À dix heures du soir, plusieurs personnes étaient réunies dans le bureau du capitaine Husson, directeur des services de sécurité de Cristobal et adjoint du colonel Hilton. Le commander Tucker, commandant la base de Cristobal, se trouvait à gauche du commodore Chisholm. De l’autre côté de la longue table étaient assis Wouters, délégué par le gouverneur, Kovask ayant à sa droite Clayton et Wilhelm.
Kovask parlait depuis une demi-heure. Il avait fait un rapide retour en arrière, expliqué pourquoi l’Evans II avait coulé dans le Golfe de Panama, comment il avait été amené à supposer que des adversaires inconnus faisaient peser un danger certain sur le Canal. Il avait ensuite exposé ses preuves.
— Nous savons maintenant comment ces hommes s’y prennent pour saboter nos installations. David Wilhelm pourrait vous en fournir une preuve immédiate. Je crois que le temps nous manque, mais je lui demande de vous expliquer le procédé employé.
Wilhelm eut un regard intimidé puis commença ses démonstrations. Peu à peu, sa voix s’affermit. La stupeur de tous ceux qui n’avaient pas assisté à l’expérience du chimiste était évidente.
Le commodore Chisholm adressa un regard de compréhension à Kovask. Il appréciait maintenant le système de parade que le lieutenant lui avait demandé de mettre en place. Un escorteur côtier de la Guard Coast patrouillait au large de Colon, dans les eaux territoriales, et disposait d’écouteurs ultra-soniques. Deux vedettes rapides étaient dans le port de Cristobal, ainsi qu’un vieux L.T.C. citerne, qui devait être vendu à la ferraille, le mois suivant.
Wilhelm avait un accent de véracité qui les convainquait peu à peu.
— Ne nous fions pas à ce que nous connaissons … Certains pays ont fait des progrès énormes dans le domaine des ultrasons, et la construction de paraboliques d’une grandeur inusitée à l’aide d’une céramique spéciale n’est pas impossible. La difficulté était l’orientation d’un pareil faisceau d’ondes, mais elle semble avoir été résolue.
— Mais par gros temps ? Demanda le commander Tucker … Leur tâche ne serait pas aisée ?
— Bien sûr. Aussi ils profitent de cette période de calme plat. Et cette nuit ils détruiront tout le travail accompli aujourd’hui aux écluses de Gatun.
Wilhelm se tut et Kovask prit immédiatement la parole.
— Je crois que nous devons nous rendre aux Transmissions navales. Dans quelques instants, nous pourrons obtenir des précisions sur le cargo Coban. L’escorteur « Caroline » doit nous donner tous les détails obtenus avec son radar.
Deux voitures emportèrent les huit personnes. Aux Transmissions, un enseigne de première classe décodait les messages reçus. Il les apporta ensuite à son chef, le commander Tucker qui en donna lecture.
— Voici les caractéristiques de ce cargo. Longueur 88 yards un pied deux pouces … Largeur 30 yards trois pouces … quinze cents tonnes de déplacement. Il est immobilisé à moins d’un mille de la limite des eaux territoriales. L’avant est dirigé vers le large.
Kovask lui coupa la parole.
— Prêt à s’enfuir à la moindre alerte. Vitesse supposée ?
— Quinze à dix-huit nœuds à l’heure. Les écrans radar donnent une étrange configuration du cargo. L’arrière est surmonté d’un énorme portique incliné à 45° au-dessus de la surface des eaux.
Wilhelm eut un sourire de triomphe.
— Évidemment, il faut une installation robuste pour faire descendre l’énorme parabolique dont il doit être muni. Ils n’ont eu aucun écho d’ultrasons ?
— Ce n’est pas précisé, dit le commander Tucker. L’escorteur « Caroline » poursuit ses investigations à distance raisonnable.
— Pense-t-on à bord que le Coban soit muni de radars suffisamment puissants pour le détecter ?
— Nous allons leur poser la question.
La réponse fut rapide. Le Coban avait un important dispositif radar.
— Je ne crois pas que le Caroline l’inquiète, dit Kovask … Il n’y a qu’à lui donner l’ordre de revenir vers le port … Il est normal que la Guard Coast fasse une enquête sur ce bâtiment immobilisé depuis quelques jours au large des côtes.
À ce propos, le commander Tucker avait apporté une précision. Cela faisait trois jours exactement que le cargo guatémaltèque se trouvait là.
— Je me suis permis de faire des recherches, ajouta-t-il. Le Coban a franchi le canal à plusieurs reprises, ces dernières semaines.
Kovask dressa l’oreille.
— Combien exactement ?
