33 — RÉCONCILIATION

— Que décidez-vous, mademoiselle, préférez-vous les cocardes multicolores ou alors des nœuds de rubans d’une seule teinte? Nous avons l’un et l’autre au choix en satin de première qualité?

Comme Wilhelmine de Naarboveck paraissait hésitante, la vendeuse du Paradis des Danses qui, ce soir-là, soumettait à la jeune fille une série d’échantillons, poursuivit:

— Les cocardes aux tons variés font très bien, mais les nœuds de rubans produisent aussi un effet excellent.

— Mettez-en la moitié de chaque…

— Et, quelle quantité? interrogea la vendeuse.

— Oh! trois cents suffiront, je suppose.

Devant la jeune fille la vendeuse du Paradis des Danses étalait le reste de son assortiment d’objets de cotillon…

— Nous lançons en ce moment, dit-elle, des bonnets de papier comiques, enveloppés dans des papillotes; c’est tout à fait nouveau et très amusant… Nous avons aussi des petits sachets de poudre de riz…

Wilhelmine de Naarboveck, que semblaient préoccuper bien d’autres soucis que ceux qui consistaient à choisir des accessoires de cotillon, avec des paroles brèves et des gestes saccadés, acceptait ou refusait les offres de la vendeuse. Celle-ci était de plus en plus stupéfaite.

Elle estimait que si on exécutait à la lettre les ordres de sa cliente, on lui livrerait une série d’objets des plus hétéroclites.

La vendeuse, adroitement, en fit l’observation à Wilhelmine et celle-ci se rendant compte soudain qu’elle avait commandé à tort et à travers, se ravisa, réfléchit un instant, puis, prenant une dernière décision:

— Mon Dieu, madame, déclara-t-elle, vous connaissez le crédit que mon père, le baron de Naarboveck accorde à votre maison pour nous fournir un cotillon complet. Or, vous savez mieux que moi ce qu’il faut. Je m’en remets donc à vous.

La vendeuse décidément, semblait devoir ne jamais en finir, l’interrogea encore:

— Bien entendu, mademoiselle, nous faisons des flots de rubans semblables pour vous et votre conducteur de cotillon? Toutefois, pourriez-vous me dire si ce monsieur est grand ou petit… car il est préférable de proportionner la longueur des rubans à sa taille?

Wilhelmine, qui jusqu’alors n’avait prêté qu’une attention médiocre aux propos de la vendeuse, soudain parut troublée.

Hélas! le conducteur de cotillon, ce devrait être Henri de Loubersac!

Jusqu’à ces derniers jours, la jeune fille avait escompté l’extrême bonheur de pouvoir, au cours de ce bal donné par son père, présenter dans son entourage le brillant officier, comme son futur fiancé.

Mais dans l’intervalle était survenu leur pénible entretien à Saint-Sulpice… et le surlendemain, Henri de Loubersac ne conduirait pas le cotillon avec Wilhelmine de Naarboveck, ainsi qu’il avait été convenu précédemment…

— Ma foi, madame, j’ignore la taille de mon danseur, pour cette bonne raison que je ne le connais pas. Prévoyez donc un flot de rubans qui puisse aller à n’importe qui.

La représentante du Paradis des Danses s’était retirée depuis quelques instants déjà que Wilhelmine de Naarboveck, remontée dans la bibliothèque de l’hôtel, demeurait songeuse.

Wilhelmine qui ne prenait plus désormais qu’un intérêt très relatif à l’organisation de ce bal dont elle avait attendu tant de joies, se disait, en tête à tête avec ses pensées, que rien n’est plus décevant au monde que les préparatifs d’une fête.

L’hôtel de Naarboveck était révolutionné de fond en comble par les décorateurs et les électriciens: toute l’après-midi on avait entendu frapper des coups de marteau. Les meubles, les objets familiers de la maison étalent déplacés, bousculés. On avait démeublé le hall, détruit l’intimité de la bibliothèque pour préparer ce bal du surlendemain, ce maudit bal auquel le baron de Naarboveck avait convié le Tout Paris.

Wilhelmine de Naarboveck s’était tout d’abord vivement intéressée à cette fête.

Le baron la donnait pour consacrer sa situation de diplomate, jusqu’alors en disponibilité, mais qui désormais revêtait un caractère officiel: le baron de Naarboveck venait d’être accrédité en qualité d’ambassadeur.

De Naarboveck voulait profiter de la fête pour annoncer les fiançailles de Wilhelmine avec le lieutenant de Loubersac. Hélas, ce dernier projet…

Wilhelmine réfléchissait, seule dans la bibliothèque, les yeux fixés sur une grande enveloppe scellée de rouge qui contenait les lettres de créance accréditant le baron auprès du Président de la République, lequel devrait, d’ailleurs, être représenté au bal. Ah! si les espoirs du diplomate se réalisaient, il n’en était pas de même de ceux de la pauvre jeune fille qui voyait un avenir lugubre s’ouvrir devant elle.

