Évangile de Marie

« Moi, Miryem de Nazareth, Marie selon mon nom en langue de Rome, fille de Joachim et d’Anne, je m’adresse à Mariamne de Magdala, Marie selon son nom en langue romaine, fille de Rachel.

Au commencement la parole, Dieu est parole, Dieu, parole qui engendre la parole.

Au commencement, sans elle rien n’a été de ce qui fut. Parole, la lumière des hommes, sans aucune obscurité.

La parole du commencement, la nuit jamais ne la saisit.

« Je m’adresse à Mariamne de Magdala, ma sœur par le cœur, la foi et l’âme. Je m’adresse à toutes celles qui suivent son enseignement au bord du lac de Génézareth.

« En l’an 3792 après la création du monde par le Seigneur Tout-Puissant, béni soit Son nom, au mois de nizan, dans la trente-troisième année du règne d’Antipas, fils d’Hérode.

« Pour celles qui se soucient et qui craignent sa disparition, je témoigne pour mon fils, Yechoua, afin qu’elles ne se laissent pas abuser par les rumeurs que répandent jusqu’à Damas les corrompus du temple de Jérusalem. Voici mon témoignage.

« Il est au milieu de vous et vous ne le connaissez pas.

« Voici ce qui est arrivé au temps où Antipas trancha la tête de Jean le Baptiste. Trente années s’étaient écoulées depuis la naissance de mon fils, et depuis trente années, depuis la mort de son père Hérode, Antipas régnait sur la Galilée. Il n’avait pas le pouvoir sur le royaume d’Israël en entier à cause de la défiance des Romains.

« Jean le Baptiste, fils de Zacharias et d’Elichéba, je l’ai connu dans le ventre de sa mère. Et ma sœur de cœur Mariamne l’a connu pareillement, qu’elle s’en souvienne. Selon la volonté de Dieu, l’enfant nous est venu, à Elichéba en premier et à moi ensuite. Pour l’une comme pour l’autre, cela s’est passé à Nazareth, en Galilée.

« Devenu homme, Jean alla sur les routes. Partout où il allait, il prenait la parole et baptisait par l’eau ceux qui venaient à lui. Voilà pourquoi on le nomma le Baptiste.

« Son nom grandit.

« De Jérusalem, des prêtres du sanhédrin et des lévites vinrent à lui et demandèrent : Toi, qui es-tu ?

« Il répondit avec la parole de l’humilité. Il dit : Je ne suis pas celui que vous attendez. Je viens devant. Je ne suis pas celui qui ouvre le ciel. Moi, je suis la parole d’avant la parole criant dans le désert.

« Cela se passait à Béthanie près du Jourdain.

« Pendant dix ans la renommée de Jean-Baptiste grandit.

« Pendant dix ans, mon fils Yechoua étudie et écoute. Il entend la parole de Jean et l’approuve. Lui, quand il parle, sa parole ne va qu’au petit nombre.

« Pendant dix ans, le ciel reste couvert et jamais ne s’ouvre à celui qu’Israël attend.

« Un jour, Jean le Baptiste me dit : Que ton fils vienne pour l’immersion. Je lui réponds : Mieux qu’aucun autre, tu sais qui il est. Pourquoi veux-tu le baptiser, lui ? Quand tu fais entrer dans l’eau, c’est pour purifier l’homme et la femme. De quoi voudras-tu purifier Yechoua, mon fils ?

« Ma réponse ne plaît pas. Jean le Baptiste dit à qui veut l’entendre : Yechoua, fils de Miryem de Nazareth, on voudrait l’entendre, mais on ne l’entend pas. On voudrait voir s’il est aussi miraculeux que sa naissance et ouvre le ciel. Mais on ne le voit pas. Il parle, mais ce ne sont que des paroles d’homme et pas le souffle de Yhwh.

« Ainsi parla Jean le Baptiste. Que ma sœur de cœur Mariamne en témoigne, elle qui était présente. Cela se passait à Magdala.

