Chapitre 17
Max essaie de se rapprocher davantage de Sélénia qui résiste poliment, comme dans un jeu amoureux. Elle jette un œil sur Arthur dont le désarroi semble la ravir. Petit plaisir de femme.
« Vous savez, trouver un mari dans les deux jours, ça va pas être facile ! explique Max qui a lancé sa machine à baratin. Mais je peux vous dépanner, si vous voulez ?! »
- C'est gentil, mais je vais m'en sortir, répond Sélénia, amusée par le jeu.
- J'aime rendre service. C'est dans ma nature. En plus, vous tombez bien, c'est plutôt calme en ce moment : je n'ai que cinq femmes !
- Cinq femmes ? Ça doit être beaucoup de travail tout de même ? s'inquiète Sélénia en souriant.
- Je suis un grand travailleur ! assure le patron. Je peux travailler jour et nuit, sept jours sur sept, sans jamais être fatigué !
Arthur est avachi sur sa table, son regard triste accroché à l'image de sa princesse qui danse. Avec un autre.
- ... De toutes façons, elle est trop grande pour moi ! se dit-il, découragé. Mille ans ! J'en ai que dix ! Qu'est-ce que je vais faire avec une vieille ?!
Un séide recruteur vient s'asseoir face à lui, masquant ainsi la vue sur sa princesse.
- Qu'est-ce qu'un beau gaillard comme toi fait avec un verre vide ? lui lance le séide avec le sourire d'un chasseur qui a flairé le pigeon.
- ... Il faut bien qu'il soit vide, si on veut le remplir ? lance Arthur, que l'alcool ramollit. Le séide sourit. Il tient sa proie.
- Tu as de l'esprit ?! C'est bien ! complimente le séide. Je sens qu'on va bien s'entendre tous les deux !
Il tend le bras vers l'arrière, sans même se retourner.
- Jack ?! Remets-nous ça !!
Bétamèche arrive au bar et bouscule le voleur de couteau, qui s'éclabousse avec son Jack-fire.
- Eh ?! Ça va pas, non ?! lance le Koolomassaï, énervé comme une limace.
- C'est mon couteau ! Tu me l'as volé ! s'insurge Bétamèche, hargneux comme un pit-bull. C'est mon couteau à moi ! Je l'ai eu pour mon anniversaire !!
Le Koolomassaï tend le bras et tient l'enfant à distance.
- Eh ? Du calme, grincheux !.. Et si j'avais tout simplement le même couteau que toi ?
- C'est le mien, j'en suis sûr ! Je le reconnaîtrais entre mille ! Donne-le moi ! insiste Bétamèche.
Un séide s'approche d'eux avec assurance. Ça sent le gradé.
- ... Un problème ? demande le militaire, frimeur comme un caporal-chef.
- Non ! Tout va bien ! assure le Koolomassaï, tout mielleux.
- Non ! Tout va mal ! réplique Bétamèche. Il m'a volé mon couteau !
Le voleur se met à sourire, comme s'il s'agissait d'une blague.
- C'est qu'il est joueur le simplet ! Laissez-moi vous expliquer Capitaine !
Comme pour un tour de magie, le Koolomassaï a sorti deux pétards, bien fat.
- Une petite racine ? suggère le malin.
Le séide hésite, mais ne résiste pas longtemps. Il soulève l'avant de son casque et révèle son visage. C'est la première fois que l'on peut voir le visage d'un séide, d'habitude toujours casqué, et l'on réalise instantanément qu'on aurait pu s'en passer. La tête du séide est dégarnie, de tout. Pas de cheveux, pas de sourcils, pas d'oreilles, pas de lèvres. Le visage est presque rond et lisse, comme un caillou poli par des siècles d'érosion. Un caillou bigarré, rongé par les maladies. Les deux petits yeux rouges n'ont presque plus d'énergie, comme des yeux qui auraient vu trop de guerres. Bref, il n'est pas beau à voir. Le séide prend le cône et se le met au bec. Le Koolomassaï craque une allumette entre ses doigts, comme un bon professionnel. Le séide tire lentement une bouffée, puis lâche un sourire à faire peur.
