Chapitre 8
Le Minimoy finit par discerner quelque chose, qui, de son point de vue, n'est qu'un œil énorme. « Archibald ? », demande le petit homme avec appréhension. Arthur n'en revient pas. Cette petite chose est douée de parole.
- Euh... non, répond-il, abasourdi.
- Présente-toi ! lui rappelle le guerrier Matassalaï. Arthur reprend ses esprits et se souvient de sa mission et du temps qui lui est imparti.
- Je... Je suis son petit-fils et... je m'appelle Arthur.
- J'espère que tu as une bonne raison, Arthur, pour utiliser le rayon comme ça, prévient le Minimoy. C'est formellement interdit par le conseil. Sauf en cas d'urgence.
- C'est un cas d'extrême urgence, lance l'enfant, d'une voix tonitruante. Le jardin va être détruit, rasé, ratiboisé ! Dans moins de deux jours, il n'y aura plus de jardin, plus de maison, et donc... plus de Minimoys.
Bétamèche s'affole un peu.
- Qu'est-ce que tu me racontes, mon garçon ? Serais-tu un petit plaisantin, comme ton grand-père ? lance-t-il voulant se rassurer.
- C'est pas des blagues. C'est un entrepreneur. Il veut raser le terrain et construire des immeubles ! lui explique Arthur.
- Des immeubles ?! questionne Bétamèche, avec un air horrifié. C'est quoi des immeubles ?
- Des grandes maisons en béton qui recouvrent tous les jardins, lui répond Arthur.
- Mais c'est horrible !! lance Bétamèche, avec une expression de terreur.
- Oui, c'est horrible ! insiste Arthur, et la seule façon d'éviter ça, c'est que je puisse retrouver le trésor que mon grand-père a caché dans le jardin. Je pourrai ainsi payer l'entrepreneur et rien de tout cela n'arrivera !
Bétamèche est évidemment d'accord.
- Très bien ! Parfait ! Voilà une très bonne idée ! concède le Minimoy, délivré.
- ... Pour que je puisse trouver le trésor, il faudrait que je puisse passer dans ton monde ! précise Arthur au Minimoy qui ne semble pas avoir fait la déduction.
- Ah oui ! Mais ça c'est impossible ! lui répond Bétamèche. On ne peut pas passer comme ça ! Il faut réunir le conseil, il faut leur expliquer le problème, après ils doivent délibérer et... Arthur le coupe sèchement : « Dans deux jours, il n'y aura plus de délibération, parce qu'il n'y aura plus de conseil, parce que vous serez tous morts ! »
Bétamèche se fige. Il vient de comprendre l'importance de la situation.
Arthur jette un œil au chef africain pour s'assurer qu'il n'y a pas été trop fort.
Le chef lève son pouce, signe qu'il a bien fait. « Comment tu t'appelles ? », lui demande Arthur en remettant son œil à l'œilleton.
- ... Bétamèche, lui répond le Minimoy.
Arthur prend une voix solennelle : « Bétamèche, l'avenir de ton peuple est entre tes mains. »
Le Minimoy se met à tourner sur lui-même, affolé par tant de responsabilité.
« Oui, bien sûr. Entre mes mains. Il faut agir », se répète-t-il à voix basse.
Il gesticule tellement qu'il finit par tomber de son escabeau. « Il faut prévenir le conseil ! Mais le conseil est déjà réuni pour la cérémonie royale ! Je vais me faire lyncher si je perturbe la cérémonie royale ! »
Bétamèche se parle à lui-même, à voix haute. Il fait toujours cela quand il cherche une solution.
- Dépêche-toi, Bétamèche. Le temps presse, lui rappelle Arthur.
- Oui. Bien sûr. Le temps presse, se répète le Minimoy, de plus en plus affolé.
À force de tourner en rond, il a le vertige. Il s'arrête une seconde, puis part en courant dans un boyau, sorte de tunnel à taupe à peine plus haut que lui.
- Le Roi sera fier de moi ! Mais je vais ruiner la cérémonie ! Il va me haïr ! ressasse Bétamèche qui court à toutes jambes dans son tunnel.
Le chef des Bongo-Matassalaï s'approche d'Arthur et lui sourit. « Tu t'es bien défendu, mon garçon. »
- J'espère que ça suffira pour les convaincre ! répond Arthur, un peu inquiet.
Bétamèche court toujours au fond de son tunnel. Bientôt il déboule dans une salle immense, véritable grotte à même la terre.
