfin, les surprises ne devaient pas manquer cette nuit-là. Moi par exemple, j’avais parfaitement cru qu’il était important de récupérer le paralyseur entier. Mais Sherman pensait différemment.


« Tu ne m’as pas dit toute la vérité », lui dis-je, sitôt la Porte franchie.

« Je t’ai dit ce que je savais, répondit-il. Maintenant, nous revenons à ma position de repli. Et entre-temps, nos amis semblent quelque peu souffrir de désorientation. »

Il avait raison. Tant Bill Smith que Mayer semblaient assommés. Je crus que Mayer allait être malade.

On ne peut pas y faire grand-chose. Soit ils passaient le cap, soit ils devenaient fous. Il ne nous fallut pas longtemps pour être certains qu’ils s’en tireraient. Quand j’estimai Mayer en état de me comprendre, je m’agenouillai à côté de lui et fixai mon bonhomme :

« Okay. Faut-il vous amener votre fille ici ou bien allez-vous me dire ce que j’ai besoin de savoir. Permettez-moi de vous rappeler que nous n’avons plus beaucoup de temps pour monter une opération quel que soit le lieu ou l’époque que vous m’indiquerez. »

Il semblait dubitatif, mais encore légèrement ahuri. « Vous ne me renverriez pas ?

— Quel intérêt ? Sherman dit qu’il a de toute manière encore un atout dans sa manche, mais je veux retourner chercher le reste de ce paralyseur.

— Ce n’est pas nécessaire.

— Pourquoi ça ?

— Parce que je ne l’ai jamais eu. L’homme qui me l’avait vendu avait déjà vidé la machine.

— Qu’est-ce qu’il a fait de l’intérieur ? »

Mayer avait l’air nerveux. Je ne l’en blâme pas. Le plus clair de ma démonstration dans son bureau avait été du flan, mais je crois qu’il en avait avalé au moins une partie et je veux bien être pendue si en ce moment même je n’avais pas l’air dangereux.

« Le type était un artisan. Il tenait une boutique de souvenirs au bord de la nationale, où il vendait de l’argenterie, des bijoux. Il m’avoua que lorsque le… le paralyseur avait cessé de produire ses agréables picotements, il l’avait démantelé et monté les fragments qui lui paraissaient les plus intéressants dans des boucles de ceinturon ou bien des bagues. »

Il s’écarta légèrement de moi. Je ne lui en veux pas. Je savais que je devais prendre le parti soit de l’assommer, soit d’en rire.

« J’ai seulement dit que je savais où il était. Je le sais : il est éparpillé sur tout le continent. Et totalement inoffensif. »

Je ris.

« Doc, lui dis-je. Vous venez à l’instant de fermer la division des opérations du Projet de la Porte. Je suis au chômage. »

L’heure me semblait venue de mourir.


Ce n’était pas le cas, pas encore tout à fait. Mais je commençai d’y songer.

Il y avait d’abord eu le problème de la fille de Mayer, et ma promesse. Je pressai le bouton d’alarme sur la console de Lawrence. Durant un instant, rien ne se produisit. Puis j’entendis une voix lasse.

« Mouais, qu’est-ce que c’est, bordel ?

— Mandy, c’est toi ?

— Qui d’autre, bordel ? Qui d’autre pourrait bien rester planté dans cette putain de salle de préparation en compagnie de trois cadavres bougrement plus heureux que moi, rien que pour le cas (fort hypothétique) où mon intrépide chef aurait besoin de moi, quand je pourrais être en route pour le pays des rêves depuis des heures ?

« Tiens, justement, combien qu’il nous en reste, d’heures ?

— Mandy, tu es ivre à ton poste ?

— Ivre, ivre ! Est-ce que l’ours va chier dans le bois ? Est-ce que…

— Ça va, ça va, Mandy. Il reste dans les vingt-quatre heures avant qu’on disparaisse soudain sans douleur. Es-tu encore à ton poste ? Ou as-tu démissionné ? »

Je crus bien qu’elle s’était endormie. Puis elle reparla :

« Qu’est-ce que tu veux ?

— J’ai avec moi un blaireau qui a envie de revoir sa fille. Elle est au frigo. Je vais demander au G.O. de la réchauffer si tu veux bien le conduire là-bas. »

Mandy Djakarta, la fille la plus dure que j’aie jamais connue, fondit en larmes.

