CHAPITRE V

Un homme de Cramer vint facilement à bout de la porte de l’appartement. Une voisine curieuse entrouvrit la sienne et les regarda, les yeux ronds. Le lieutenant avait fait les sommations d’usage avant d’opérer.

Une visite rapide des pièces donna raison à Sunn et à Kowask. Quinsey n’était pas chez lui. Cramer les appela pour leur désigner une penderie.

— Deux complets neufs et pas mal d’affaires en bon état.

Dans la cuisine, un combiné, réfrigérateur-congélateur contenait des provisions pour plusieurs semaines.

— Je crois, dit Kowask, que vous pouvez renvoyer vos hommes. Nous serons largement suffisants à nous quatre.

Cramer alla donner ses ordres. Sunn rejoignit le lieutenant de vaisseau :

— Vous mijotez quelque chose hein ?

— Oui. Ou bien Quinsey s’est enfui et un de ses amis risque de venir aux nouvelles, ou bien il ne s’est qu’absenté, et c’est lui que nous pourrons coincer ici. Il suffit que l’un de nous attende ou que nous fassions ça à tour de rôle.

L’agent de la C.I.A. ne répondit pas, et la fouille continua avec l’aide de Cramer qui était revenu. Un premier résultat fut obtenu par Hammond qui dénicha deux talkies-walkies dans le double fond d’un placard. Les piles paraissaient neuves, et les deux appareils étaient réglés sur la même fréquence.

— Des S.C.R. 536 volés à l’armée certainement. Ils n’ont jamais servi.

Du doigt Hammond montrait le papier collant qui protégeait l’extrémité de l’antenne télescopique. Pendant ce temps, Kowask et Sunn s’attaquaient aux quelques papiers trouvés dans le tiroir d’une petite table qui pouvait servir de bureau. Une facture les interloqua. C’était une fourniture, par une maison d’Orlando, de cinq miles de fils électrique double cuivre de 1/15, de quatre boites de dérivation et de deux cents attaches avec un paquet de mille pointes acier spécial.

— Ça fait une sacrée longueur de fil ! dit Sunn.

— Et seulement deux cents attaches pour le fixer, soit une tous les quarante mètres environ. Une fichue installation, répondit Kowask, à moins que les attaches n’aient été utilisées que sur une partie du fil.

— Une partie, poursuivit l’agent de la C.I.A., qui serait fixée contre du ciment ?

— Il faut aller voir le vendeur ou lui téléphoner.

Un annuaire était posé à côté du téléphone, et ils trouvèrent facilement l’adresse de la maison. Après quelques recherches on leur certifia que l’achat avait eu lieu un an plus tôt, et, chose qui n’était pas indiquée sur la facture, que la totalité avait été livrée en fil étanche.

— Vous souvenez-vous de ce que comptait en faire le client ? demanda Cramer qui avait mis en avant sa qualité de policier.

Kowask qui tenait l’écouteur entendit leur correspondante annoncer qu’elle allait se renseigner. Elle revint au bout de quelques minutes.

— J’ai retrouvé l’employé qui avait traité l’affaire. C’était pour une grande propriété.

— Je vous remercie, conclut Cramer en raccrochant.

Kowask commençait à avoir sa petite idée sur l’utilisation de cette impressionnante longueur de fil, mais il la garda pour lui n’accordant pas toute sa confiance aux agents de la C.I.A.

— Pas autre chose, dit Sunn en reposant les papiers découverts dans l’appartement. Vous parliez d’organiser une planque ici ?

Le lieutenant de vaisseau garda un air innocent, mais il reniflait à l’avance la proposition que Sunn allait lui faire. Les deux agents ne croyaient ni à un retour de Quinsey, ni à la visite d’un complice. Si lui Kowask acceptait de rester au 147 de la 4e rue, ils auraient les mains libres pendant un certain temps.

— En effet, répondit-il. Je me propose même pour les premières vingt-quatre heures, à la condition que vous me teniez au courant de votre propre activité.

Hammond et Sunn évitèrent de se regarder, et mirent un bel enthousiasme à répondre que c’était d’accord.

— Il y a tout ce qu’il faut dans le frigo. Je ne crèvera pas de faim. Tout ce que je veux, c’est une arme.

Sunn lui donna son spécial police.

— En cas de coup dur, je téléphone à Patrick Base ?

— Entendu, dit Sunn un peu soufflé par tant de bonne volonté. Ils sauront où nous trouver là-bas.

À partir de cet instant il eut l’impression qu’ils n’étaient plus tellement pressés de le quitter, comme s’ils avaient pressenti une feinte de sa part.

— Il faut songer à un code pour la sonnette de la porte.

— Deux brèves, une longue, deux brèves, proposa Kowask.