— Quatre allées et venues … À une semaine d’intervalle.
Le lieutenant se tourna vers le commodore Chisholm.
— Cela correspondrait aux dégradations constatées du côté de Miraflores. Ils se livraient à des essais, et c’est lorsqu’ils ont été certains que leur appareil était au point qu’ils ont opéré en grand … Exactement comme la nuit dernière.
— Il faut dire que nous les avons précipités … Surtout vous, lieutenant Kovask.
Clayton lui enfonça son coude dans les côtes.
— À quand le petit filet doré entre vos deux barrettes ?[1] murmura-t-il.
Kovask sourit légèrement mais enchaîna :
— Ne pourrait-on pas retrouver le nom du bâtiment qui a dû transporter la poudre abrasive ? Il n’a pu balancer des tonnes de cette cochonnerie par-dessus bord sans que cela se remarque. À moins qu’il n’ait été pourvu d’une installation spéciale en dessous de la ligne de flottaison et des pompes.
Soudain, une autre idée lui vint.
— Le Coban est un vapeur, n’est-ce pas ?
— Oui … Ce n’est pas un navire très moderne.
— Pourquoi n’auraient-ils pas utilisé les eaux à la sortie du condenseur ? Tout au long de la traversée ils pouvaient ainsi abandonner leur poussière abrasive sans gros risques.
Les marins présents paraissaient de cet avis. Kovask consulta sa montre. Il était minuit moins le quart. Il fit un signe au commander Tucker qui sortit de la pièce.
— Nous allons embarquer à bord d’une vedette, annonça le commodore.
Le colonel Hilton paru suffoqué :
— Comptez-vous l’arraisonner en dehors des eaux territoriales ?
— Il n’en est nullement question. D’abord, il s’ensuivrait certainement une poursuite, cela nous entraînerait trop loin et enfin ces gens se défendront jusqu’au bout. Je ne veux pas qu’il y ait trop de dégâts.
Dans le port, un remorqueur manœuvrait, tirant un L.T.C. qui paraissait plein à ras-bord. Dans les projecteurs, ils purent voir que le château-arrière était en partie démantelé et qu’il ne restait que le poste de navigation.
— Trente mille gallons de fuel, dit Kovask à Clayton … Il enfonce jusqu’à la rambarde.
L’inspecteur regarda le chaland avec surprise.
— Vous allez foutre le feu au Coban ?
— Pas question ! Nous tenons trop à mettre notre nez dans l’installation de ce méchant cargo. Et je suis certain que nous allons trouver des gens très intéressants à bord.
La vedette démarra lentement, parallèlement au sillage laissé par le remorqueur. Ils étaient en pleine baie de Limon quand le « Caroline » signala que des émissions d’ultrasons venaient d’être enregistrées. Elles étaient d’une puissance peu commune.
— Ça commence.
À l’approche des digues de protection, la vedette ralentit encore et ils virent s’éloigner les feux du remorqueur.
— Nous le laissons filer seul ?
— Dans quelques instants nous stopperons même complètement.
Clayton mâchonnait sa cigarette.
— Vous me faites mijoter, Kovask.
Ils se trouvaient dans le carré minuscule à l’avant du bâtiment. Kovask lui donna du feu, alluma sa propre cigarette. Tout le monde se pressait contre les vitres épaisses.
— Pas du tout … Le remorqueur va faire le tour du Coban à distance raisonnable … Puis il reviendra au port, mais tout seul.
— Il abandonnera le L.T.C. ?
— Oui … Ce dernier est occupé par deux hommes. Deux volontaires. L’un est à la barre, l’autre aux vannes de vidange. Il a même à sa disposition une pompe électrique qui refoulera le fuel dans la mer. Cela formera une immense tache en forme de U. À un moment précis, une mise à feu télécommandée sera actionnée.
— Les deux hommes ?
— Ils auront eu le temps de revenir à bord du remorqueur.
Kovask soupira.
— Ça coûte un vieux chaland et trente mille gallons de fuel à la Navy, mais ce n’est pas de trop. L’administration du Canal en remboursera une bonne partie, trop heureuse d’en être quitte à si bon compte.
— Le feu cernera le Coban ?
— Pas complètement. Ils auront juste la place pour manœuvrer et revenir vers nous, c’est-à-dire dans les eaux territoriales où le « Caroline » les arraisonnera. Cela n’ira pas tout seul mais ils seront trop affolés pour résister longtemps. Il y a un commando de marines à bord de l’escorteur. Des gars choisis un par un. Matériel de choix, canots pneumatiques à moteur et grappins. Ils seront sur le Coban avant que le « Caroline » ait tiré son premier coup de semonce.
