XXII

À son réveil tardif, Adamsberg n’alla pas défier le boss des bernaches et abandonna tout projet de visite contemplative aux lacs. Il bifurqua aussitôt vers le sentier. La jeune fille ne travaillait pas le dimanche et il avait une bonne chance de la trouver à la pierre Champlain. Elle était là en effet, sourire ambigu et cigarette aux lèvres, prête à le suivre au studio.

Adamsberg trouva dans l’engouement de sa compagne un réconfort partiel au déplaisir qu’il avait subi la veille. Il fut ardu de la déloger à six heures du soir. Assise nue sur le lit, Noëlla ne voulait rien entendre, décidée à passer la nuit ici même. Hors de question, lui expliqua doucement Adamsberg en la rhabillant peu à peu, ses collègues allaient rentrer incessamment. Il dut lui passer son blouson et la mener par le bras jusqu’à la porte.


Une fois Noëlla dehors, ses pensées ne s’attardèrent pas plus longtemps sur la jeune fille et il appela Mordent à Paris. Le commandant était un homme de l’ombre et il ne le réveillerait pas à minuit un quart. À sa rigueur de paperassier se joignait un penchant désuet pour l’accordéon et la chanson populaire, et il revenait ce soir d’un bal qui semblait l’avoir réjoui.

— À dire vrai, Mordent, dit Adamsberg, je ne vous appelle pas pour donner des nouvelles. Tout roule, l’équipe suit bien, rien à mentionner.

— Les collègues ? s’informa malgré tout le commandant.

— C’est correct, comme ils disent ici. Agréables et compétents.

— Soirées libres ou extinction des feux à dix heures ?

— Libres, mais vous ne perdez rien de ce côté. Hull-Gatineau n’est pas exactement une vaste scène de cabarets et de fêtes foraines. C’est un peu plate, comme dit Ginette.

— Mais c’est beau ?

— Très. Pas d’embrouille à la Brigade ?

— Rien de complexe. Objet du coup de fil, commissaire ?

— L’exemplaire des Nouvelles d’Alsace du vendredi 10 octobre. Ou bien de tout autre journal régional ou local, je ne sais pas.

— Objet de la recherche ?

— Le meurtre commis à Schiltigheim dans la soirée du samedi 4 octobre. Victime, Élisabeth Wind. Chargé de l’enquête, le commandant Trabelmann. Accusé, Bernard Vétilleux. Ce que je cherche, Mordent, c’est un article ou un entrefilet signalant la visite d’un flic parisien et le soupçon d’un tueur en série. Quelque chose de cet ordre. Vendredi 10, pas un autre jour.

— Le flic parisien, c’est vous, je suppose ?

— C’est cela.

— Secret défense dans la Brigade ou laisser-aller en salle des Racontars ?

— Secret absolu, Mordent. Cette affaire ne me vaut que des emmerdements.

— C’est urgent ?

— Prioritaire. Tenez-moi au courant dès que vous tenez quelque chose.

— Et si je ne tiens rien ?

— Très important aussi. Appelez-moi dans un cas comme dans l’autre.

— Une seconde, intervint Mordent. Pourriez-vous m’adresser chaque jour un mail détaillant vos activités à la GRC ? Brézillon attend un rapport précis au retour de mission et je suppose que vous aimeriez que je m’en charge.

— Oui, merci du coup de main, Mordent.


Le rapport. Il l’avait totalement négligé. Adamsberg s’obligea à rédiger pour le commandant un compte rendu des prélèvements des jours passés, tant qu’il avait en mémoire les efforts de Jules et Linda Saint-Croix. Il était encore juste temps, les récents surgissements de Fulgence, du nouveau père et de Noëlla ayant fait refluer assez loin ces cartons de sueur et d’urine. Il n’était pas mécontent de se défaire demain de son dur et jovial compagnon et de se retrouver en tandem avec Sanscartier le Bon.

Tard le soir, il entendit une voiture freiner sur le parking. Il jeta un œil par son balcon et en vit descendre le groupe de Montréal, Danglard en tête, courbé sous l’averse de neige. Lui, il aurait bien envie de lui donner l’heure, comme aurait dit le surintendant.

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