XXIX Le défi


ô maître du palais, se hasarda Guillemot,

Je ne comprends pas :

Pourquoi le roi, a-t-il gagné sa journée ?

J’ai mis la main, sans faire exprès,

sur un coquin très recherché, expliqua laconiquement le roi.

Je connais quelqu’un,

Qui demain,

Sera fou de joie,

Et qui me récompensera !

Et heu, Majesté, intervint Gontrand à la place de Guillemot qui restait médusé par les révélations du roi,

Quelles sont vos intentions,

Concernant vos prisonniers,

Qui sont tous gentils et bons ?

S’ils sont accommodants,

Nous allons nous entendre, répondit le roi d’une voix sèche,

Car il me serait déplaisant,

De les faire pendre.

Bertram avança une main hésitante en direction de sa sacoche de Sorcier, puis se ravisa.

– Conjuguons nos pouvoirs et échappons-nous, proposa-t-il à Guillemot.

– Non, répondit l’Apprenti sur le même ton. Ils sont vraiment très nombreux, et nous aurons du mal à sortir de sous terre sans leur aide. Gardons nos atouts magiques comme dernier recours.

– Mais qu’allons-nous faire, alors ? gémit Coralie qui s’était approchée d’eux.

– Ne perdons pas espoir, essaya de la rassurer Guillemot qui réfléchissait très vite. Les Korrigans sont joueurs. Il y a peut-être quelque chose à tenter…

Les Korrigans allaient poser sur eux leurs petites mains en pattes de chat quand Guillemot eut soudain une idée. Il se tourna vers Kor Mehtar :

Maître du palais,

Je te propose de jouer notre liberté.

Kor Mehtar leva la main, et les Korrigans qui s’apprêtaient à saisir les jeunes gens reculèrent. Réagissant au mot « jouer » qu’ils avaient entendu dans la bouche de l’Apprenti Sorcier, les autres Korrigans avaient interrompu leurs activités et s’étaient tournés vers leur roi, attendant sa décision dans le plus grand silence.

Jeunes irresponsables,

Ma réponse est favorable !

Un tonnerre d’applaudissements accueillit ces paroles. Un conseil se réunit immédiatement autour du trône et un débat s’engagea, très animé, certainement sur le choix du jeu et ses modalités. La bande en profita pour s’isoler.

– J’étais certain que ça marcherait ! triompha Guillemot. Les Korrigans ne résistent jamais à un défi ! J’espère seulement qu’ils ne seront pas trop vicieux.

– Dis donc, s’enquit Gontrand qui, après Guillemot, était celui qui comprenait le mieux le korrigani : ce « quelqu’un » dont le roi a parlé et qui te voudrait, ce ne serait pas encore l’Ombre ?

– C’est possible, reconnut l’Apprenti, qui reprit aussitôt, pour ne pas inquiéter davantage ses amis : mais les Korrigans sont honnêtes. Enfin, normalement ! Si on gagne à leur jeu, ils nous laisseront partir.

– Pourquoi ne pas avoir utilisé tes Graphèmes pour nous sortir de là ? s’étonna Romaric.

– Nous les gardons en réserve, expliqua Bertram à la place de l’Apprenti. C’est une stratégie que nous avons mise au point, Guillemot et moi, et qui me semble…

– Tu ne veux pas nous l’expliquer en korrigani ? ironisa Ambre qui s’attira en retour un regard noir du Sorcier.

– La belle dont tu parlais, Guillemot, questionna Coralie, c’est moi ou c’est Ambre ? Parce que jolie, c’est pas mal, mais c’est moins bien que belle, et je pense que…

– N’embête pas Guillemot, se fâcha Romaric. Il a

fait ce qu’il a pu. Tu sais combien c’est difficile de parler korrigani…

– En ce qui me concerne, intervint Bertram, la belle, c’est toi, Coralie, sans aucune hésitation !

– Merci Bertram ! Heureusement que tu es là ! répondit-elle en lui décochant un immense sourire.

Bertram le Sorcier à la tête dure,

Fièrement surnommé l’idiot,

Par le grand Guillemot,

Veut-il ma main dans la figure ? menaça Romaric en imitant la langue des Korrigans.

– Au fait, Guillemot, s’enquit Agathe, c’est vrai que tu me verrais bien avec des nattes ?

– Heu, non, pas spécialement… J’avais besoin de trouver quelque chose pour terminer ma phrase, c’est tout..

– Moi, j’avais proposé « patate », dit Ambre d’une voix glaciale en serrant les poings. Mais « Pan ! dans la rate », ça marche aussi…

– Eh, du calme, Ambre, s’interposa Romaric. Ça ne t’a pas suffi, tout à l’heure ? C’est par ta faute qu’on se retrouve ici ! Qu’est-ce qui t’a traversé la tête, ma parole ?

