Chapitre 13
Une autre porte, ailleurs, s'ouvre légèrement. La grand-mère passe la tête dans la chambre d'Arthur. L'enfant dort toujours, au fond de sa couette. Tant mieux. Elle va pouvoir lui faire la surprise. Elle pousse la porte du pied et laisse découvrir un magnifique plateau nacré, garni d'un somptueux petit-déjeuner.
Elle pose le plateau au bout du lit et savoure le moment.
« Le petit-déjeuner est servi ! », chantonne la grand-mère, un sourire satisfait au coin des lèvres.
Elle tapote sur la couette et ouvre les rideaux. Une belle et joyeuse lumière envahit la pièce et donne toute sa valeur au petit-déjeuner.
- Allez, gros feignant, c'est l'heure ! lance-t-elle gentiment en tirant sur la couette.
Elle pousse alors un cri d'horreur en constatant que son petit-fils s'est transformé en chien ! À la réflexion, on dirait plutôt Alfred qui a tout simplement dormi dans le lit d'Arthur. Le chien remue la queue, trop content de sa blague. Mais la grand-mère ne semble pas apprécier ce tour de magie.
- Arthur ?! vient-elle hurler sur le perron, comme à son habitude.
L'enfant, du fond de sa noix, ne risque pas de l'entendre. Il est, de toutes façons, bien trop occupé à régler sa ceinture de sécurité.
Bétamèche a sorti une petite boule blanche, aussi légère qu'une fleur de pissenlit. Il la secoue énergiquement et la boule s'illumine.
Bétamèche lâche cette jolie lampe qui flotte dans l'espace et éclaire légèrement la cabine, comme les boules à facettes éclairent les dancings.
- Je ne l'ai qu'en blanc. Désolé, dit-il, comme s'il parlait de biscottes sans sel.
Arthur est fasciné par tout ce qui l'entoure, émerveillé par la magie de cette aventure. Même dans le meilleur de ses rêves, il n'aurait jamais osé imaginer tout cela.
L'agent de transport a rejoint son poste de pilotage, aussi compliqué que celui d'un paquebot. Il pousse une première manette. Une petite aiguille tourne sur un disque où l'on peut lire le nom des sept terres qui composent le monde. L'aiguille descend vers la partie sombre du disque et s'arrête sur : « Terres interdites ». L'énorme mécanisme se met en branle et ajuste légèrement le fruit. Arthur essaye, à travers les jointures de la noix, d'apercevoir ce qu'il se passe.
- Je ne comprends toujours pas comment on va voyager, demande naïvement l'enfant.
- Ben, avec la noix ! répond Bétamèche, comme une évidence. Comment veux-tu voyager autrement ?
Le petit prince a déplié une carte générale. On y voit les sept terres.
- On est là. Et on va là ! pointe Bétamèche comme s'il s'agissait d'un voyage en banlieue.
Arthur se penche sur la carte et essaye de comprendre, malgré l'échelle, où il se trouve. A priori, Nécropolis se situerait non loin du garage.
- Je reconnais ! dit soudain l'enfant. C'est juste sous le réservoir d'eau.
- Comment ça : le réservoir d'eau ? questionne Sélénia, soudainement inquiète.
- Ben oui. Toute l'eau dont on a besoin pour la maison est stockée dans une énorme citerne située là, juste au-dessus de Nécropolis.
La grand-mère allume le néon du garage. Elle constate qu'il est désespérément vide. Aucune trace d'Arthur. « Où est-il passé ? », demande-t-elle au chien bien incapable de lui répondre.
De toutes façons, même s'il avait la parole, Alfred sait très bien que la Mamie ne le croirait jamais.
« Combien de litres contient exactement ton réservoir ? », questionne Sélénia, sur la piste de quelque chose.
- Oh là, là ! Des milliers et des milliers ! lui répond Arthur. Le visage de la princesse s'assombrit.
- Je commence à y voir plus clair dans les plans de l'autre.
- Qui ça ? demande l'enfant.
