— Je voudrais t’ouvrir comme un livre d’heures richement enluminé et, pareil à un myope pieux, plonger mon nez entre tes pages !
Telle est ma phrase d’attaque.
Elle pouffe tandis que je piaffe du paf.
— Vous croyez vous adresser encore à Mme Mathias ? fait Violette.
Nous rions de conserve (ce qui vaut mieux que de s’en nourrir, si je puis oser ce calembour alambiqué).
Et, brusquement, nous cessons d’hilarer pour se jeter l’un contre l’autre d’abord, puis l’un sur l’autre ensuite, avec la fougue retrouvée de la pension Windsor Lodge.
Etreinte de qualité, entre pros animés des meil-leures intentions. Passons. Je ne peux sempiternellement te narrer mes coïts flamboyants, que tu finirais par me classer exhibitionniste au petit pied, mesquin comme je te connais ! Sache simplement, pour ta gouverne (voire pour ta gouvernante si tu la tronches), qu’on agit dans le classique. On baise Pléiade. Sans coup de semonce ni papouilleries pour bandeurs mous.
Nous sommes en pleine ardente, et foin des préli-mi-naires recherchés. La force de nos désirs nous transporte. Pour débuter, une minette de reconnaissance, mais à gros traits, juste histoire de reconnaître le parcours et conditionner le forage. Violette s’inscrit illico pour la décarrade somptueuse en râlant de bonheur, manière de se faire la voix (les plaintes, dans ces cas précis, sont les vocalises de l’amour).
Elle en émet une petite série à tirage limité non numéroté, puis se lance carrément dans l’exhortation sauvage, de celle qui te flagelle le sensoriel et dont tu me permettras d’occulter le bas vocabulaire charretier, du genre « fourre-moi à fond, salaud ! » « défonce-moi le pot » (j’en passe et de moins élégantes).
Très vite, elle me refoule pour se placer à genoux, mains à plat, dans la posture bébête qui constitue, crois-je-t-il, une manière de summum dans l’acte de chair (à appâter). Et alors là, c’est le déferlement ! N’insiste pas, je ne te raconterai pas cette charge héroïque, cette fantasia éperdue, cette chevauchée cosaque dans la toundra enneigée. Toujours est-il que c’est une superbe manifestation de l’instinct de reproduction. Bien qu’étant bas et neuf, le lit craque, la verrerie tintinnabule, le fond de l’air effraie. Assez dantesque sur les bords. Wagnérien ? Ça, sans aucun doute ! Le vaisseau fantôme qui prendrait l’eau !
Pointée à mort, « l’élève » d’Achille rameute à tous les échos, appelant indistinctement : sa maman, sa vieille grand-mère, son parrain qui est maréchal des logis, le président Mitterrand et Jacques Attali, son précieux gardien de but, le docteur Gaitautroux, son gynéco, la musique de l’hagarde républicaine, M. Haroun Tazieff de l’Académie française (hein ? il est pas de l’Académie ? ben il devrait !), l’adorable Jean d’Ormesson (qui lui en est, par contre), Bérurier, le comte de Paris, Fidel Castro et moi ! Oui : moi, tu as bien lu. Elle m’appelle alors que je suis là ; mieux que présent : in ! Ça ne rigole pas, le cul, mon vieux ! Ça déménage et ça t’embarque.
Superbe prestation dont je ne saurais te préciser la durée ayant omis de déclencher mon chrono. On arrive ensemble, gavés, comblés, exténués, radieux.
On chancelle mollement, puis on glisse sur le côté sans se désenchevêtrer, notre enfilade monstre continuant de courir sur son erre (d’en avoir deux !). Quel-ques ultimes aller-retour mouratoires. On spasme en camarades, essoufflés mais victorieux. Somno-lence d’après baise. La meilleure ! On croit rêver. On rêve ! Merci, Seigneur.
Mais j’ai mal à la tête. Me serais-je fait sauter un vaisseau menu dans la caberle en suractivant de la baratte bretonne ? C’est toujours ma crainte : craquer un plomb ! Pour, ensuite, me retrouver chanstiqué en long ou en large dans une mignonne voiturette chromée. Même équipée d’un moteur et d’un cerveau machinchose te permettant de la piloter avec ta bite ou le bout de ton pif, c’est pas extra comme mode de locomotion.
