CHAPITRE XIV

Le Sikorsky s’éleva au-dessus de Panama une demi-heure plus tard. Il emportait Kovask et Clayton. Le service goniométrique avait réopéré le chaland L. 4002, à la limite de la zone, alors qu’il allait pénétrer dans la baie de Trinidad. Une vedette du service de surveillance avait pu évaluer sa vitesse à cinq nœuds à l’heure. Dans un quart d’heure, l’hélicoptère survolerait le lac de Gatun. Le chaland se trouverait en pleine baie de Trinidad. Au fond de celle-ci, l’îlot de San-José appartenait à la zone américaine, et était occupé par quelques marines disposant d’un puissant émetteur. C’est eux qui avaient servi à la triangulation.

La section de Marines avait reçu l’ordre de se tenir en état d’alerte, et de patrouiller dans le fond de la baie. Kovask se maudissait. Il avait négligé la sécurité de David Wilhelm. L’équipage du chaland se composait de l’enseigne commandant de bord, de quatre marins, d’un mécanicien et d’un radio. Seul l’enseigne était armé. Un commando de l’Unitad, quelques hommes décidés, avaient eu facilement raison de cet effectif. Il ne pensait pas que le chimiste ait pu être tué. Tant que les agresseurs seraient dans les eaux plus ou moins bien délimitées, ils n’oseraient pas perpétrer un crime qu’ils pourraient payer cher. Enfin, jusqu’au bout, ils se serviraient de l’équipage et de Wilhelm comme otages.

Le pilote se tourna vers, eux et désigna le lac de Gatun, le tracé balisé du canal à la sortie du détroit de Barro Colorado. L’aide-pilote se débarrassa de son casque d’écoute et Kovask le coiffa. Il se mit en position d’inter.

— Nous sommes à six cents pieds environ. Je vais rester à cette hauteur jusqu’à ce que nous repérions le sabot. Ce sera facile … Forme caractéristique. Quelles sont vos instructions ?

— Vous descendrez jusqu’à deux cents pieds, que nous puissions observer ce qui se passe à bord.

Cinq minutes plus tard, le L. 4002 apparaissait, se dirigeant vers le sud-ouest. Son hélice laissait un sillage nettement démarqué sur l’eau verte de la baie.

— Il fonce pleins gaz … Le pont paraissait désert.

— Ils ne disposent certainement pas d’armes assez puissantes pour nous causer du mal, dit Kovask … Pendant que votre aide-pilote balaierait le pont avec son pistolet-mitrailleur, nous pourrions nous laisser tomber sur le pont. L’inspecteur et moi sommes armés. Nous essayerions de gagner le gaillard-arrière ou l’entrepont, au moins, à condition que vous continuiez de nous couvrir.

Le pilote hocha la tête d’un air peu convaincu.

— C’est de la folie … Mais je suis entièrement à vos ordres. Je vais le dépasser puis revenir vers lui. Don tirera par le côté, et vous descendrez de l’autre.

Quand la manœuvre fut amorcée, le chaland parut se rapprocher à toute vitesse. L’aide-pilote Don visa le poste de navigation, et lâcha de courtes rafales. L’hélicoptère plongea brusquement, ne se trouva plus qu’à une vingtaine de pieds au-dessus du pont. C’était encore beaucoup trop. Graduellement, il réduisit sa hauteur jusqu’à douze pieds environ. Kovask était déjà engagé. Il se cramponna un instant aux fixe-brancards, lâcha tout. Il boula sur le pont, glissa d’une détente derrière la surélévation du panneau de cale. Plusieurs balles vinrent déchiqueter le caillebotis tout autour de lui. Un choc sourd l’avertit que Clayton venait de prendre pied lui aussi. Le vent du rotor, puis celui de l’hélice anti-couple le balayèrent. Le Sikorsky prenait de la hauteur, virait pour se maintenir à l’arrière du chaland. De temps en temps, l’aide-pilote tirait une rafale.

Clayton rampa à sa hauteur.

— J’ai failli tomber à la flotte … Vous voyez quelque chose ?

