XXXVIII

L’accueil d’un individu exténué et sans bagages ne perturba pas Basile, dès l’instant où l’homme lui était recommandé par un mot de Violette, autant dire un laissez-passer gouvernemental.

— Ça t’ira-tu ? demanda-t-il en lui ouvrant la porte d’une petite chambre.

— Oui. Merci beaucoup, Basile.

— Tu vas avaler un morceau avant de t’étendre. Violette, ça c’est une femme, hein ?

— Une déesse Terre, pourrait-on dire.

— Et comme ça, elle a réussi à niaiser tous les cops de la Gatineau ? demanda Basile, très amusé.

Donc Basile était au courant, pour l’essentiel. C’était un type petit et rose de teint, aux yeux grandis par des lunettes à monture rouge.

— Tu peux-tu me raconter son astuce ? dit-il.

Adamsberg lui résuma l’opération en deux mots.

— Non, dit Basile en apportant des sandwiches. Résume-moi pas. Conte-moi le tout sur le long et sur le large.

Adamsberg rapporta l’épopée Retancourt, depuis son système-invisibilité à la GRC jusqu’à son système-pylône. Ce qui était pour Adamsberg une catastrophe réjouissait beaucoup Basile.

— Ce que je ne saisis pas, dit-il pour finir, c’est comment elle n’est pas tombée. Je fais soixante-douze kilos.

— Ce qu’il faut que tu comprennes, c’est que Violette connaît la game. Elle convertit son énergie en ce qu’elle veut.

— Je le sais. C’est mon lieutenant.

C’était, pensa-t-il en entrant dans la chambre. Car même s’ils parvenaient à franchir l’Atlantique, il n’allait pas revenir s’asseoir à la Brigade, les jambes calées sur sa table. Criminel recherché, en planque. Plus tard, se dit-il. Trier les échantillons, les couper en fines lamelles. Les installer un par un dans les alvéoles.


Retancourt les rejoignit vers vingt et une heures. Enthousiaste, Basile avait déjà préparé sa chambre, le dîner, et obéi à ses consignes. Il avait rapporté pour Adamsberg habits, rasoir, affaires de toilette et le nécessaire pour tenir une semaine.

— Du billard, expliqua Retancourt à Adamsberg, en mangeant les crêpes au sirop d’érable cuisinées par Basile.

Ce qui rappela à Adamsberg qu’il n’avait toujours pas acheté de sirop pour Clémentine. Une sorte de mission impossible.

— Les cops sont repassés me voir vers quinze heures. Je lisais sur mon lit, terriblement inquiète et convaincue que vous aviez eu un accident. Un lieutenant se rongeant les sangs pour son supérieur. Pauvre Ginette, je lui ai presque fait de la peine. Sanscartier était avec eux.

— Comment était-il ? demanda vivement Adamsberg.

— Il était navré. Il m’avait semblé qu’il vous aimait bien.

— C’est réciproque, dit Adamsberg, qui imagina les affres du sergent découvrant que son nouvel ami avait empalé une fille au trident, tout bonnement.

— Navré et peu convaincu, précisa Retancourt.

— À la GRC, certains le prennent pour un niais. Portelance dit qu’il a de l’eau dans la tête.

— Eh bien, il a sacrément tort.

— Et Sanscartier n’était pas de leur avis ?

— Cela y ressemblait. Il en faisait le moins possible, comme s’il ne voulait pas se salir les mains. Pas participer, pas en être. Il sentait l’amande douce.

Adamsberg refusa la seconde tournée de crêpes. La pensée que Sanscartier le Bon, couvert de lait d’amande, ne l’avait pas jeté aux loups lui fit un peu de bien.

— D’après ce que j’entendais dans le couloir, Laliberté était dans une fureur noire. Ils ont levé la surveillance deux heures après et vidé le parc. Je me suis tirée tranquillement. La voiture de Raphaël était à nouveau au parking de l’hôtel. Il est passé entre les mailles. Il est beau, votre frère.