« De ce jour, mon fils Yechoua se tient à Capharnaüm, au bord du lac de Génézareth. Il ne rencontre plus Jean le Baptiste, dont le bruit de la parole ne cesse de grandir. Antipas lui-même l’entend. Il prend peur. Il dit : L’homme que l’on appelle le Baptiste se répand en paroles contre moi. Il veut la fin de ma maison. On l’écoute partout, en Galilée et au-delà. Il a plus d’influence que les zélotes, les esséniens et les larrons.

« Antipas se décide. Il fait arrêter Jean le Baptiste. Pris par le vice de sa famille, qui coule dans son sang depuis son père Hérode, Antipas offre la tête de Jean le Baptiste à son épouse Hérodiade, qui était aussi sa nièce et sa belle-sœur.

« La veille du jour où l’on doit mettre Jean, fils de Zacharias et d’Elichéba, en terre, Joseph d’Arimathie, le plus saint des hommes et le plus sûr de mes amis, vient me voir. Il me dit : Il faut aller devant la tombe de Jean le Baptiste. Ton amie Mariamne est au côté de ton fils Yechoua, à Capharnaüm. Ils sont trop loin pour revenir à temps pour la sépulture. C’est à toi d’être devant la fosse de celui qu’Antipas a assassiné tant il avait peur.

« Cela se passait à Magdala.

« Je réponds à Joseph d’Arimathie : J’ai désapprouvé les paroles de Jean le Baptiste contre mon fils Yechoua. Mais tu as raison, il faut se tenir la main devant la fosse où Antipas veut enfouir sous son vice la parole du Tout-Puissant.

« De nuit, en bateau, nous allons de Magdala à Tibériade.

« Au matin, devant la fosse ouverte, nous sommes un tout petit nombre. Il y a là Barabbas, le larron. Depuis le premier jour, il m’aime comme je l’aime. Le Tout-Puissant n’a jamais voulu que les épreuves nous séparent. Que ma sœur Mariamne en témoigne, elle qui nous a vus amis et ennemis.

« Barabbas se plaint du peu que nous sommes. Il dit : Hier, ils couraient vers Jean le Baptiste pour se laver de leurs péchés dans l’eau de son bain. Aujourd’hui qu’il faut se tenir debout devant sa fosse sous l’œil de mercenaires d’Antipas, on ne les voit plus.

« Il se trompe. Lorsque la terre a recouvert le corps séparé de Jean le Baptiste, des milliers et des milliers arrivent pour le pleurer. Les chemins de Tibériade sont noirs. On n’y avance plus. Chacun veut mettre un caillou blanc sur la tombe et chanter la grandeur du Tout-Puissant. Cela dure jusqu’au soir. À la fin du jour, la tombe de Jean le Baptiste est un monticule blanc qui se voit de loin.

« Joseph d’Arimathie et Barabbas m’entraînent à l’écart de peur que j’étouffe dans la multitude. Joseph d’Arimathie dit : La parole de Jean le Baptiste s’en est allée. Cette multitude qui est là aujourd’hui est à nouveau aussi perdue que des enfants dans le noir. Ils croyaient avoir trouvé celui qui leur ouvrait le ciel. Ils ne savent pas encore qu’il est là-bas, à Capharnaüm, celui qu’ils doivent suivre maintenant. Ils l’ignorent et ils doutent à nouveau.

« Barabbas approuve : Antipas tue, il tranche la tête du Baptiste et la colère de Dieu ne se voit nulle part. Et pour moi, Barabbas ajoute : Joseph a raison. Comment croire que ton fils est celui qu’annonçait Jean s’il ne peut en faire le signe ? Ils n’avanceront pas derrière Yechoua seulement en l’écoutant.

« D’entendre ces paroles, la colère me vient. Je dis : Je suis comme eux. Voilà trente ans que mon fils est né et trente ans que j’attends. J’étais une fille en pleine jeunesse, je suis une femme qui regarde la nuit de son temps. La patience a une fin. Jean le Baptiste s’est moqué de Yechoua et de moi. Zacharias et Elichéba, avant leur mort, m’ont dit : Nous avons cru que ton fils était comme le nôtre, mais non. Je les écoute et je suis humiliée. Je suis dans la honte. Je dis : Que se passe-t-il ? Dieu veut-Il une chose et son contraire ? Dieu me fait-Il mère de Yechoua en vain ? Quand donc fait-Il, par la main de mon fils, le signe qui ouvre le ciel ? Quand donc fait-Il le signe qui abat Antipas et libère Israël ? N’est-ce pas pour cela que nous vivons ? Et n’avons-nous pas assez vécu dans la pureté pour le mériter ?

