CHAPITRE TROIS DANS LEQUEL UNE VISITE D'AMITIÉ A DE GROSSES CONSÉQUENCES

Troublé par ces incidents susceptibles de perturber la personnalité de Bérurier, j’arrive chez moi pour un rapide déjeuner. M’man va avoir une bonne surprise. Comme l’oiseau sur sa branche elle est, Félicie. Toujours à m’attendre, en balbutiant des prières à l’intention de saintes plus ou moins homologuées, pour que je radine.

Sa préférée, à Félicie, c’est sœur Thérèse de l’Enfant Jésus. Paraît qu’avec la petite Martin elle obtient de meilleurs résultats. A croire que les canonisées c’est comme les bonniches : plus elles sont jeunes, plus y a du rendement ! Selon moi, c’est la pluie de roses qui impressionne Félicie. Quand j’étais mouflet, M’man me racontait comment qu’elles vasaient, les baccarats, en l’honneur de la jeune carmélite. C’est un signe, ça, une pluie de roses, vous pensez pas ? Pour tellement de gens il pleut que de la pluie !

Je fronce les sourcils en avisant devant la grille de notre pavillon de Saint-Cloud une R8 immatriculée 69. De la visite lyonnaise à la clé ? Qu’est-ce à dire ?

Je remonte l’allée graveleuse (moins graveleuse tout de même que mes écrits) en direction de la maison. L’automne a ramoné le jardin. Maintenant, comme dit l’autre, les arbres sont en bois et la terre est triste. Pourtant ça ne démoralise pas notre cabane qui reste pimpante avec sa vigne vierge rougie, ses volets verts et les rideaux fleuris des fenêtres. Y a la radio qui marche et le Bécaud qui se fait péter les ficelles.

Je pousse la lourde et me voilà dans la coquette entrée tendue de toile de Jouy qui représente des petits polissons Louis XV pleins d’ombrelles et de baisers. La glace à trumeau me renvoie l’éclat de mon sourire Colgate. Tout ça, c’est la sécurité, le bon quotidien qui sent le pain chaud. C’est Félicie, quoi !

La porte du salon s’entrouvre et ma brave femme de mère apparaît, radieuse.

— Mais oui, c’est lui ! qu’elle s’exclame.

Le visiteur l’a surprise en pleine cuistance. Elle a eu que le temps d’ôter son tablier mauve, M’man. Mais y a encore des traces de farine à ses poignets.

Par-dessus son épaule, j’aperçois Mathias, le roi du labo. Le Rouquin nous a quittés depuis quelques mois, il est allé se marida à Lyon avec une pécore rencontrée aux sports d’hiver et il a demandé sa mutation, sa dame se refusant à habiter Paris. Comme le dit si justement un proverbe d’entre Rhône et Saône : « Qui quitte Lyon perd la raison », et elle tenait à pas faire roue libre, la jeune Mme Mathias.

— Quelle bonne surprise, vieux lâcheur ! je m’exclame.

Jamais il a été plus roux, Mathias. Ou alors c’est l’oubli qui commençait à le blondir dans mon souvenir. Une vraie botte de carottes ! Depuis qu’il est naturalisé lyonnais il se fringue dans le sérieux. Costard gris sombre, trois-pièces, chemise blanche, cravate vert bouteille (pour Lyon c’est tout indiqué). Le vert, ça rend bien avec son chalumeau. Il tient un bitos sur un genou, ses gants beurre rance sur un autre. On sent tout de suite le gars en voie d’achèvement. Placé sur son orbite une fois pour toutes.

— Comme je suis heureux de vous revoir, monsieur le commissaire, il effusionne.

— Alors, c’est bon, le mariage ?

Comment arrive-t-il encore à rougir, c’est un mystère, ou plutôt un miracle.

— On s’y fait, sourit-il.

M’man qui lui avait servi un porto m’en verse un d’autorité et s’éclipse discrètement, ravie de pouvoir se rapatrier dans sa cuisine. J’ai idée qu’il s’y mijote du gratiné.

— Des mômes en perspective ?

Cette fois il devient couleur brique.

— Oui. Ce sera pour janvier.