Bon, je m’éveille, vraiment mal à l’aise. Je vais pour éclairer ma lanterne de chevet, mais un bruissement ténu stoppe mon geste. A cul de loup, je me mets sur mon séant. Un rai de lumière filtre sous la porte. Il est coupé d’un trait sombre qui remue kif la queue d’un reptile. Je me lève et m’avance vers « la chose ».
Vite je pige. Il s’agit en réalité d’une extrémité de tuyau de laquelle (si on se réfère à l’extrémité) ou duquel (si on prend le tuyau en considération), s’échappe un gaz. Non mais, ils sont marrants dans ce bled ! Voilà qu’on nous asphyxie pendant notre sommeil. Moi, de deux choses l’autre : ou bien je délourde pour m’élancer sur le gazier gazeur, ou bien je reste peinard et me défends contre l’émanation avec les moyens du bord. Je me résous à la deuxième propose. Pour déponner, il faudrait que je tire le verrou et actionne la clé, gestes ne pouvant passer inaperçus du gars qui, de l’autre côté de l’huis, manœuvre la bouteille de gaz.
Alors tu sais quoi ? Je fonce sans bruit à la salle de bains qui, Dieu thank you, se trouve juste à l’entrée de la chambre. J’arrache le tuyau de la douche, reviens au tube, qu’avec des gestes quasiment chinois j’enquille dans le flexible de la douche. N’après quoi, je dérive l’extrémité de ce dernier dans la salle de bains dont je débonde la fenêtre et ferme la porte. Une couverture roulée et plaquée contre celle-ci achève de nous protéger des infiltrations possibles. Bien que notre chambre soit pourvue de l’air conditionné, je me hâte d’ouvrir en grand les deux baies vitrées.
Assise sur le lit, Violette me regarde agir sans proférer un son. Elle a tout pigé et me laisse l’initiative. Je me suis saisi d’une statue en faux albâtre et — j’attends derrière la porte, prêt à interviendre. Pour moi, — l’affaire est claire. Après le départ de Violette du Windsor Lodge, la vieille rombiasse qui le gère a donné l’alerte, comme je le craignais, et ses beaux messieurs ont revalu à Violette sa politesse en la recherchant dans les hôtels d’Istanbul, comme elle-même a recherché le faux ecclésiastique.
S’agit-il d’une anesthésie ou d’une exécution ? Je l’apprendrai bientôt. Si on a seulement voulu nous endormir, nos ennemis pénétreront dans la pièce après son gazage. Si au contraire on a décidé de nous carboniser, ils plieront bagage et fileront sans ton bourrin ni ton poète (comme dit Alexandre-Benoît Bérurier).
Attente.
Nous nous sommes habitués à la pénombre, Violette et moi. Maintenant nos regards s’entrecaptent. Le sien est tranquille, pas le moins du monde apeuré.
Du temps passe. J’ai posé le pied sur le flexible de la douche, sans appuyer, me promettant de le faire au moment où nos enfumeurs retireront leur embout.
Un frémissement du bout de tuyau. Je maintiens le flexible plaqué au sol. On retire l’embout. J’ai tous mes muscles bandés (sauf un, parce que j’ai déjà donné). Le rai lumineux se remet à souligner la porte sans autre perturbation. Et maintenant ?
Je perçois un léger flottement dans le couloir et le silence revient, intégral. On se tait encore un moment. Mais non : c’est fini.
— Il s’agissait d’un assassinat, murmuré-je.
— Qu’est-ce qui vous a alerté ? demande Violette.
Je tapote mon pif.
— Ce machin-là. S’il ne fonctionne pas, on meurt jeune dans ce boulot, chérie.
Elle soupire :
— En ce qui me concerne, il sera toujours en panne après qu’on m’ait fait l’amour comme vous venez de me le faire. C’était inouï !
— Merci.
La v’là qui rembrunit.
— Maintenant, nous sommes brûlés, n’est-ce pas ?
Je gamberge à sa question avec d’autant plus d’acuité que j’étais juste en train de me la poser.