Il haussa les épaules.
— Chisholm m’a refusé le plaisir d’en faire partie. J’aurais bien aimé être dans les premiers à poser les pieds sur le pont. Le spectacle vaudra certainement le coup.
— Vous êtes certain qu’ils n’ont rien de prévu pour fuir ? Hélicoptère ? …
— Pourquoi pas un sous-marin ? Non, les avions de la Navy n’ont rien repéré de semblable. Le pont est paraît-il passablement encombré. Du moins pendant la journée. Certainement le fameux portique qui ne doit être déployé qu’à la nuit tombée.
Un haut-parleur nasilla au-dessus de la porte d’entrée.
— Astyx signale qu’il accomplit la boucle autour du Coban et que l’expulsion de fuel se poursuit normalement. Plus de la moitié des trente mille gallons flotte actuellement dans un quart de cercle d’un demi-mille de rayon. Le vent, Sud-Nord approximativement, bien que très faible sera excellent pour la propagation du feu.
Le commodore demanda qu’on les branche directement sur la radio de l’escorteur. Un quart d’heure plus tard, une voix s’éleva.
— Escorteur Caroline à navire inconnu, stoppé par 79°52 minutes de longitude Ouest et 4°31 minutes latitude Nord attention, message d’extrême urgence … Un chaland-citerne, à la suite d’une avarie, vient de perdre la totalité de sa charge en fuel. Risque immédiat d’incendie. Rejoignez d’urgence Cristobal … Nous répétons …
Clayton grimaçait de plaisir.
— Ils ne vont pas être dupes.
— Non … S’il s’agissait d’une avarie, le fuel mettrait un certain temps à remonter à la surface de l’océan. Tandis que nous l’y avons déposé avec précaution.
La voix nasillarde s’éleva à nouveau.
— Escorteur Caroline à C.T. Navire inconnu ne répond pas …
— Maintenant, c’est la station terrestre de sécurité qui va s’en mêler. De la comédie évidemment, qui ne dupe personne mais produit son petit effet psychologique.
Soudain, ils distinguèrent des feux de position légèrement sur la droite.
— Astyx revient … Dans quelques minutes, ce sera la mise à feu.
Une nouvelle fois, l’escorteur répéta son message d’alerte, puis avertit C.T. que le Coban ne répondait toujours pas.
— Aucune manœuvre à bord ? Demanda le commodore.
La réponse fut rapide.
— L’écran radar laisse voir une modification de sa superstructure. Ils doivent replier leur portique.
— J’y suis, dit le commander Tucker … Ce gros engin leur interdit certainement la manœuvre. Ils ont dû remonter la parabolique pour mettre en route leurs machines.
Kovask opina du chef.
— Ils vont foncer vers le large malgré le danger. Tant que la nappe n’est pas en feu, ils croient qu’il s’agit d’un coup de bluff.
— Regardez …
Une immense étincelle venait de jaillir de la mer, puis la nuit retomba, plus épaisse.
— Raté ! Jura Clayton.
Mais, en même temps, un embrasement général de la mer éclata. On distingua alors parfaitement la silhouette du cargo très haut sur les flots, celle du remorqueur qui revenait vers le port. Sur la gauche, le « Caroline » se déplaçait rapidement, perpendiculairement à l’embouchure de la baie de Limon, tandis que la deuxième vedette rapide convergeait vers le trou noir dans lequel se trouvait le Coban.
Les flammes couraient à grande vitesse de la mer, formaient bientôt une demi-couronne fantastique.
— Quarante mètres de haut au moins ! Supputa Clayton.
Le Coban bougeait. Il pivotait lentement vers la gauche. Son capitaine espérait certainement longer la limite des eaux et s’enfuir de la sorte. Mais les flammes allaient trop vite, et bientôt il se trouva étroitement encerclé.
— Ça doit faire du joli à bord, dit quelqu’un.
Kovask imaginait sans peine l’affolement général. Il était satisfait de son plan et espérait que les marines maîtriseraient l’équipage sans endosser la moindre perte.
— Vous appréciez, hein ? Lui souffla Clayton.
— Pleinement !
— Cette fois, il pivote totalement.
— Dans deux minutes, il sera en plein dans les eaux territoriales.
Les flammes roulaient maintenant en un immense mascaret de feu, et la demi-couronne avait fait place à une fantastique muraille.
— Ça vaut les feux d’artifices du 4 Juillet, sur le Canal, affirma l’inspecteur.
Le Coban grossissait visiblement. Kovask distinguait parfaitement son profil. Il piquait droit sur eux.