« A Joseph d’Arimathie et à Barabbas je ne cache rien : Aujourd’hui, je vous le dis, je n’ai plus de patience. Voir ces milliers sur la tombe de Jean le Baptiste ne me réconforte pas. Ce n’est pas une tombe que nous devons célébrer, c’est la lumière de la vie. Et Yechoua est né pour cela.

« Ma colère ne retombe pas avant mon retour à Magdala. Joseph d’Arimathie ne cherche pas à l’apaiser. Il est comme moi, et encore plus avant dans l’âge. Son temps est compté, sa patience plus usée que sa tunique.

« Se passent deux jours. Ma sœur de cœur Mariamne revient de Capharnaüm. Qu’elle s’en souvienne. Elle annonce avec une grande joie : Les nouvelles sont belles. Yechoua a prêché à Capharnaüm. Ceux qui l’écoutaient disaient : Voici Jean le Baptiste ressuscité. La rumeur de sa parole est venue aux oreilles d’un centurion romain. Il est venu l’écouter et on craignait sa présence. Mais Yechoua lui dit : Je sais que ta fille est entre la vie et la mort. Demain, elle sera debout. Le centurion court chez lui. Le lendemain, il revient et s’incline devant Yechoua : Mon nom est Longinius et je dois reconnaître devant tous que tu as dit la vérité. Ma fille est debout.

Mariamne annonce encore : Dans huit jours, il y aura une noce d’importance à Cana, en Galilée. Le père de l’époux est riche et respecté. Il a entendu Yechoua et il l’a invité.

Alors Joseph d’Arimathie me regarde. Je sais qu’il pense comme moi. Je dis : Allons à Cana nous aussi. C’est […][1]

« […] romaine qui se nomme Claudia, femme de Pilatus, gouverneur de Judée. Elle me dit : J’ai entendu la parole de ton fils à Capharnaüm et je suis ici. Je suis fille de Rome, d’une naissance qui me met au-dessus du peuple, mais ne crois pas que cela me rende aveugle et sourde. Ce que fait Antipas dans ce pays, je le sais. Ce qu’y faisait son père, je le sais aussi.

« À ma sœur de cœur Mariamne, Claudia la Romaine dit : L’enseignement de sagesse que tu donnes à Magdala, je l’admire. On raconte que tu es celle qui fait briller la parole de Yechoua chez les femmes. Mariamne lui répond : Viens à Magdala près de moi. Il y aura de la place pour toi, bien que tu sois fille de Rome.

« Ainsi se déroule le repas de noce à Cana. Yechoua dit aux époux : Personne n’allume une lampe pour l’enfouir dans un trou. Le bonheur des épousailles fait du corps la lumière qui repousse toutes les obscurités. La chair des époux rayonne et révèle combien mon Père aime la vie qui est en vous.

« Un disciple de mon fils s’approche de moi. Un homme petit, les joues sèches et le regard sans détour. Il se nomme Jean dans son nom de Rome. Son salut me surprend, tant les disciples de Yechoua n’aiment pas se montrer près de moi. Lui, au contraire, est aimable : Enfin, tu viens écouter la parole de ton fils. Cela fait longtemps que je ne t’ai vue près de lui. Je lui réponds : Comment pourrais-je le suivre quand il me chasse ? Lui qui va en disant qu’il n’a pas de famille, pas même de mère. Jean secoue la tête et m’assure : Non ! Ne t’offusque pas. Ce n’est pas une parole contre toi mais contre ceux qui doutent de Lui. Cela va bientôt changer.

