Chapitre 10
Le Roi est sur son trône et frappe le sol de son sceptre.
« Faites entrer le dénommé Arthur ! », dit-il de sa voix puissante.
Les deux gardes relèvent leurs armes et ouvrent le passage à Arthur, qui doit maintenant traverser la place sous le regard de tous.
La foule l'accueille à coups de « Oh ! » et de « Ah ! ». Ça ricane, ça roucoule, ça râle et ça rumine. Arthur fait de son mieux pour cacher sa timidité naturelle et embarrassante. Sélénia, toujours les bras croisés, regarde avancer ce sauveur tombé du ciel. Il ressemble plutôt à un oisillon tombé du nid. Bétamèche décoche un coup de coude à sa sœur. « Mignon, hein ? », glisse-t-il à la princesse qui hausse instantanément les épaules.
- Commun ! répond-elle en lui tournant le dos. Arthur passe juste à côté d'elle.
- Princesse Sélénia, mes hommages, parvient-il à lâcher, malgré sa timidité.
C'est à peine s'il a pu la regarder, de peur que son cœur n'explose.
Il se penche légèrement, la salue et reprend son chemin vers le Roi.
Sélénia ne l'avouera jamais, mais ce petit garçon poli et discret vient de marquer quelques points.
Le Roi aussi semble séduit, mais pas question non plus de déclarer trop tôt ses sentiments.
Il n'y a que Miro-la-taupe qui ne s'embarrasse pas de protocole. Il s'avance vers l'enfant et lui secoue largement les mains : « J'étais un grand ami d'Archibald. Je suis tellement content de rencontrer son petit-fils ! », lui dit-il, la voix pleine d'émotion.
Arthur est un peu embarrassé de se faire embrasser comme du bon pain par une taupe qu'il connaît à peine. « Miro ?! Laisse-le ! », lance le Roi, toujours soucieux du protocole.
La petite taupe se ressaisit, s'excuse d'un geste et rejoint sa place. Arthur vient se mettre face au Roi et se courbe devant lui, très poliment.
« Alors mon garçon, nous t'écoutons ! », lui lance le Roi, que la curiosité démange.
Arthur prend son courage à deux mains et se lance.
- ... Dans deux jours à peine, des hommes vont venir et détruire la maison et le jardin. Ce qui veut dire que mon monde à moi, et le vôtre, seront détruits et recouverts de béton.
Un silence de mort court dans l'assistance, comme un frisson désagréable.
- Voilà un malheur encore plus grand que celui que nous craignions, murmure le Roi.
Sélénia ne tient plus. Elle se retourne et vient bousculer Arthur du bout des doigts.
- Et toi, du haut de tes deux millimètres et demi, tu es venu pour nous sauver, c'est ça ?! lui balance la princesse avec mépris.
Arthur est surpris par son animosité, lui qui n'a que de l'amour à lui proposer.
- La seule façon d'arrêter ces hommes, c'est de les payer. C'est pour ça que mon grand-père est venu chez vous, il y a maintenant trois ans. Il cherchait un trésor caché dans le jardin qui permettrait de payer nos dettes. Je suis venu finir sa mission et retrouver ce trésor, explique-t-il avec humilité. Il faut dire que la mission lui paraît maintenant beaucoup plus difficile que lorsqu'il en rêvait devant les dessins, calé au fond de son lit douillet.
- Ton grand-père était un homme remarquable, concède le Roi, qui part dans ses souvenirs. Il nous a enseigné tellement de choses ! C'est lui qui, notamment, a enseigné à Miro comment apprivoiser l'image et la lumière.
Miro acquiesce dans un soupir, plein de nostalgie. Le Roi est lancé :
- Il est parti un jour, à la recherche de ce fameux trésor. Après avoir sillonné les sept terres qui forment notre monde, il le trouva enfin... Au milieu des terres interdites, au centre du royaume des ténèbres, au cœur de la cité de Nécropolis.
La salle frissonne en imaginant cette descente aux enfers. Le Roi en rajoute.
- Nécropolis, contrôlée par une puissante armée de séides, elle-même sous l'emprise de leur chef qui règne en maître absolu : le célèbre M... le maudit.
Quelques spectateurs s'évanouissent. On est sensible chez les Minimoys.
- Et malheureusement... Personne ne revient jamais du royaume des ténèbres, conclut le Roi qui cherche apparemment à démoraliser Arthur.