Son village est là. Plus d'une centaine de maisons, faites de bois et de feuilles, de racines entremêlées, de champignons creusés, de fleurs séchées.
Souvent, des racines tressées servent de passerelles et relient les maisons entre elles.
Bétamèche s'engage dans la grande avenue, totalement déserte à cette heure-ci.
On en découvre d'autant mieux l'architecture. Un peu baroque, définitivement écolo, c'est un tissu végétal incroyable, un patchwork à taille humaine qui utilise tout ce qui existe dans la nature. Certains murs sont en terre séchée, d'autres en tiges de pissenlit serrées les unes contre les autres, en palissades.
Les feuilles séchées servent généralement de toit, mais d'autres ont préféré des copeaux de bois, posés comme des tuiles. Des petits murets, en écailles de pommes de pin, séparent souvent les maisons.
Bétamèche remonte l'avenue à toute allure, éclairé par les fleurs à boules lumineuses régulièrement plantées et qui font office de réverbères.
L'avenue débouche sur la place du conseil. Il s'agit d'un immense amphithéâtre à la romaine creusé dans la terre, formant un demi-cercle face au palais royal. Le peuple Minimoy au grand complet s'est donné rendez-vous sur cette place et Bétamèche doit maintenant fendre la foule s'il veut atteindre le conseil.
Il joue un peu des coudes, s'excuse à tours de bras et finit par se retrouver au bord de l'arène.
« Oh là, là ! En pleine cérémonie ! Je vais me faire tuer !! », se dit-il à voix basse pour ne pas perturber le silence général. Au centre de la place vide, la pierre des Sages, qui retient en son cœur l'épée magique.
L'arme est magnifique. Un acier finement ciselé et gravé de mille insignes. Mais la moitié seulement en est visible. L'autre partie est comme soudée dans la pierre. Devant l'édifice, un Minimoy a mis un genou à terre, la tête humblement penchée vers la pierre sacrée. On ne voit pas son visage absorbé par la prière, mais quelques détails dans son costume laissent penser qu'il s'agit d'un guerrier.
Des lacets lui enserrent les pieds jusqu'aux mollets. À la ceinture, différents coutelas en dents de souris et des petites bourses en peau de grains de maïs. Pas de doute, il s'agit d'un guerrier.
« Oh là, là ! On est en plein dedans ! », s'inquiète Bétamèche. La porte du palais s'ouvre solennellement. Il s'agit d'une porte immense qui mange une bonne partie de la façade du palais.
Il faut quatre Minimoys pour l'ouvrir entièrement tant elle est lourde et massive.
Deux porteurs de lumière sortent les premiers. Ce sont des Minimoys en costume officiel, bariolé et tressé de fils d'or. On dirait des costumes du carnaval de Venise. Sur leur tête, un chapeau comme une grosse boule transparente, qui retient un ver luisant.
Quand ils avancent, ils éclairent le passage au fur et à mesure, comme des porteurs de torches. Ils viennent se mettre de chaque côté de l'estrade qui s'avance légèrement sur la place, et ouvrent ainsi le passage pour le Roi.
Son Altesse arrive à pas lourds et lents. Le Roi est démesurément grand comparé aux autres Minimoys, comme un adulte par rapport à des enfants.
Ses bras sont énormes et lui arrivent aux mollets. Il porte une épaisse fourrure blanche qui rappelle les ours polaires et une large barbe dont la couleur se mélange à celle de la fourrure.
Son visage n'a pas d'âge, mais il a au moins cent ans. Sa tête semble toute petite par rapport à son corps. Plus drôle aussi, noyée dans son énorme chapeau à grelots. Le Roi approche jusqu'au bout de l'estrade. Il est suivi par quelques dignitaires, probablement le reste du conseil, qui viennent sagement se mettre sur les côtés. Un seul d'entre eux reste près du Roi. Il s'agit de Miro, la taupe. Son costume baroque rappelle l'époque du Vérone des Montaigus. Il a des petites lunettes au bout du museau et un air définitivement inquiet.
Le Roi lève ses bras énormes et la foule l'acclame. Il y a du romain dans l'air.
« Cher peuple, notables et dignitaires ! », lance le Roi, d'une voix vieillissante mais néanmoins puissante. « Les guerres successives que nos ancêtres ont dû mener n'ont apporté que malheur et destruction. » Il marque un temps, comme pour graver la mémoire de tous ceux qui ont disparu durant cette pénible période. « C'est donc en toute sagesse qu'ils décidèrent un jour de ne plus jamais faire la guerre, et de fondre dans la roche l'épée du pouvoir. »
Il désigne, d'un geste large, l'épée soudée à son édifice et le guerrier, toujours agenouillé.