« Le jour est chaud à Cana. Chacun boit pour le plaisir et pour se désaltérer. La fin du repas de noce approche. Il y a du monde en nombre. Certains sont venus de Samarie, de Bethsaïde. Joseph d’Arimathie a près de lui ses meilleurs disciples de Beth Zabdaï. Gueouél, celui qui ne m’aimait pas lorsque j’étais dans leur maison avec Ruth, bénie soit-elle, est présent parmi les autres. Il vient vers moi avec respect : Le temps où j’étais contre toi est révolu. J’étais jeune et ignorant. Aujourd’hui, je sais qui tu es.

« Alors que le soleil est dans sa descente, Barabbas me dit : Tu nous as fait venir ici, mais rien n’est différent de d’habitude. Ton fils parle et les autres ont soif à force de l’écouter.

« À cet instant, Joseph d’Arimathie m’approche : Le vin va manquer. La noce va se gâcher.

« Je comprends ce qu’il veut dire. Je me lève, la peur dans le cœur. Cela se voit sur mon visage. Que ma sœur Mariamne s’en souvienne. Je vais devant mon fils : Ils n’ont plus de vin. Tu dois faire ce qu’on attend de toi. C’est le jour.

« Jean le disciple est près de moi. Yechoua me toise comme une étrangère : Femme, ne te mêle pas de ce que je dois accomplir ou pas. Mon heure n’est pas encore venue.

« Alors moi, sa mère, je dis : Tu te trompes, Yechoua. Le signe est entre tes mains. Tu ne peux le retenir plus longtemps. Nous sommes là qui attendons.

« Il me toise encore. Ce n’est pas le fils qui regarde sa mère. Il se tourne vers ceux des noces, vers Jean son disciple, vers Joseph d’Arimathie et Barabbas. Vers Mariamne aussi, qu’elle s’en souvienne. Il se tait. Alors moi, je demande aux gens qui servent les noces d’approcher : Yechoua va vous parler. Quoi qu’il vous ordonne, faites-le.

« On m’observe avec surprise, sans comprendre. C’est le silence dans les noces. Yechoua enfin commande aux serviteurs : Allez aux jarres prévues pour la purification et remplissez-les. Ils font remarquer : Pour les remplir, Rabbi, nous n’avons que de l’eau et c’est jour de noces. Il répond : Faites ce que je dis. Remplissez les jarres avec de l’eau.

« Une fois les jarres remplies, Yechoua ordonne : Puisez dedans avec un gobelet et portez-le au père de l’époux. Ce qu’ils font. Le père de l’époux s’exclame : C’est du vin ! Voilà du vin qui vient de l’eau. Et le meilleur que j’aie bu de ma vie.

« Tous veulent voir et boire. On leur donne des gobelets et ils s’exclament : C’est le vin du Tout-Puissant ! Il salue nos noces ! Il fait de Yechoua Son fils et Sa parole !

« Ma sœur de cœur Mariamne est en larmes. Elle va baiser les mains de Yechoua, qui la serre contre lui. Elle vient dans mes bras pour rire entre ses larmes, qu’elle s’en souvienne. Joseph d’Arimathie me serre aussi contre lui : C’est le premier signe, Dieu Tout-Puissant, Tu ouvres enfin le ciel ?

« Jean le disciple s’approche de moi : Tu es sa mère, nul ne peut en douter.

« Toute la noce est devant Yechoua, à genoux et buvant le vin. Claudia la Romaine, la femme de Pilatus, est au premier rang, aussi humble qu’une Juive devant l’Éternel.

« Moi, je songe et je tremble. Je prie. Cela a eu lieu. Que le Tout-Puissant me pardonne, je n’avais plus de patience et j’ai bousculé le temps. La parole dans la bouche de mon fils, je l’ai poussée. Mais, Seigneur Éternel, n’est-ce pas pour cela qu’il est né : pour que l’amour des hommes se montre et parle. Dieu du Ciel, protège-le. Suis-le. Étends sur lui Ton souffle.