— Avec les Rois, je badine (tout en me demandant à quoi il va bien pouvoir ressembler, le petit roi mage à Mathias). Et les copains lyonnais, accueillants, oui ?

— Très gentils.

Pourquoi une ombre vient-elle d’obscurcir ce Van Gogh vivant qu’est Mathias ? Son regard fauve se voile. Il passe un doigt énervé entre son cou et son col de chemise.

— Tu travailles au laboratoire, là-bas ?

— Non, depuis deux mois je suis professeur à l’Ecole de police de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.

Je le complimente d’un sifflement admiratif.

— T’es en route pour l’Institut, bonhomme. Et, tu leur enseignes quoi, aux élèves commissaires ?

— L’identification par les trous de balles.

— Professeur de trous de balles, c’est pas commun, apprécié-je. Ça doit faire riche sur une carte de visite. Dis voir, tu vas croquer avec nous, j’espère ?

— Je ne voudrais pas vous déranger.

— Ne joue pas les hypocrites ! Tu es venu ici sans ta femme ?

— Oui. Dans son état, vous comprenez…

— TU AVAIS DES AFFAIRES À RÉGLER ?

Il se racle la gorge et déclare :

— C’est vous que je suis venu voir.

Ça me la coupe. Je pressens illico du compliqué.

J’écluse mon porto car je suis un peu comme Béru : un verre plein m’agace toujours.

— Tu as des malheurs ?

Il me regarde d’un œil cloaqueux. Une mèche couleur feuille morte pend devant ses taches de rousseur frontales. Il sent le rouquin ; c’est une odeur puissante et belle qui réveille un auditoire. Y a des tas de conférenciers qui gagneraient à être rouillés.

— J’ai peur, monsieur le commissaire.

Le mot est tout ce qu’il y a d’incongru dans sa bouche. Mathias a beau être un homme de laboratoire, se colleter avec des loupes, des éprouvettes et des agrandisseurs photographiques, il n’a rien de la mauviette.

— Raconte !

— Tout a commencé la deuxième semaine de mon arrivée à l’Ecole de police. Un soir, je m’étais attardé dans mon labo. Au moment précis où j’en sortais, j’ai entendu un cri en provenance de l’étage supérieur. Une masse sombre est passée devant moi dans la cage d’escalier et s’est fracassée en bas. Il s’agissait d’un élève commissaire. Pourquoi ai-je eu l’impression, ou plutôt la certitude, que quelqu’un l’avait poussé par-dessus la rampe ? Toujours est-il qu’au lieu de dévaler les marches je les ai escaladées quatre à quatre.

— Le réflexe du poulaga, c’est bien ! approuvé-je. Et après, mon enfant ? Dites-moi tout !

— Je n’ai rien vu d’insolite. Le dernier étage est celui des transmissions, il n’y avait personne, certaines portes se trouvaient fermées à clé. Alors je suis redescendu.

— Le plongeur d’élite ?

— Mort : enfoncement de la boîte crânienne.

— L’enquête ?

— On a conclu au suicide. Dépression.

— Je ne pige pas encore ce qui motive ta peur.

— Ça fait deux fois qu’on manque de me tuer, monsieur le commissaire.

Il a un léger tic, Mathias : une joue qui tremble.

— Tu es sûr ?

— Vous pensez ! La première fois, ç’a été le lendemain du suicide en question. Comme je m’apprêtais à monter dans ma voiture une auto a démarré en trombe et m’a foncé droit dessus. Je n’ai eu que le temps de plonger par-dessus mon capot, vous trouverez encore une estafilade dans la carrosserie de ma R8. La seconde tentative a eu lieu dans le labo de l’école. On avait mis du salpétrum de bougnazal dans le flacon qui devait contenir du locdu en poudre. Au moment où j’ai procédé à la manipulation, il y a eu une explosion terrible.

Il me montre la paume de sa main gauche, toute noircie.

— Un miracle ! J’aurais dû y rester.

Il y a un silence. Tout cela est effectivement très troublant.

— Le fond de ta pensée, Mathias ?

On dirait un grand garçon sage. C’est le genre toujours premier-en-classe. Les bons points, les tableaux d’honneur et les diplômes ont été inventés pour les gars de son espèce.