— Non, mais si vous me couvriez, je pourrais me glisser le long de la coque, en m’aidant du dernier câble de la rambarde.

En quelques bonds il atteignit celle-ci, parut basculer dans l’eau. Clayton vit ses deux mains courir le long du câble en direction du gaillard-arrière. Elles disparurent à sa vue, mais il continua de tirailler.

Kovask se hissa à nouveau sur le pont dans la coursive étroite. Il se lança contre une porte, mais la cambuse était vide. Tous les marins avaient dû être regroupés dans la cale, sauf le navigateur de quart et le radio. Ils pouvaient fort bien avoir laissé Wilhelm dans sa cabine. Il ressortit, longeant la coursive.

Une rafale le plaqua contre la cloison, mais c’était l’aide-pilote de l’hélicoptère qui tiraillait. Il agita son mouchoir et le nommé Don dut le reconnaître, car il cessa de tirer. À l’arrière se trouvait l’écoutille d’ancres puis entre elle et le château, l’écoutille de cale, ouverte.

Lentement, il se hissa sur les tôles surchauffées du toit de la cambuse, rampant vers le poste de navigation qui faisait saillie à l’avant du château.

Il aperçut la coiffure blanche du marin américain à la barre. Une silhouette se tenait derrière lui. Il tourna les yeux vers l’avant, distingua l’ombre portée par le soleil couchant de son ami Clayton, dissimulé par le panneau de cale.

Par expérience, il savait que les vitres du poste de navigation étaient très épaisses et qu’il ne pouvait tirer sans risque pour le marin.

Du toit de la cambuse, il passa sur le rouf des cabines. Le chaland frémissait sous la pulsation des diesels poussés à fond, mais il avait peur d’être entendu. Toujours dans le cas où Wilhelm serait en compagnie d’un des agresseurs.

Le profil de la baie se rétrécissait. Ils étaient depuis longtemps en dehors de la zone américaine. Il se lança sur le rouf, sauta sur la passerelle. En quelques secondes, il atteignait le poste de navigation, tirait sans sommation sur le Panaméen qui se tournait vers lui, un gros automatique à la main. Le marin, abasourdi, regarda l’homme basculer et rouler sous la table des cartes. Il reconnut Kovask et sourit.

— Formidable ! Dit-il … On vous croyait encore derrière le panneau à l’avant.

— Combien sont-ils ?

— Quatre … Un avec le savant, deux avec les copains dans la salle des moteurs.

Kovask ramassa l’arme de l’homme et la tendit au matelot.

— Nous ont drôlement eus ! … Sont venus se foutre par le travers avec une barcasse de rien du tout … On n’a pas eu le temps de les éviter … Ils gueulaient qu’ils savaient pas nager … Il a bien fallu leur descendre une échelle … Jusqu’à ce que le « yeutenant » se trouve avec ça sous le nez …

Kovask quitta le poste, se dirigea vers la cabine-laboratoire. L’hélicoptère suivait à une vingtaine de mètres. Il agita le bras dans sa direction.

Comme pour l’homme du poste de navigation, il ouvrit brutalement la porte, tira vers le bas. Wilhelm assis sur sa couchette sursauta, tandis que son gardien, une balle dans la cuisse, se tordait à ses pieds. Kovask l’assomma sans ménagement, regarda avec consternation le désordre qui régnait autour de lui. Ils s’étaient acharnés sur tous les appareils, avec une rage stupide, et des débris de verre crissaient sous ses souliers. Wilhelm haussa les épaules.

— Tant pis ! … De toute façon ils n’ont pu détruire ce que j’ai là.

Il se tapotait le front. Il ne paraissait pas tellement surpris de l’arrivée de l’homme de L’O.N.I. Kovask désarmait l’homme à terre. Il tendit le colt à Wilhelm qui, cette fois, parut frappé de stupeur.

— Vous pourrez vous en servir ?

— Hum … J’essayerai.

Kovask passa sur la coursive, appela Clayton. Ce dernier accourut rapidement.

— Vous et Wilhelm allez descendre dans la cale par l’écoutille d’avant. Le marin et moi par celle d’arrière. Ils seront cernés et j’espère qu’ils se rendront rapidement.

