Chapitre 11

Sélénia est soulagée et lâche un soupir qui la trahit. Elle se tourne vers son père qui la regarde en souriant. Il a senti le petit faible de sa fille pour le jeune héros. Se sentant démasquée, elle jette un regard noir à son père. « Quoi ? », demande-t-elle, froide comme un pic à glace.

- J'ai rien dit ! répond le Roi, en levant les bras comme s'il était déjà en état d'arrestation.

Au fond de sa nacelle, Miro sourit aussi en regardant ce petit bout d'chou qui pend au plafond, gesticulant comme un singe. « Il me plaît bien ce petit ! », concède-t-il. Bétamèche s'est rapproché d'Arthur, qui est presque à la verticale.

« Arthur ?! Ça va ?! », hurle-t-il, dans la direction de son ami.

- Impeccable ! lui répond l'enfant, au bord de l'épuisement. À peine a-t-il fini de parler que la racine s'allonge et finit par céder.

Arthur pousse un cri qui n'en finit pas, comme sa chute. Miro est sur le coup. Il actionne ses poignées les unes après les autres.

Un premier miroir sort du mur et récupère Arthur, qui glisse sur un deuxième miroir tout juste apparu. La glissade se prolonge sur un troisième miroir, puis un quatrième. Miro ouvre les miroirs au fur et à mesure et Arthur glisse à toute vitesse, comme s'il descendait des escaliers sur les fesses.

L'enfant rebondit d'une marche à l'autre et finit en vrac sur le sol poussiéreux.

Miro est soulagé, tout comme le Roi. Et tout comme Sélénia, dont le visage s'illumine.

Arthur a le dos en compote, il récupère son bâton et s'en sert pour se relever.

De loin, on dirait un petit vieux penché sur sa canne. «... À bien y réfléchir... C'est vrai qu'il te ressemble ! », lance Sélénia avec humour. Bétamèche vient au secours de son ami.

- Ça va ? Rien de cassé ? s'inquiète le Minimoy.

- Je ne sais pas. Je ne sens plus mes fesses ! Bétamèche pouffe de rire.


Le ciel de la ville s'est dégagé et beaucoup de moustiks se sont fait descendre.

Il n'en reste, en fait, plus que deux qui surgissent de nulle part et atterrissent aux pieds du Roi. Sélénia s'est instinctivement postée devant son père. Les deux séides descendent de leur monture et défouraillent leur épée. « T'inquiète pas. C'est pas le Roi qu'on veut... c'est toi ! », dit le séide en ricanant.

- Vous n'aurez ni l'un, ni l'autre ! rétorque bravement la princesse, en sortant un ridicule poignard. Les séides ricanent de plus belle, puis se ruent sur elle en hurlant.

Charger et hurler sont probablement les deux seules choses qu'un séide sache bien faire. Le combat est donc inégal. Sélénia réussit quelques passes, repousse quelques assauts, mais un mauvais coup fait voler son poignard en éclats. La voilà à terre, à la merci des deux guerriers souriant comme des cages d'escaliers. « Vas-y, attrape-la ! », lance l'un d'eux.

- Eh ?! hurle-t-on dans leur dos. Les deux séides se retournent et découvrent Arthur, la main armée de son fidèle bâton.

- Vous n'avez pas honte de vous attaquer à une femme ?

- Non ! reprend un séide après réflexion et avant de glousser bêtement.

- Prenez plutôt un adversaire à votre taille ! réplique Arthur en serrant les mains sur son pauvre bâton.

- Tu vois un adversaire à notre taille, toi ? dit le séide en tournant sur lui-même.

- Non ! lui répond son collègue, pouffant de rire. Arthur, vexé, gonfle ses petits poumons et charge les séides, son bâton en avant.

Le guerrier fait tourner son épée à la vitesse du son, et coupe le bâton d'Arthur à ras le manche. L'enfant s'arrête, bloqué net dans son élan.