Pas de génie, mais une grande faculté d’absorption cérébrale. Pas de fantaisie, mais une immense application. Il n’attend de la vie que ce qu’elle peut lui donner : une situation stable, une épouse non stérile, une maison à la campagne et les palmes académiques. Il est académique lui-même. Content de vivre, d’être rouquin et de se rendre utile.

— Le fond de ma pensée, monsieur le commissaire, le voici. Quelqu’un a assassiné l’élève. Ce quelqu’un a cru que je l’avais aperçu, ou bien que je m’étais rendu compte qu’il s’agissait d’un assassinat. Maintenant il me redoute et veut me supprimer. Vous ne croyez pas que j’ai raison ?

— Hypothèse valable, Votre Honneur ! Tu as parlé de tout cela aux Lyonnais ?

Il secoue son incendie de forêt portatif.

— Non.

— Pourquoi ?

Il tarde à répondre, mais déjà j’ai pigé. C’est un prudent. Il sait qu’une carrière survit difficilement au ridicule et il ne veut pas risquer de passer pour une pomme en jouant les héros de série noire. Des fois qu’il se gourerait ? Des fois qu’il serait victime de sa gamberge ? Hein ? Il préfère risquer sa peau en douce, à la sauvette, comme un bourgeois risque trois francs au tiercé dans un autre quartier que le sien.

— J’ai préféré vous en parler d’abord, biaise-t-il.

— Tu as bien fait, approuvé-je, on va raconter tout ça au Vieux après le déjeuner.

Ça le tourmente, le Brasero. Il craint des conséquences. Faut dire que les coups fourrés à l’intérieur de la Grande Maison, c’est pas souhaitable. Y a des maçons qui se construisent des maisons, mais pas beaucoup de policiers qui font des enquêtes pour leur usage personnel. Un poulaga, avant tout, c’est un fonctionnaire, faut que ça soit sage, et calme, que sa frime se confonde avec le gris des murs, c’est du matériel d’Etat, quoi ! Y a des primes en fin d’année, des distinctions en fin de carrière, des éloges posthumes pour récompenser les plus caméléons.

— Vous croyez que monsieur le directeur ?…

— A titre officieux, mon petit. Et il sera flatté que tu sois venu chialer dans le giron de la Maison Mère. Il a toujours la mamelle généreuse pour ceux qu’il a nourris au sein.

Là-dessus, Félicie revient pour dire que la tortore est prête. Les lueurs de son piano dansent encore dans ses bons yeux.

Les joies simples, elle les connaît, M’man, et elle les applique. A son contact on oublie les turlupinés de la moulinette qui se croient obligés de s’asseoir sur les hallebardes ou de se fariner les narines pour éprouver des sensations. Qu’est-ce que c’est que la cocaïne à côté de l’entrecôte Bercy ? Et la sodomie comparée à un grand meursault, hein ? Une simple question d’orifices ! La vie, au fond, c’est un green de golf avec plein de trous sur le parcours. D’ailleurs c’est par un trou qu’elle finit : la grande gueule noire et vorace de la terre, qui bouffe tout.

Princière, la jaffe à M’man ! Des rognons en croûte. Du poulet au curry. J’aurais dû me douter : le curry flottait dans l’air à la ronde. C’est une senteur qui enchante et qui vous met de l’émoi dans l’intérieur. Viscérale, quoi !

A table on change de converse, Mathias et moi. Faut être urbains (comme le corps d’élite des sapeurs-pompelards). Le Rouquin me demande des nouvelles : Pinaud, Bérurier, les autres, la Boîte aussi. Il regrette un peu malgré sa bobonne en gésine et sa R8 immatriculée 69. Professeur de trous de balles c’est passionnant, honorifique et tout, mais tout de même, Paname ça avait bien du charme. Les souvenirs remuent, lui chatouillent le cœur. Il a les yeux comme les vitres en hiver, vachement embués. Je lui change les idées en narrant la mésaventure du Gros avec sa comtesse. J’en rajoute, Mathias est plié en deux. M’man s’étouffe. Bérurier se colletant avec les convenances, c’est du spectacle de first quality, admettez ? Qoquatriste lui signera un contrat en blanc, au Béru, un jour où ses jongleurs auront leur crise de rhumatismes.

