Chapitre 7
Arthur allume à nouveau une bougie et se jette sur le vieux radiateur. « Un quart de tour... vers la gauche », se souvient l'enfant. Il attrape le robinet et s'exécute. Un mécanisme assez bruyant décolle le radiateur du mur et le rabat sur le côté, libérant ainsi une nouvelle cachette, beaucoup plus large que les précédentes. Elle est suffisamment grande pour y dissimuler une grosse malle en cuir.
Arthur tire la malle toute poussiéreuse jusqu'au milieu de la pièce. À l'intérieur se trouve une magnifique longue-vue en cuivre, dans un joli écrin en velours bordeaux. Devant, le gros trépied en bois qui la supporte.
Au-dessus, dans le rabat, cinq petites statuettes africaines, alignées les unes à côté des autres. Cinq hommes en tenue de parade. Cinq Bogo-Matassalaï.
Arthur regarde son trésor avec émerveillement. Il ne sait par où commencer.
Il attrape une petite clé munie d'une étiquette où l'on peut lire : « Toujours garder la clé sur soi ». Arthur commence par prendre la clé et la met dans sa poche. Ensuite, il déplie le parchemin sur lequel se trouvent les instructions. Il s'agit d'un plan assez simple organisé autour du grand chêne, dans le jardin.
Le nain de jardin cache un trou dans lequel il faut glisser la longue-vue, tête en bas. Ensuite on déplie un tapis à cinq branches et on place une statuette à chaque extrémité. Tout ceci a l'air assez simple. Arthur vérifie qu'il n'oublie rien, mémorise le tout rapidement puis saisit la longue-vue et le trépied à bras-le-corps et quitte la pièce. Tandis qu'il traverse le salon, l'horloge indique vingt-trois heures cinquante et une.
Plus que neuf minutes avant l'ouverture de la porte-lumière.
Arthur n'a aucune idée de ce qui l'attend et à quoi ressemble cette fameuse porte mais captivé par la mission, il suit à la lettre les instructions de son grand-père.
Malgré la lune, belle et pleine, Arthur n'y voit pas grand-chose.
« Il nous faut de la lumière », confie-t-il à Alfred qui le suit partout.
Arthur fonce vers la vieille Chevrolet et se met au volant. Il récupère les clés cachées sur le pare-soleil et se remémore une seconde comment tout cela marche. « Pourquoi tu me regardes comme ça ? demande-t-il au chien. J'ai vu Mamie le faire des centaines de fois ! » Il met le contact. La vieille voiture crache et recrache, peu habituée à ce qu'on la réveille en pleine nuit. Arthur allume les phares, mais la voiture est mal placée et n'éclaire absolument pas le vieux chêne. L'enfant enclenche la première et monte en régime, mais la voiture ne semble pas vouloir avancer. « Le frein à main, gros bêta ! », réalise soudain l'enfant. Il tire de toutes ses forces sur le manche et débloque le frein. La voiture bondit d'un seul coup. Arthur hurle et fait de son mieux pour contrôler la voiture qui tourne autour de la maison. Le volant énorme dans ses mains, le regard à ras du tableau de bord, il fait de son mieux pour éviter les arbres mais il ne parvient pas à éviter la corde à linge et il emporte le fil et son contenu.
Deux yeux lumineux sous des draps qui avancent tout seuls, poussant un cri d'enfant : voilà un parfait fantôme et Alfred part en hurlant.
Malgré ce spectre gémissant avec ses phares qui balaient la campagne, la grand-mère ronfle toujours profondément. La voiture finit par emboutir un arbre quand même, mais aussi jeune qu'Arthur. Plus de peur que de mal. La bonne nouvelle, c'est que les faisceaux des phares sont exactement dirigés sur le nain de jardin.
Arthur se précipite sur le petit homme en plâtre et l'arrache du sol.
« Excuse-moi, vieux ! », lui glisse-t-il avant de le poser sur le côté.
Le nain cache bien son jeu et son trou, pas très large, semble sans fond.
Arthur pose le trépied et plonge la longue-vue tête la première dans le trou, comme indiqué sur le plan. L'enfant reste un instant perplexe. Il se demande comment cette étrange coordination peut bien ouvrir une porte, fusse-t-elle de lumière ?
« Surveille, je vais chercher le reste », lance-t-il à son chien avant de partir en courant.
Alfred regarde l'édifice et semble aussi perplexe que son maître.