Dans le poste de pilotage, il fit bloquer la barre, poussa la manette du chadburn sur le stop. Presqu’aussitôt, le régime des moteurs tomba.

— Venez avec moi … Comment se fait-il que l’homme qui vous gardait n’ait pu alerter ses compagnons du bas ?

— Quand l’agression a eu lieu, je n’ai eu que le temps d’écraser le tube acoustique d’un coup de pied. J’ai pensé que ça pourrait toujours servir. Pouvait pas me laisser seul pour prévenir les copains.

— C’était le chef ?

— Sûr … Perez que les autres l’appelaient. Kovask jura. Un des principaux maillons du réseau, et il l’avait tué.

— L’échelle donne droit dans la petite soute, ensuite c’est la salle des machines, puis la grande cale complètement vide mais qui peut contenir une douzaine de jeeps.

Le premier il se glissa dans le puits, attendit Kovask au fond. Une détonation assourdie leur parvint.

— Vos copains sont en pleine bagarre. Je crois que c’est le moment. Ils sont que deux après tout.

Il ouvrit la porte de séparation étroite et aux angles arrondis. Une série de quatre lampes éclairait la salle des machines. Derrière le groupe Diesel, ils aperçurent l’enseigne et les matelots, le dos tourné au mur. Kovask se glissa dans l’ouverture, contourna les moteurs, se heurta à un grand nègre qui balançait son automatique à bout de bras. Le poing de Kovask essaya de le cueillir à la pointe du menton, mais l’autre feinta, érafla du canon de son arme la joue du lieutenant.

Plusieurs coups de feu parvinrent de la grande cale. Clayton et Wilhelm occupaient l’autre Panaméen. Brusquement, le Noir fut sur lui, crocha ses doigts longs et puissants dans le cou de Kovask, se renversa sur lui, l’écrasant de sa masse. Privé d’air, il réagit sauvagement, mais rien ne paraissait vouloir faire lâcher prise à son agresseur. Il ramena ses mains à hauteur des pouces de l’homme, mais ce dernier avait une force d’hercule dans les doigts.

Déjà, il voyait la face sombre et grimaçante dans un nuage rouge. Il puisa dans sa peur ses dernières forces, réussit à lever ses mains, et les pouces durcis, chercha les yeux de son étrangleur. Le Noir poussa un hurlement de douleur. Kovask continua de presser sur les boules frémissantes. Peu à peu, l’homme relâchait son étreinte. Soudain, il l’abandonna pour se défendre à son tour. Ce qu’attendait Kovask qui, de ses deux poings réunis, lui asséna un formidable coup de bélier en pleine pomme d’Adam.

Le noir partit à la renverse, puis tomba sur le côté, à demi-asphyxié par l’écrasement de son larynx. Fou de rage, Kovask se dressa sur les genoux, lui donna un coup violent en pleine face, faisant éclater le nez épaté.

Il s’aida des canalisations pour se redresser, respira à plusieurs reprises. Agenouillé derrière un des moteurs, le marin tirait sur le dernier Panaméen. Quand il eut repris son souffle et quelques forces, il continua vers la droite, enjamba l’arbre d’hélice.

Le Panaméen s’était réfugié derrière une armoire métallique rivée à la coque. Kovask n’apercevait de lui qu’une main armée d’un pistolet qui tressautait à chaque détonation. Il revint sur ses pas, ramassa les deux armes, la sienne et celle du nègre. Ce dernier râlait comme s’il agonisait et portait des mains crispées sur sa gorge défoncée.

Il sut que jamais il ne pourrait tirer. Sa main tremblait encore. Il s’agenouilla, coinça son arme dans son coude gauche. Il visa lentement la main, tira deux fois.

La tête lui tournait tandis qu’il marchait vers le réduit du Panaméen. Ce dernier essayait de ramasser son arme tombée, de sa main gauche. Il l’écrasa, abattit sa crosse sur les cheveux huilés.

Il resta ainsi une minute, respirant avec délices l’air empuanti par le fuel.

