Le Jess Bang en partance pour Aalborg sur le quai voisin donna un bref coup de sirène qui fit sursauter Malko. L’extrémité de Nyhavn avait retrouvé tout son calme. Derrière lui, le signe lumineux indiquant aux automobilistes l’extrémité du quai éclairait faiblement le cadavre d’Otto Wiegand.
En dépit de la température douce, Lise frissonna. C’en était trop pour elle. Malko la tira doucement à l’écart. Jusqu’au bout, Otto n’avait pas eu de chance. Maintenant, il ne restait plus qu’à pousser le corps dans l’eau et à prendre le premier avion avant que les autorités danoises ne se posent trop de questions à propos de cet étrange noyé assassiné…
Pourtant quelque chose retenait encore Malko. C’était trop bête. Et irrémédiable pourtant : Boris devait déjà être en train de faire sa valise. Lui, la mort de l’Allemand l’arrangeait d’une certaine façon. C’était, en tout cas, moins grave que pour Malko.
À force de retourner le problème, une idée jaillit dans le cerveau de Malko. C’était difficilement réalisable, mais cela valait la peine d’essayer. Le seul moyen d’utiliser la dépouille mortelle d’Otto Wiegand. Et s’il y avait un au-delà, l’Allemand apprécierait le tour à sa juste valeur…
Malko secoua Lise légèrement par l’épaule.
— Allez vite chercher la voiture.
Elle le regarda, surprise.
— Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ?
Il désigna le cadavre.
— Je reste avec lui. Nous l’emportons.
— Mais il est mort ! fit-elle avec une horreur sincère dans la voix.
— Justement, répliqua Malko. Mais nous sommes les seuls à le savoir. Avec Boris Sevchenko.
— Et alors ?
Malko la poussa doucement. Il n’avait pas envie de discuter. Une patrouille de police pouvait surgir et découvrir le cadavre, ce qui réduisait son plan en cendres… La Danoise partit en courant sans comprendre. Malko tira le corps vers le bord pour le dissimuler un peu. Appuyé à une bitte d’amarrage, il avait l’air, de loin, d’un ivrogne.
Cinq minutes plus tard la Saab stoppait devant Malko. Le quai était toujours aussi désert. Un groupe de marins sortit du Teddy-Bar Ritt mais prit l’autre direction. Malko prit le mort sous les aisselles et le tira jusqu’à la voiture.
— Ouvrez le coffre, demanda-t-il.
Médusée, Lise s’exécuta. Heureusement le corps était encore souple. Malko eut du mal à le plier dans le petit coffre. Recroquevillé en chien de fusil, l’Allemand semblait dormir. Malko referma et prit le volant. Lise tremblait convulsivement.
— Qu’allons-nous en faire ? bredouilla-t-elle.
— Un cadeau pour ce cher consul, dit Malko. Pour la première fois de sa carrière, cela va le forcer à arracher une idée de sa tête. Vous connaissez son numéro de téléphone personnel ?
— À cette heure-ci ! Mais il dort.
De plus en plus affolée, Lise.
— Nous allons le réveiller, répliqua Malko.
Tout en conduisant, il commença à expliquer son plan à la jeune femme. Il avait fini lorsqu’ils stoppèrent devant l’hôtel Royal. Elle le regarda, abasourdie.
— C’est incroyable ! Vous croyez que cela va marcher ?
Malko hocha la tête.
— Cela dépend en grande partie de vous. Allez dans la chambre et dites à Krisantem de descendre.
En attendant Lise, il chercha sur la carte la rue où demeurait le consul. Cinq minutes plus tard, Krisantem, sans cravate, montait dans la voiture. Malko démarra immédiatement. Lise était restée à l’hôtel, pour réveiller le consul par téléphone.
— Il y a un cadavre dans le coffre, annonça-t-il au Turc. Nous allons nous en débarrasser.
— Ah ! fit le Turc, pas enthousiaste.
Il avait horreur de creuser.
— On ne va pas l’enterrer, précisa Malko, simplement l’envelopper pour un long voyage.
— Ah ! bon, dit Krisantem, soulagé.