- Les plans de « M », lui répond la princesse, comme une évidence.
- Aah ! Maltazard ?! s'écrie Arthur, complice comme un initié. Bétamèche et Sélénia se raidissent. L'enfant comprend instantanément sa bourde.
- Oups ! lâche-t-il, une main sur la bouche.
Ce nom étant toujours porteur de catastrophes, un grondement sourd monte aussitôt du fond des âges.
- Nom d'un gamoul à bosses ! hurle Sélénia. On ne t'a jamais appris à surveiller ton langage ?!
- Je... Je suis désolé, bafouille Arthur, au bord de la panique.
L'agent de transport a son stéthoscope posé sur un énorme tuyau. Il sent le grondement qui s'amplifie.
- Départ pour Nécropolis dans dix secondes ! hurle-t-il en mettant ses lunettes de protection.
Bétamèche sort de son sac deux boules roses et cotonneuses.
- Tu veux des Moufs-moufs pour te mettre dans les oreilles ? demande-t-il à Arthur.
- ... Non merci, répond l'enfant, plus préoccupé par le sol qui commence à vibrer.
- Tu as tort. Ce sont des Moufs-moufs de première qualité. Ils sont tout neufs, ils n'ont jamais servi et grâce au pelage auto-nettoyant, tu peux aussi...
Il est coupé net au milieu de sa phrase. Sélénia vient de lui enfoncer un Mouf-mouf au fond de la bouche. Le sol vibrait, maintenant il tremble et Arthur est obligé de se cramponner s'il ne veut pas se cogner partout. L'agent de transport pousse une seconde manette. L'aiguille tourne à nouveau autour d'un autre disque. Celui qui marque la puissance. L'aiguille s'arrête dans le rouge, là où l'on peut lire : « Maximum ».
Pendant ce temps, la Mamie se désespère. Elle a fait trois fois le tour de la maison, cinq fois celui du jardin. Elle n'a rien trouvé. Ni trace, ni indice. Elle se poste une dernière fois sur le perron et s'aide de ses mains pour hurler : « Arthuuur !! »
Malgré le vacarme et les tremblements, Arthur a dressé l'oreille. Une voix lointaine a prononcé son nom. Il se jette sur la fente minuscule à la jointure de la noix, et il essaye de localiser la voix.
- Mamie ? lâche l'enfant, au hasard.
- C'est parti ! lui répond le contrôleur en écho.
Un parapluie vient automatiquement s'ouvrir au-dessus de l'agent de transport, tandis qu'un véritable geyser jaillit du sol. La noix était calée sur un arroseur automatique. La puissance du jet envoie la noix dans les airs et le voyage commence.
Le fruit traverse le ciel et le jardin, à quelques mètres de hauteur.
Par la fente, Arthur aperçoit sa grand-mère qui s'apprête à rentrer dans la maison.
- Mamiiiiie ! hurle l'enfant dans un long cri. Sélénia regrette de ne pas avoir mis ses Moufs-moufs.
La Mamie se retourne. À son tour elle a entendu une petite voix dans le lointain.
- Mamie ! Je suis là ! s'époumone l'enfant, mais son cri sort à peine de la noix.
La Mamie n'a rien vu, rien entendu. Elle regarde un instant les arroseurs automatiques se déclencher les uns après les autres.
Bétamèche parvient enfin à cracher son Mouf-mouf.
- Sélénia ?! C'est pas fait pour mettre dans la bouche, les Moufs-moufs ! se plaint-il. C'est malin, j'ai soif maintenant !
- Avec tout ce qui tombe, tu vas boire ! T'inquiète pas ! lui répond Sélénia qui tente d'observer l'extérieur à travers un trou dans le joint de la noix.
- Combien de temps dure le vol ? demande Arthur, toujours agrippé à son fauteuil.
- Quelques secondes... Si tout se passe bien ! dit la princesse, l'air soucieux.
- Ça veut dire quoi : « Si tout se passe bien » ? s'inquiète Arthur.