– Plein de choses, crois-moi, bougonna Ambre en jetant un regard à Agathe.

Au même instant, Kor Mehtar leur fit un signe, et un Korrigan les poussa vers le trône.

Jeunes effrontés,

Vous allez devoir triompher,

Sans que cela vous émeuve,

d’un certain nombre d’épreuves, annonça le roi tandis que ses sujets dansaient de joie.

Vous vous mettrez par paires,

L’un jouant avec ses gambettes,

L’autre travaillant de la tête,

Si le premier mord la poussière…

Excusez-moi, Sire,

Mais que voulez-vous dire ? demanda Guillemot.

Si le sportif dérape, le créatif rattrape :

En répondant comme il se doit, correctement à la question du roi !

Une chose n’est pas claire dans ma tête :

Deux fois trois font six et non sept, s’étonna encore Guillemot.

Je préfère garder près de moi l’Apprenti,

Qui sait si bien le korrigani, dit Kor Mehtar avec une pointe de malice dans la voix.

Puis Ambre, Agathe, Coralie, Gontrand, Romaric et Bertram furent conduits par les petits hommes aux sabots de fer et à la queue frétillante au centre de la caverne. Les Korrigans s’étaient réunis sur les échafaudages en bois qui couraient le long des parois de la grotte, et commentaient l’événement dans un brouhaha indescriptible.

– Tâchez de vous appliquer, les sermonna Romaric qui, en l’absence de Guillemot, resté près du roi, avait pris les choses en main. Bon, le roi a décidé de nous séparer. Tant pis, faisons les paires : Ambre se mettra avec Gontrand, Bertram avec Agathe et Coralie avec moi.

– Romaric ! C’est moi qui devrais répondre aux questions ? Oh là là, j’ai peur ! gémit Coralie.

– Ne t’inquiète pas, belle Coralie, essaya de la rassurer Bertram en tapotant sa sacoche. Si la situation nous échappe, j’ai plus d’un tour dans mon sac !

– Ça compte comme épreuve d’entendre des bêtises pareilles ? se plaignit Ambre. Bon, Gontrand, à moi l’épreuve et à toi la question.

– Ça marche, accepta Gontrand.

– Tudieu, douce Agathe, s’emballa Bertram en se tournant vers sa partenaire, et nous, comment allons-nous nous partager ? Cruel dilemme ! Ferai-je mieux l’athlète ou bien le savant ? Qu’en penses-tu ?

– Rien, répondit Agathe en haussant les épaules. Tout de même, il faut que je sois folle pour m’accrocher comme ça à cet Apprenti Sorcier qui porte vraiment la poisse ! La première fois, à cause de lui, je me suis fait enlever par des Gommons et une brute puante m’a traitée comme une esclave pendant des semaines. Et maintenant, me voilà aux mains des Korrigans et de leurs jeux débiles ! Si encore j’avais un partenaire valable, capable d’aligner trois mots sans dire n’importe quoi…

– Bon, je te laisse la question, alors, conclut Bertram, penaud, sous les sourires narquois d’Ambre, de Gontrand et de Romaric

Un Korrigan, coiffé d’un chapeau bleu, s’avança en bombant le torse. Kor Mehtar jubilait, perché sur son trône de pierre. Le Korrigan au chapeau bleu s’inclina devant le roi puis s’adressa aux jeunes gens :

Chère bande de pitres,

Je serai votre arbitre !

– Eh bien, c’est pas gagné… murmura Ambre à l’oreille de Gontrand.

Que les intellectuels s’approchent du roi,

Que les autres restent cois ! continua l’arbitre qui gesticulait théâtralement et parlait d’une voix forte.

Coralie, toute tremblante, Agathe, traînant les pieds, et Gontrand, sifflotant, rejoignirent le trône, à côté duquel les attendait Guillemot.

– Courage Coralie, ça va aller, l’encouragea Guillemot qui reçut en réponse un sourire crispé.

Le Korrigan qui faisait l’arbitre s’adressa alors à Ambre, Romaric et Bertram, restés seuls au milieu de la piste.

Quel athlète se sent assez malin,

Pour jouer avec ses mains ?

– Je suis plutôt adroit, annonça Bertram aux autres en agitant ses doigts. La manipulation des Graphèmes…

Ambre et Romaric se regardèrent, sceptiques, avant de se résigner. De toute façon, chacun d’entre eux aurait droit à une épreuve.

– D’accord ! Vas-y…

Bertram avança d’un pas.