Bétamèche s'inquiète. L'affaire ne va pas tourner en sa faveur.
Pendant ce temps, Max a gagné quelques centimètres et s'est collé davantage contre Sélénia.
« Alors ? Qu'est-ce que vous dites de ma proposition ? », lâche le patron, qui cherche à conclure son affaire.
- Elle est agréable, mais le mariage est une chose importante qu'on ne peut pas décider sur un coup de tête, répond Sélénia, aussi joueuse qu'un chat avec une souris.
- C'est pour cela que je vous propose un petit galop d'essai ! Un tour de manège, aux frais de la maison ! Vous verrez : l'essayer, c'est l'adopter.
Sélénia laisse échapper un petit rire, amusée par tant de prétention.
Elle jette un regard complice à Arthur, mais son compagnon ne la regarde plus. Il a le nez dans un contrat qu'il s'apprête à signer. Le séide recruteur lui tend son stylo. Arthur regarde le verre qu'il a dans la main, et le pétard qu'il a dans l'autre. Il décide de commencer par le verre et il avale son Jack-fire, sans même une grimace. Il pose son verre et attrape le stylo de sa main libre. Le séide lui glisse le contrat sous la plume, pour faciliter l'opération. Arthur s'apprête à signer, mais la main de Sélénia l'en empêche.
- Excusez-moi, mais... J'aimerais bien danser avec lui, une dernière fois, avant qu'il ne s'engage avec quelqu'un d'autre que moi !
Le séide n'aime pas trop ça, mais Sélénia entraîne déjà Arthur sur la piste et se serre dans ses bras.
- C'est gentil de m'accorder cette danse ! lui dit Arthur avec un sourire béat.
- Tu te rends compte de ce que tu allais signer ? lui demande Sélénia, irritée comme jamais.
- Non. Pas vraiment, mais quelle importance ! lui répond Arthur, perdu dans l'alcool.
- C'est comme ça que tu comptes me séduire ? Tu crois vraiment que je vais me marier avec un homme qui fume, qui boit, et qui danse comme un pied ?
Arthur a besoin de quelques secondes, mais il comprend le message. Il se redresse un peu et maîtrise ses pieds qu'il ne contrôlait qu'à moitié. Sélénia finit par lâcher un sourire devant les efforts surhumains de son compagnon, qui lutte comme il peut contre l'alcool.
- C'est mieux, concède-t-elle.
Easylow regarde le couple de loin.
« Tu vas te faire piquer l'affaire par ce nain ? », demande-t-il à Max qui observe.
- ... Un peu de concurrence n'a jamais fait de mal à personne ! lance Max en souriant, pas vraiment inquiet.
Arthur refait un peu surface. La danse apparaît plus intime. Il se lance.
- Tu... Tu penses vraiment que... J'ai une chance avec toi ? Malgré notre différence d'âge ?
Sélénia se met à rire.
- Chez nous, les années se comptent en éclosions de sélénielles, la fleur royale, comme moi !
- Ah ?! Mais alors... J'ai quel âge ?
- À peu près mille ans. Comme moi, répond la princesse, amusée.
Arthur bombe un peu le torse, flatté par sa soudaine maturité. Ça lui donne envie de poser mille questions.
- Et... Avant, est-ce que tu étais une petite fille comme moi ? Je veux dire : moi je suis un garçon, mais... Une petite fille comme les autres, dans mon quartier ?
- Non. Je suis née comme ça, lui répond Sélénia que la question perturbe un peu. Et je n'ai jamais été au-delà des sept terres.
Il y a du regret dans la voix de la princesse, mais elle ne l'avouera probablement jamais.
- ...J'aimerais bien t'emmener, un jour... Dans mon monde à moi, lui confie le petit garçon, déjà triste à l'idée de la quitter un jour, même si c'est dans mille ans.
Sélénia est de plus en plus mal à l'aise.
- Pourquoi pas ! répond-elle, un peu dédaigneuse, comme pour minimiser l'importance de leurs propos. Mais en attendant, je te rappelle que nous avons une mission à finir... Nécropolis !