— Oui.

— On peut parler devant Basile, continua Retancourt en servant le vin. Pour les papiers, vous ne voulez pas de Danglard. Admettons. Vous avez un faussaire dans votre manche à Paris ?

— J’en connais quelques anciens mais je ne miserais pas un ongle sur eux. Aucune confiance.

— Je n’en ai qu’un seul, mais sûr. On pourrait dormir dessus. Seulement, si on joue sur lui, il faudrait m’assurer que vous ne lui ferez pas d’ennuis. Que vous ne me questionnerez pas, que vous ne donnerez pas mon nom, même si Brézillon vous chope et vous interroge.

— Cela va de soi.

— En outre, il est rangé des voitures. Il a fait ça dans le temps et il ne le refera que si je le lui demande.

— Votre frère à vous ? demanda Adamsberg. Celui sous la robe de chambre ?

Retancourt posa son verre de vin.

— Comment le savez-vous ?

— Votre inquiétude. Et beaucoup de mots pour en parler.

— Vous redevenez flic, commissaire.

— Parfois. En combien de temps pourrait-il les faire ?

— Deux jours. Demain, on se fabrique de nouvelles têtes et des photos d’identité. On les lui scanne. En faisant au plus vite, il aura les passeports jeudi. Avec le courrier express, on peut espérer les recevoir mardi prochain et décoller ce jour-là. Basile ira nous chercher les billets. Des billets sur deux vols différents, Basile.

— Oui, dit Basile. Ils recherchent un couple, c’est plus prudent de se séparer.

— On te remboursera depuis Paris. Tu t’occuperas de tout, comme une mère de brigands.

— Pas question que vous mettiez le nez dehors présentement, confirma Basile, ni que vous payiez avec vos cartes magnétiques. La photo du commissaire sera dès demain dans Le Devoir. La tienne aussi, Violette. Depuis que tu t’es tirée de l’hôtel sans dire bienvenue, tu n’es pas en meilleure position.

— Sept jours de claustration, compta Adamsberg.

— Il n’y a pas de quoi éternuer, dit Basile. Il y a tout ce qu’il faut pour s’occuper ici. Et puis, on lira la presse. Ils parleront de nous, ce sera bien distrayant.

Basile ne prenait rien au tragique, pas même le fait d’abriter un meurtrier potentiel chez lui. La parole de Violette lui dictait son devoir.

— J’aime bien marcher, dit Adamsberg en souriant.

— Il y a un long couloir ici. Vous l’arpenterez. Violette, pour ta nouvelle tête, je te verrais bien en bourgeoise déçue. Ça te dirait-tu ? J’irai magasiner demain très tôt. Je te prendrai le tailleur, le collier, et puis de la teinture brune.

— Ça me paraît bien. Pour le commissaire, j’ai pensé à une grande calvitie, prenant les trois quarts du crâne.

— Bon, ça, approuva Basile. Ça vous transforme un homme. Costume à petits carreaux beiges et bruns, calvitie, et un peu de ventre.

— Cheveux blanchis, ajouta Retancourt. Prends du fond de teint aussi, j’aimerais le pâlir. Et du citron. Il nous faudrait des produits de qualité professionnelle.

— Le collègue qui s’occupe de la rubrique cinéma est un bon chum. Il connaît les fournisseurs des studios comme sa poche. Je me procurerai tout cela demain. Et je ferai les photos dans le labo.

— Basile est photographe, expliqua Retancourt. Pour Le Devoir.

— Journaliste ?

— Oui, dit Basile en lui tapant sur l’épaule. Avec un scoop qui soupe à ma table. Te voilà assis sur un nid de guêpes, hein ? T’as-tu pas peur ?

— C’est risqué, dit Adamsberg avec un léger sourire.

Basile répondit d’un rire franc.

— Je sais taire mon bec, commissaire. Et je suis moins dangereux que vous.

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