— Le compte y est ? Demanda Clayton en s’approchant de lui. Malheureusement, l’enseigne est rudement touché. Ce salaud lui a tiré dessus, dit-il en désignant le dernier Panaméen, assommé par Kovask.

— Les autres ?

— Le mécanicien a eu la main traversée, par une balle. Mais dites-donc, vous êtes blême …

— Rien … Ça revient doucement. L’enseigne était étendu sur les caillebotis.

Il respirait de plus en plus difficilement et avait perdu connaissance. Kovask écouta avec attention, examina ses vêtements.

— Certainement un poumon traverse … Il faut le transporter d’urgence à Panama …

— L’hélicoptère ?

— Oui … Vous rentrerez avec eux … Pour me rejoindre avec la bagnole si besoin est … Wilhelm va nous faire part de ses constatations.

Un marin était allé prendre le brancard de secours. Ils remontèrent le blessé à l’air libre.

L’hélicoptère se rapprocha lentement du pont, se posa. Les marins se ruèrent pour l’empêcher de déraper.

La fixation du brancard demanda un certain temps, car ce n’était pas le modèle utilisé pour ce genre de sauvetage. Clayton monta dans la cellule vitrée.

— Je vous transmettrai les instructions … Il va certainement y avoir du neuf cette nuit.

Sans attendre le départ du Sikorsky, il rejoignit Wilhelm dans le laboratoire. Le chimiste regardait autour de lui avec un sourire fataliste.

— Idiot, complètement idiot ! Ils se sont acharnés comme des gosses !

Kovask alluma une cigarette, s’assit sur la couchette.

— Était-ce justifié ?

— Plus que vous ne croyez … Vous savez que je n’ai pu faire mes analyses aux écluses de Gatun à cause de ces énergumènes ? Et maintenant …

— Était-ce indispensable ?

— Pour une meilleure certitude … Pouvons-nous nous y rendre ? La seule chose d’intacte est mon microscope personnel … Je l’avais laissé dans son étui, et ils n’y ont pas touché. Malheureusement, mon émetteur d’ultrasons, du moins celui que m’avait prêté le génie maritime, est en morceaux … Peut-être que le personnel de l’écluse en possède un ? Pour la vérification de certaines pièces de fonderie …

— Je connais l’ingénieur de l’écluse de Gatun … Maintenant, dites-moi ce que vous avez déjà découvert.

Wilhelm regarda autour de lui, trouva une des plaques de verre servant à l’examen microscopique et alla chercher son appareil. Il le régla, appela Kovask.

— Jetez un coup d’œil … Examinez ces sortes de points sombres qui apparaissent assez nombreux parmi les algues et autres composants.

Kovask jugea abondants ces points noirs.

— Qu’est-ce ?

— Carbure de silicium, alumine cristallisée et carbure de bore. Le carbure de silicium vous apparaît dans les points les moins foncés. Tout cela en très grosse quantité, notamment du côté de l’écluse de Miraflores, et je crains d’en trouver encore plus à Gatun …

Il fouilla dans les paperasses déchirées, puis renonça à chercher.

— Les sauvages ont tout saccagé, ce qui est dommage … J’avais fait un calcul selon un moyen terme. Avec plus de cinquante analyses, j’ai pu faire une moyenne … Si mes résultats sont exacts, il y a dans les eaux du canal, quelques dizaines de tonnes de carbure de silicium, un peu moins d’alumine cristallisée et de carbure de bore.

Kovask qui cherchait depuis un moment, eut une illumination subite.

— Dites-moi, ces carbures sont utilisés comme abrasifs ? Ils rentrent dans la constitution des meules et des disques-meules avec l’aide de divers agglomérants … caoutchouc et résines … Wilhelm souriait. Kovask le fixa avec stupeur.

— Vous ne voulez pas dire que ce sont ces particules qui ont pu provoquer des usures aussi profondes que celles que j’ai pu voir ce matin ?

— Évidemment … Il manque de coagulant. Dans l’eau, elles n’ont qu’une action assez lente, comparable à l’érosion des grains de sable sur un rocher … Mais on peut les faire floculer.

Il eut un sourire railleur.