Du moment qu’on ne le forçait pas à creuser… Qu’on le découpe en petits morceaux ou qu’on le cuise dans l’acide…
Malko expliqua deux ou trois choses à son compagnon tandis qu’ils s’éloignaient du centre. Ils stoppèrent un quart d’heure plus tard devant une villa éteinte. Lise devait avoir téléphoné, car immédiatement après le coup de sonnette de Malko, la porte s’ouvrit sur un homme en pyjama, les cheveux dressés sur la tête, l’air totalement furieux : William Birch, le consul, auquel Malko avait déjà eu affaire, le jour de « l’abjuration » d’Otto Wiegand.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demanda-t-il, peu amène. Il est deux heures du matin.
— Je sais, répliqua Malko paisiblement, mais j’ai besoin de vous. Immédiatement.
— Bon, entrez, accepta l’autre de mauvaise grâce. Mais j’espère que la salade que vous avez à me vendre est bonne…
Malko le suivit, Krisantem sur ses talons. Il s’assirent tous les trois dans le salon.
— J’ai un cadavre dans le coffre de ma voiture, annonça Malko.
Le diplomate sauta de son fauteuil :
— Quoi ?
— Le problème n’est pas là, continua Malko. Ce cadavre est celui d’Otto Wiegand. Tout le monde ignore sa mort. Il est d’une importance primordiale qu’on le croit parti aux USA du moins pour deux ou trois jours…
William Birch vira au rouge prélat.
— C’est pour me raconter des conneries pareilles que vous venez me réveiller à cette heure-ci ! En quoi tout cela me concerne-t-il ?
— Cela vous concerne énormément, affirma Malko. Parce que vous allez vous charger dans les premières heures de la matinée de faire prendre l’avion à Otto Wiegand. Plus précisément, un appareil du MAC.[19]
— Moi ?
Il était au bord de l’apoplexie, le consul.
— Vous, répéta Malko. Ne me faites pas perdre de temps. J’ai besoin d’un diplomate pour escorter le corps et pour que personne ne pose de questions. Entre-temps, je vais prévenir Washington afin qu’on reçoive dignement Otto Wiegand…
» Quand vous l’aurez mis dans l’avion, vous convoquerez les journalistes danois pour leur expliquer qu’Otto Wiegand, transfuge de l’Est, a préféré partir en catimini par crainte des pressions exercées sur lui… Ensuite vous n’aurez plus qu’à garder le silence une bonne semaine et vous aurez rendu un fichu service à votre pays !…
William Birch, violet, avala sa salive.
— Je refuse, dit-il dignement. Je ne suis pas un, un… un homme de main…
Malko sourit imperceptiblement. Décidément les vrais diplomates n’étaient bons à rien…
— M. Elko Krisantem, ici présent, assura-t-il, se chargera des détails matériels de l’emballage. Quant à votre collaboration, je peux vous dire ceci : si cette opération rate à cause de vous, le Département d’État ne trouvera pas de poste assez minable pour vous y abandonner le restant de vos jours.
Les deux hommes se mesurèrent du regard. Le diplomate connaissait le véritable métier de Malko et les grandes lignes de sa mission. Mais c’était tellement énorme…
— Alors ? demanda Malko.
L’autre craqua d’un coup. Affolé, il bredouilla :
— Mais enfin, comment vais-je faire ? Ce mort, c’est horrible, on va le voir.
— Je vous conseille la caisse convenablement aménagée, suggéra Malko. C’est très bien vu dans les pays arabes. La plupart des diplomates voyagent de cette façon…
William Birch était trop assommé pour relever le trait. Il se leva et dit piteusement :
— Je vais m’habiller.
— Voilà ce que j’attends de vous, expliqua Malko…
Pendant un quart d’heure, il mâcha le travail au diplomate. Lorsqu’il se tut, William Birch avait vieilli de dix ans.
— C’est absolument nécessaire ? balbutia-t-il.
— Absolument, fit Malko en se levant.
Lise attendait sagement dans la chambre, les yeux brillants. Dès que Malko entra, elle lui jeta :
— Il est dans sa chambre.
Malko hocha la tête. Cela ne l’étonnait pas. Les Russes adorent les paperasses. Il devait être en train de faire son rapport en douze exemplaires.
Pour une fois, Malko bénit la paperasserie soviétique. Elle lui offrait sa dernière chance.
— Vous êtes prête ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête.
— Allez-y !
Il se pencha sur sa main et la baisa.
— Merci, Lise.