- Si on ne fait pas de mauvaise rencontre !
Pour une fois, Arthur a le sentiment que la princesse s'inquiète pour pas grand-chose.
- Quel genre de mauvaise rencontre peut-on faire, au milieu du ciel ? lui lance-t-il avec un sourire malin.
- Celle-là, par exemple ! lui répond-elle en se recroquevillant sur son siège.
D'un seul coup, surgissant de la pluie battante, un énorme bourdon vient percuter la noix. Le choc est violent, comme celui de deux voitures qui se percutent en sens inverse. Mais le bourdon a eu le temps de modifier légèrement sa trajectoire, il touche sur le côté. Sous l'effet de la collision, la noix change complètement de route tandis que le bourdon, sa voilure abîmée, pique en vrille vers le sol. Dans la noix, c'est l'affolement général. Pire qu'un tremblement de terre.
La noix atterrit finalement dans un coin d'herbe haute. Elle roule un instant, puis s'immobilise.
Chacun reprend peu à peu ses esprits. Bétamèche constate que son sac à dos est vide. Tous les objets ont volé en tous sens.
- Et voilà tout mon sac à refaire ! soupire-t-il.
- T'avais qu'à emporter moins de choses, je te l'ai dit cent fois ! lui rétorque Sélénia.
Arthur soupire, content de se voir vivant et d'une seule pièce.
- Dites donc ? C'est toujours comme ça, les voyages chez vous ? demande-t-il avec ironie.
- Les longs courriers, c'est plus calme, lui répond Sélénia.
- Ah ?! lâche Arthur, content d'avoir échappé au pire. Sélénia regarde à nouveau dans la fente.
- Attendons que la pluie s'arrête. On y verra plus clair.
La grand-mère est toujours sur le perron et regarde les arrosages automatiques s'arrêter les uns après les autres. Le silence revient et souligne le long soupir de la Mamie, désespérée de ne pas avoir retrouvé son petit-fils.
Elle fait demi-tour, rentre dans sa maison bien vide et referme doucement la porte.
« Ça s'est calmé. On va pouvoir y aller », propose Sélénia. Bétamèche finit de faire son sac tandis que sa sœur essaye d'ouvrir la porte, froissée lors de l'accident.
- Satané bourdon ! Il nous a enfoncé la portière ! Elle est coincée, maintenant !
Arthur vient lui donner un coup de main, mais rien n'y fait. À l'extérieur, un monstrueux ver de terre s'approche de la noix. Ce n'est pas le fruit qui l'intéresse, mais plutôt les appétissantes feuilles de pissenlit que la noix a écrasées sur son passage.
Le ver passe devant la noix et lui donne, malencontreusement, un coup d'anneau.
- Qu'est-ce que c'est encore ?! s'inquiète Arthur.
- Je ne sais pas, confesse Sélénia. Mais il ne vaut mieux pas rester là !
Elle sort l'épée magique de son fourreau et perce la noix d'un seul coup. Elle perce aussi l'un des anneaux du ver de terre, qui fait un bond dans les airs. On a beau avoir une centaine de fesses, ça ne fait jamais plaisir de s'en faire piquer une. C'est bien sûr un accident, on en est témoins, mais il le prend très mal. Le gros ver replie ses bourrelets les uns sur les autres comme un accordéon qui rétrécit, puis se détend d'un seul coup. Le tir est puissant et précis. La noix vole sur des milliers de kilomètres qu'il faut convertir en millimètres. Évidemment, le sac de Bétamèche explose à nouveau dans la cabine. La noix roule et roule encore et finit par tomber dans un ruisseau qui l'entraîne, comme un petit bateau. Comme une coque de noix, en quelque sorte. Arthur a mal au cœur.
- Ça fait du bien quand ça s'arrête, annonce-t-il, prêt à vomir.
L'eau commence à rentrer par les joints, par le trou d'épée. Sélénia s'en aperçoit et regarde le filet d'eau comme s'il s'agissait d'un serpent venimeux.