Arthur récupère le lourd tapis au fond de la malle et le jette sur son épaule. Puis il le passe par-dessus la rambarde du premier étage et le récupère dans le salon. La pendule continue son implacable mission et affiche maintenant vingt-trois heures cinquante-sept. Arthur déplie son tapis et les cinq branches s'étalent autour de la longue-vue. Cela doit être joli, vu d'en haut, cette gigantesque étoile de mer multicolore, posée sur le gazon. « Les poupées maintenant », lance Arthur.
Il récupère dans la malle les cinq poupées en porcelaine avec infiniment de précautions, et se dirige vers l'escalier. Il descend à pas lents, marche après marche. « Il s'agit de n'en casser aucune car elles sont forcément au cœur du sortilège », pense Arthur.
Le chien est resté dehors et s'habitue au fantôme dont les yeux jaunes commencent à faiblir, faute d'essence. Mais d'un seul coup, des ombres se dessinent sur le sol. Alfred dresse ses oreilles et commence à gémir. Les ombres se glissent dans la lumière jaune des phares. Des silhouettes immenses, pires que des fantômes.
Le chien part en hurlant et rentre dans la maison par sa petite porte.
Il traverse le salon en courant sans mettre les patins, et termine en glissade dans les jambes d'Arthur dont les bras sont chargés des statuettes.
« Non ! », hurle Arthur qui ne peut éviter la chute. Il s'écroule de tout son long. Les statuettes virevoltent un instant dans les airs avant de se briser en mille morceaux sur le sol.
Arthur est désespéré. Le spectacle des poupées disloquées sur le parquet est insupportable. La pendule indique vingt-trois heures cinquante-neuf. « Échouer si près du but. C'est pas juste ! », se plaint l'enfant, incapable de se relever tant la déception le plaque au sol. Il n'a plus aucun courage, même pas celui de gronder son chien, qui s'est caché sous l'escalier.
L'enfant se met sur ses coudes et voit une ombre avancer sur le sol. Il relève légèrement la tête pour découvrir cinq ombres chinoises, immenses, démesurées, qui sont obligées de se courber pour passer la porte d'entrée. Arthur est tétanisé, la mâchoire pendante. Il tourne sa petite lampe de poche qui s'allume. Le petit faisceau éclaire un guerrier Matassalaï, en tenue traditionnelle.
Un boubou soigneusement noué, des bijoux et grigris un peu partout, une coiffure à base de coquillages, une lance à la main.
L'homme est sublime, du haut de ses deux mètres quinze. Ses quatre collègues sont à peine moins grands. Arthur est sans voix. Il se sent encore plus petit que le nain de jardin.
Le guerrier sort un petit papier de sa poche, le déplie avec application et le lit.
«... Arthur ? », dit simplement le Matassalaï.
L'enfant n'en revient pas et secoue bêtement la tête. Le chef lui sourit.
« Il n'y a pas une minute à perdre, viens ! », lui lance le guerrier avant de faire demi-tour et de quitter la maison en direction du jardin.
Arthur, comme hypnotisé, oublie toutes ses peurs et le suit. Alfred suit son maître, trop peureux pour rester tout seul sous l'escalier.
Les cinq Africains se sont mis en position au bout de chaque branche du tapis.
Visiblement, ils ont pris la place des statuettes.
Arthur comprend qu'il doit se mettre au centre, près de la longue-vue.
« Vous... Vous ne venez pas ? », demande poliment ; l'enfant, pas rassuré.
- Un seul peut passer et tu nous sembles être le meilleur choix pour combattre M... le maudit, lui répond le chef.
- Maltazard ? interroge l'enfant, se remémorant le dessin du fameux livre.
Aussitôt les cinq guerriers mettent leur doigt sur leur bouche pour réclamer le silence.
- Une fois de l'autre côté, ne prononce jamais, jamais, jamais... son nom. Ça porte malheur.
- D'accord. Pas de problème. Juste M... le maudit ! se répète Arthur de plus en plus inquiet.
- C'est lui que ton grand-père est parti combattre et c'est à toi que revient l'honneur de finir son combat, lâche solennellement le guerrier.
Arthur déglutit. La mission lui paraît impossible.
- Merci pour l'honneur mais... il vaudrait peut-être mieux que je laisse ma place à l'un d'entre vous. Vous êtes quand même beaucoup plus forts que moi ! reconnaît l'enfant avec humilité.