Le mot résonne dans la tête d'Arthur et agit mieux qu'un Alka-Seltzer.
Le séide recruteur a perdu son client et rejoint le bar, à la recherche d'une nouvelle victime. Il passe devant Bétamèche, toujours en discussion avec son voleur et son caporal-chef. Le Koolomassaï est en plein baratin, version grand tourisme.
- Et là, d'un seul coup, je trébuche sur un couteau planté dans le sol ! Je pense tout de suite à un piège, évidemment ! Le séide ricane, de la fumée plein les poumons.
- Elle est bonne celle-là ! s'esclaffe le guerrier, sans savoir lui-même s'il parle de la blague ou du cône qu'il a dans la main.
Bétamèche soupire, désespéré. Il n'est pas prêt de récupérer son couteau que le séide fait tourner entre ses doigts. Un agent recruteur embarque joyeusement deux nouvelles victimes, trop soûles pour lutter. Sélénia les regarde s'éloigner. Ça lui donne des idées.
- Je pense que si l'on suit ces agents recruteurs, on va y être en moins de deux, à Nécropolis !
Arthur est d'accord et prend la mission en main.
- T'as raison ! braille-t-il. On va y être en moins de deux ! C'est notre mission ! dit-il, emporté par un courant patriotique et un reste d'alcool. Une fois là-bas, je retrouve mon grand-père, je découvre le trésor, et pour finir je lui mets une dérouillée qu'il n'est pas prêt d'oublier, ce maudit Maltazard !
À l'annonce de ce nom, c'est comme si la terre s'arrêtait. D'ailleurs, Easylow a attrapé le bord du disque et a stoppé la musique. Une vingtaine de séides se retournent lentement vers le futur cadavre qui a eu la riche idée de prononcer ce nom.
Le caporal-chef referme son casque, qui s'enfume aussitôt car il n'a pas pris le soin de jeter sa cigarette.
- Oups ! lâche timidement Arthur, conscient de sa bavure.
- Je ne sais pas si tu ferais un bon prince, mais en attendant, tu es vraiment le roi des gaffes ! lui balance Sélénia avec un regard plein de reproches.
Max commence à sourire.
- On dirait que l'ambiance va monter, se réjouit-il. Show time !
Il envoie un signe à Easylow qui lâche le disque et met un coup de pied dans le saphir. La musique redémarre. Il était une fois dans l'Ouest.
Les séides se rapprochent et s'avancent lentement vers le couple qui recule. Va y avoir du grabuge dans le saloon.
- Arthur ? T'as trois secondes pour dessoûler !
- Ah ? D'accord ! Mais... Comment on fait pour dessoûler en trois secondes ?
Sélénia lui met une grande claque en pleine figure. Le genre de baffe qu'on n'aimerait pas prendre tous les jours. Arthur secoue la tête. Il a les dents qui flottent. Merci... C'est passé !
- Tant mieux ! lâche-t-elle en sortant l'épée de son fourreau.
- Et moi, je me bats avec quoi ? s'inquiète Arthur.
- Avec des prières !
Sélénia se met en garde, tandis que le disque, qui tourne toujours, les amène à passer près de Max et son D.J.
- Eh ?! Petit ?
Le patron a sorti une épée et la jette à Arthur au passage.
- Merci monsieur ! lui répond l'enfant, tout étonné.
- Allez ! Fais-moi danser tout ça ! lance Max à son D.J., qui pousse le saphir vers d'autres sillons.
On change de film. West Side Story.
Arthur se met en position à côté de Sélénia, tandis que les séides se déploient afin d'encercler le couple. Bétamèche a suivi le séide qui lui a volé son couteau et le conseille gentiment.
- Si vous appuyez sur le soixante-quinze, vous avez un sabre-laser. C'est classique, mais toujours efficace.
- Oh ? Vraiment ? Merci petit ! lui répond le séide, toujours enfumé.