— Il y a peut-être encore un brouillon d’espoir.
Je m’asseois près du téléphone et recompose le numéro de Mathias. Ça fait long à répondre. Et puis j’ai la voix de sa femme :
— Ici Angélique Mathias.
Les cent dix points d’interrogation qui succèdent sont toujours d’elle.
— C’est encore moi, ma tourterelle, susurré-je.
— Ah oui ? elle rétorque d’un ton neutre.
Je me dis qu’elle n’a pas réalisé son bonheur.
— Moi, San-Antonio ! précisé-je.
— Ben oui, j’avais reconnu, et alors ? C’est une raison pour réveiller les gens au milieu de la nuit ? Il y a vraiment des individus qui se croient tout permis !
La foudre me « petafine », comme on dit dans mes contrées natales.
Ma psychologie forcenée me permet de comprendre ce qui s’est passé. Ayant conditionné madame par mon discours salace, elle s’est fait étreindre par son époux que j’avais conseillé hardiment. Il en a résulté un coït de force 5 sur l’échelle du bon Richter, lequel coït m’a balayé de ses fantasmes comme le vent d’automne balaie la feuille d’impôt du contribuable anarchiste. Et maintenant, pauvre Cyrano sans récompense, je dois subir les sales houspillances de cette Roxane-virago à matrice féconde.
— Dis donc, la pintade, je ricane, on dirait que ton tyran de sommier s’est surpassé !
— Je vous en prie, espèce de goujat ! Et d’abord cessez de me tutoyer, nous n’avons pas gardé les vaches ensemble.
— Soit, bats-je en retraite. Mais lorsque cette paix des sens qui vous rend si distante sera dissipée, pensez, madame, que je porte devant moi un pénis en ordre de marche de vingt-quatre centimètres et que la dernière ayant droit que je viens d’honorer rameutait tout un palace turc et réclamait l’assistance de ses aïeux, celle de l’abbé Pierre, celle du grand cinéaste Jean-Pierre Mocky (qui a pourtant ses propres chattes à fouetter), celle du charmant prince Rainier, celle de l’excellent Patrick Poivre d’Arvor (qui sera de l’Académie française un jour), et celle, non moins négligeable, de M. le chandelier Helmut Köhl (qui, s’il réunifie l’Allemagne, ne saurait néanmoins baiser sans l’assistance d’un rétroviseur et d’une pince à cornichons). Cela dit, et en attendant l’inévitable retour de votre passion pour moi, passez-moi votre champion, si toutefois il peut encore marcher jusqu’à cet appareil !
Tu le vois : je me sens loquace avec Angélique Mathias.
Vitupérante, elle va quérir l’Anéanti, éveillant pour cela une partie de leur portée.
Mathias se pointe en se grattant les fesses, ce qui produit très exactement le bruit que fait un nonagénaire en grignotant des biscuits secs.
— Pardon de saccager ta nuit, après ta soirée, fais-je.
— Pas de mal, com… Sana !
— C’était bien, l’embroquée de gala de ta cantinière ?
— Inoubliable.
— Tu as mis le vingtième en route ?
— Ne m’en parle pas ! Comme elle se trouve en pleine ovulation, j’ai chaussé un préservatif !
— Tu deviens raisonnable.
— Attendez, comme j’étais surexcité, j’ai enduit ce dernier de vaseline.
— Etait-ce bien nécessaire, après que je lui eusse parlé ?
— Peut-être pas, mais c’était en tout cas une folie, car le caoutchouc se désintègre au contact d’un corps gras. Pas fort pour un chimiste, hein ?
— Elle le sait ?
— Elle s’en apercevra bien assez tôt !
— Tu as eu le Vieux ?
— Non sans mal et au téléphone seulement car il n’a jamais voulu me recevoir. Je lui ai tout raconté, scrupuleusement. Il semblait assez dubitatif et m’a brièvement dit qu’il aviserait !
J’enrage :
— Ça veut dire quoi « aviser » dans un cas pareil ? Il devait se faire congratuler le nougat, ce vieux salingue ! Tu vas le rappeler, car la situation a évolué.