Ils finirent par s’en aller. Il referma la porte derrière eux à l’aide du passe laissé par Cramer, et alla s’installer dans un fauteuil. Il alluma une cigarette, se demandant si Quinsey fumait. De toute façon ça n’avait aucune importance car l’homme ne reviendrait probablement jamais dans cet appartement.

Il attendit qu’une demi-heure se soit écoulée avant de téléphoner à Washington. Il obtint rapidement le commodore Gary Rice. Il le mit au courant des derniers événements, ce qui provoqua quelques ricanements à l’autre bout du fil.

— Bon, qu’attendez-vous de moi maintenant ?

— Je pense aux fac-similés de cartes météo trouvées chez Thomas Ford. Certaines ne portaient aucune indication de provenance, mais ressemblaient aux autres pour les renseignements géographiques. Je suppose qu’il existe un réseau de fils de télétype entre Cap-Canaveral et les différentes villes de la région, voire vers les autres états.

— Facile à obtenir, ça.

— Bien sûr, mais ce qui le sera moins c’est que je suis bloqué ici pour l’instant. J’ai une carte détaillée de la région, mais il faudra me communiquer les renseignements par téléphone. Je vais vous donner le numéro de cet appartement.

Il le lut sur le socle de l’appareil.

— Dans combien de temps comptez-vous me rappeler ?

— Deux heures minimum.

Kowask recommença pour son compte une fouille plus approfondie des lieux, mais elle ne lui apporta rien de nouveau. Il commençait à trouver le temps long lorsque le commodore Rice le rappela. En prévision de ce coup de fil il avait rapproché une table de l’appareil, et y avait étalé la carte de la région.

— Bon, dit Rice, après les préliminaires voici ce qui vous intéresse. Il y a d’abord une ligne qui part vers Jacksonville, une autre vers Tampa via Orlando, et une troisième vers Miami qui se prolonge jusqu’à Key-West.

Pendant un quart d’heure il lui donna toutes les précisions nécessaires, pour qu’il puisse tracer au crayon la configuration du réseau avec les parties aériennes et souterraines. Il se contenta de marquer les points indiqués par le commodore, se réservant de les relier ensuite.

— Pouvez-vous me dire ce que vous comptez faire de ça, lieutenant ?

— Je me demande si Quinsey ne s’est pas amusé à connecter un de ces réseaux pour un usage inconnu.

Rice parut sceptique.

— Il aurait dû se procurer une réceptrice de fac-similé, ce qui n’est quand même pas facile. Et dans quel but ?

— Un aérodrome privé peut très bien souscrire un abonnement à un tel réseau ?

— Bien sûr. Mais pourquoi faire quelque chose de clandestin alors ?

— Je me pose la même question. Je trouve que c’est très embrouillé et sans raison apparente. La machine a dû être volée quelque part, ou achetée par personne interposée.

La conversation terminée, Kowask commença à relier entre eux les points tracés sur la carte. Il figurait par des pointillés les réseaux souterrains et par des traits pleins les lignes volantes. Il y avait de grandes chances pour que la liaison avec la ligne clandestine ait été faite dans une partie souterraine.

Au départ de Cap-Canaveral toutes les lignes passaient sous terre. Le plus long tronçon construit de la sorte était celui qui reliait Tampa par Orlando.

Il étudia ses dessins, jusqu’à ce qu’il découvre qu’un canal de drainage longeait pendant un bon mille la ligne du téléscripteur.

— Curieux, dit-il entre ses dents.

Si l’on trouvait la connexion à cet endroit-là, il suffirait de fouiller la région dans un rayon de cinq miles pour découvrir l’endroit où était caché le récepteur de fac-similés.

— Pas possible que Sunn n’ait pas eu la même idée. Et en ce moment il est peut-être en train de mettre la main sur ces gars-là.

C’était peut-être aller trop vite. Il ne serait pas facile de retrouver la boîte de dérivation du fil clandestin, même avec un voltmètre. Les étranges amateurs de météorologie devaient avoir utilisé un compensateur de courant, pour éviter toute chute de voltage. Mais Sunn avait à sa disposition toute une équipe de techniciens qui abattraient le travail en un temps record. Il soupira. Le Commodore ne se souciait pas de l’inégalité de la lutte. Sa vieille animosité contre le principal service de renseignements du pays lui faisait oublier les réalités. Ou alors le vieux renard pressentait autre chose.

Le temps commençait à devenir d’une lenteur infinie, et la nuit ne se pressait nullement de tomber. Il regrettait presque de s’être proposé. Certes Sunn et Hammond ignoreraient qu’il avait pu faire des constatations intéressantes grâce à ses coups de téléphone, mais à quoi cela l’avancerait-il si les agents de la C.I.A. avaient eu la même pensée.

Debout devant le réfrigérateur ouvert, il se demandait ce qu’il allait manger lorsque la sonnerie de la porte d’entrée retentit. Une série de trois coups brefs, puis une autre. Dans tous les cas ça ne pouvait être ses collègues.

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