— Vous souvenez-vous de votre visite à mon laboratoire de La Jolla ? Je vous ai montré ces diverses solutions à différents stages … Connaissez-vous le procédé Cavitron ? Pour l’usinage de certaines pièces on se sert d’un outil qui vibre à la fréquence de 27 kilocycles … Or, ce n’est pas l’outil proprement dit qui travaille, mais une poudre abrasive en suspension dans un liquide qui coule sur la surface à travailler.

Kovask était passionné par les explications du chimiste.

— Mais, dans le cas qui nous intéresse, comment auraient-ils pu utiliser un émetteur d’ultrasons à proximité des écluses ?

— Attendez. Il y a d’autres particularités des ultrasons. Dans certaines papeteries, ils servent à récupérer les déchets de pâte à papier diluée dans les eaux usées … Ils en forment des agglomérés, assez importants. Dans les eaux, les rayonnements d’ultrasons se propagent à la perfection, la preuve, les asdics. On peut atteindre des distances assez considérables, selon la salinité et la densité … et la température. Ces conditions me paraissent réunies dans cette zone.

— Attendez un moment … D’après vous, quelqu’un aurait agi à distance à l’aide d’un émetteur très puissant ?

— Je le suppose … Personnellement, je ne connais pas un tel appareil … Je l’imagine mal même … Cependant, on fait des paraboliques d’une telle ampleur … Précisément, en utilisant des céramiques puissantes … Voyez-vous, les poussières ont tendance à s’agglomérer aux différents nœuds de vibration. Il suffit de régler soigneusement son appareil pour parvenir à ce résultat. Je ne crois pas que ce soit une chose aisée, et c’est là que doit résider toute la difficulté. Cette floculation des particules de grains abrasifs entraîne, vous vous en doutez, un grand brassage. Pas étonnant donc qu’en quelques heures, on use à ce point une pièce métallique.

Kovask écrasa son mégot sous son pied, jura à cause des débris de verre et fit quelques pas dans l’étroit habitacle. Il réfléchissait intensément.

— La propagation des ondes doit être libre … Sinon elles forment écho et …

— Exact … Il suffit de placer le parabolique suffisamment bas et de choisir son angle … Le canal a au minimum douze mètres de profondeur. Cela autorise du bon travail.

Il marcha vers la porte.

— Venez à la chambre des cartes …

— Il n’y en a pas sur les chalands de débarquement … C’est dans le poste.

Les membres de l’équipage paraissaient attendre. Le marin qui avait participé à la liquidation des Panaméens s’approcha.

— Mon « yeutenant », on a mis les deux morts de côté et ligoté les deux blessés … Le nègre a du mal à respirer, mais il récupère vite … Vous donnez les ordres ?

— Justement, nous allons au poste de navigation. Que chacun reprenne le travail. Direction les écluses de Gatun.

Quand le chaland eut repris sa route, Kovask expliqua à l’Amirauté les directives qu’il comptait prendre. On lui répondit qu’une vedette viendrait prendre les corps et les deux blessés. Il fouilla celui de Perez, mais ne découvrit rien de particulier dans ses vêtements. Il était beaucoup plus préoccupé par les explications de Wilhelm.

Sur la table, le chimiste avait placé une carte de la baie de Limon et de la cote de l’Océan Atlantique. Il prit une règle, l’orienta.

— Voyez … Une ligne droite peut être tracée venant du large et aboutissant aux écluses … Il suffit qu’un bateau soit à plusieurs milles au large pour obtenir un bon résultat. Il immergera son parabolique à la profondeur voulue.

Kovask le regarda en face.

— Si votre hypothèse se confirme, nous l’aurons échappé belle. Pensez aux usages possibles. Dans les ports par exemple ?

— Oui et non … Un port trop largement ouvert est constamment parcouru par des eaux nouvelles … Difficile de localiser les particules abrasives … Tandis que dans le canal, c’était gagné d’avance.

— Comment croyez-vous qu’elles ont été répandues ? Un cargo ?

— Certainement … Et même l’opération n’a pas dû leur revenir très cher, car ces particules infinitésimales ne pourraient pas être utilisées par l’industrie.