Elle sanglota : « Seigneur, moi qui adore les fins heureuses. »


Mandy apparut bientôt pour emmener Mayer. Je restai avec Smith, Lawrence, Sherman et Martin Coventry, entré avec Mandy. Bill reluqua Lawrence, l’ultime survivant des gnomes de l’équipe de contrôle. Je ne voyais pas où était le problème puis je le vis avec le regard du XXe siècle de Smith et compris que Bill était révulsé par l’aspect de Lawrence. Ce dernier l’ignorait totalement, ne daignant même pas reconnaître son existence. Une seconde, je me sentis plus proche de Lawrence que je ne l’avais jamais été depuis… depuis qu’il était parti en morceaux et s’était retrouvé lié à sa console. Qui était ce ringard de vingtième pour venir nous juger ? En même temps, je m’identifiais à Bill. Je ressentais la même chose que lui, j’avais ressenti la même chose toute ma vie. C’est toi d’ici un an ou deux, Louise.

Au moins, je n’aurais plus à affronter ça.

« Auras-tu encore besoin de moi pour autre chose, Louise ? » demanda Lawrence. Le sous-entendu était clair. J’étais sur le point de lui dire d’y aller et de se débrancher.

« Un bref instant, encore, Lawrence, s’il vous plaît, dit Sherman.

— D’accord, mais je vous préviens : à dix minutes du bouquet final, je vous tire ma révérence. J’y ai pas mal réfléchi et j’ai décidé que je préférais mourir plutôt que… je ne sais quoi. Mieux vaut vivre et mourir que ne pas avoir vécu du tout. Ça vous paraît se tenir, Sherman ?

— Certes. Et je respecte votre décision. Mais faites-moi encore confiance. »


Bill avait beaucoup toussé. C’était miracle qu’il ne crache pas le sang. Il était resté une heure à respirer notre air avant que Martin n’arrive avec un masque à oxygène.

Sherman nous conduisit tous les quatre au balcon qui dominait le cimetière d’épaves. Bill contempla les détritus de nos opérations ; on voyait sans peine qu’il était impressionné.

« Le choix de Lawrence a eu du succès, m’informa Martin. Je crois avoir eu le mandat le plus court qu’ai jamais vu le Conseil qui était déjà pourtant connu pour son caractère fugitif. Ils sont tous morts.

— Même Phoenix.

— Même lui. En un sens, je suppose qu’à présent, c’est moi le Conseil.

— Ça devrait simplifier les choses… Eh, au fait, combien de gens reste-t-il en tout ? »

Sherman prit un air pensif, ce qui signifiait qu’il s’interfaçait avec le go. Le G.O. répondit pour lui, d’une voix jaillie de nulle part – ce qui fit sursauter Bill.

« Sans compter les trois cents millions de légumes qui sont techniquement vivants et les deux cent mille blaireaux en animation suspendue… la population de la Terre s’élève actuellement à deux cent neuf individus. Rectification : deux cent huit… – rectification : deux cent sept.

— Je vois le tableau. Alors Mandy était sans doute la dernière opératrice qui me restait.

— En un sens », confirma le G.O. « Elle a absorbé une drogue à tous coups fatale, mais qui va lui procurer six heures de plaisir pur.

— Tant mieux pour elle. »

Bill ne nous avait pas entendus. Il regardait le ciel. J’utilise le mot ciel au sens figuré ; il était au-dessus de nos têtes, donc ce devait être le ciel. Mais je sais qu’il n’avait rien de commun avec ce qu’il avait l’habitude de voir en levant les yeux.

« On peut dire que vous avez fait un sacré gâchis », remarqua-t-il.

Je n’en croyais pas mes oreilles.

« Nous ? Nous avons fait un sacré gâchis ? Tu ne vas quand même pas croire que c’est nous qui sommes arrivés à un tel résultat !

— Alors, comment cela s’est-il produit ?

— Ça a commencé du temps de ton arrière-grand-père avec la révolution industrielle. Mais c’est vous, bande d’innommables fils de pute, vous et votre putain de génération qui avez réellement donné le signal. Vous avez vraiment cru, qu’il n’y aurait jamais de guerre nucléaire ? Il y en a eu dix-neuf. Dix-neuf. Vous avez vraiment cru que les stocks de gaz asphyxiant resteraient bien tranquilles, que personne ne les utiliserait ?

— Du calme, Louise », dit Sherman.

Tu parles.

« C.B.N, c’était votre terme : Chimique, Biologique, Nucléaire. Vous bâtissiez des plans comme si le monde pouvait y survivre, comme si c’était simplement une autre guerre qu’on pouvait gagner. Eh bien merde, on a peut-être tenu un bout de temps, mais voilà où on en est.

« Les pestes, ça a vraiment été le bouquet. Ajoute des microbes élevés en laboratoire à un niveau élevé de radiation et ce que t’obtiens, c’est des germes capables de muter bougrement plus vite que nous. On a fait de notre mieux. On s’est battus avec tout ce qu’on avait. Mais vos arrière-petits-enfants en sont venus à la guerre génétique. Si bien qu’aujourd’hui la peste fait partie intégrante de nos gènes. On peut lutter contre tant qu’on veut. Elle continue d’évoluer. Tu croyais peut-être qu’on avait initié le Projet de la Porte pour s’amuser ? Tu ne vois donc pas ce que c’est ; c’est notre planche de salut, un ultime effort désespéré pour sauvegarder quelque chose de la race humaine. Et ça ne va même pas marcher.

