Chapitre 5

Dans le salon, Arthur déplie à son tour son papier. Il s'agit du dessin de la princesse Sélénia qu'il a subtilement échangé. Arthur caresse le dessin, comme son seul espoir. L'huissier poursuit son affaire :

« Malgré la faible somme due, la loi est la loi. Je vais donc procéder à la saisie du bien pour recouvrer la créance à hauteur de 3 € », annonce-t-il.

Il y a deux points communs entre l'huissier et le pit-bull, ils ne lâchent jamais leur prise, et ils ont le même sourire devant la souffrance.

Martin, le gentil officier, se sent un peu obligé d'intervenir.

« Écoutez, la somme restant due est très faible, on peut quand même lui donner quelques jours pour payer, non ? », dit-il avec bon sens.

L'huissier semble un peu embarrassé.

- J'aimerais bien, mais... Le jugement précise un acquittement immédiat et total de la somme. Si je n'applique pas le jugement à la lettre, je risque d'être sanctionné.

- Je comprends, dit gentiment la Mamie, dont la bonté est décidément sans limite. Allez-y, faites votre travail, ajoute-t-elle en s'écartant pour lui laisser le passage.

L'huissier se sent d'un seul coup tout penaud, et hésite à entrer. Ça ne dure pas longtemps et il s'avance, mais le gentil policier l'arrête dans son élan.

« Attendez ! dit-il en sortant son portefeuille. Voilà... 3 €, le compte est bon ! », finit-il en tendant l'argent. L'huissier se sent tout bête, et ça fait toujours bizarre quand on est le dernier à s'en rendre compte.

- C'est... C'est pas exactement la procédure mais... vu les circonstances, j'accepte !

La Mamie est au bord des larmes, mais la dignité contrôle tout ça.

- Merci Officier, je... Je vous rembourserai dès que... Dès que je le pourrai !

- Ne vous inquiétez pas Madame Suchot, je suis sûr que lorsque votre mari sera de retour, il trouvera le moyen de me dédommager, dit-il avec une extrême gentillesse.

- J'y veillerai, lui répond la grand-mère, trop émue pour soutenir son aimable regard.

Le policier attrape l'huissier par l'épaule et l'entraîne.

- Allez, vous avez assez travaillé pour aujourd'hui ! On va rentrer maintenant.

L'huissier n'ose pas le contredire.

- Madame, mes respects, prend-il le temps de dire avant de se faire embarquer.

La grand-mère ferme doucement la porte et reste là un moment, un peu abasourdie.


Le téléphone sonne, juste à côté d'Arthur. Il décroche sans entrain.

« Allo ? Arthur chéri ? C'est Maman ! Comment ça va ? », siffle la voix dans le combiné.

- Ça va super ! répond Arthur, sarcastique. Mamie et moi, on est en super-forme !

La grand-mère revient dans le salon et fait des grands signes à son petit-fils, qu'on pourrait traduire par : « Ne leur dis rien ».

- Qu'est-ce que tu as fait de beau ? se renseigne machinalement sa mère.

- Du rangement ! lance Arthur. C'est fou le nombre de vieilles choses qui ne servent à rien et qu'on peut entasser dans une maison. Mais grâce à Mamie, on a tout jeté !

- Arthur, s'il te plaît, ne les affole pas ! chuchote la grand-mère. Arthur fait mieux que ça. Il raccroche.

- Arthur ?! Tu as raccroché au nez de ta mère ?! s'offusque la grand-mère.

- Mais non. Ça a raccroché tout seul ! explique-t-il en se dirigeant vers l'escalier.

- Mais où vas-tu alors ? Reste là, elle va rappeler dans la minute.

Arthur s'arrête au milieu de l'escalier et dévisage sa grand-mère.

- Ils ont coupé la ligne, Mamie ! Tu ne vois pas ce qu'il se passe ? Tu es tombée dans un piège. Un piège qui toutes les heures se resserre un peu plus. Mais je ne me laisserai pas faire. Moi vivant, ils n'auront pas cette maison !