— Oh ! Seigneur ! Vous ne pouvez le faire vousmême du moment que vous pouvez m’appeler, moi ?
— Je sais ce que je fais, Tendeur. Si je lui parle directement, il va me casser les bonbons avec des considérations pusillanimes et se croiser les bras ; passant par ton canal, ma requête prend aussitôt un aspect officiel, tu piges ? Quelqu’un d’important SAIT, alors il ne peut mettre ce dossier sous son vieux cul déplumé !
— Je comprends, Antoine.
— Merci, Xavier.
Il est ému :
— Com… comment, vous… tu sais mon prénom ?
— Je sais tout des gens que j’aime, mon Loulou. Ton premier prénom, c’est Raymond, mais ta brancardière a préféré utiliser le second qu’elle juge plus aristocratique.
— Mon Dieu ! Mon Dieu ! Tu es aussi au courant de cela !
— De cela et du reste. Bon, je t’ai annoncé du nouveau. Ça corrobore mon diagnostic concernant Windsor Lodge, repaire de crapules fameuses ! On vient de se livrer sur nous à une tentative d’assassinat.
Je lui narre.
— Donc c’est fichu, conclut Mathias. Vous allez devoir vous rapatrier d’urgence, sinon…
— Pas le genre de la maison, je sors mon joker avant de quitter le jeu ; seulement, il faut que ce vieux grelot s’agite. Va l’arracher des bras putassiers entre lesquels il ronfle, par n’importe quel moyen, et demande-lui de faire ce que je vais te dire… Ajoute que s’il n’intervient pas sur-le-champ, je le contraindrai à démissionner par des révélations fracassantes aux médias. Les médias, c’est son urticaire chronique, au Vioque ! Sa prostate, son col du fémur.
— Bon, je m’attelle à cette tâche…, Antoine !
C’est parti ! Il ose « Antoine ».
IL EN EST.
ENFIN !
Bienvenue au club, Xavier !
On remet le couvert, à la santé de la vie préservée, si tu me permets cette tournure de phrase peu usitée dans le commerce.
Cette fois, c’est plus la furia bramée, mais la fourrette langoureuse, juste ponctuée de soupirs, avec, çà et là, une légère exclamation de politesse.
Et alors, tout net, j’ai la révélation !
T’as des gus, c’est quand ils sont aux chiottes qu’ils pensent efficacement, d’autres c’est quand ils sont seuls en voiture. Moi, dans certains cas, c’est pendant que je brosse une gerce. Attention, va pas conclure que je la néglige. Mais quand on en est à la seringuée voluptas, sans lancer d’escadron, des idées « intenses » me percutent le bulbe. A la première ramonée, j’eusse été incapable de réfléchir, mais là, dans le climat suave, très Valpurgis malgré les ultimes remugles du gaz assassin, mon cervelet fait de la chaise longue, ce qui revient à dire qu’il puise dans le subconscient, do you see ?
Ecoute, ça m’arrive à un tournant de verge. Je la pratique faiblo dans la trappe de secours, tout en lui clignotant l’entrée des gladiateurs d’une main et le cabochon droit de l’autre. Et poum ! fulgurante, l’image ! Celle du voisin de chambre de Tommaso et de son pote à la pension « Tuflingues ». L’homme au visage « mangé de barbe ».
— Putain ! m’écrié-je.
— Oui, oui, continue, j’aime qu’on m’insulte quand on me fourre le petit ! exulte Violette dont la récente bonne éducation vient de disjoncter.
Je n’ai pas le cœur de la détromper car je pratique la charité chrétienne dans les moments les plus excessifs de l’existence, et le Seigneur qui me sait bien est déjà en train de me le pardonner, alors tu vois !
Par conscience forniqueuse, j’accompagne ce « putain », simple marque de jubilation mentale, de quelques « Salope ! Morue ! Emmanchée ! Sac-à-pines ! » qui la stimulent de l’escarguinche mieux que ne le ferait un poème d’Alfred de Musset.
Mais moi, accouilleur-rabattant de charme, tout en prodiguant à ma partenaire (de profession autant que d’orgasme) des délices sans ambiguïté, je me répète le nom du mec entrevu dans le couloir du Windsor Lodge :
Carlos !