Le guerrier appuie sur le soixante-quinze et une flamme monstrueuse lui crame le casque et tout ce qu'il y avait dedans, c'est-à-dire pas grand chose. Le corps du séide n'a pas bougé mais sa tête est en cendres. Bétamèche récupère son couteau qui lui est resté dans les mains.
- Mille excuses. C'est une erreur. L'inverse peut-être ? Le cinquante-sept ?
Bétamèche appuie sur le bouton cinquante-sept et le couteau libère un sabre-laser, bleu comme l'acier.
- Voilà qui est mieux !
À la vue du laser, les autres séides s'écartent et permettent à Bétamèche de rejoindre Arthur et Sélénia. Les voilà de nouveau réunis, mais plutôt pour le pire que pour le meilleur.
Ils se mettent dos à dos, épée en avant, formant ainsi un triangle menaçant.
Soudain, les séides poussent leur fameux cri et la bagarre éclate.
Easylow met ses gants coupés, attrape le bord du disque et commence à scratcher. La bagarre est rythmée, mieux que du break-dance.
Sélénia enchaîne les passes, prouvant continuellement son adresse et son agilité. Elle a la grâce et la compétence des vrais chevaliers.
Bétamèche a une arme plus facile et fait un malheur comme au bowling.
Arthur a moins d'expérience mais il est suffisamment vif pour éviter les coups. Il tend son épée pour repousser un assaut mais le séide pulvérise son arme. Max prend son air déçu.
- Oh ?! Pauvre garçon ! Mais qui donc lui a donné une épée d'aussi mauvaise qualité ?! dit-il, avec une fausse compassion. Easylow le regarde et les deux affreux se mettent à ricaner comme des ours.
Arthur court sur la piste, évitant les coups qui pleuvent de partout. Il se réfugie de l'autre côté du saphir. Les séides ne parviennent pas à attraper cette anguille qui s'échappe sans arrêt et se cognent régulièrement sur le saphir qui saute les sillons, scratchant la musique comme dans les meilleurs hip-hop.
- C'est qu'il a le rythme dans le sang, ce petit ?! avoue le patron en connaisseur.
Trois séides se plantent devant Bétamèche, eux aussi munis de sabres-lasers.
- Trois contre un ? Vous n'avez pas honte ? Très bien, je triple la puissance !
Bétamèche appuie sur un bouton qui annule son laser et lui sort un bouquet de fleurs.
- ... Joli, non ? dit-il, embarrassé par son erreur.
Les séides se mettent à hurler et se ruent sur le petit prince qui part en courant. Il se jette sous une table où se trouve déjà Arthur.
- Mon épée ne marche plus ! s'exclame Bétamèche en cherchant le bon bouton.
- La mienne non plus ! lui répond Arthur en exhibant le manche qui lui reste.
Un séide s'approche de la table et la tranche en deux, d'un coup de sabre-laser.
Les deux amis roulent à terre, chacun de leur côté.
- Par contre, la sienne, elle marche bien ! lâche Arthur, très inquiet de cette pression qui monte.
Bétamèche tripote nerveusement son couteau et finit par déclencher une arme. La bulinette. C'est un tuyau minuscule qui fabrique des bulles de savon. Cent à la seconde. Un nuage se forme très rapidement, pas tellement menaçant mais bien pratique pour disparaître.
Les séides perdent la trace des deux fuyards. Ça les rend fous et ils battent l'air à coups d'épée, ne dégommant que de jolies bulles multicolores.
Sélénia élimine un séide puis s'agenouille, épée au-dessus de la tête, afin de bloquer l'assaut d'un autre guerrier. Elle dégaine le couteau d'appoint que le séide porte sur le tibia et lui plante dans le pied. Le séide reste paralysé par la douleur.
- Eh ?! Attention ! Faut pas m'abîmer mon disque, là ! s'exclame le patron, contrarié.
Arthur sort à quatre pattes du nuage de bulles et tombe sur le sac à dos de Bétamèche. Il tombe aussi sur les pieds d'un séide. Le guerrier lève son épée lentement, pour mieux savourer le moment.
