CHAPITRE XVII

En moins d’une demi-heure Serge Kowask avait visité les lieux et découvert l’endroit idéal pour enfermer le pilote et Barton, le vieux cow-boy ivrogne. Celui-ci leur avait servi un tord-boyaux effroyable, de la viande froide avec des épis de maïs bouillis et arrosés de beurre. Le marin avait mangé sur le pouce tout en regardant autour de lui. Il décida d’enfermer les deux hommes dans une porcherie désaffectée. La porte en était solide et il pouvait la bloquer avec les poutres qui traînaient ça et là. Comme ouverture il n’y avait qu’un soupirail étroit et celle de l’auge. Personne ne pouvait s’échapper de là.

Gates avala le fond de son verre, grimaça. Le vieux ronchonnait tout en faisant du café.

— Je vais téléphoner à Tuscaloosa pour savoir s’il y a du nouveau. Normalement ils auraient dû nous appeler.

Il se dirigea vers l’appareil, seul objet moderne dans le désordre poussiéreux du ranch. Kowask sortit son Spécial 38 et l’arma.

— Doucement Gates ! La comédie est finie. Pour vous aussi Pecos Bill.

L’air hébété le vieux se tourna vers lui. Un étui de Colt battait sa cuisse droite.

— Et défense de toucher à votre pétoire. Tous les deux direction la porcherie mais avant, videz vos poches.

Gates n’avait pas changé d’expression. Il se contenta de hocher la tête et de murmurer :

— J’aurais dû me méfier depuis le départ. Le vieux crut pouvoir profiter de la situation pour balancer la cafetière pleine de liquide brûlant en direction de Kowask. Ce dernier l’évita de justesse, tira dans le chapeau du vieux.

— Tout à l’heure c’est dix centimètres plus bas. Il stoppa l’élan du pilote qui s’apprêtait à lui sauter à la gorge.

— De toute façon c’est perdu pour vous. Le F.B.I. patrouille dans le coin et votre coucou serait abattu par la chasse.

L’un derrière l’autre ils pénétrèrent dans la porcherie. Kowask travailla dur pour bloquer ensuite la porte avec les poutres, puis quand il fut certain de la solidité de son ouvrage il rejoignit le « Twin-Bonanza » et le sabota. Il n’avait plus qu’à attendre. Le silence de Tuscaloosa était significatif. S’ils se taisaient c’était qu’une équipe était en route pour le Texas. Il ne pouvait espérer la liquider à lui tout seul. D’un autre côté il ignorait si vraiment le F.B.I. local était dans le coup, et un coup de fil à Washington aurait demandé trop de temps.

Il acheva la fouille du vieux ranch, découvrit un sous-sol soigneusement aménagé. Trois pièces bétonnées contenaient des armes, des postes-radios et des explosifs. Dans un placard il découvrit des uniformes de Marines tout neufs.

Pendant tout ce temps il n’abandonna pas une seule fois la lourde serviette qui contenait le rapport secret du capitaine Charles sur l’opération Cayo-Bajo. Pas une seule fois il ne tenta de l’ouvrir, se doutant qu’un dispositif spécial devait détruire les documents au cours d’une ouverture sans précautions. Les spécialistes de l’O.N.I. trouveraient certainement le moyen d’en venir à bout.

Il revint auprès des explosifs et en fit l’inventaire. Beaucoup de plastic avec des boîtes de détonateurs chimiques, quelques pains de T.N.T., de la mélinite, du cordon détonant, deux boutefeux.

En plusieurs voyages il transporta au premier du plastic et des pains de T.N.T., les cacha dans un coin, déroula le cordon détonant en le faisant passer par un vasistas de la cuisine, jusqu’aux hautes herbes de l’extérieur. Mais aucun des boutefeux qu’il essaya ne voulut fonctionner. Il fit un essai avec un détonateur chimique, réussit à envoyer une onde de choc dans un morceau de cordeau et décida d’utiliser ce système. Il relia l’autre extrémité du cordeau à un pain de plastic, groupa tous les autres explosifs autour. Avant d’aller se cacher dans les broussailles il alla chercher une mitraillette et deux chargeurs.

De sa planque il apercevait l’entrée de la ferme, le chemin qui devait mener à la route. Le bimoteur était au-delà, dissimulé par les bâtiments.