- Alors ? Toujours prêt pour l'aventure ? lui lance Sélénia, toujours aussi provocatrice.
Bétamèche en a assez et vient s'interposer entre Arthur et Sélénia.
- Laisse-le tranquille ! Il vient d'apprendre qu'il a perdu son grand-père. C'est assez dur comme ça, non ?
La phrase résonne dans la tête d'Arthur. Il ne l'avait pas comprise aussi clairement. Les larmes lui montent aux yeux. Bétamèche comprend qu'il a gaffé.
- Enfin... Je veux dire... On n'a pas de nouvelles et... Personne ne revient jamais... Alors...
Arthur retient ses larmes et gonfle ses petits poumons de courage.
- Mon grand-père n'est pas mort ! J'en suis sûr ! lance-t-il avec assurance.
Le Roi s'avance un peu vers lui, ne sachant comment gérer la détresse de ce petit garçon.
- Mon cher Arthur, je crains malheureusement que Bétamèche n'ait raison. Si ton grand-père est tombé entre les mains de M. le maudit, ou sur l'un des affreux séides qui composent son armée, il y a peu de chances que nous le revoyions un jour !
- Justement ! « M » est peut-être maudit, mais sûrement pas idiot ! Quel intérêt aurait-il à supprimer un vieillard ? Aucun. Par contre, pourquoi ne pas garder avec lui un homme au savoir infini, un pur génie capable de régler toutes sortes de problèmes ?
Le Roi est intrigué par cette hypothèse à laquelle, visiblement, il n'avait pas pensé.
- J'irai au royaume des ténèbres et je retrouverai mon grand-père ainsi que le trésor ! Même si je dois les arracher des griffes de ce satané Maltazard !! lâche-t-il, dans l'énervement. Il ne s'est pas rendu compte qu'il vient de prononcer le nom qu'il ne devait jamais prononcer. Le nom qui porte malheur et, comme chacun sait, le malheur ne se fait jamais attendre. Une alarme se déclenche dans toute la ville. Un garde fait irruption au palais et hurle : « Alerte à la porte centrale !! »
C'est la panique la plus totale dans l'assistance. On court dans tous les sens, on se bouscule, on s'affole... Le Roi quitte son trône et se dirige aussitôt vers la porte centrale, entrée principale de la ville.
Sélénia pose sa main sur l'épaule d'Arthur, confus d'avoir créé un tel cataclysme.
« On peut dire que tu as soigné ton entrée ! lui balance la princesse comme un serpent balance son venin. On ne t'a pas prévenu qu'il ne fallait jamais prononcer ce nom ? » Le pauvre Arthur se tord les mains dans tous les sens.
- ... Si, mais...
- Mais Monsieur n'en fait qu'à sa tête, c'est ça ?
Elle le laisse là, planté comme un piquet, sans lui donner le temps de s'expliquer ni même celui de s'excuser. Arthur tape du pied par terre, tellement furieux d'avoir gaffé. La foule se presse devant la porte centrale et les gardes sont obligés de jouer du bâton pour se frayer un passage. Le Roi et ses deux enfants parviennent jusqu'à l'imposante porte. Miro ouvre une tirette et un petit miroir apparaît, un peu comme un périscope. La taupe s'approche et observe ce qu'il se passe de l'autre côté.
Un long tuyau, tel une gigantesque avenue, s'allonge à l'infini. Tout semble calme.
Miro tourne légèrement le miroir pour observer les côtés. D'un seul coup, une main tendue apparaît dans l'image. Un cri de stupeur résonne dans l'assistance. Miro tourne la molette du miroir pour baisser l'image. On découvre alors un Minimoy allongé sur le sol, en bien mauvais état. « C'est Gandolo ! Le bateleur de la grande rivière ! », s'écrie un garde qui a reconnu le pauvre homme. Le Roi se penche vers l'écran pour en avoir le cœur net.
- Incroyable ! On le croyait à jamais perdu dans les terres interdites ! s'étonne le Roi.
- Ça prouve qu'on peut en revenir ! lui répond Sélénia avec malice.
- Oui, mais dans quel état ? Ouvrez vite les portes ! ordonne le Roi.
Arthur jette un œil inquiet sur le bout de miroir, tandis que les gardiens font coulisser les grosses poutres qui bloquent la porte.
Arthur avance davantage. Quelque chose l'intrigue, en bas, à droite de l'image.