Arthur est perdu. Il attrape les quelques boulettes qui dépassent du sac et les jette sur les pieds du séide, au hasard. Ça peut le sauver, comme abréger ses souffrances. Dans les deux cas, il n'a rien à perdre, tout à gagner. Les petites boules de verre se brisent aux pieds du séide qui marque un temps, trop bête pour ne pas être curieux. Un magnifique bouquet de fleurs exotiques apparaît comme par enchantement en moins d'une seconde. Il est plus grand que le séide !
- Oh ! Des fleurs ! Comme c'est gentil ! lance le séide en joignant les mains.
Il passe devant le bouquet et avance sur Arthur qui recule sur ses genoux.
- Je les mettrai sur ta tombe ! lui dit le guerrier en brandissant son épée.
La méchanceté l'aveugle. Il ne voit donc pas, dans son dos, la gigantesque fleur qui ouvre sa bouche Carnivore. La jolie plante claque sa mâchoire sur le séide, puis prend le temps de bien mâcher. L'autre moitié du séide est restée figée et semble attendre le deuxième service.
Arthur regarde, l'air ahuri, cette fleur monstrueuse qui avale sa bouchée et rote un bon coup.
- ... À vos souhaits ! dit Arthur, un peu dégoûté. Bétamèche appuie une nouvelle fois sur un bouton. Il faudrait que ça soit le bon. Il a trois séides autour de lui qui n'ont plus du tout envie de jouer.
Un laser à trois lames sort du couteau. Bétamèche retrouve son sourire et il exhibe fièrement son arme. Les trois séides se regardent, puis chacun d'eux appuie sur son laser qui libère une option. Un sabre-laser à six lames tournantes. Bétamèche est pétrifié.
- C'est un nouveau modèle ? demande-t-il poliment, prenant l'air intéressé par l'article.
Le séide qui lui fait face répond « oui » d'un signe de tête, et lui assène un violent coup de sabre qui envoie voler son arme. Le couteau s'est rétracté et glisse sur le sol avant d'être bloqué par un pied. Une botte de guerrier séide, taille quarante-huit, couverte de sang.
Easylow attrape le disque et l'arrête progressivement. La piste ralentit. Le combat s'interrompt. Le silence vient saluer son maître. Darkos. Prince des Ténèbres. Fils de Maltazard.
Nos trois héros se regroupent. Max a l'air inquiet. Darkos a l'allure d'un séide, mais sa carrure est plus imposante et son armure nettement plus effrayante. Il est mieux armé qu'un avion de guerre et il ne doit pas exister, sur les sept terres, une arme qu'il ne possède pas. Sauf, peut-être, ce petit couteau qu'il bloque toujours sous son pied. Il se penche lentement et récupère l'objet.
- Alors, Max ? On fait des petites fêtes et on ne prévient pas les amis ? lance Darkos comme une plaisanterie, en faisant tourner le couteau entre ses doigts.
- Rien d'officiel ! assure Max, qui sourit pour dissimuler son malaise. C'est une petite partie improvisée, histoire de séduire la nouvelle clientèle !
- Des nouveaux ? s'étonne faussement le séide. Laissez-moi voir ça !
Les guerriers s'écartent de chaque côté de la piste de danse et dévoilent nos trois héros, groupés comme jamais. Au fur et à mesure qu'il avance, Darkos reconnaît la princesse. Il affiche un large sourire de satisfaction :
- Princesse Sélénia ?! Quelle bonne surprise ! lance-t-il avant de venir se planter devant elle. Que fait une personne de votre rang dans un lieu pareil, à une heure aussi tardive ?
- Nous sommes venus danser un peu, répond-elle noblement. Darkos saisit la perche au vol.
- ... Eh bien dansons ! dit-il en claquant dans ses doigts.
Un séide met un grand coup dans le bras de l'électrophone qui vient caler le saphir sur un slow.
Darkos fait une légère révérence et propose ses bras.
- Je préfère mourir que danser avec vous, Darkos, dit Sélénia simplement, comme on appuie sur un bouton pour déclencher une bombe atomique.