— Pourvu qu’ils ne tentent aucune manœuvre désespérée une fois dans les eaux territoriales.
— J’y pense, dit Clayton. S’il s’était trouvé un autre bâtiment dans les parages ?
— Le cas était prévu et la zone a été soigneusement fouillée par les radars, je vous en donne ma parole.
Une nouvelle fois, le haut-parleur nasilla. Le ton de la voix. Avait changé :
— Ici escorteur côtier « Caroline ». Le commandant de bord, lieutenant Hanover, au capitaine commandant le cargo Coban … Vous venez de pénétrer dans les eaux territoriales … Ordre vous est donné de mettre en panne et de permettre à l’officier d’inspection l’accès de votre pont. Il n’y aura pas d’autre semonce.
Presque aussitôt, un coup de canon éclata à l’avant de l’escorteur.
— Le commando est certainement à bord, dit Kovask.
Wouters, le délégué du gouverneur, lui tendit une paire de jumelles. On distinguait bien des silhouettes sur le pont du cargo, mais il était impossible de savoir ce qui s’y passait réellement.
La vedette glissa en direction du cargo. Au large, l’incendie paraissait décroître peu à peu, mais tes flammes étaient encore suffisantes pour éclairer la scène.
— Ici Caroline … Par signaux optiques, le sergent-chef commandant la section de marines nous fait savoir qu’ils sont en partie maîtres de la situation. Seuls, quelques hommes réfugiés dans le gaillard d’avant tirent par les hublots de pont. Ils vont utiliser les grenades lacrymogènes.
Quand la vedette accosta le long de l’échelle de coupée, tout paraissait calme à bord. Le sergent-chef s’approcha du commodore pour le rapport.
— Vingt-trois personnes à bord, commodore. Quatre tués et plusieurs blessés.
— Chez vous ? S’inquiéta l’officier supérieur.
— Quelques blessés sans gravité. Ils ont commencé à tirer en refluant vers le gaillard d’avant. Mais l’équipage notait pas armé. Il s’agit en fait de gardes du corps. Nous avons séparé les officiers de bord et les matelots du reste de la troupe.
Kovask apprécia pleinement. Les marines avaient collé la fine équipe dans le carré des officiers. Quand il entra, il reconnut d’abord la femme.
— Señora Dominguin ! Fit-il ironique.
— C’est une honte ! Siffla-t-elle. Vous vous en mordrez sérieusement les doigts. Nous sommes très bien placés dans notre pays pour …
Kovask regardait un homme au teint olivâtre, au regard sournois. Gras et répugnant, ce ne pouvait être que le roitelet de Pueblo-Mensabé.
— Señor Dominguin, je suppose ?
Un homme blond essayait de se dissimuler derrière les autres. Kovask le désigna aux marines.
— Celui-ci, aux fers immédiatement … Le traître Sigmond, renégat de la Navy. Faites taire cette femme.
Le commodore entrait, suivi de tous les autres.
— Le compte y est, lieutenant ? — Je crois.
— Nous venons d’avoir une vue d’ensemble du matériel. Votre ami Wilhelm est affairé et très passionné.
Les autres n’étaient que des comparses, des gardes du corps. Plusieurs portaient des pansements provisoires.
— Les morts sont dans le gaillard d’avant, précisa le sergent-chef.
Le commodore se pencha vers Kovask.
— Mission réussie et sans gros ennuis … Mes félicitations ! Vous comptez mener l’interrogatoire demain ?
— Tout de suite … Je veux dire une fois à terre. Il faut éclaircir certains points.
— Si nous pouvions mettre la main sur Ponomé … Ce serait la meilleure des choses.
Kovask alla à son tour visiter le matériel. Il resta songeur devant l’immense parabolique de l’émetteur. La céramique avait plusieurs mètres de haut.
— Presque quatre mètres, dit Wilhelm qui frétillait d’aise au milieu de ce désordre. Vous avez vu le treuil ? Cette pièce doit peser plusieurs milliers de kilos et je me demande quelle fonderie a pu le couler …
— Vous vous le demandez ? C’est signé … Quelle puissance a fait des progrès énormes dans ce domaine, ces dernières années ? Qui utilise des fusées balistiques à base de céramique ?
Wilhelm avait les yeux ronds.
— Ne cherchez pas plus loin … Aussi surprenant que cela vous paraisse, il n’y a que les Soviétiques pour avoir fourni cet appareillage à l’Unitad. Malgré certaines divergences politiques. Vous venez avec nous ou bien vous restez ? Nous allons gagner la terre avec la vedette.
Wilhelm passa sa langue sur ses lèvres comme un gosse gourmand.