Quelque chose d'étrange, comme un angle qui se décolle. « Arrêtez ! », hurle Arthur. Tout le monde se fige dans sa position.
Le Roi se retourne vers l'enfant et l'interroge du regard.
- Sire, regardez là. On dirait un morceau qui se décolle. Le Roi se penche et constate par lui-même.
- Euh... oui effectivement. Mais ce n'est pas très grave. On le recollera plus tard, dit-il sans comprendre.
- Sire, c'est une toile peinte ! Et c'est un piège ! Mon grand-père utilisait cette méthode en Afrique pour se protéger des bêtes féroces ! lui explique Arthur.
- Mais nous ne sommes pas des bêtes féroces ! rétorque Sélénia. Et nous n'allons sûrement pas laisser mourir ce malheureux ! Et puis s'il revient des terres interdites, il a sûrement plein de choses à nous apprendre ! Ouvrez les portes ! ordonne la princesse.
À l'extérieur, Gandolo rampe au sol, la main en avant. Il implore, il supplie, mais il est difficile d'entendre ce qu'il dit. À moins qu'il ne le dise à l'oreille.
- N'ouvrez pas la porte ! C'est un piège ! murmure-t-il dans un souffle.
Personne n'a entendu la prière de Gandolo et les gardes s'activent à ouvrir le lourd portail.
On hésite cependant à se ruer au secours du pauvre bateleur.
Sélénia se dévoue et s'avance, seule et fière, bravant un danger qu'elle ne connaît pas encore.
« Sois tout de même prudente, ma fille », insiste le père, dont la carrure imposante est inversement proportionnelle à son courage.
- Si les séides devaient débarquer, on les verrait arriver de loin ! rétorque la princesse, sûre d'elle-même.
Il est vrai qu'à première vue, l'énorme tuyau vide s'étend à l'infini.
À première vue seulement. Et Arthur est persuadé qu'il s'agit bien d'un piège, dans lequel sa princesse préférée est en train de s'enferrer.
- Ne faites pas ça, princesse Sélénia, lui murmure Gandolo. La jeune femme s'avance davantage, comme attirée par cette voix qu'elle ne peut que deviner.
Arthur n'en peut plus. Il arrache une torche des mains d'un garde et la lance de toutes ses forces. La torche enflammée passe au-dessus de la tête de Sélénia et rebondit, en pleine course, sur une toile peinte jusqu'ici invisible. C'est la stupéfaction dans l'assistance. Arthur avait raison. Sélénia n'en croit pas ses yeux. La torche tombe à terre et met instantanément le feu à la gigantesque toile, qui s'embrase comme de la paille.
« Oh mon Dieu ! », lance Sélénia en regardant le mur de flammes consumer la toile. Arthur arrive à toute vitesse et la bouscule. Il attrape Gandolo par les jambes.
- Sélénia ?! Réveille-toi ! Il faut le sortir de là ! lui hurle Arthur pour couvrir le bruit des flammes.
La princesse sort de son état de choc et attrape le blessé sous les bras.
- Fermez les portes ! ordonne le Roi, d'une voix affolée. Arthur et Sélénia courent comme ils peuvent, encombrés par le corps de ce pauvre Gandolo.
La toile est presque entièrement consumée quand un dernier gros morceau tombe au sol, laissant apparaître une armée de séides.
- Oh mon Dieu ! s'écrie la princesse devant cette vision d'horreur.
Le feu est encore trop intense et les séides s'impatientent de l'autre côté du cadre. Ils sont une centaine, plus laids les uns que les autres. Le guerrier séide est une espèce d'insecte, transfuge d'un croisement dont personne ne veut connaître l'origine. Leurs armures sont faites de coques de fruits pourris. Ils ont des armes en tous genres, principalement des épées. Pour l'occasion, ils ont emporté les célèbres « larmes de la mort ». Ce sont des gouttes de pétrole, retenues par un tressage en corde et montées au bout d'une fronde. On allume la tresse, on la jette et cela propage une langue de feu sur tout ce qui bouge et même sur ce qui ne bouge pas. Les séides ont chacun une monture. Ce sont des moustiks. Dressées et harnachées pour la guerre, ces bêtes ont été lobotomisées dès leur naissance pour être plus dociles.