- C'est de l'eau ! Arthur ?! C'est terrible, on prend l'eau ! hurle-t-elle affolée.
- C'est horrible ! renchérit Bétamèche, accroché à sa sœur.
- Où on est ?! Arthur ? Où on est ?! demande Sélénia totalement paniquée.
- Je ne sais pas, mais on va pas y rester longtemps, lui répond Arthur en lui arrachant l'épée des mains. Il brandit l'arme au-dessus de sa tête et frappe un grand coup en suivant la jointure. La noix se fend littéralement en deux et chaque moitié se retrouve à flotter séparément, Sélénia et Bétamèche d'un côté, Arthur de l'autre. Mauvaise pioche pour Arthur, il a celle qui fuit. Il regarde Sélénia avec un sourire emprunté.
- Arthur ? Fais quelque chose ! Aide nous !!
L'enfant a plutôt le sentiment inverse : c'est lui qui est en train de couler et qui devrait hurler pour du secours. Mais la galanterie n'a pas de limites.
- Ne vous inquiétez pas ! Je vous rejoins ! lance Arthur, de l'eau jusqu'à la taille. Je connais bien ce ruisseau, il fait une courbe sur la droite ! Je vous rattrape !
- Un ruisseau ?! s'exclame Sélénia, se demandant si Arthur ne se moquerait pas d'elle.
- J'arrive ! lance Arthur en guise de départ. Il se jette à l'eau et rejoint, comme il peut, le bord du fleuve.
- Ce garçon est vraiment fou ! constate Bétamèche en voyant son ami nager.
Arthur parvient à se hisser sur la rive et disparaît aussitôt dans les hautes herbes.
Sélénia et son frère se serrent l'un contre l'autre pour lutter contre la peur.
- Je veux pas mourir ! pleure Bétamèche d'une voix tremblotante.
- Ça va aller, calme-toi ! répond Sélénia en lui caressant la tête.
- Tu crois qu'il va nous abandonner ? questionne son frère. Sélénia réfléchit un instant.
- Je ne connais pas assez le genre humain pour te répondre, mais d'après le peu que je connaisse... Il y a de grandes chances que oui !
- ... Non ? lâche le prince, atterré.
- Sauf... S'il est amoureux, ajoute Sélénia, comme une hypothèse improbable.
Arthur court à perdre haleine, sautant les branches, pliant les herbes, évitant les insectes. Aucun obstacle ne lui résiste, même pas cette colonie de fourmis qu'il traverse comme s'il faisait ça tous les week-ends. Bétamèche serre davantage sa sœur contre son cœur.
- Seigneur ! Faites qu'Arthur soit amoureux de ma sœur si gentille ! S'il vous plaît !
Arthur court comme un fou, comme un aveugle, comme si sa vie en dépendait.
Il n'y a pas de doute, ce jeune homme est amoureux. Il s'extirpe de cette jungle miniature et déboule en haut de la berge. La demi-noix et ses occupants apparaissent au détour d'un méandre.
Bétamèche aperçoit Arthur et le pointe du doigt :
- Sélénia !! Il est amoureux ! hurle-t-il tout joyeux.
- Ne nous emballons pas, tempère la princesse.
Heureusement, Arthur n'a rien entendu. Il dévale vers la rivière, prend appui sur un caillou et s'envole dans les airs. Un bond de champion du monde. Ça mérite un ralenti au journal du soir. Quant à l'atterrissage, il finira au zapping. Arthur s'étale lamentablement au fond de la noix, renversant ses camarades comme une boule dans un jeu de quilles.
- Excusez-moi, lâche-t-il en se massant la tête.
- L'amour donne des ailes, chuchote Bétamèche en se frottant le dos.
- Vous voyez ? Je ne vous ai pas abandonnés ! dit Arthur, presque fier.
- Super ! Au lieu de mourir à deux, on va mourir à trois ! lui balance la princesse.