Kovask se pencha à nouveau vers la carte.

— Nous pouvons donc établir la longitude de ce mystérieux navire ? Puisque la baie de Limon ouvre en plein Nord. Restera à établir la latitude … Il ne peut qu’être à la limite des eaux territoriales … Pour l’empêcher de poursuivre ses émissions d’ultrasons, ce sera plutôt difficile … Nous pouvons mettre des écrans, évidemment, mais j’aimerais pouvoir détruire ce nid de rats.

Il se redressa une nouvelle fois.

— Avant la tombée du jour, il faut que je le fasse repérer par les avions de la Navy …

— Et si je me suis trompé ? Si nous ne trouvons pas une quantité suffisante de particules abrasives ?

Kovask haussa ses épaules puissantes.

— Tant pis ! … Donnez-moi cette longitude ?

— Entre 79°50’ et 79°55’.

Le lieutenant passa dans la cabine radio et fit envoyer son message. Il fit préciser que la réponse devrait lui être adressée à bord du chaland.

Une heure plus tard, ils arrivaient aux écluses de Gatun. Le chaland s’immobilisa sur la rive gauche et Kovask, accompagné du chimiste, gagna les locaux du personnel.

Ce dernier semblait fatigué. La journée avait dû être très dure.

— J’ai le rapport de notre laboratoire … Usure due à une action d’abrasifs très durs … L’ingénieur en chef pense qu’il y a eu une mauvaise surveillance, et que des gars sont venus la nuit s’attaquer aux pivots.

Kovask resta stupéfait d’une telle énormité.

— Ils avaient tous une petite meule portative et un groupe électrogène ? C’est tout ce que vous avez comme ingénieur en chef ? Nous avons découvert autre chose, nous … Mais je vous présente David Wilhelm, chimiste. Il va faire quelques prélèvements dans le sas et dans le bief. Avez-vous un sondeur à ultrasons ?

— Un Sperry …

— Parfait ! S’exclama Wilhelm. Ce sera plus pratique pour déterminer les quantités.

Une demi-heure plus tard, le chimiste put leur montrer l’accumulation de particules dans une cuve en verre, dont une des parois était garnie d’une feuille métallique. C’était inouï de voir ce que pouvait contenir un litre d’eau.

— Satisfait ? Demanda-t-il aux deux hommes.

L’ingénieur restait éberlué. Kovask lui tapa amicalement sur l’épaule.

— C’est Flanighan qui va en prendre un sérieux coup ! Il se couvrira de ridicule, le pauvre vieux.

Le message de l’Amirauté arriva sur ces entrefaites. Le bateau qui avait été localisé sur la longitude était le Coban, un cargo du Guatemala. Le bâtiment étant en dehors des eaux territoriales, il n’avait pas été possible de lui demander les raisons de sa présence.

— Ne croyez-vous pas que la nuit, il pénètre dans les eaux territoriales pour améliorer son angle d’incidence ?

Wilhelm fit la moue.

— Je ne le pense pas.

— Tant pis, dit Kovask avec force. Nous le capturerons quand même.

— Ne cherchent-ils pas un incident de ce genre ?

Kovask eut un sourire entendu et passa dans le poste de navigation. Il rédigea un message assez long, puis le fit coder par le radio, avant qu’il ne soit transmis.

— Cette nuit sera décisive, annonça-t-il à Wilhelm. L’ingénieur avait rejoint son poste. Je viens de demander que d’importants moyens soient mis à ma disposition. Le commodore Chisholm et le colonel Hilton seront là dans quelques heures. Nous commencerons à partir de minuit. Plus précisément à partir du moment où le Coban commencera ses émissions d’ultrasons.

— Comptez-vous utiliser des hommes-grenouilles ?

— Je ne sais pas encore, pourquoi ? Le visage de Wilhelm était grave.

— Leur fréquence d’émission peut être dangereuse pour un nageur. Je me suis étonné que l’on ne trouve pas de cadavres d’animaux ou de poissons notamment, mais ces derniers ont dû fuir.

Il rit.

— Nous aurions peut-être découvert tout cela en écoutant les doléances des pêcheurs du coin.

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