La rumeur dit que l'intervention n'est pas douloureuse pour l'animal, vu qu'il n'y a pas grand-chose à lobotomiser. Mais le chef séide n'est pas là pour poser en attendant qu'on le décrive, et il décide de lancer l'assaut malgré le feu encore intense.
Il lève son épée dans les airs et pousse un cri immonde. La centaine de séides reprend joyeusement le cri en chœur. « Dépêche-toi Sélénia !! », hurle Arthur, tandis que les portes se ferment et que les premiers moustiks lui passent au-dessus de la tête.
Sélénia réunit toutes ses forces et parvient à l'intérieur. Le Roi se jette sur la porte et vient, de ses bras puissants, finir le travail des gardes.
Plusieurs moustiks viennent s'écraser sur la porte fermée, tandis que les gardiens font coulisser les poutres de sécurité. Malheureusement, une dizaine de moustiks sont parvenus à entrer dans la cité et tournent déjà dans les airs. C'est la panique dans la ville, chacun essayant de rejoindre son poste de combat.
Les séides ont levé leurs « larmes de la mort » et les font tourner autour de leurs têtes. Les moustiks piquent vers le sol, comme des zéros sur des bateaux, et les boules de feu explosent au sol, laissant d'immenses traînées qui embrasent tout sur leur passage. C'est Pearl Harbor. « Il faut se battre Arthur ! Jusqu'au bout ! », lance fièrement Bétamèche.
- Je veux bien, mais avec quoi ?! lui dit l'enfant, totalement perdu.
- Tu as raison ! Tiens ! lui répond Bétamèche en lui donnant son bâton. Je vais chercher une autre arme ! Bétamèche part en courant, laissant Arthur avec son bâton. Les séides s'en donnent à cœur joie et ponctuent leur ballet aérien de largages de bombes.
Une boule de feu vient heurter le souverain par derrière. Le grand homme trébuche et s'écroule à terre, en deux morceaux.
Arthur pousse un cri de stupeur, mais Sélénia ne semble pas plus inquiète que ça.
Elle aide son père à se relever tandis que Palmito, son fidèle malbak, se redresse tout seul.
Palmito est un gros animal en fourrure à la tête plate, ce qui est plus pratique pour l'accrocher au siège royal. C'est lui qui sert de corps au Roi afin de lui procurer la force et l'assurance nécessaires à sa tâche car dans la réalité, le Roi n'est qu'un petit vieux, bien plus petit que sa fille qui tendrement l'époussette.
« Tu n'as rien ? », demande fébrilement le Roi à son compagnon de marche.
Palmito fait non de la tête et esquisse un sourire, comme pour s'excuser d'être tombé aussi facilement.
- Rentre au palais ! lui dit le Roi. Ta belle et grande fourrure est une cible trop facile pour les larmes de la mort !
Le malbak hésite à quitter son maître.
- Dépêche-toi ! File ! lui ordonne le Roi. Palmito, tout penaud, disparaît dans le palais.
Le Roi observe un instant la débâcle qui règne dans la ville et le ballet aérien des moustiks, digne de la bataille d'Angleterre.
« Organisons la riposte ! », lance le Roi, volontaire. Chacun récupère ce qu'il peut pour éteindre les feux qui naissent partout.
Les mères ramassent les enfants et les glissent dans des trappes prévues à cet effet.
Sur le flanc gauche, une dizaine de Minimoys ont sorti une catapulte artisanale.
Le chef de la manœuvre met son casque et s'assied dans son petit siège de tir. Il actionne son viseur qui vient se placer devant lui. Un chargeur de groseilles libère les grains, un par un, dans une cuiller en bois reliée à un complexe système de ressorts.
Le chef suit un moustik dans son viseur, puis déclenche le tir. Une groseille trace vers le ciel. Rate son moustik. Automatiquement, le chargeur lâche une nouvelle groseille dans la cuillère.
Miro a rejoint son poste de contrôle des miroirs. Il vérifie son réseau de leviers en consultant ses bouliers. Sur le flanc droit, Bétamèche sort d'une maison, avec deux petites cages à la main. Chacune contient le même animal : des sortes de boules blanches ressemblant aux fleurs de pissenlits qu'on souffle dans les champs. Ce sont des Mül-mül, qui poussent d'adorables petits cris. Des cris d'amour, comme chacun le sait, puisque les Mül-mül sont bien connus pour l'amour intarissable qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. « Allez les tourtereaux ! Ça va être le moment de prouver que vous vous aimez vraiment ! », lance Bétamèche en confiant l'une des cages à l'un de ses collègues. « Tu ne le libères qu'à mon coup de sifflet !! », lance-t-il au collègue avant de partir en courant à travers la ville, ravagée par le feu des séides.