- Vas-y, finis-le, je m'occupe de la fille ! balance l'autre séide, sans humour.

Arthur recule et évite, comme il peut, les puissants coups d'épée.

Sélénia se colle devant son père, prête à sacrifier sa vie pour lui. Mais le séide n'a que faire des sacrifices. Tout ce qu'il veut, c'est récupérer la princesse.

Arthur est furieux, frustré, anéanti par toutes ces injustices qu'il supporte maintenant depuis si longtemps. Où est donc ce bon Dieu qui nous défend du mal ? Où sont donc ces adultes et leurs belles paroles sur la justice, sur ce qui est bien et ce qui est vilain ? Il n'y a que du noir autour d'Arthur et il n'en peut plus.

Il trébuche sur une grosse pierre, sa main se raccroche à la poignée de l'épée magique. Est-ce un signe de la providence ? Une réponse à ses questions ?

Arthur n'en sait rien. La seule chose qu'il sait, c'est qu'une épée lui serait bien utile, et que celle-ci n'a rien à faire dans une pierre.

Arthur attrape l'épée et la dégage comme si elle était fichée dans du beurre.

Le Roi n'en croit pas ses yeux. Sélénia a la bouche ouverte. « Miracle ! », lance Miro, dans un souffle. Les deux séides regardent Arthur avec méfiance, se demandant comment il a pu réussir ce tour de magie. Mais comme toute réflexion, chez un séide, se termine par un assaut, les deux guerriers repartent à l'attaque.

Arthur lève son épée et engage le combat. À sa grande surprise, l'épée lui paraît légère et il exécute des parades sans même les avoir apprises. Il se bat avec grâce et légèreté, comme il le ferait dans un rêve. Bétamèche s'est rapproché de Miro.

« Où a-t-il appris à se battre comme ça, lui ?! », s'étonne le petit prince.

- C'est l'épée qui lui donne ce pouvoir, répond Miro. Elle multiplie la force du juste.

Les deux séides ont vite épuisé toutes leurs passes et ne savent plus comment s'y prendre. Arthur accélère et à chaque nouvel échange, il coupe davantage les épées des séides. Très vite, les deux guerriers n'ont plus que des manches dans les mains et préfèrent arrêter le combat.

Arthur en profite pour reprendre son souffle et afficher un sourire de vainqueur.

«... À genoux maintenant ! Et demandez pardon à la princesse ! », ordonne l'enfant.

Les deux séides se regardent et partent en courant vers leurs montures, histoire d'échapper à cette humiliation. Arthur se précipite sur les moustiks et leur tranche les pattes avant d'un coup d'épée. Les deux séides basculent en avant, roulent au sol et se retrouvent à genoux par terre. « J'ai dit : à genoux ! », insiste Arthur en les menaçant de la pointe de son épée.

Sélénia s'avance lentement et vient se poster devant les deux guerriers, tout penauds.

- Pardon..., dit le premier.

- Princesse, finit le deuxième.

Sélénia lève le menton, comme seules savent le faire les princesses.

- Gardes ! Qu'on emmène les prisonniers vers le centre de déconditionnement ! lance le Roi au milieu de la place pratiquement déserte.

Quelques gardes font timidement leur apparition et embarquent les deux séides.

Le Roi s'est rapproché d'Arthur, sûrement pour le féliciter.

- C'est quoi, un centre de déconditionnement ? demande Arthur, peu enclin aux compliments.

- C'est un mal nécessaire, lui répond le vieil homme. Je n'aime pas leur faire subir ce genre d'épreuve, mais c'est pour leur bien. Après ce traitement de choc, ils redeviennent ce qu'ils étaient avant : de simples et gentils Minimoys.


Arthur regarde les prisonniers s'éloigner, la gorge serrée à l'idée de l'épreuve qui les attend. Bétamèche vient taper dans le dos d'Arthur.