Les séides s'inquiètent et s'écartent davantage. Ça fait toujours des dégâts, quand on insulte Darkos, surtout devant tout le monde. Celui-ci remonte lentement de sa révérence et affiche un sourire machiavélique.
- Vos désirs sont des ordres ! dit-il en sortant son immense épée. Tu vas danser pour l'éternité !
Darkos lève son arme, prêt à couper Sélénia en tranches.
- Et ton père ?! s'exclame la princesse.
La bestiole arrête son bras, net. En plein air.
- Que va dire ton père, M. le maudit, quand tu vas lui annoncer que tu as tué la princesse, objet de sa convoitise ?! La seule personne qui puisse lui apporter la puissance ultime dont il rêve tant ?!
Sélénia a frappé au bon endroit. Ça trotte dans la tête du fiston.
- Tu penses qu'il te félicitera ? Ou qu'il te fera brûler à la liqueur de mort, comme il a fait brûler tous ses autres fils ? Ça s'agite dans les rangs, limite panique. Sélénia domine son sujet et Darkos baisse doucement son arme.
- ... Tu as raison, Sélénia. Et je te remercie pour ta clairvoyance, dit-il en remettant son épée dans son fourreau. C'est vrai que morte tu n'as aucune valeur... Alors que vivante !
Il affiche le sourire de quelqu'un qui est trop fier de son idée. Mais Max a lu dans ses pensées :
- Easylow ? On va fermer !
Le D.J. a compris et il se dirige vers l'arrière de la boutique.
- Emmenez-les ! hurle d'un seul coup Darkos, et une trentaine de séides se ruent sur nos héros.
Arthur regarde la vague arriver sur lui, comme un surfer devant un raz-de-marée.
- Va falloir un miracle ! lance Arthur.
- La mort n'est rien si la cause est juste ! assure Sélénia, prête à mourir en princesse.
Elle met son épée en avant et se met à hurler, pour se donner du courage.
Elle hurle tellement fort que la lumière s'éteint. À moins que ce ne soit Easylow qui ait coupé le courant. Quoi qu'il en soit, on est dans le noir et c'est la panique. On entend des bruits de fer, de bottes, de lames, de dents qui claquent ou qui mordent.
- Ça y est ! Ils sont là ! J'en tiens un ! Lâche-moi imbécile ! Pardon chef ! Aïe ! Qui m'a mordu ?!
Voilà un extrait des dialogues qui s'échappent de ce joyeux capharnaüm, plongé dans le noir.
Max craque une allumette qui éclaire son visage hilare. Il s'allume un bon pétard, comme pour mieux savourer le spectacle. Darkos vient se mettre dans la lumière incandescente. Il est fou de colère et la lueur rougissante n'arrange rien.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?! postillonne-t-il de rage.
- Il est dix heures. C'est la fermeture.
- Quoi ?! Tu fermes à dix heures maintenant ?! s'étonne Darkos qui ne décolère pas.
- Je ne fais qu'appliquer vos consignes, mon seigneur, lui répond Max, dévoué comme un séide.
Darkos cherche ses mots, tellement il bouillonne.
- Réouverture exceptionnelle !! hurle-t-il, à faire exploser les tympans les plus solides.
Max tire lentement une taffe.
- ...Cool, lâche-t-il calmement.
Easylow enlève la petite plaque en plastique qu'il avait glissée entre les deux piles et la lumière revient. On découvre alors le tas de séides, au centre de la piste de danse. On dirait une mêlée de rugby qui a mal tourné. Darkos s'avance et la mêlée se défait comme elle peut. Les derniers séides sont un peu chiffons, mais ils sont fiers d'exhiber leurs trois prisonniers, saucissonnés de la tête aux pieds.
Darkos regarde les trois prisonniers, puis fait un tour sur lui-même, comme s'il cherchait la caméra cachée. Ils ont saucissonné trois séides. Nos héros ont disparu. Ce n'est pas la caméra cachée. C'est vidéo-gag. Max ricane dans son coin.
- Sacrée petite princesse !
Darkos va exploser, comme une Ariane au décollage.
- Retrouvez-les !!! hurle-t-il, dans un grondement sans fin.