Le chef de tir catapulte à nouveau une groseille qui, malheureusement, rate une nouvelle fois sa cible. Le séide, vexé d'avoir été tiré comme un vulgaire pigeon, pique vers la catapulte et largue une « boule de mort ». Lui aussi rate sa cible et la boule fauche Arthur au passage. Le garçon s'envole sur quelques mètres et retombe à cheval sur une groseille, fraîchement arrivée dans sa cuiller.
Le chef de tir ne l'a évidemment pas vu, trop absorbé par le moustik qu'il suit dans son viseur.
« Oh non ! », lâche Arthur, réalisant dans quelle position délicate il se retrouve.
Le chef actionne son clapet et la groseille s'envole, ainsi qu'Arthur.
Les deux projectiles traversent le ciel de la ville, en direction d'un moustik imprudent.
« Vous avez vu ? Arthur ?! Il vole ! », s'étonne le chef de tir.
- C'est toi qui l'a envoyé dans les airs, imbécile ! répond son supérieur.
Le séide voit la groseille arriver sur lui. Il a juste le temps de baisser la tête et de l'éviter de justesse. Par contre Arthur s'étale sur l'arrière du moustik, déséquilibrant l'animal pendant un instant.
Le séide se retourne pour constater les dégâts et aperçoit Arthur qui se cramponne comme il peut aux fesses du moustik. Pour faire bonne figure, l'enfant met son bâton en avant et prend l'air vaguement méchant.
Le séide lui sourit et sort une épée monstrueuse, taillée dans l'acier. Le guerrier se met debout sur sa monture et avance vers l'enfant avec la ferme intention de le couper en deux. L'enfant essaye, tant bien que mal, de se tenir debout aussi, mais ce n'est pas facile avec ce moustik qui surfe dans les airs comme une otarie dans les vagues.
Le guerrier lève le bras et frappe Arthur de toutes ses forces. L'enfant se baisse au dernier moment et le bras du séide, entraîné par le poids, s'enroule autour de son cou et l'étouffe à moitié. Du coup, il perd l'équilibre et tombe de sa monture à la grande surprise d'Arthur. Le voilà donc obligé de prendre les commandes de l'animal.
Arthur attrape une rêne dans chaque main et tente de ne pas céder à la panique.
« Bon ! Ça doit pas être plus compliqué que la voiture de Mamie ! se dit-il sans être vraiment convaincu... Pour aller à gauche... il suffit sûrement de tirer à gauche. » Arthur tire légèrement sur la rêne de gauche, mais « légèrement » n'est pas dans le vocabulaire du moustik, qui se met instantanément à voler sur le dos.
Arthur tombe en hurlant et se rattrape, in extremis, aux extrémités des rênes emmêlées dans son bâton. L'animal vole n'importe comment, perdu dans les indications confuses que lui donne son pilote.
Le moustik part en piqué et fait du rase-mottes au-dessus de la ville.
« Attention Bétamèche ! », hurle l'enfant, à deux doigts d'assommer son ami avec ses jambes pendantes.
Bétamèche s'est jeté à terre, mais déjà Arthur remonte dans les airs.
Aussitôt, il est pris en chasse par un autre séide.
Miro l'a vu et oriente son siège en direction des deux moustiks qui longent la paroi. Arthur, toujours pendu au bout des rênes, guide l'animal comme il peut. Derrière lui, le séide a sorti son épée et la brandit au-dessus de sa tête. Miro repère leurs trajectoires et actionne un miroir, qui surgit brutalement du mur, juste après le passage d'Arthur. Son poursuivant le prend en pleine figure, stoppé net dans sa course.
Un autre séide, qui vient de voir son collègue se faire « miroiter », monte au plafond de la grotte et vole en rase-mottes.
« Faites attention aux parois, hurle-t-il à ses camarades de combat. Il y a des pièges dans les murs ! Volez plutôt au plafond, c'est plus s...»
Il n'aura pas le temps de finir. Miro lui décoche un miroir du plafond, comme on décoche un uppercut. Le séide le prend de plein fouet. Le choc est si violent que ça l'arrache de sa monture, qui continue sans lui.