On en est là lorsque notre femme de ménage radine. Mme Saugrenut, c’est son nom, je crois vous en avoir causé ailleurs, dans un chef-d’œuvre précédent. Elle ressemble à une morille déshydratée. Elle a tellement chialé au long de sa pauvre existence que ça n’a rien d’étonnant, cette sécheresse intégrale. Les chagrins, les, tracas, les avanies, elle en a toute une collection !

Comme M’man compatit toujours, ça l’aide à poursuivre sa route dans la vallée de larmes. Elles pleurent à deux, chacune expiant un bout de la dernière tuile de la mère Saugrenut. On a eu le bras cassé du mari, le fils blouson-noir qui la bafoue, la fille encloquée par un gentleman bourré de gonos, le chat écrasé et le canari siffleur décédé à la fleur de l’âge sur son millet chèrement gagné. On a eu la visite de l’huissier rapport à la redevance T.V. impayée, et puis le gus de l’électroménager venu récupérer le poste délictueux, justement, because il en avait classe de faire des cocottes avec ses traites retournées. Ç’a été un coup dur pour Dame Saugrenut de se passer de Zitrone, comme ça, de but en blanc. Le soir, en rentrant chez elle, elle va retapisser la vitrine de « la Fée Lumière » un magasin du coin où une douzaine de postes marchent en même temps. Douze Zitrone à la fois, c’est bon, non ? C’est reposant. Cette ubiquité, il la mérite, le Gros Léon. Dès qu’elle arrive pour torcher le dargif de nos casseroles, la voilà qui branche la téloche. Félicie le lui a accordé et c’est devenu automatique. La Voix de son Maître, c’est notre marque, alors qu’est-ce qu’on risque, après tout, hein ?

Aujourd’hui ça ne loupe pas. A peine a-t-elle dénoué son fichu noir qu’elle nous met la sauce. Le poste se trouve dans la salle à manger. La vioque laisse les portes entrouvertes pour le mater depuis sa cuisine. Pas fière, elle vient fourbir dans l’encadrement. Depuis la table on n’a droit qu’au derrière du Pathé-Marconi. Félicie l’excuse à voix basse auprès de Mathias qui pourrait s’étonner. Il comprend. Lui aussi il est un forcené du petit écran. « En direct de »…, c’est sa passion. Il a toujours aimé les maladies, mon ami Mathias. Les sournoises, surtout, durailles à dépister. Celles qui débutent par des insignifiances genre migraine ou boutons anodins. Au début elles se laissent impressionner par l’Aspirine, les gueuses. Et puis elles remettent ça et un jour un homme en blanc vous ouvre un coin de viande à la télé en assortissant d’un commentaire que M. Lalou semble piger parfaitement.

Ce serait dommage qu’il se fasse buter par son mystérieux tueur, le Rouquin. Son rêve, au fond, il n’osera sûrement jamais l’avouer ; ce serait de défuncter d’un mal tout neuf qu’on baptiserait « maladie de Mathias ».

Il imagine son foie, sa rate, ses claouis ou ses éponges reproduits en couleurs sur une planche dépliante, enrichis d’une excroissance inconnue, ou d’une fissure bien méandreuse. Y aurait des flèches pour montrer les ravages et tout le bouquin raconterait comment ça lui est venu et comment il est clamsé, les causes et les effets, les symptômes et la contagion. Il a beau se dire que depuis qu’elle existe, l’humanité a essayé tous les décès possibles, il espère en dénicher un de plus. Tout le corps médical serait mobilisé pour enquêter. Oui, il prêterait bien sa bidoche à un virus non identifié, à un microbe diabolique arrivé de la planète Mars. Il souhaiterait quelque prodigieuse extravagance de ses cellules, un stupéfiant dérèglement de ses organes. Ce qui le botterait, ce serait que sa rate se mette à distiller du mercure, par exemple, ou bien son foie de l’ambre, comme l’intestin des cachalots. Bref, il voudrait être un cas, un vrai, intéressant jusqu’à la mort et ensuite inventorié de fondement en comble pour le salut de l’humanité inquiète. La télé ouvre des portes, il faut reconnaître. Elle permet de délirer tout son content, tout son mécontent aussi. Grâce aux 819 lignes, on meurt maintenant selon ses penchants, ses aptitudes. Personne ne dira jamais assez ce qu’il a fait pour ses semblables, Lalou, en mettant les blocs opératoires dans les foyers et en vous faisant devenir potes avec des profs aux doigts de fée, qui se baladent dans votre cervelet ou vos ventricules comme dans un jardin public.

