A Christian DOMBRET,
Pour lui dire ma reconnaissance et mon amitié,
Quand on dit d'un homme qu'il est expert en la matière, cela ne veut pas fatalement dire qu'il est expert en merde.
Il portait un costume gris anthracite, un plastron noir, un col romain, et une croix d’argent épinglée à son revers confirmait ses fonctions ecclésiastiques. Ses cheveux blancs et son embonpoint achevaient de le rendre plus que respectable : intimidant.
Un jeune homme grand et pâle l’accompagnait, qui coltinait son sac de cuir à soufflets, car le vieux religieux se déplaçait en s’aidant d’une canne à pommeau d’argent. Le jeune secrétaire était vêtu d’un pantalon sombre et d’un blazer noir dépourvu de tout écusson ou bouton fantaisie. Ses lunettes cerclées d’acier renforçaient son aspect « rat de bibliothèque mal portant ».
Ils descendirent le large escalier roulant, l’un — derrière l’autre. Campé au sommet de l’escalator, le religieux dégageait une espèce de souveraineté impressionnante. Il promenait sur la foule des voyageurs un regard intense, s’appliquant à ne pas perdre de vue un élégant quadragénaire en pardessus de vigogne dont, quelques minutes plus tôt, la délicate eau de toilette avait, au passage, charmé ses narines. Malgré son état qui invitait au renoncement, il était sensible aux parfums de qualité et il lui arrivait de s’attarder sur les pas d’une jolie femme pour savourer les fragrances qu’elle répandait.
Au bas de l’escalier, s’offrait un tapis roulant permettant de parcourir sans se fatiguer l’interminable couloir conduisant aux satellites d’embarquement. Les deux hommes l’empruntèrent, mais marchèrent un peu pour activer leur déplacement, ce qui leur permit de recoller à l’homme qui les intéressait.
Lorsqu’ils furent sur ses talons, le jeune secrétaire doubla le religieux, puis le quadragénaire au somptueux pardessus. Au passage, il lui administra, comme par mégarde, un coup de sac dans la pliure du genou. Le voyageur tourna la tête et son expression mécontente intimida le garçon.
— Pardonnez-moi, fit celui-ci, très vite.
Il pressa le pas et sa rapidité conjuguée à celle du tapis le happa littéralement pour l’emporter loin de l’homme.
Ce dernier tenait sa jambe endolorie légèrement relevée. Il se massait non pas le jarret, mais le talon, au-dessus de son mocassin italien. En même temps que le choc causé par le sac ventru, il avait ressenti une piqûre dans cette région du pied.
L’ecclésiastique le doubla à son tour sans le regarder. L’homme se frotta encore un peu, puis laissa retomber sa jambe. Un petit garçon turbulent s’amusait à prendre le tapis à contre-courant malgré les admonestations de sa mère. Comme il parvenait à la hauteur de l’homme au pardessus de vigogne, il dut stopper car ce dernier venait de s’écrouler sur les lamelles d’acier du tapis. L’appareil emporta son corps vers son estuaire. La tête calamistrée du mort frottait contre la paroi, ce qui la faisait osciller de façon déplaisante.
Le religieux et son secrétaire arrivaient à l’extrémité du chemin mécanique. Ils obliquèrent vers le couloir de gauche pour gagner la porte 44 qui permettait d’accéder à la salle d’embarquement de l’avion pour Istanbul.