Bétamèche, tout essoufflé, a traversé la ville avec sa petite cage et il s'enfonce de quelques mètres à l'intérieur du tunnel qui mène à la salle des passages.
Il reprend un instant son souffle et puis sort son beau sifflet. À l'autre bout de la ville, son collègue a attendu le signal et il ouvre la petite cage. Le Mül-mül s'envole aussitôt, à la recherche de sa femelle.
Le petit animal tourne dans les airs, affolé comme un chien pas sûr de son flair.
Puis il trouve enfin la direction et fonce au-dessus de la ville. La boule blanche passe à toute vitesse devant un moustik qui change immédiatement de direction, sans que son cavalier lui en ait donné l'ordre.
« Qu'est-ce que tu fais, abruti ? », demande le séide à sa monture.
Elle suit le Mül-mül, de loin son repas favori. Le séide a beau tirer les rênes dans tous les sens, rien n'y fait. Estomac vide n'a pas d'oreilles.
« Mais c'est pas l'heure de manger, crétin à six pattes ! » Le moustik n'a que faire de ces insultes. Il ne voit que cette appétissante petite boule blanche qui l'entraîne en direction du tunnel, beaucoup trop étroit pour lui. « Non ! », hurle le séide qui vient seulement de comprendre dans quelle sorte de piège il est tombé. Le Mül-mül s'engouffre dans le boyau pour rejoindre sa femelle, et le moustik fracasse tout ce qui dépasse en voulant le suivre.
Bétamèche ouvre sa cage et le mâle rejoint immédiatement sa femelle qui se jette amoureusement dans ses bras. Évidemment, ce n'est qu'une expression, puisque les Mül-mül n'ont pas de bras.
« Bien joué, les amoureux », lance Bétamèche qui repart en courant pour se remettre en place.
Arthur pend toujours au bout de ses rênes et un nouveau séide le prend en chasse. Le guerrier sort sa lourde épée et s'apprête à couper notre héros en rondelles. C'est vrai que, pendu comme ça, il a tout du saucisson. Le séide se rapproche, l'épée tourne dans les airs, Arthur voit sa fin arriver.
Le guerrier frappe un grand coup. Arthur lève les jambes et l'épée se prend dans les rênes.
« Pardon », lance Arthur, poli en toutes circonstances. Furieux, le séide tente de dégager son arme en tirant dessus.
Le moustik prend évidemment ce mouvement d'humeur pour une indication de route et il se cabre. Le séide, ne voulant pas lâcher son épée, se retrouve arraché de sa monture.
Arthur perd l'équilibre, lâche les rênes, tombe et se retrouve à cheval sur le moustik de son poursuivant, qui ne sera pas resté longtemps sans maître.
Arthur reprend un peu ses esprits et attrape ses nouvelles rênes qu'il enroule sur son bâton.
« Bon !.. Deuxième essai ! », se lance-t-il pour se donner du courage.
Cette fois-ci, il tire très lentement sur la lanière de cuir et le moustik exécute un magnifique et large virage à gauche. La force centrifuge est impressionnante, mais notre héros tient le coup.
« Wouah ! Ça y est, j'ai pigé ! À moi la bataille ! », hurle-t-il avec ferveur, avant de se prendre une groseille en pleine poire. Il perd le contrôle de son moustik, endommagé par le tir.
- Je l'ai eu ! se réjouit le tireur, accroché au flanc de la catapulte.
- Mais c'est Arthur que tu as dégommé, abruti ! lui rétorque son chef.
Arthur et son monstre incontrôlable foncent droit sur un autre séide, qui brandit une « boule de mort ».
- Attention ! crie Arthur au séide, qui n'aura que le temps de voir la catastrophe lui arriver dessus.
Les deux montures se télescopent et la boule de mort éclate sur le moustik d'Arthur.
Heureusement, notre héros a eu la bonne idée de sauter dans le vide avant la collision. Mais maintenant, il se demande si c'était finalement une si bonne idée que ça, car, vu sa nouvelle taille, il est en train de tomber de cent mètres de haut. Heureusement, il tombe de nouveau à cheval sur un moustik sans pilote.
Il est sauvé, avec juste un petit problème à régler : il est assis dans le mauvais sens et ne voit absolument pas où sa nouvelle monture l'entraîne.
Son ancienne monture a pris feu et descend en piqué vers le Roi. Sélénia l'a vue.