Puis, il recula et la gifla à toute volée. Elle tomba assise sur le fauteuil, le souffle coupé, une énorme marque rouge sur le visage, les yeux pleins de larmes.
Malko se pencha et lui envoya un coup de poing dans l’oeil droit.
Malgré elle, elle poussa un hurlement. Presque instantanément, une marque noire apparut sous son oeil.
Relevant sa jupe, Malko griffa les cuisses de la Danoise et tordit à pleines mains la chair tendre. Lise se mordait les lèvres pour ne pas crier.
— La poitrine, souffla-t-elle.
Malko commença à lui pétrir les seins sans ménagement, comme s’il avait voulu y enfoncer ses doigts.
Puis, passant une main sous son chandail, il arracha le soutien-gorge, en prenant soin de griffer l’épaule. Ensuite il tira violemment sur le slip qui lui resta dans les mains, en deux morceaux.
— Sautez sur moi, maintenant, ordonna-t-il.
Elle obéit, donnant des coups de pieds, se débattant furieusement. Malko la prit par les cheveux, la jeta par terre, la reprit, la serra à la gorge, lui meurtrit les poignets. Ils luttèrent encore cinq bonnes minutes. Lise, dont la peau marquait facilement, était pleine de bleus, avait le visage écarlate et respirait avec peine. Sans le vouloir, Malko lui avait griffé la lèvre inférieure et elle saignait.
Il la considéra d’un oeil critique.
— Ça doit aller. En avant.
Elle parvint à sourire et se rapprocha de lui.
— Vous oubliez le principal. La police danoise est très consciencieuse… Surtout dans les histoires de viol.
Lise aussi était très consciencieuse. Et avait de la suite dans les idées. Depuis une semaine, elle avait envie de Malko. C’était une occasion inespérée. Les dix minutes suivantes contribuèrent largement à achever son essoufflement. Elle se démenait contre Malko comme si elle n’avait jamais fait l’amour de sa vie. Avec autant d’égoïsme qu’un homme. Puis elle poussa un feulement léger, et se dégagea avec un baiser.
— Je suis prête, annonça-t-elle.
Malko ouvrit la porte et inspecta le couloir. Désert. Il fit signe à Lise. Pour plus de sûreté, ils descendirent au dixième étage par l’escalier de secours, le couloir du dixième était également désert. La chambre de Boris Sevchenko était à quelques mètres. La jeune Danoise y courut et commença à tambouriner à la porte. Au bout de cinq minutes, la voix de Boris s’éleva de l’autre côté du panneau.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Lise répondit en danois :
— Le feu dans le couloir, monsieur. C’est la femme de chambre.
— Je ne comprends pas, dit Boris.
Lise répéta en anglais avec un épouvantable accent. Après une seconde de silence, le verrou tourna dans la serrure. Boris ouvrit la porte toute grande.
Il eut l’impression qu’une panthère lui sautait à la gorge. Lise, agrippée à lui, se frottait de tout son corps. Elle lui griffait le visage, la nuque, tout ce qu’elle pouvait atteindre… Comme il cherchait à se dégager, elle lui mordit la main et il la repoussa violemment. Elle alla heurter le mur, le visage en avant et se fendit l’arcade sourcilière. Comme Malko l’avait prévu, le Russe n’était pas en pyjama. Il avait seulement retiré sa veste pour travailler.
Pour plus de sûreté, elle revint encore une fois à l’assaut et avec une habileté démoniaque, défit les boutons du pantalon de Boris.
Puis, lorsqu’elle eut son sexe nu dans la main, elle griffa encore, de toutes ses forces.
Aussi brutalement qu’elle était entrée, elle s’enfuit dans le couloir en hurlant comme une sirène. C’était du danois, mais Boris comprit quand même. Affolé, il commit l’erreur de la poursuivre…
Deux policiers, la mine sévère, encadraient Boris Sevchenko qui dissimulait ses menottes sous un imperméable. Il avait tellement protesté de son innocence qu’il en était aphone. L’inspecteur qui l’avait arrêté le regardait avec dégoût. Il fallait vraiment être vicieux pour aller violer une fille à Copenhague, en plein mois de juin, alors que les étudiantes se jetaient sur les étrangers.