- Tu t'es battu comme un chef ! C'était incroyable !

- C'est cette épée. Elle est tellement légère, tout paraît facile ! explique modestement l'enfant.

- Ben oui ! C'est une épée magique ! Ça faisait des années qu'elle était dans la pierre, et toi tu l'as sortie ! lui annonce Bétamèche, tout excité.

- Ah bon ? lui répond Arthur tout étonné, en regardant son épée.

Le Roi s'approche de lui, un sourire très paternel au coin des lèvres.

- Eh oui Arthur ! Tu es un héros maintenant. Arthur le héros !

Bétamèche reprend la phrase à son compte et se met à hurler, fou de joie :

- Vive Arthur-le-héros !

Le peuple, qui peu à peu a réapparu, commence à applaudir, à crier sa joie en scandant le nom de son héros. Arthur lève timidement les bras, visiblement embarrassé par sa soudaine popularité.

Sélénia profite de l'euphorie générale pour convaincre son père :

- Maintenant que l'épée est sortie de la pierre, il n'y a plus une seconde à perdre ! insiste la princesse. Je te demande la permission de poursuivre ma mission.

Le Roi regarde cette foule en liesse, joyeuse et de nouveau insouciante, mais pour combien de temps ? se demande-t-il. Il pose un regard plein d'affection sur sa jeune fille, même si elle est déjà plus grande que lui.

- Je suis malheureusement d'accord avec toi, ma fille. La mission doit se poursuivre et tu es la seule, parmi nous, à pouvoir la mener à bien.

Sélénia laisserait bien éclater sa joie, mais la gravité du sujet (ainsi que le protocole) l'obligent à se contenir.

- J'y mets cependant une condition, ajoute le Roi, provoquant un suspense qui n'est pas pour lui déplaire.

- Laquelle ? s'inquiète la princesse.

- Arthur est brave et valeureux. Son cœur est pur et son combat est juste. Il t'accompagnera.

La phrase est nette et sans équivoque. Toute discussion serait inutile, Sélénia le sait déjà.

Elle baisse les yeux et accepte gentiment la décision de son père, ce qui n'est pas dans son habitude.

- Je suis fier de toi ma fille, avoue son père ravi. Je suis sûr que vous allez faire une bonne équipe tous les deux !

Il y a une heure à peine, elle aurait pris cette condition comme le pire des affronts. Mais Arthur s'est bien battu et a sauvé son père. Il y a autre chose aussi, qu'elle n'osera jamais s'avouer : une petite porte s'est ouverte dans son cœur » poussée par un souffle chaud, un petit courant d'air plein de tendresse. Une petite porte par laquelle Arthur s'est glissé. Elle lève doucement les yeux et son regard se pose sur son nouveau partenaire. Les deux enfants se regardent, presque pour la première fois.

Arthur sent bien que quelque chose a changé, mais il lui faudra grandir pour pouvoir le définir. Il lance un sourire timide à Sélénia, un peu gêné, comme pour s'excuser d'être son partenaire imposé.

Les yeux de Sélénia s'allongent, comme ceux des chats quand ils s'apprêtent à ronronner, et elle lui renvoie un joli sourire.


La porte centrale de la ville s'ouvre légèrement. Un garde y passe la tête et vérifie que le tunnel est vide. Il s'avance légèrement vers l'extérieur et décoche une flèche enflammée. Le projectile traverse le tunnel, éclairant au passage les parois suintantes.

La flèche se plante dans le sol, à bonne distance. Il n'y a pas de toile peinte.

- La voie est libre, hurle le gardien en se tournant vers la porte, qui s'ouvre aussitôt en grand. Tout le peuple Minimoy est là, réuni pour dire un dernier adieu à sa princesse et à son héros.

Arthur glisse l'épée dans un magnifique fourreau en cuir qu'il ne peut s'empêcher d'admirer.

Miro vient gentiment lui mettre la main sur l'épaule. Il a l'air tout chose.