« Barabbas me dit : Tu avais raison. Il peut bien être notre roi. Cette fois, il me faut bien y croire, ou alors je ne dois plus croire ce que voient mes yeux ! Désormais, Yechoua doit aller sur les chemins et accomplir des signes comme celui-ci. Le peuple d’Israël tout entier viendra à lui.

« C’est ce qu’il fait. Pendant plus d’une année les signes ne manquent pas. Cela en Galilée, puis en Judée. Dans le peuple, on commence à dire : Voilà Yechoua le Nazaréen, il accomplit des signes, il est dans la main de Dieu. C’est pourquoi un jour il vient devant Jérusalem.

« Les disciples, grâce à l’intercession de Jean, ne m’empêchent plus de le suivre. Avec moi viennent Joseph d’Arimathie, Barabbas et Mariamne de Magdala, qu’elle s’en souvienne. À Jérusalem, Yakov, Jacques de son nom de Rome, fils de Josef qui fut mon époux au temps de la naissance de Yechoua, nous rejoint. Il va embrasser Yechoua, qui lui dit : Reste tout près, tu es mon frère que j’aime. Qu’importe que nous n’ayons ni le même père ni la même mère, nous sommes frères et fils du Même.

« Vient la Pâque.

« Les événements de la Pâque, chacune d’entre vous les connaît. Comment Yechoua nous entraîne devant le Temple et y trouve la foule qui vient se purifier. Comment la cour du Temple est comble de ceux qui transforment le sanctuaire en commerce. Les changeurs y tiennent leurs tables. Les marchands de bœufs et de […][2] nuit, Barabbas tend le fouet de corde et de nœuds. Yechoua s’en empare. Il fouette devant lui. Il sort les bœufs du Temple. Il sort les moutons. Les cages des colombes se brisent sur le sol, les oiseaux s’envolent. La monnaie des changeurs roule sur les dalles. Yechoua renverse les tables, chasse tout le monde hors de la cour.

« Cela sous les yeux de la foule venue se purifier, qui le regarde en disant : Voilà Yechoua de Nazareth. Il a parcouru la Galilée, la Samarie et la Judée en semant les signes par sa parole. Il a transformé l’eau en vin de noce. Ceux qui ne pouvaient plus marcher, il les a fait marcher. Personne ne fait des signes pareils si l’Éternel n’est pas avec lui. Maintenant, il se dresse contre les corrompus du sanhédrin. Béni soit-il !

« Cela pendant qu’il vide la cour du Temple. A ceux qui protestent, Yechoua répond : Otez-moi ça ! Ne vous étalez plus jamais dans la maison de mon Père comme dans une maison de commerce.

« Arrivent les prêtres du sanhédrin, les pharisiens et les sadducéens. Ils crient : Qui crois-tu être pour te permettre d’agir ainsi ? Yechoua leur répond : Vous l’ignorez, vous qui instruisez Israël ?

« Caïphe, le grand prêtre qui tient son pouvoir de la volonté des Romains et de son beau-père Hanne, est attiré par le bruit de la foule. Il craint ce qu’il voit. Il se dresse devant Yechoua : Prouve par un signe que Yhwh est avec toi. Prouve-nous qu’il te donne le droit de t’opposer à nos décisions !

« Yechoua répond : Abattez ce temple, je le relève en trois jours.

« Que ma sœur de cœur Mariamne s’en souvienne, ce sont ses mots. Ceux que la foule entend. Ceux que les prêtres corrompus entendent. Car lorsque Yechoua parle, tous se taisent. Ils tremblent en regardant les murs du Temple. Ils ont les yeux prêts à voir le sanctuaire s’écrouler sous la volonté du Tout-Puissant.

« Rien ne se passe. Caïphe se moque : Hérode a mis quarante-six ans à construire ce temple et toi tu le relèverais en trois jours ? Tu mens. Yechoua dit : Le mensonge, il est dans la racine de vos pensées. Comment ce temple pourrait-il être le sanctuaire de Dieu, puisque c’est Hérode qui l’a voulu et vos mains avariées qui l’entretiennent ?

« La foule fait grand bruit. Dans le tumulte, il y a la menace de la révolte. On entend des cris qui annoncent : Le Messie est dans la cour du Temple. Il affronte Caïphe et ses prêtres vendus aux Romains.