Arthur a probablement piqué cette dernière phrase dans un film d'aventures, mais qu'est-ce qu'il l'a bien dite. Il fait demi-tour et monte fièrement les escaliers. S'il avait un chapeau, on le prendrait pour Indiana Jones. La Mamie décroche le téléphone et constate effectivement que la ligne est coupée.

- C'est probablement une coupure temporaire, ça arrive souvent quand il y a de l'orage.

- Il n'a pas plu depuis un mois, lance Arthur du haut des escaliers.

Ça cogne à la porte.

- Ah, tu vois ? Ça doit être le réparateur, se rassure la grand-mère. Elle se précipite sur la porte qui retenait un technicien en tenue de travail.

- B'soir m'dame ! dit le technicien en la saluant du bout de la casquette.

- Ah vous tombez bien ! fait la grand-mère. Le téléphone vient à l'instant d'être coupé, et je trouve que la moindre des politesses c'est de prévenir les gens avant de les humilier de la sorte !

- Je suis bien d'accord avec vous, m'dame ! concède poliment le technicien. Mais moi, je suis pas du téléphone, je suis de la compagnie électrique.

Il exhibe son écusson cousu sur sa veste, comme une preuve irréfutable :

«... Et je venais justement vous prévenir que vous allez bientôt être coupée pour défaut de paiement. Il sort, lui aussi, une lettre officielle. La grand-mère va pouvoir en faire collection.


Arthur entre dans le bureau vide. À part quelques objets sans valeur, il ne reste plus que le bureau, une chaise et le tableau de Grand-père.

Le jeune garçon, dépité, s'assied sur la chaise et relit le bandeau, miraculeusement oublié. Il faut dire que le morceau de toile n'a pas beaucoup de valeur, même si le conseil qu'il révèle n'a pas de prix.

« Les mots en cachent souvent d'autres », relit Arthur, à voix haute.

L'énigme est là, devant lui. Il le sait. « Aide-moi Grand-père. Si les mots peuvent en cacher d'autres, quelle est l'énigme qui se cache derrière ces mots-là ? » Il a beau interroger son grand-père du regard, le tableau reste définitivement muet.

La grand-mère a fini de lire la feuille bleue et la rend à l'employé.

« Et... Je serai coupée quand ? », dit-elle, presque habituée.

- Rapidement, je pense ! lui répond le technicien au moment où la lumière s'éteint dans toute la maison.

- Effectivement, c'est très rapide ! concède la grand-mère. Ne bougez pas, je vais chercher une bougie.

Arthur fait craquer une allumette et l'approche d'une bougie. Une petite boule de lumière se forme, comme une oasis dans le désert. Il pose la bougie sur le bureau et s'éloigne de quelques pas, histoire de mieux voir cette banderole, clé de l'énigme.

« C'est le moment d'être brillant ! », se dit-il à lui-même, comme un défi.

« Les mots... peuvent... en cacher... d'autres ». La lumière de la bougie, placée légèrement en arrière, accentue la transparence du bandeau et Arthur semble apercevoir quelque chose.

Il prend la bougie à la main, monte sur la chaise et place la lumière juste derrière la banderole. Soudain, en transparence, des mots apparaissent. Des mots qui en cachaient d'autres. Le visage d'Arthur s'illumine. « Bien sûr ! », s'exclame-t-il.

Il essaye de contenir sa joie, car le temps presse. Il fait courir la bougie derrière le bandeau et lit la phrase cachée, au fur et à mesure. En lisant, il a l'impression d'entendre la belle voix toute rouillée. C'est comme si son grand-père avait fait irruption dans la pièce.

« Mon cher Arthur, j'étais sûr que je pouvais compter sur toi et que tu trouverais cette simple charade. »

Arthur grimace : « Pas si simple quand même », semble-t-il répondre à son grand-père.

La voix de l'aïeul résonne à nouveau.

« Tu ne dois pas être loin d'avoir dix ans pour être aussi malin. Par contre, moi je ne suis pas très malin car si tu lis ces lignes, c'est que je suis probablement mort. »

Arthur s'arrête un instant. Son grand-père soudainement si vivant qu'il faudrait déjà imaginer mort ! L'enfant ne veut même pas y penser.