- Je sais que tu vas à la recherche de ton grand-père, mais... Miro hésite, se tortille, puis se lance.

- Si jamais, dans tes recherches, tu tombes sur une petite taupe à lunettes qui répond au nom de Milo... C'est mon fils. Il a disparu depuis trois mois maintenant... Probablement les séides...

Miro baisse la tête, comme si la tristesse était trop lourde à porter.

- Tu peux compter sur moi, lui dit Arthur sans même hésiter. Miro lui sourit, émerveillé par l'énergie et la candeur de ce jeune héros.

- Merci Arthur. Tu es un bon garçon, répond-il. Bétamèche est un peu plus loin et s'apprête à mettre son sac à dos. Deux gardes soulèvent l'énorme besace, tandis que Bétamèche se glisse dans les bretelles.

- Tu es sûr que tu n'as rien oublié ? dit l'un des gardes avec humour.

- Sûr ! Allez-y, lâchez tout !

Les deux gardes, déjà essoufflés, lâchent le sac et Bétamèche, entraîné par le poids, part en arrière et s'écroule au sol comme une tortue sur le dos.

Les deux gardes sont pliés de rire, le Roi aussi, tandis que Sélénia soupire.

- Père ? Bétamèche doit vraiment nous accompagner ? J'ai peur qu'il nous retarde et nous avons déjà si peu de temps !

- Même s'il est encore jeune, Bétamèche est le prince de ce royaume et il sera amené lui aussi un jour à gouverner ! lui répond le Roi. Il doit lui aussi prouver sa bravoure et apprendre à travers les épreuves.

Sélénia est vexée et se met à bouder aussitôt, ce qui prouve qu'elle est de nouveau très en forme.

- Très bien ! Il n'y a plus de temps à perdre ! Adieu ! lance-t-elle en tournant les talons, sans même prendre le temps d'embrasser son père.

Elle se dirige vers la grande porte et passe devant Arthur.

- Allons-y ! lui fait-elle sans s'arrêter.

Arthur adresse un petit signe d'adieu à Miro et rattrape Sélénia.

Bétamèche vide son sac de quelques objets inutiles quand il voit partir sa sœur.

- Eh ? Attendez moi ! hurle-t-il en remettant son sac à dos sans prendre le soin de le refermer.

Il rejoint ses camarades en courant, perdant tout un tas d'ustensiles apparemment inutiles.

Sélénia est déjà dans l'immense tuyau. Bétamèche rattrape son retard.

- Eh ? Vous pourriez m'attendre tout de même ?! se plaint-il.

- Excuse-nous, on a un peuple à sauver ! lance la princesse comme un jet d'acide.

Les trois s'éloignent dans l'obscurité du tuyau. Seule la torche qu'Arthur a pris soin d'emporter éclaire un peu la route et forme une petite boule de lumière qui s'éloigne. Derrière eux, le peuple Minimoy leur adresse les derniers signes d'adieu, tandis que les gardes referment les lourdes portes.

Un claquement sourd et hermétique vient marquer la fermeture.

Le Roi soupire devant cette porte qui lui a volé ses enfants.

- J'espère qu'ils sauront éviter les séides ! souffle-t-il à Miro. D'ailleurs, à propos de séides, où en sont nos prisonniers ? s'interroge le Roi.

- Ils sont tenaces, mais ça progresse, lui répond la taupe.


Les deux séides en question ont quitté leurs armures et trempent dans une immense baignoire pleine de mousse multicolore. De jolies Minimoys font des bulles aux formes diverses, tandis que d'autres dansent lascivement sur un air de tamouré. L'ambiance est chaude, douce et enivrante, de quoi ramollir nos deux morceaux de granit.

Deux charmantes Minimoys s'avancent et leur tendent de somptueux cocktails.

- ... Nan !! répondent-ils en chœur.

C'est pas gagné.


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