Le soleil tapait férocement sur la nature et lui brûlait la nuque. Le silence était presque total, à l’exception de quelques craquements et de bruits d’insectes.

À deux heures trente il entendit un léger bourdonnement puis tout redevint calme. Il prit la mitraillette entre ses mains, gardant son automatique à ses côtés. Le pilote et Barton avaient certainement pu suivre son manège depuis la porcherie mais ils se tenaient cois.

L’homme passa non loin de lui et faillit le surprendre. Kowask ne le connaissait pas. Il marchait courbé en deux et se rapprochait peu à peu du ranch. Un autre opérait de même en direction du mur sans ouvertures qui faisait face à la route. Un inconnu également.

Puis il repéra le colonel Burgeon à quarante ! mètres de lui. Il le surveilla d’un œil, s’inquiétant de ce que faisait le premier inconnu. Il craignait qu’il ne remarque le cordeau ou ne trébuche dessus.

D’autres hommes devaient s’approcher des bâtiments par derrière. Il pensa que le pilote et le vieux allaient se mettre à crier dès qu’ils apercevraient leurs amis, mais le silence persistait toujours.

Soudain il tressaillit, crut avoir rêvé. Le capitaine John Charles, les doigts crispés sur un gros calibre, venait dans sa direction les yeux tournés vers la maison. Comment avait-il fait pour échapper au commodore ? Kowask se demanda si le vieux marin n’avait pas laissé sa vie dans cette aventure.

Il avait espéré produire le capitaine en temps utile. Il ne pouvait le laisser pénétrer dans la maison. Il le lui fallait vivant. Sa résolution fut rapide. Il prit son automatique, visa l’officier félon à la cuisse, tira.

Charles ne tomba pas tout de suite. Il cria :

— Le coup est venu de là.

Kowask avait déjà sa mitraillette en main et tirait de courtes rafales.

— À la maison. Elle est certainement vide.

Alors on se mit à crier depuis la porcherie.

Kowask distingua la voix du pilote :

— Non, n’allez pas là-bas, c’est un piège.

Il tira dans cette direction, espérant que le bruit des coups de feu couvrirait cette mise en garde. D’ailleurs on lui répondait et le capitaine Charles, allongé à une vingtaine de mètres de lui, essayait de l’atteindre.

Les deux inconnus et le colonel refluèrent vers le ranch et s’y barricadèrent. Alors sans plus attendre Kowask écrasa du poing son détonateur chimique.

L’explosion fut presque simultanée. Le ranch parut s’enfler démesurément puis le toit, comme une soupape de sécurité, vola en éclats, les murs se fendillèrent, cédèrent à la force destructrice et bientôt la majeure partie des bâtiments ne fut plus qu’un tas de ruines.

Kowask avait bondi sur le capitaine Charles qui, les yeux exorbités, oubliait de regarder de son côté. Il l’assomma d’un coup de crosse.

Et puis très lointaine une sirène de police vrilla le lourd silence qui retombait après le vacarme de l’explosion, tandis que dans le ciel pur un nuage de poussière ressemblait à un arbre géant.

* * *

Le commodore Rice décrocha un appareil et écouta.

— Parfait, dit-il. Du phosphore ? Bigre ! Mais les documents sont intacts et révélateurs ?

Il raccrocha :

— Tout va bien. Continues.

— Ils ont eu l’idée géniale de manœuvrer un réseau communiste avec la complicité de Quinsey évidemment. Ce dernier venait toucher sa paye quand ils l’ont tué.

Kowask acheva son récit tandis que le commodore Rice, les yeux mi-fermés, paraissait se délecter.

— Je pense, dit-il brusquement, à la tête de Sunn quand il apprendra, à la tête de tous les types de la C.I.A. il y a longtemps que j’attends une joie pareille, mon cher. Nous allons leur transmettre immédiatement une copie des documents trouvés dans la serviette. Il était temps. Un commando de Marines déguisés en Cubains devait s’embarquer pour le Cayo Bajo en compagnie d’authentiques anticastristes.

— Et mon Mexicain Rabazin ? Rice eut un sourire équivoque :

— Il est en route pour Washington. Il complétera votre rapport et celui du capitaine Charles. J’avais presque envie de l’envoyer directement aux bureaux de la C.I.A., mais ils sont tellement mauvais joueurs qu’ils auraient été capables de l’escamoter.

FIN
Загрузка...