— Si vous m’y autorisiez … Je resterais bien. Kovask éclata de rire et rejoignit Clayton.
Ce dernier paraissait sombre.
— On va encore passer la nuit à interroger ces salopards ? Vivement que vous preniez le Bœing du retour. Je vous accompagne à Tecumen avec des fleurs, puis je vais roupiller quarante-huit heures de riffle.
Le commodore s’entretenait avec le capitaine du cargo. Ce dernier prétendait que son bâtiment avait été loué pour six mois par le señor Dominguin, et il se réfugiait derrière sa nationalité guatémaltèque.
Chisholm suivit le lieutenant sur la coursive.
— L’ennui, c’est qu’il a en partie raison. On ne peut relever contre lui que le refus de mettre en panne … Nous pourrons garder quelque temps le bateau et son équipage, mais nous devrons ensuite le restituer … Et contre Dominguin ? Quelles charges ?
— Ils ont tiré sur la section de Marines.
— Oui, évidemment, mais ce n’est pas suffisant.
Kovask alluma une cigarette. — Je compte particulièrement sur Sigmond. Il a vécu dans leur sillage pendant une semaine.
Il doit savoir des tas de choses passionnantes. Dominguin est certainement responsable de forfaits et crimes commis sur le territoire de la Zone.
— Et si ce premier-maître refuse de parler ?
Kovask sourit.
— Je crois qu’il parlera … N’oubliez pas que sa femme et sa fille ont été tuées par ceux-là même qu’il servait. Un homme ne peut pas supporter ça. Enfin, il y a l’agression contre le L. 4002. Certainement commandé par Dominguin ?
Le visage du commodore s’éclaira.
— J’oubliais, en effet … L’état du jeune enseigne est très grave et, s’il meurt, ces gens-là doivent être durement châtiés.
Le ton de Kovask devint un murmure :
— Nous devons les tenir au secret quelque temps. Empêcher que la politique n’utilise leur arrestation. Quand nous aurons toutes les preuves, nous pourrons y aller carrément.
Chisholm paraissait rêveur.
— Décapiter l’Unitad, c’est remporter une belle victoire. Il va falloir jouer serré.
Sur la mer, seules quelques flaques de fuel brûlaient encore. L’air humide était saturé de fumée et tous avaient le visage et les mains noircis. Solidement encadrés par les Marines, Dominguin et sa femme descendirent la passerelle de coupée et pénétrèrent dans la vedette.
— Une jolie femme ! Remarqua le commodore … Curieux qu’elle soit mêlée à cette histoire.
— Une tigresse aussi ! Affirma Kovask.
Le capitaine ayant accepté de conduire son navire jusqu’aux quais de Cristobal, ils quittèrent le Coban à bord de la vedette.
Dans le bureau de la Sécurité, Kovask établit sur papier les grandes lignes de ses interrogatoires. Clayton l’assistait, ainsi que le colonel Hilton. Wouters ne manifesta pas le désir d’assister à la séance. Il devait rendre compte au gouverneur de la réussite des opérations. Le commodore Chisholm était en route pour Panama. Luisa Dominguin comparut la première. Elle s’installa sur la chaise placée au centre de la pièce, croisa haut ses jambes. Elle paraissait très sûre d’elle.
— Je dois vous avertir que je refuse complètement de répondre à une seule question.
Kovask la regarda silencieusement puis inclina la tête.
— Très bien.
Il fit signe à l’inspecteur de service qui entraîna la femme.
Du coup, elle parut inquiète de sa trop facile victoire.
— Vous avez quelque chose à ajouter ? Fit Kovask, ironique.
Elle pivota et passa la porte, le policier dans ses talons.
— Croyez-vous qu’il soit utile d’appeler Dominguin ?
— Pour la régularité de l’instruction, je le crois.
Le gros homme refusa de s’asseoir. Il répéta exactement les mêmes paroles que sa femme. Kovask, très à l’aise, s’inclina et le riche propriétaire eut la même lueur inquiète dans ses yeux.
Clayton apprécia l’attitude de Kovask.
— Ils vont s’imaginer que nous en savons long … Malheureusement, il ne reste plus que le premier-maître Sigmond. Si celui-là se montre réticent, je me demande comment nous démêlerons l’affaire.
Kovask allumait soigneusement une cigarette. Ses cheveux très décolorés brillaient sous la lumière électrique. Ses yeux étaient durs. Il martela chaque mot :
— Sigmond parlera … Même au prix de certains moyens un peu rudes.
Il s’adressa au policier.
— Allez le chercher.
Lentement, il orienta les deux projecteurs de bureau sur la chaise vide.