Non seulement son cœur avait été déchiré par la brusque rupture avec Henri de Loubersac, mais encore tout semblait craquer autour d’elle. L’intimité familiale dont Naarboveck lui avait un moment donné l’illusion s’évanouissait. Sans doute le diplomate, pour ses affaires, était perpétuellement obligé de sortir et Wilhelmine souffrait de cet abandon. Et Bobinette avait disparu.

Wilhelmine fut soudain arrachée à ses rêveries par l’irruption dans la pièce d’un domestique qui annonça:

— Monsieur de Loubersac demande si Mademoiselle peut le recevoir?

— Faites entrer.

Quelques secondes après l’officier se présentait devant la jeune fille. Il pénétrait dans la pièce la tête basse, l’air embarrassé:

— Vous ici, monsieur? interrogea Wilhelmine indignée.

— Pardonnez-moi.

— Que voulez-vous?

Le jeune officier avait réfléchi. Puis, le cœur torturé, il était allé trouver Juve et très franchement l’avait mis au courant des propos de Wilhelmine.

Le policier n’était pas sceptique comme le militaire et ne parut point étonné lorsque celui-ci lui déclara que celle que l’on considérait comme la fille du baron de Naarboveck se nommait en réalité Thérèse Auvernois.

Cela coïncidait, en effet, avec les pronostics de Juve; cela expliquait au policier pourquoi la jeune fille allait si régulièrement prier sur la tombe de lady Beltham, car Juve imaginait combien Thérèse Auvernois devait avoir de reconnaissance pour la grande dame anglaise qui l’avait recueillie et élevée.

Cela complétait également les prévisions de Juve et si l’inspecteur de la Sûreté ne l’avouait pas au lieutenant de Loubersac, il ne pouvait s’empêcher de faire dans son esprit un rapprochement entre ce baron de Naarboveck à la personnalité somme toute étrange et l’être redoutable, terrifiant à la poursuite duquel Juve s’acharnait depuis de longues années: Fantômas.

Avant son voyage à Londres, Juve n’avait pas craint d’accuser Wilhelmine d’avoir été la maîtresse du capitaine Brocq. Il agissait ainsi dans le but de provoquer une explication, dont il espérait tirer quelque lumière, entre la jeune fille et son futur fiancé. L’explication était survenue. Dès lors, Juve, renseigné et auquel répugnait son odieuse et indigne calomnie, s’empressa de rassurer le lieutenant de Loubersac. Lorsque celui-ci vint l’interroger, il eut plaisir à lui garantir que Thérèse Auvernois était assurément la plus honnête fille du monde.

L’officier avait été assez surpris du brusque changement d’opinion de Juve, mais le policier avait enveloppé cette volte-face de tant d’arguments probants que l’amoureux, qui ne demandait qu’à avoir confiance, fut vite convaincu.

Toutefois il lui restait à se réhabiliter auprès de celle dont il voulait plus que jamais désormais faire sa femme, et c’est pour cela, qu’Henri de Loubersac avait sollicité une entrevue avec Mlle de Naarboveck. Les circonstances le servaient. Il arrivait à un moment où la jeune fille était seule, en proie aux plus sombres pensées, prête à défaillir de tristesse. Henri de Loubersac, embarrassé devant elle, sollicitait encore son pardon.

— Ah! que je regrette, murmura-t-il, les propos brutaux et blessants que je vous ai tenus, Wilhelmine!

La jeune fille, qui rougissait encore d’indignation à l’idée du soupçon dont elle avait été l’objet, ne cacha point sa colère, et sur un ton glacial répondit:

— Il se peut, monsieur, que je vous pardonne, mais c’est tout ce qu’il faut espérer…

— Ne pourrez-vous donc plus m’aimer jamais? supplia Henri de Loubersac.

— Non, fit durement Wilhelmine.

— D’ici peu, dit Loubersac, je quitterai Paris: j’ai demandé mon changement et l’on me fait prévoir au ministère que je vais être envoyé en Afrique, aux avant-postes du Maroc. J’emporterai avec moi, Wilhelmine, le souvenir adoré de votre chère image, et le conserverai vivant dans mon cœur jusqu’au jour où le ciel me fera tomber en brave à la tête de mes troupes…

L’officier, en achevant ces paroles, traversait lentement la bibliothèque et gagnait la porte, accablé.

Mais, comme il allait partir, un appel étouffé s’échappa des lèvres de Wilhelmine:

— Henri.

— Wilhelmine.

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

* * *

Réconciliés pour toujours, les deux jeunes gens faisaient les plus tendres et les plus séduisants projets d’avenir. Il était déjà une heure fort avancée de la nuit et les bruits familiers de l’hôtel s’étaient atténués.

Wilhelmine interrompit soudain la conversation:

— Henri, observa-t-elle sur un ton de reproche, savez-vous qu’il est minuit passé?

— Il me semble que je viens d’arriver.

— Vous allez compromettre votre fiancée, cher lieutenant… Imagine-t-on de rester aussi tard chez elle?

— D’autant qu’elle est toute seule!

— C’est vrai, le baron de Naarboveck n’est pas encore rentré…

— Sauvez-vous, sauvez-vous.

— Wilhelmine.

— Henri.

Un long baiser les unit.

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