« L'épée ne doit plus jamais servir, et doit nous aider à résoudre nos problèmes... en paix. »
La foule semble partager le sentiment de son Roi. Sauf, peut-être, Bétamèche, trop excité par sa mission. Le Roi reprend son discours.
« Les Anciens ont écrit, au pied de l'édifice, la loi qui doit nous guider : si un jour nos terres sont menacées par l'envahisseur, alors un cœur pur, animé d'un élan de justice, ne connaissant ni la haine ni la vengeance, pourra ressortir l'épée aux mille pouvoirs et mener un juste combat. » Le Roi pousse un long soupir plein de tristesse, avant d'ajouter : « Malheureusement... Ce jour est arrivé. » La rumeur embrase la foule et chacun confie son inquiétude à son voisin.
« Nos espions m'ont rapporté que... M. le maudit est sur le point de lancer une gigantesque armée sur nos terres. »
Un souffle de terreur glisse sur la foule. La première lettre de son nom a suffi à inquiéter tout le monde. On imagine aisément la panique si quelqu'un prononçait, par malheur, son nom en entier.
« Débattons ! », lance le Roi, comme le signal pour un joyeux chaos où tout le monde peut s'exprimer sans vraiment dialoguer. Cela ressemble plus au marché aux poissons qu'à l'Assemblée nationale.
- Y en a encore pour longtemps ? demande Bétamèche, inquiet. Le garde royal se penche un peu vers lui.
- Oh là ! On n'en est qu'au début ! lance le militaire en levant les yeux au ciel. Il reste encore : le résumé royal, le discours des Sages, l'engagement du guerrier, la ratification par le Roi et après... l'ouverture du buffet ! conclut-il joyeusement, avec un sourire gourmand.
Bétamèche se sent perdu. Ses mains s'agitent dans tous les sens, à la recherche de courage.
- Peuple ! Il n'y a pas une minute à perdre ! lance le Roi pour imposer le silence.
- Il a raison ! renchérit Bétamèche. Il n'y a pas une minute à perdre !
Le Roi fait quelques pas vers le guerrier, toujours solennellement courbé devant sa future épée :
- L'heure est grave et je vous propose donc de couper court au protocole et d'introniser immédiatement la personne qui me paraît avoir toutes les qualités requises pour cette dangereuse mission.
Le Roi avance encore un peu. Une bienveillance inattendue vient lui rosir le visage et adoucit sa voix.
- Cette personne qui, dans quelques jours, prendra officiellement ma place à la tête de ce royaume...
Un sourire d'enfant lui rajeunit le visage.
- Je veux bien sûr parler de la princesse Sélénia... ma fille. Il tend affectueusement ses deux gros bras en direction du guerrier agenouillé.
Une jeune fille se relève doucement, comme le veut le protocole, et laisse découvrir son angélique frimousse. Elle est encore plus belle que sur le dessin. Sa tignasse de fauve a des reflets mauves qui s'accordent à merveille avec ses deux yeux amande d'un turquoise maldivien. Elle fait la fière dans son petit corps d'enfant et joue les rebelles, les guerrières, mais sa grâce la trahit. C'est une véritable princesse, aussi pâle que Blanche-Neige, aussi belle que Cendrillon, aussi gracieuse que la Belle au Bois dormant, mais aussi espiègle que Robin des Bois.
Le Roi a du mal à cacher sa fierté. La pensée que ce petit bout de femme est sa fille le fait rougir.
La foule applaudit, en signe d'approbation. Il y a peu à parier que le choix de l'assistance soit issu d'une large et profonde réflexion. C'est plutôt le charme de Sélénia qui se propage comme un courant d'air.
Seul Bétamèche semble imperméable à tout ça.
« Du courage, Bétamèche ! », se lance-t-il à lui-même.
Le Roi fait un dernier pas vers sa fille.
« Princesse Sélénia, que l'esprit des Anciens vous guide », lui dit son père, solennellement.
Sélénia s'approche à son tour, tend calmement les bras vers l'épée et s'apprête à poser sa main sur la poignée quand Bétamèche intervient. « Papa ?! », hurle-t-il en fendant la foule. Sélénia est arrêtée dans son élan et tape du pied. « Bétamèche ! », dit-elle en serrant les dents. Il n'y a que son petit frère qui soit capable de faire des pitreries dans un moment pareil.