« Attention ! », hurle-t-elle en se précipitant sur son père. Le vieil homme trébuche sous le poids de sa fille, qui se jette sur lui comme une couverture.
Le moustik touche le sol et explose, dans une longue traînée de feu.
« Ça va, père ? », s'inquiète aussitôt Sélénia.
- Ça va aller, lui répond le Roi, affaibli. Mais je préfère pour l'instant rester allongé. C'est mieux pour regarder le spectacle, plaisante-t-il, se sachant incapable de se relever pour l'instant.
Sélénia lui sourit et reste à ses côtés.
Arthur joue les acrobates et parvient à se remettre dans le sens de la marche.
« Bon ! Voyons si j'ai fait des progrès ! », dit-il en attrapant à nouveau les rênes.
Arthur donne des petits coups secs. Le moustik réagit mieux qu'une Ferrari.
« Voilà qui est mieux ! », lance le petit homme, de plus en plus sûr de lui.
Il se met immédiatement en chasse, derrière un séide. Le Roi l'a aperçu.
« Sélénia ? Regarde ! », dit-il à sa fille en pointant l'enfant du doigt.
La jeune princesse cherche un instant dans le ciel et aperçoit notre héros à la poursuite du séide.
Elle en reste bouche bée, partagée entre la jalousie et l'émerveillement.
Arthur parvient à glisser sa monture juste au-dessus de celle du séide.
L'enfant se racle la gorge pour attirer l'attention du guerrier. Ce dernier lève la tête et aperçoit Arthur. Lui aussi en reste bouche bée.
« Besoin de munitions ? », demande l'enfant avec humour. Puis il tire sur la corde qui retenait toutes les boules de mort. Le séide attrape comme il peut les premières, mais il ressemble à un skieur face à une avalanche. Il perd très vite le contrôle de son moustik qui vient s'exploser contre la paroi. Arthur a fait un virage très serré pour éviter le choc, comme un véritable pilote de chasse.
« Quelle bravoure ! Quelle audace ! », commente le Roi. C'est fou comme il me ressemble !
La phrase lui a échappé : «... Je veux dire : j'étais comme lui à son âge, vaillant, volontaire, valeureux...»
- Et déjà velu ? lui fait sa fille, toujours prête à balancer. Le Roi se racle la gorge et change de conversation.
- Il ferait un bon partenaire.
- Papa !! Je suis assez grande pour me débrouiller toute seule maintenant, j'ai pas besoin d'un chaperon ! réplique sa fille, excédée comme seuls les ados savent le jouer.
- J'ai rien dit ! J'ai rien dit ! rétorque le Roi en s'excusant. Arthur est fier comme un pou aux commandes de son moustik qui n'a plus de secrets pour lui.
« À qui le tour ?! », dit-il plein de bravoure, au moment où un Mül-mül passe à toute allure devant lui. Son moustik est immédiatement hypnotisé et se rue à la poursuite de son plat favori. Arthur a bien failli se faire éjecter de sa monture, tellement le virage a été violent. « Eh ?! Mais qu'est-ce qu'il te prend ?! », se demande Arthur, constatant qu'il n'a pas encore percé tous les secrets du moustik.
Il a beau tirer les rênes dans tous les sens, rien n'y fait. Son moustik ne s'arrêtera que lorsqu'il aura croqué le Mül-mül.
Bétamèche attend sa proie au fond du goulet, quand il aperçoit le pauvre Arthur pris au piège, fonçant vers le tunnel. « Oh non ! Pas lui ! », s'écrie Bétamèche, tétanisé. Miro voit la scène de loin. Il fait pivoter son siège et se prépare à un éventuel sauvetage.
« Le pauvre ! Il va se fracasser ! », lance le Roi avec terreur. Même Sélénia semble inquiète pour Arthur et c'est bien la première fois.
« Arthur ?! Saute ! », lui hurle Bétamèche.
L'enfant n'entend pas. Il tire tant qu'il peut sur les rênes qui finissent par lâcher.
Arthur part en arrière et tombe, malgré lui, de l'animal. « Arthur ?! », hurle Sélénia, les mains sur le visage. Arthur se raccroche miraculeusement à un bout de racine qui pend du plafond.
Le Mül-mül s'engage dans le petit tunnel et le moustik, qui était à sa poursuite, s'éclate contre les parois et finit en version « coupé-décapotable ».