— Ça va marcher, Louise, dit Sherman.

— D’accord, Sherman. Voilà la grande question. Le moment est venu de me dire les dernières choses que tu tiens encore secrètes ou sinon, je rends mon tablier et je laisse votre bande de zombis se dépatouiller avec l’univers à partir de maintenant. Alors, comment ça se goupille pour marcher ?

— Tu te rappelles que j’avais parlé de perspective ?

— Je me rappelle.

— Que Bill se croit dans l’avenir alors qu’en réalité il est dans le présent, au même titre que toi et moi.

— Tu ne m’apprends rien de neuf.

— La réponse est simple. Tous les gens que nous avons recueillis, nous allons les expédier dans l’avenir. »

J’ouvris la bouche pour répondre. Je fus incapable d’aller plus loin.

« C’est stupide », parvins-je enfin à articuler, « la Porte n’ira pas dans l’avenir.

— Pas tout à fait exact, intervint le G.O. La Porte existe dans l’avenir. Elle emporte bien les gens dans le futur chaque fois qu’elle récupère l’une de nos équipes d’escamotage.

— Ouais, mais on m’avait dit qu’on ne pouvait pas aller de l’avant en partant d’ici. De l’instant présent.

— C’est presque vrai, dit le G.O. Envoyer quoi que ce soit plus loin dans le temps détruirait la Porte. Certains effets secondaires du processus détruiraient également cette cité en laissant à la surface du sol un cratère de trente kilomètres de profondeur. En d’autres termes, le voyage depuis un présent arbitraire vers un futur théorique est une opération qui ne pourrait s’effectuer qu’une seule fois, puisque la Porte n’existerait plus après le voyage.

— C’est bien ce que je disais. On ne peut pas…»

Et je m’interrompis. S’il y avait existé une constante dans mon existence, c’était bien la Porte. Les générations passées avaient pu parler de l’immuabilité des étoiles dans le ciel, ou de la régularité des levers de soleil. J’avais bien moins confiance en ces phénomènes qu’en la pérennité de la Porte.

« Nous n’en avons plus besoin », dit le G.O.

Un voyage. Un vachté de grand voyage dans l’avenir.

« T’as intérêt à viser loin.

— Sans aucun doute », me répondit le G.O.


Les dernières vingt-quatre heures furent consacrées à quelques détails de procédure. Il fallut également faire montre de persuasion. Et je ne sais toujours pas si on ne m’a pas bourré le mou avec des histoires.

Pourquoi le paradoxe ne va-t-il pas malgré tout les annihiler, même s’ils s’en vont un million d’années dans l’avenir ? Tous ces bons blaireaux endormis seront bien toujours le résultat d’opérations qui, à cause même du paradoxe, n’ont jamais eu lieu, pas vrai ?

Pas du tout, dit le G.O. Pas si nous allons suffisamment loin dans l’avenir. L’élasticité du flux temporel est plus grande que nous ne l’avions cru. Cinquante mille ans, c’est un clin d’œil en comparaison du voyage qu’envisageait le G.O. Les choses finiraient par se tasser et tout serait comme si les blaireaux avaient émergé d’un univers différent.

Je me demandais depuis combien de temps le G.O. était au courant – si effectivement il le savait – et pourquoi il n’en avait rien dit jusque-là. À ce moment, je me défiais pratiquement de tout. Tout ce que je voulais au monde, c’était dire un gentil bonsoir, et voilà que le G.O. nous racontait qu’on avait encore une chance.

Et il demeurait monumentalement inexplicite sur cette question. « Je sais », disait-il sans qu’on pût rien en tirer de plus.

Je voulais savoir comment on allait faire franchir la Porte à deux cent mille blaireaux endormis dans le bref délai imparti. Le G.O. expliqua qu’on n’avait qu’à les embarquer à bord de la Nef. Il avait d’ailleurs déjà commencé. Si le vaisseau était incapable d’atteindre une étoile lointaine, comme prévu initialement, il était certes en mesure de survoler la cité. Tout ce qu’il avait à faire, c’était de s’engouffrer à travers la Porte et de ressortir à l’autre bout, trois ou quatre millions d’années dans le futur. Là, tous les blaireaux seraient réveillés et ils auraient tout loisir de se défoncer à créer un monde qui ne s’autodétruise pas au bout de deux millénaires. C’était si chouette. Si simple. Pourquoi avais-je donc l’impression qu’on me blousait ?


Bill Smith, c’était encore un autre problème. Il avait plongé dans ce projet délirant avec tout son cœur et bientôt parlait de tout ce qu’« on » ferait dès qu’« on » serait arrivés. Le pauvre ringard croyait vraiment que je pourrais le suivre.