Le Roi cherche du regard son petit dernier.
- Je suis là, Papa ! dit l'enfant en venant se mettre à côté de Sélénia, furieuse.
- Tu l'as fait exprès, hein ? Tu ne pouvais pas attendre dix secondes avant de faire le clown ?
- J'ai une mission très importante, lui rétorque Bétamèche, sérieux comme un Pape.
- Ah ? Parce que la mienne, de mission, elle n'est pas importante ?! Je dois sortir l'épée magique pour aller combattre M... le maudit !
Bétamèche hausse les épaules.
- Tu es beaucoup trop orgueilleuse pour sortir cette épée de la roche, tu le sais bien !
- Dis-moi, Monsieur-je-sais-tout ! réplique-t-elle, vexée, il n'y aurait pas un peu de jalousie, dans tes propos ?
- Pas du tout ! répond Bétamèche, en levant le nez au ciel.
- Bon ! Arrêtez de vous chamailler tous les deux ! tranche le Roi en avançant jusqu'à eux. Bétamèche ?! C'est une cérémonie importante. J'espère que tu as une bonne raison pour venir la troubler de la sorte.
- Oui, Père. Le rayon des terres du haut s'est ouvert aujourd'hui, lui assure Bétamèche.
La rumeur traverse la foule qui s'agite instantanément.
- Qui a osé ? s'écrie le Roi, de sa voix de ténor. Bétamèche s'avance devant son père immense.
- Il s'appelle Arthur, dit-il de sa petite voix timide. C'est le petit-fils d'Archibald.
L'assistance est en émoi. Le nom d'Archibald résonne dans toutes les mémoires. Le Roi est un peu troublé.
- Et... Que veut-il cet... Arthur ? questionne-t-il.
- Il veut parler au conseil. Il dit qu'un grand malheur va s'abattre sur nous et que lui seul peut nous sauver.
La tribune s'embrase. On est au bord de la panique. De l'émeute.
Sélénia pousse son frère du bras et vient prendre sa place, face au Roi.
- Notre grand malheur s'appelle M. le maudit et nous n'avons que faire de cet Arthur ! C'est à moi, Sélénia, princesse de sang, que revient la tâche de protéger notre peuple. Sans plus attendre, elle se retourne et va directement à l'épée. Elle pose sa main sur la poignée et tente de sortir l'objet d'un geste gracieux.
Mais la grâce ne doit pas être utile pour ce genre d'exercice, car l'épée n'a pas bougé d'un millimètre. Elle essaye donc la force, en employant les deux mains.
Rien ne se passe. L'arme reste soudée.
Elle y met les deux mains, les deux pieds, se contorsionne, grimace, hurle...
Rien n'y fait. C'est la confusion dans la foule. Dans le regard du Roi aussi, qui semble profondément déçu et sûrement un peu inquiet.
Sélénia, épuisée, s'arrête une seconde pour reprendre son souffle.
- Tu vois : beaucoup trop orgueilleuse. Je te l'avais dit ! lui lance Bétamèche au passage.
- Oh toi ! lui répond Sélénia en s'avançant vers lui, les mains en avant, prête à l'étrangler.
- Sélénia ! hurle son père. La princesse s'arrête dans son élan.
- Ma fille, je suis désolé, lui dit-il avec affection. Nous savons à quel point tu aimes ton peuple mais... Ton cœur est trop chargé de haine et de vengeance.
- C'est faux, Père ! se défend-elle, les larmes au bord des yeux. C'est juste... c'est Bétamèche qui m'a énervée ! Je suis sûre que si je me calme une minute, je pourrai sortir cette épée et tout rentrera dans l'ordre !
Le Roi la regarde un instant. Il est sceptique. Comment expliquer à sa fille que cette fureur l'aveugle sans la vexer, sans la casser.
- Que ferais-tu si tu avais M. le maudit, là, devant toi ? lui demande simplement le Roi. Sélénia essaye de contenir cette haine qui ne demande qu'à s'exprimer.
- Je...je le traiterais comme il le mérite, assure-t-elle.
- C'est-à-dire ? insiste le Roi, jouant avec ses nerfs.
- Je... Je... Je l'étranglerais cette espèce de vermine ! Pour tous les crimes qu'il a commis et le malheur qu'il a fait s'abattre sur nous et aussi pour...
Sélénia réalise d'un seul coup dans quel piège elle vient de tomber.
- Je suis désolé, ma fille, mais tu n'es pas prête. Les pouvoirs de l'épée n'agissent qu'entre des mains animées de justice, pas de vengeance, lui explique son père.