Voilà donc le téméraire,

Qui va mordre la poussière !

Le commentaire de l’arbitre fit rire aux larmes l’assistance.

« On se moque de nous, se dit Guillemot en serrant les poings de rage. Les jeux sont sûrement truqués ! »

Comme pour donner raison à Guillemot, l’arbitre expliqua à Bertram, stupéfait, qu’il devait faire le tour de la grotte en marchant sur les mains, et sans tomber. Ambre et Romaric étaient catastrophés ; seule la jeune fille aurait été capable de cet exploit !

– Au prochain tour, marmonna Ambre, on aura intérêt à bien réfléchir !

Bertram adressa un regard désespéré à ses compagnons.

Puis il s’encouragea mentalement : « Bertram, mon vieux, tu vas te vautrer, mais ton honneur est en jeu ! Tu dois au moins essayer ! »

Il abandonna avec regret sa sacoche et ôta son manteau. Puis il posa les mains sur le sol et, lançant ses jambes en l’air, entreprit de chercher son équilibre. Quand il l’eut enfin trouvé, il s’élança sur le sable de la piste.

– Il a tout de même un certain courage, reconnut Romaric.

– C’est ce qu’on appelle aussi du culot, précisa Ambre. Mais tu as raison, cet empoté a finalement un bon fond !

Sous les encouragements de ses amis, Bertram parvint à progresser d’une dizaine de mètres, puis il s’effondra au sol, à la grande joie des Korrigans.

– Je suis désolé… soupira Bertram à l’intention d’Ambre et de Romaric.

Le Sorcier s’épousseta.

– Tu as fait ce que tu as pu, le consola l’Écuyer qui lui tapota amicalement l’épaule.

– Et ce n’était pas si mal, dit Ambre en lui accordant son premier sourire.

Puis ils se tournèrent en direction du trône.

Qui viendra au secours,

De ce balourd ? s’enquit le roi.

C’est moi,

Monsieur le roi, répondit Agathe en jetant sur Kor Mehtar un regard lourd de mépris qui ne l’affecta pas le moins du monde.

Alors jeune effrontée, réponds au maître du palais :

Un mendiant et sa fille

Voyagent avec un roi et sa femme gentille,

Et ils ne sont que trois.

Pourquoi ?

Agathe comprenait à peu près le korrigani, comme tous les collégiens d’Ys, mais Guillemot traduisit quand même la devinette, pour être sûr qu’elle avait bien compris. Agathe se mit à réfléchir.

« C’est facile ! pensa très fort Guillemot. J’espère qu’elle ne va pas se laisser égarer par le mendiant et le roi ! Bon sang, il faut que je l’aide… »

Le plus discrètement possible, Guillemot forma dans un Mudra, avec ses doigts, le Graphème de la Torche, Kenaz, qui stimulait la créativité. Puis il l’envoya sur Agathe.

Il ne se passa rien. Agathe, qui réfléchissait toujours, semblait en proie à l’incertitude.

« On dirait que Kenaz ne fonctionne pas, s’étonna Guillemot en lui-même. Ça alors ! J’espère que ça ne veut pas dire que les Graphèmes n’agissent pas en territoire korrigan ! Ce serait une catastrophe… »

Le roi s’impatienta :

Tu en mets du temps !

Qu’as-tu à répondre au roi des Korrigans ?

Heureusement, la jeune fille eut la présence d’esprit de s’exprimer en français, laissant le soin à Guillemot de transcrire sa réponse en korrigani.

– Ils sont trois parce que le roi et le mendiant sont une seule et même personne, expliqua Agathe d’une voix assurée. En effet, celui qui mendie et qui ne possède rien, donc qui n’est pas esclave de ses besoins, est son propre roi ! Le roi-mendiant voyage donc en famille, avec sa femme et sa fille !

Ce que m’a dit mon amie à voix basse, traduisit Guillemot sans se troubler et en souhaitant de toutes ses forces que Kor Mehtar ne parle pas la langue d’Ys,

Ô grand souverain perspicace,

C’est que la fille du déshérité

Est aussi femme du roitelet.

Le roi, le mendiant et sa fille

Sont donc unis tous trois, dans une même famille !

Agathe pâlit en comprenant qu’elle avait fait fausse route et qu’elle aurait pu, sans l’intervention de Guillemot, provoquer leur perte à tous. Mais elle parvint à faire bonne figure au roi qui l’observait d’un air soupçonneux et renfrogné. L’arbitre guetta un signe de Kor Mehtar. Dès qu’il l’eut, il bondit de nouveau au centre de la caverne.

Vous avez eu une chance incroyable !

Mais la deuxième épreuve sera plus redoutable...

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