En ce moment, la tévé ne fait pas dans le médical. Elle en est aux informations et raconte un accident de chemin de fer. Naturellement, feu le mécanicien était père de six enfants, à croire que c’est une des conditions requises par la Essènecéef pour briguer ce dur emploi.

La mère Saugrenut, ça lui tire quelques larmes, ses suprêmes. Au lieu de les garder égoïstement pour ses prochains déboires, elle les verse sur l’autel de la communauté. Une grande citoyenne, dans son genre ! Ça l’enhardit, ce déraillement, elle traverse le couloir pour changer d’encadrement, se rapprocher de la catastrophe, la visionner plus à son aise. Elle plaide son manque de lunettes. Hier soir son vieux est rentré naze et les lui a balancées par la fenêtre alors qu’ils allaient bouffer du merlan. C’est gestapiste comme manières, vous ne trouvez pas ? M’man reconnaît que oui. Alors la Saugrenut diffuse parallèlement au poste. Sa misère fait un brin de conduite à l’accident de chemin de fer. Elle est en contrepoint. Saugrenut nous bonnit, en postillonnant blanchâtre, ses drames de la semaine : la voisine du dessus qui a déversé sa boîte d’ordures sur son paillasson ; puis il y a eu une altercation de Julien (son bonhomme) avec la concierge, rapport aux ouatères dont la cuvette est fêlée depuis si longtemps déjà que l’odeur de la merde est devenue celle de leur foyer. Des trucs encore, toujours de sa voix dolente. Y a de la mousse à ses commissures. Un de ces jours elle va aller au commissariat, se plaindre de son fils. C’est dur pour une maman, mais quand on a touché un salaud faut passer outre le sentiment, non ? Ou alors, la morale c’est quoi, dites voir ? On approuve. C’est un service à lui rendre, à Maurice, de l’envoyer au gnouf pour manque de respect envers sa vieille. Sans compter qu’il se balade avec dans la poche une chaîne de vélo qui ne saurait en aucun cas lui servir de mouchoir.

Le « spiqueur » change de disque. Il dit qu’une nouvelle pubère vient d’enjamber le parapet de la tour Eiffel, au deuxième. Mâme Saugrenut affirme que c’est un danger public, cette tour, qu’il faudrait prendre des mesures et qu’à « leur » place, elle la démolirait dare-dare. Le spiqueur lui coupe la parole pour dire un truc qui fait grésiller la tignasse du Rouquin et qui stoppe ma mastication. On enregistre un nouveau suicide à l’Ecole supérieure de police de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. S’agirait-il d’une épidémie ? L’un des élèves, l’officier de police Bardane, s’est empoisonné avec de la strychnine hier dans sa chambre. Il n’a laissé aucun mot.

— Vous avez entendu ? balbutie Mathias.

Un rouquin blême, c’est impressionnant. Y a plus que ses taches de rousseur qui semblent vivre, minuscule et palpitante voie lactée.

— Tu le connais, ce Bardane ? questionné-je.

Mathias hausse les épaules.

— J’ai plus de deux cents élèves et j’exerce depuis quelques semaines seulement, monsieur le commissaire.

On s’abstient de commenter devant Félicie, mais sitôt la crème renversée avalée, nous voilà partis pour la Grande Cabane. M’man regrette notre hâte à cause de son moka qui va rester pour compte. Je lui explique qu’on a des problèmes urgents à résoudre.

Elle comprend, mais continue de déplorer ce départ précipité.

Le moka, c’est pas comme la choucroute : ça ne se réchauffe pas !

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