Enveloppée dans une couverture, pelotonnée dans un des fauteuils du hall, Lise sanglotait convulsivement, consolée par le directeur du Royal. Le malheureux en avait des sueurs froides : la fille d’un diplomate danois violée par un étranger dans le meilleur hôtel de la ville !
Il voyait déjà les manchettes des journaux.
— Comment vous sentez-vous après cette horrible chose ? demanda-t-il, plein de commisération…
— Oh ! j’ai si honte, fit Lise d’une voix mourante. Je voudrais que les examens soient terminés pour retourner chez ma mère !
Boris étouffait de rage. En peu de mots, Lise avait raconté comment, sans méfiance, elle avait accepté d’aller boire un verre chez ce monsieur pour se faire pardonner une invitation à dîner ratée. Comment il s’était jeté sur elle sauvagement et, comment il était parvenu à ses fins en dépit de sa résistance désespérée…
On attendait un médecin appelé par la police pour les constatations.
Une heure plus tard, la porte d’une cellule claquait sur Boris. Le témoignage du médecin qui avait examiné les deux acteurs du drame avait été accablant.
Dans un lit étroit de l’hôpital de Copenhague, Lise s’endormit du sommeil du juste, ravie et moulue, après s’être juré de recommencer l’expérience. Sans les coups.
Le Boeing 707 du MAC s’éleva gracieusement au-dessus du terrain de Copenhague. William Birch poussa un soupir de soulagement. Tout s’était merveilleusement passé. Il ne restait plus qu’une formalité à accomplir.
Remontant dans sa Cadillac noire, il se fit conduire au consulat. Son secrétariat avait déjà prévenu la presse qu’un communiqué important serait remis à onze heures. Lorsqu’il franchit la grille, une demi-douzaine de journalistes étaient déjà là.
William Birch tira de sa poche le communiqué qu’il avait confectionné à l’aube et le lut d’une voix claire :
— « L’Ambassade des USA a l’honneur de vous faire savoir qu’un citoyen est-allemand qui avait choisi la liberté a décidé de demander l’asile politique à notre pays. Sa demande a été acceptée et il s’est envolé ce matin à destination de Washington sur un avion militaire. Afin d’éviter tout risque d’incident, le départ a eu lieu dans le plus grand secret, à la demande même de l’intéressé. »
— Comment l’avez-vous embarqué ? demanda un des journalistes.
— Il portait un uniforme de l’Air Force, répondit le diplomate, la voix quand même un peu étranglée. On l’a confondu avec l’équipage.
— Ce n’est pas un procédé courant, remarqua l’envoyé du Politiken.
— Ce n’étaient pas non plus des circonstances normales, répliqua fermement William Birch. Cet individu avait été l’objet de nombreuses menaces.
Il se força à sourire et ajouta :
— Je m’en excuse auprès des autorités danoises et mon gouvernement enverra d’ailleurs une note écrite à ce sujet à votre ambassadeur de Washington.
Satisfaits, les journalistes se dispersèrent après avoir reçu chacun une photo d’Otto Wiegand et William Birch s’essuya mentalement le front.
Il se souviendrait longtemps du 27 juin 1968.
Le 29 juin, soit deux jours plus tard, un fermier découvrit dans une forêt des environs de Trêves, le corps du contre-amiral Helmut Dietl, mort depuis plusieurs heures. Il avait été tué d’une seule balle de son fusil Mauser personnel, chargé avec des balles dumdum. Il avait un trou gros comme le doigt dans la poitrine et un orifice de sortie de la taille d’une soucoupe dans le dos.
Étant donné la position de l’arme, il s’agissait visiblement d’une suicide. Âgé de cinquante-neuf ans, le contre-amiral Dietl était considéré comme un des as du contre-espionnage allemand.
L’enquête, aussitôt ouverte, fut close et le Ministère des forces armées publia un communiqué précisant que l’officier général souffrait depuis longtemps de troubles nerveux.
Vingt-quatre heures plus tard, une femme de ménage découvrit affalé sur son bureau le major-général Horst Gitland, sous-directeur de l’Organisation Gehlen, aussi mort qu’un poisson de huit jours.
Il s’était tiré une balle dans la tête avec son pistolet de service, un Mauser P-38. Lui non plus n’avait laissé aucune note et ses intimes se plaisaient à vanter l’égalité de son caractère. Seuls quelques-uns se souvinrent que, pendant la guerre, il avait eu des relations étroites avec le contre-amiral Dietl. Mais tout cela appartenait au passé.