- Personne ne va mourir, Sélénia ! Ce n'est pas ce petit ruisseau qui va vous faire peur quand même ?! s'étonne Arthur.
- Mais ce n'est pas un petit ruisseau, Arthur ! C'est un fleuve en furie et au bout, là-bas, ça s'appelle les chutes de Satan !! lui hurle la princesse.
Arthur regarde en aval. C'est vrai qu'une rumeur semble venir des enfers. L'humidité monte rapidement. On n'est pas loin du taux de cent pour cent.
- Je... Je ne savais pas que ça s'appelait comme ça ! » bafouille Arthur.
Les chutes grondent de plus en plus et deviennent maintenant visibles. Elles sont monstrueuses et portent bien leur nom. Elles sont tellement puissantes qu'elles feraient passer le Niagara pour un compte-gouttes. Arthur est en arrêt. Pas la noix.
- Bon ! T'aurais pas une idée avant de mourir ?! lui lance Sélénia en lui donnant un coup de coude.
Arthur se réveille d'un seul coup. Il regarde autour de lui et réfléchit. Un tronc d'arbre passe en travers de la rivière, juste avant les chutes.
- T'aurais pas une corde dans ton couteau à trois cents fonctions ? demande-t-il à Bétamèche.
- Ben non ! C'est le petit modèle !
Arthur regarde Sélénia de la tête aux pieds. Surtout son décolleté.
- J'ai une idée ! Laisse-toi faire ! lui lance Arthur en commençant à délacer son bustier.
- Il est vraiment amoureux ! lance le petit prince. Sélénia tape violemment sur la main d'Arthur.
- C'est pas parce qu'on va mourir qu'il faut te croire tout permis ! dit-elle avec dignité.
- Mais non, c'est pas ça ! C'est pas ce que tu penses ! proteste-t-il, embarrassé par le quiproquo. J'ai besoin du lacet pour faire une corde ! Pour grimper sur cet arbre. C'est notre seule chance. Sélénia hésite, puis accepte. Arthur tire d'un seul coup sur le lacet et le récupère. Sélénia est obligée de croiser ses bras sur son corset si elle ne veut pas finir la poitrine à l'air. Il n'y aurait pas grand-chose à voir à son âge, mais c'est une question d'éducation : pas de « topless » chez les princesses. Arthur récupère l'épée magique et attache rapidement le lacet autour de la poignée.
- Bétamèche en un, Sélénia en deux ! Il faudra faire vite, on n'aura que quelques secondes ! annonce Arthur en brandissant l'épée.
- Tu es sûr de ce que tu fais, là ? s'inquiète Sélénia.
- Ben... Ça doit pas être plus dur que les fléchettes ! répond-il en visant l'arbre.
Arthur arme son tir et lance l'épée de toutes ses forces. La lame fend les airs, suivie par son fil d'Ariane. On dirait d'ailleurs une fusée.
L'épée se plante en plein milieu de l'arbre.
- Yes ! s'exclame Arthur en moulinant son bras en signe de victoire.
Ses deux camarades le regardent, atterrés par cette gymnastique quasi primitive.
La noix arrive rapidement à la verticale de l'arbre.
- Prépare-toi, Bétamèche ! lance Arthur.
À peine a-t-il attrapé le fil que Bétamèche est déjà sur sa tête et grimpe comme un singe.
Arthur se tient comme il peut dans cette noix qui ne demande qu'à partir.
Bétamèche escalade le tronc et rejoint la terre ferme, à quatre pattes.
- À ton tour Sélénia ! est obligé de hurler l'enfant, tellement le vacarme est assourdissant.
Sélénia ne réagit pas. Elle est paralysée par cette eau bouillonnante qui ne cherche qu'à l'emporter.
- Sélénia ?! dépêche-toi ! Je ne vais pas pouvoir tenir longtemps !! lui hurle Arthur qui tient la liane à deux mains et la noix à deux pieds. Sélénia, elle, attrape son courage à deux mains, bien que les laissant sur son corset.