Bah, pourquoi lui gâcher son plaisir ? Je n’étais pas pressée de lui révéler la gravité de mon mal, lui révéler que ce qu’il voyait n’était qu’une seconde peau, et que j’étais le symbole de mon époque : étiolée, pitoyable, au bout du rouleau. Je me retrouvai donc à l’assurer que lorsque viendrait l’heure d’embarquer, je serais bien à ses côtés, prête à filer – zou – dans l’avenir avec tous les autres blaireaux.

Je n’en avais pas la moindre intention. Vient un temps où il faut savoir tirer le rideau. S’ils trouvaient un monde où ils pourraient vivre, à des millions d’années au bout de la route, ce monde-là me tuerait. J’ai besoin de quantité de choses qui sont des poisons pour les vigoureux salopards que j’ai passé ma vie à sauver. Je pourrais tenir un an peut-être, dans un tel environnement, mais quel intérêt ? Bill se croyait amoureux de moi, incapable de partir sans moi, mais moi j’avais des doutes. Qu’il ait l’occasion de me voir réellement – telle que je suis – et il en reviendrait vite.


Et je passai donc mes dernières heures à faire ce que j’avais fait toute ma vie : être une grande fille. Sherman nous avait dit, à Bill et à moi, de raconter notre histoire. Il fallait tout dire. Tout ce que nous avions vu et senti et pensé. Il s’était montré très insistant et comme je n’étais pas pressée, pressée d’en finir, je l’ai donc fait. Cette histoire, la voici.

Bill est quelque part ailleurs, à faire de même. J’espère que ça lui plaît.

Et voilà, j’ai fini.


Je me trouvais en fait à la balustrade du balcon de mon appartement lorsque je fus troublée par l’Appel du Destin. L’histoire de ma vie.

Je suppose que vous l’appelleriez le facteur. C’était un robot et il venait du bureau de poste du Féd, porteur d’une capsule temporelle à moi adressée, avec ordre de ne l’ouvrir qu’au Dernier Jour.

« G.O ! En ligne !

— Je t’écoute.

— Pourquoi m’envoyer ça ? J’avais dit que je ne voulais plus m’en mêler.

— C’est un message intéressant, Louise.

— Tu lis mon courrier, maintenant ? Quelle honte. Mais qu’est-ce que ça peut fiche ? Tu l’écris, aussi.

— J’avoue. Mais certaines choses exigent d’être faites d’une certaine manière.

— Je ne me plains pas. Brave petit soldat jusqu’au bout. Mais pourquoi devrais-je lire ce truc ? Et pourquoi devrais-je le croire ?

— C’est entièrement à toi de décider, Louise. »

Un individu à deux doigts de sauter du quatre-vingt-dixième étage est-il encore curieux ?

Révélation : Oui. Très.

Le message disait ceci :

C’est encore moi.

Tu vas te demander comment tu peux recevoir un message d’une version future de toi-même, considérant ce que tu étais sur le point de faire lorsque ce message est arrivé. Tu vas en conclure que c’est encore un nouveau tour joué par Sherman, ou le G.O., voire par un Dieu facétieux.

Tu penseras à tout cela, mais j’ai des raisons de croire que tu feras comme toujours : te conduire en bonne fille.

Le G.O. ne te dit pas toute la vérité. Il a évoqué un voyage de quelques millions d’années alors qu’en réalité il nous expédie beaucoup plus loin que ça. La Terre est sérieusement blessée et il lui faudra beaucoup de temps pour guérir.

Mais elle guérira et nous arriverons.

Je ne peux guère t’en dire plus car je vais bientôt mourir. Je sais aussi qu’un surcroît de détail ne ferait qu’accroître les affres de ton indécision. Sache simplement ceci :

Le revitaliseur a raison : Tu es enceinte.

Et tu as raison : Tu tiendras ici près d’un an, dans ce meilleur des mondes. Je sais que ça ne fait pas long, mais je te garantis que tu n’auras pas le temps de t’ennuyer. Et ça te fera un an avec lui et trois mois avec elle (c’est une fille !). Ta fin ne sera pas trop douloureuse – du moins ne l’a-t-elle pas été jusqu’à présent. Et sur ton lit de mort, tu n’auras aucune assurance que ta fille te survivra bien longtemps. Cette vie est dure. Mais tu l’auras auprès de toi, en bonne santé, et vous serez très heureuses. Tu t’assiéras avec elle et tu écriras un dernier message adressé à ton pauvre et perplexe moi passé, en te demandant comment diable il aura bien pu lui revenir. (Je ne peux te le dire, mais que serait la vie sans un peu de mystère ?)

Embarque à bord de la Nef, Louise. Pars avec lui.

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