Quelques heures plus tard, le Ministère de la défense publia un communiqué déplorant la mort du major-général et affirma avec toutes les apparences de la plus grande sincérité que le malheureux souffrait depuis longtemps de dépression nerveuse chronique, frisant la maladie mentale.
Seuls quelques esprits chagrins s’étonnèrent qu’on eût confié un poste aussi important pendant si longtemps à un demi-fou.
Les mêmes esprits chagrins sautèrent au plafond lorsque la police de Cologne découvrit le docteur Heinrich Schick, haut fonctionnaire du Ministère de l’économie, pendu haut et court dans son appartement. Cette fois, le communiqué officiel affirma pudiquement que la vie sentimentale du haut fonctionnaire n’avait pas été de tout repos et que c’est un état de tension répétée avec sa jeune épouse qui l’avait conduit au suicide. L’affaire fut également classée avec une célérité digne d’éloge pour ceux qui s’obstinent à croire que la justice avance au pas de l’escargot.
Trois jours après que le Dr Schick ait été trouvé suspendu à sa propre ceinture, le lieutenant-colonel Johannes Köln, cinquante-quatre ans, se tira une balle dans la bouche à son bureau du Ministère de la défense. Il mourut quelques heures plus tard dans un hôpital sans avoir fourni la moindre précision sur la cause de son suicide. Coïncidence fâcheuse, le lieutenant-colonel Köln était un spécialiste de logistique et de mobilisation, spécialité qui le rattachait au général Gitland et à l’amiral Dietl.
Cette fois, le porte-parole du Ministère de la défense expliqua que le suicidé craignait d’avoir le cancer. Le fait que son médecin personnel l’ait trouvé en excellente santé une semaine plus tôt prouvait simplement qu’il n’avait pas confiance dans la médecine.
Dans sa cellule de Copenhague, Boris frôlait l’infarctus. Inexplicablement la police danoise n’arrivait pas à se décider sur son motif exact d’inculpation. Et tant qu’il n’était pas inculpé, il n’avait pas droit à l’assistance d’un avocat.
Donc pas de contact avec l’extérieur. Les choses traînaient.
Elles traînèrent tellement que, huit jours plus tard, Frau Edel Grapentin, archiviste au Ministère de la guerre avala le contenu de trois tubes de barbituriques et fut trouvée morte dans son appartement de Bad-Godesberg.
N’ayant aucun sens de l’humour, le même porte-parole déclara à une assemblée de journalistes narquois que la malheureuse suivait depuis longtemps un traitement psychiatrique qui l’éprouvait beaucoup. Bien entendu sa maladie n’affectait pas son travail puisqu’elle venait même de passer à l’échelon supérieur.
Fatalité, fatalité.
Le lendemain, Boris Sevchenko eut enfin le droit de contacter avec un membre de la délégation soviétique, à Copenhague, à qui il raconta toute l’histoire. Le fonctionnaire fit tout ce qui était en son pouvoir mais le week-end ralentit ses efforts.
Fatale lenteur. Le lundi suivant, Gerhard Rhein, soixante-deux ans, autre haut fonctionnaire du Ministère de la défense nationale disparut de son domicile. Quelques heures plus tard, un pêcheur découvrait sous un pont du Rhin, près de Bonn, son chapeau, son manteau et sa serviette avec une courte note à l’intérieur, destinée à sa famille disant : « Je suis désolé d’en venir là. »
On repêcha son corps le jour même où les journaux est-allemands publiaient des articles indignés annonçant la mort d’Otto Wiegand et la machination qui avait suivi.
De ce jour, on n’enregistra plus aucun cas de dépression nerveuse au Ministère de la défense de l’Allemagne de l’Ouest.
À Washington, David Wise ferma le dossier Otto Wiegand. L’Allemand reposait dans un petit cimetière anonyme du Long Island sous une identité totalement inventée. Si la reconnaissance se pratiquait chez les barbouzes, David Wise aurait dû aller déposer quelques fleurs sur sa tombe. Rarement, un cadavre avait rendu de tels services. Mais on n’envoya qu’un seul faire-part. À une certaine Yona Liron, qui n’était pourtant pas une parente.