« C'est donc à toi que revient la lourde tâche de finir ma mission. Si tu l'acceptes, évidemment. » Arthur regarde le portrait de son grand-père. La confiance que le vieil homme lui accorde gonfle ses petits poumons.

- Je l'accepte, grand-père, dit-il solennellement, avant de revenir à sa lecture : « Je n'en attendais pas moins de toi, Arthur. Tu es mon digne petit-fils », lui a écrit le grand-père. Arthur sourit, étonné par la clairvoyance du vieil homme.

- Merci, lui répond-il. Le texte continue : « Pour rejoindre le pays des Minimoys, il faut que tu saches quel jour aura lieu le prochain passage. Il n'y en a qu'un seul par an. Pour le savoir, il faut prendre le calendrier universel qui est sur mon bureau et compter la dixième lune de l'année. La nuit de la dixième lune, à minuit précis, la lumière s'ouvrira vers le pays des Minimoys. »

Arthur n'en croit pas ses oreilles. Tout ce qu'il imaginait était donc vrai.

Le trésor caché, les Minimoys et... la princesse Sélénia. Il laisse échapper un petit soupir, puis se ressaisit et fonce vers le bureau pour y chercher le calendrier. Heureusement, il a été délaissé par l'antiquaire. Arthur le consulte hâtivement et compte les pleines lunes. « Sept... huit... neuf... dix ! » Il regarde la date à laquelle cela correspond. « Trente-et-un juillet ! Le jour de mon anniversaire ! C'est-à-dire... aujourd'hui ! », réalise-t-il d'un seul coup, sidéré par la coïncidence.

Arthur se retourne vers la pendule, accrochée au mur. Elle marque vingt-trois heures trente-six. « C'est dans vingt minutes ! », lance-t-il, déjà affolé.


La grand-mère, à la lumière d'une bougie, finit de signer le papier que lui tend aimablement le technicien. « Voilà. Le rose est pour vous, le bleu est pour moi. Un pour les filles, un pour les garçons », essaye-t-il de plaisanter, mais la blague tombe à l'eau. La Mamie reste fermée comme un bout de marbre.

« Pour faire rétablir le courant, il vous suffit de vous rendre au bureau central, entre neuf heures et dix-huit heures, avec un chèque, évidemment. »

- Évidemment, souligne la grand-mère avant d'ajouter, curieuse : Dites-moi, comment cela se fait-il que vous travailliez encore à cette heure-ci ? Il est plus de dix-huit heures, non ?

- Croyez-moi, cela ne m'amuse pas, mais c'est le bureau, confie l'employé. Ils voulaient absolument que je passe ce soir. Ils m'ont même payé en heures triples ! C'est à croire qu'il y a quelqu'un qui vous en veut à la G.E.D !

- La G.E.D ? s'interroge la grand-mère.

- La Générale électrique Davido, précise le technicien.

- Ah ! Je comprends mieux ! soupire la Mamie. Soudain on entend des coups, provenant du premier étage. Probablement des coups de marteau.

Le technicien s'inquiète un peu et tente une nouvelle plaisanterie.

- On dirait que je ne suis pas le seul à faire des heures supplémentaires, ici ?

- Non. Ça ce sont des fantômes, dit la grand-mère avec une assurance qui interdit le doute. La maison en est pleine. D'ailleurs, vous devriez vite rentrer chez vous parce qu'ils ne supportent pas les uniformes.

Le technicien se regarde de la tête aux pieds : il n'y a pas plus en uniforme que lui. Il sourit jaune, mais dans le doute, préfère partir.

- Elle est bonne ! Allez, je vous laisse ! dit-il en reculant vers le jardin.

Dès qu'il n'est plus éclairé par la bougie, il se met à courir pour rejoindre sa voiture.

La Mamie sourit, claque la porte et lève la tête afin de localiser d'où proviennent ces coups de marteau.


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