- On fait quoi, alors ? On va laisser ce cloporte informe nous envahir, nous piller, nous égorger nous et nos enfants ? Sans rien dire ? Sans rien faire ? Sans rien tenter ? dit-elle en prenant la foule à témoin.
L'assemblée s'agite. Il y a évidemment du vrai dans le discours de la petite princesse.
- Qui va nous sauver ? hurle-t-elle pour conclure.
- Arthur ! lui répond Bétamèche avec ferveur. Il est notre seul espoir.
Sélénia lève les yeux au ciel. Le Roi réfléchit. La foule s'interroge.
Le conseil discute, puis adresse un signe favorable au souverain qui acquiesce.
- Vu les circonstances... et en mémoire d'Archibald, le conseil accepte d'écouter ce jeune homme.
Bétamèche hurle de joie, tandis que sa sœur se met à bouder, fidèle à son habitude.
La foule est en ébullition, comme à chaque fois que le spectacle propose des rebondissements. « Miro ? Préparez la liaison », lance le Roi.
La petite taupe s'exécute immédiatement. Elle saute dans son petit centre de contrôle, sorte de comptoir en arc de cercle regorgeant de manches et de tirettes en tous genres. Miro fait d'abord un rapide calcul sur son boulier, puis tire sur le manche numéro vingt-et-un. Un énorme miroir, monté sur des racines qui lui servent de cadre, sort du mur, comme un rétroviseur sortirait d'une voiture. Un deuxième miroir apparaît aussitôt, récupérant le reflet du premier miroir. Un troisième se dégage d'un plafond et capte à son tour le reflet.
Miro enclenche les manettes les unes après les autres et les miroirs apparaissent de partout, transportant la même image à travers la ville, à travers le long tunnel qui mène à la pièce où se trouve l'énorme lentille de la longue-vue, toujours plantée dans la terre.
Une cinquantaine de miroirs, au total, se sont alignés pour récupérer l'image de cette lentille.
Miro s'y met à deux mains pour actionner un nouveau manche. Une sorte de plante descend du plafond de la grotte, s'ouvre comme une fleur sous l'effet de la rosée et libère quatre boules lumineuses : une jaune, une rouge, une bleue et une verte. Quatre couleurs fondamentales qui doucement s'alignent et forment une lumière blanche et parfaite, comme un gros projecteur prêt à reproduire fidèlement l'image transportée par les miroirs. Il ne manque plus qu'un écran. Miro appuie sur une tirette, la seule dont le dessus soit en velours. Un immense écran se déroule d'un seul coup du plafond, envahissant le ciel de la ville.
À y voir de plus près, il s'agit de feuilles d'érable séchées, puis cousues les unes aux autres en un magnifique patchwork. Miro appuie sur un nouveau bouton. Un ultime miroir permet au reflet d'atteindre le projecteur, qui renvoie l'image sur l'écran géant.
Un œil gigantesque envahit la toile. C'est celui d'Arthur.
L'enfant, toujours à genoux dans son jardin, n'en revient pas. Il est au milieu du conseil des Minimoys, face au Roi. Ce dernier est d'ailleurs un peu impressionné par la taille de cet œil, qui laisse imaginer la hauteur de l'être humain qui se cache derrière.
Sélénia, elle, a tourné le dos à l'écran en signe de contestation. Le Roi reprend un peu de sa dignité et se racle la gorge. « Hum ! Eh bien, jeune Arthur, le conseil vous écoute, soyez bref. »
Arthur prend une grande inspiration.
- Un homme veut détruire le jardin qui vous abrite. Il vous reste une minute pour me faire passer dans votre monde afin que je puisse vous aider. Passé ce délai, je ne pourrai rien faire et vous serez totalement anéantis.
La phrase parcourt l'assistance comme un courant d'air. Le Roi semble paralysé par la nouvelle.
- ... Voilà qui est bref... et précis.
Il se tourne vers le conseil, aussi perdu qu'un banc de poissons dans un champ de blé.
Le Roi se retrouve donc seul, face à ses responsabilités.
- ... Ton grand-père était un sage et un grand homme. En sa mémoire, nous allons te faire confiance. Réveillez le passeur ! tonne-t-il en levant ses bras imposants.
Bétamèche hurle de joie et part en courant, bousculant au passage sa sœur toujours aussi boudeuse. Miro actionne une tirette en or et un énorme rideau de velours rouge vient masquer l'écran géant.