- Ta force est à l'intérieur, Arthur. Ton cœur est la plus puissante des armes, lui répond le guerrier.
- Ah ?! lance Arthur, pas vraiment convaincu. C'est possible, mais... je suis encore petit ?!
Le chef Matassalaï lui sourit.
- Bientôt, tu seras cent fois plus petit encore et ta force n'en sera que plus visible.
L'horloge sonne le premier coup de minuit.
- Il est temps, Arthur, lui dit le guerrier en l'amenant au centre du tapis et en lui donnant les instructions. Arthur lit le papier d'une main tremblante, tandis que l'horloge libère ses coups.
Il y a trois bagues sur la longue-vue. Arthur attrape la première. « Le premier cercle, celui du corps, trois crans à droite », lit l'enfant, en contenant son inquiétude. Il exécute la manœuvre avec beaucoup d'appréhension.
Rien ne se passe. Sauf l'horloge qui sonne, pour la quatrième fois. Arthur attrape la deuxième bague.
« Le deuxième cercle. Celui de l'esprit... Trois crans à gauche ! » L'enfant tourne la bague, plus dure que la précédente. L'horloge libère son neuvième coup.
Le chef africain lève les yeux vers la Lune et semble s'inquiéter de ce petit nuage qui se rapproche dangereusement. « Dépêche-toi Arthur ! », prévient le guerrier. L'enfant saisit la troisième et dernière bague. « Le troisième cercle, celui de l'âme... un tour complet. » Arthur respire un grand coup et fait tourner la bague, tandis que l'horloge annonce le onzième coup de minuit. Malheureusement, le petit nuage a atteint sa cible et couvre peu à peu la Lune. Plus de lumière. Arthur a fini son tour et la troisième bague est en place. Le douzième coup de minuit déchire le silence.
Rien ne se passe. Les Matassalaï sont muets et immobiles. Même le vent semble en attente.
Arthur, inquiet, regarde les guerriers qui ont tous le regard rivé sur la Lune.
En réalité, on la devine plus qu'on ne la voit, masquée par ce petit nuage gris inconscient du malheur qu'il provoque.
Mais le vent leur vient en aide et doucement écarte le nuage.
La lumière de lune peu à peu prend de la force, puis d'un seul coup, un puissant rayon déchire la nuit, comme un éclair qui relierait la Lune à la longue-vue.
Cela ne dure que quelques secondes mais le choc a été si fort qu'Arthur en est tombé sur les fesses.
Le silence est de nouveau revenu. Rien ne semble avoir changé, sauf les sourires sur le visage des guerriers.
« La porte-lumière est ouverte ! annonce fièrement le chef.
Tu peux te présenter. »
Arthur se relève, comme il peut.
- ... Me présenter ?
- Oui. Et tâche d'être convaincant. La porte ne reste ouverte que cinq minutes ! ajoute le guerrier.
Arthur essaye de se motiver mais ne comprend rien à cette nouvelle mission. Il s'approche de la longue-vue et jette un coup d'œil à l'intérieur.
Évidemment, il ne voit pas grand-chose. Juste une masse marron, totalement floue.
Arthur saisit l'avant de la lunette et la fait tourner afin d'y voir plus net.
Il aperçoit maintenant une cavité en terre, légèrement éclairée. L'image est bientôt limpide et Arthur peut observer le moindre petit bout de racine.
D'un seul coup, le haut d'une échelle vient s'interposer à l'autre bout de la lunette.
Arthur n'en croit pas ses yeux. Il quitte l'œilleton et regarde la terre autour de lui. Non, il n'a pas la berlue. Il y a bien une échelle au bout de sa lunette, une échelle qui ne doit pas mesurer plus d'un millimètre.
Arthur visse à nouveau son œil sur la lunette. L'échelle tremble un petit peu, comme si quelqu'un était en train de la gravir.
Arthur retient son souffle. Un petit bonhomme apparaît au bout de l'échelle et pose ses mains sur l'énorme lentille. C'est un Minimoy.
Arthur est en état de choc. Même dans ses rêves les plus fous, il n'aurait pas cru cela possible. Le Minimoy met ses mains en casquette pour tenter d'apercevoir quelque chose.
Il a des oreilles pointues, deux yeux comme des billes toutes noires et des taches de rousseur un peu partout sur le visage. En un mot comme en cent, il est craquant et il s'appelle Bétamèche.