Elle commence à grimper en mettant au passage son pied sur la figure du garçon.
- Fé bien ! Va-vy Félénia ! prononce Arthur, le visage défoncé par la chaussure.
Sélénia arrive au sommet et prend appui sur l'épée, plantée à l'horizontale.
Arthur est au bord de l'épuisement et lâche la coquille de noix qui s'éloigne rapidement. L'enfant a toutes les peines du monde à se hisser à la corde, ballottée par le souffle des eaux. La noix dévale les chutes de Satan, laissant imaginer ce qu'il aurait pu advenir d'Arthur et de ses compagnons. Sélénia monte sur le tronc et rejoint, avec précaution, la terre ferme.
Arthur rassemble le peu d'énergie qui lui reste et rejoint lui aussi le tronc d'arbre.
Épuisé, il reste là un instant à genoux sur le sol, à reprendre son souffle. Sélénia s'est éloignée. Elle est au bout d'une branche, juste au-dessus d'un petit lac, calme à souhait. Bétamèche n'est pas très loin, en train d'essorer le bas de sa chemise. Arthur récupère l'épée plantée dans le bois, et s'avance vers Sélénia.
- Ça va ? lui lâche Arthur.
- Ça ira mieux quand j'aurai récupéré mon lacet, répond-elle, les mains toujours sur sa poitrine.
Arthur tourne son épée et commence à défaire le nœud qui l'attache au lacet.
- Eh bien moi, j'ai eu la peur de ma vie ! confie Bétamèche, trop content d'être de retour sur la terre ferme.
Sélénia hausse les épaules, comme pour minimiser l'aventure.
- Oui, bon. On va pas en faire toute une histoire, c'est quand même que de l'eau ! lance-t-elle avec une mauvaise foi évidente pour tout le monde.
Comme pour la punir, le ciel décide de faire craquer la petite branche et notre princesse tombe dans le lac.
- Arthur ! Au secours ! Je ne sais pas nager, hurle la princesse affolée, battant des bras comme un oisillon.
Arthur n'écoute que son cœur et son courage. Il court sur la branche et effectue un magnifique plongeon, la tête la première. Malheureusement, il n'y a pas assez de fond et notre héros se fracasse la tête.
- Il est vraiment très amoureux ! murmure Bétamèche, qui a mal pour son ami.
Arthur se relève en se tenant la tête. Il a de l'eau jusqu'aux genoux. La princesse se débat toujours.
- Mais... Sélénia ?! Il n'y a pas d'eau, regarde ! Tu as pied !!! Sélénia se calme peu à peu et réalise effectivement que ses pieds touchent le fond. Elle hésite un instant puis finit par se mettre debout, de l'eau jusqu'aux mollets.
- Et... C'est que de l'eau ! lui balance Bétamèche, toujours prêt à lui en placer une.
- Je peux avoir mon lacet ?! insiste Sélénia, vexée comme un pou. Elle lui arrache des mains avant de se retourner pour ne pas être vue.
- Ça fait quand même deux fois qu'il te sauve la vie dans la même journée ! lâche Bétamèche, toujours prêt à attiser le feu.
- Il a fait ce que tout gentilhomme aurait fait à sa place, réplique la princesse, que la mauvaise foi n'a pas quittée.
- Peut-être mais... Ça mérite un petit merci, je trouve ! insiste Bétamèche.
Arthur lui fait signe de laisser tomber. Les honneurs l'embarrassent toujours.
Mais Bétamèche insiste. Il adore taquiner sa sœur là où ça fait mal.
Sélénia finit de nouer son lacet puis s'avance vers Arthur » tout intimidé. Elle s'arrête devant son sauveur et lui arrache l'épée des mains.
- Merci ! dit-elle sèchement, avant de lui passer devant et de s'éloigner.
Bétamèche sourit et hausse les épaules.
- C'est comme ça les princesses ! lance-t-il à Arthur, bien plus perdu dans les méandres du comportement féminin que dans les eaux de ce fleuve en furie.