« Barabbas vient à mon côté. Il annonce : La ville bouillonne de colère. Les rues sont pleines. Le peuple arrive de partout pour la Pâque. C’est le moment que nous attendons depuis si longtemps, toi et moi. Un signe de ton fils, et nous renversons le sanhédrin. Nous courons à la garnison des Romains et nous la prenons. Dépêche-toi.

« Avant d’agir, je prends conseil auprès de Joseph d’Arimathie et de Mariamne, qu’elle s’en souvienne. L’un et l’autre répondent : Cela dépend de Yechoua. Alors moi de dire à tous : Barabbas a raison. Jamais il n’y a eu de meilleur moment pour libérer le peuple de Jérusalem du joug romain.

« À mon fils Yechoua, je dis : Fais un signe pour entraîner la foule derrière toi. Elle ne veut plus attendre. Elle bout de te suivre contre le sanhédrin et contre Rome. N’hésite plus.

« Yechoua me regarde comme il m’a regardée à Cana. Sa bouche demeure close. Ses yeux me disent : Qui est cette femme qui croit qu’elle peut me demander d’obéir ainsi qu’un fils doit obéir à sa mère ?

« C’est le moment que Caïphe choisit pour ameuter sa garde de mercenaires. Il crie que le Nazaréen est un usurpateur, un faux prophète, un faux Messie. Il pointe le doigt sur nous, sur les disciples, sur moi, sur Joseph d’Arimathie et Mariamne : Voilà ceux qui veulent détruire le Temple. Voilà les impies ! Les mercenaires baissent leurs lances, ils tirent leurs glaives. Barabbas nous fait enserrer par la foule afin de sauver nos vies.

« Que Mariamne s’en souvienne. Tout ce qu’il advint ensuite, nous étions côte à côte pour le vivre.

« Yechoua et ses disciples sont accueillis dans la maison d’un nommé Shimon, sur la route de Béthanie, à moins d’une heure de marche de Jérusalem. Moi, sa mère, Mariamne et Joseph d’Arimathie, on nous place dans la maison voisine. Barabbas me dit : Je retourne à Jérusalem. Le peuple est trop fébrile pour que je demeure les bras croisés. Il n’est plus possible de le retenir. Ma place est là-bas, devant ceux qui vont se battre. Que ton fils se décide. Il a lancé une pierre, à lui de savoir qui elle va frapper.

« Je l’embrasse avec l’amour de mon cœur. Je sais qu’il peut mourir dans ce combat, si Yechoua ne se décide pas.

« Mariamne est à mon côté. Nous essayons de convaincre Yechoua : Tu as dit devant le peuple qu’on pouvait détruire le Temple et toi le relever en trois jours. Le peuple va le détruire pour te mettre à l’épreuve. Ils veulent voir la puissance de Dieu agir dans ta parole. Ils veulent un sanctuaire pur. Ils te veulent, toi, devant eux. Ils veulent voir celui que tu es. Le peuple d’Israël n’en peut plus d’attendre. Il veut que s’ouvre le ciel.

« Yechoua ne nous regarde pas. Il s’adresse à ses disciples : Qu’y a-t-il qui les presse ? Moïse a tourné longtemps dans le désert et n’a pas même atteint Canaan. Pourtant, des prodiges, sous la paume de Yhwh, il en a accompli. Et voilà que maintenant ce peuple à la nuque raide a des exigences ?

« Après ces paroles, les disciples nous chassent de la maison.

« Jean vient à moi, le visage triste : Ne t’offusque pas. Les paroles de Yechoua, ton fils, nous les comprenons et nous ne le comprenons pas encore. Il a raison, cependant : Yhwh seul décide du temps des hommes.

« Avant la nuit, la nouvelle arrive. Les rues de Jérusalem sont rouges du sang des combats. Les cavaliers de Pilatus le gouverneur ont chargé, lance pointée. À la nuit, on sait que Barabbas a tué un prêtre du Temple. On me dit : Il est prisonnier. On l’a conduit dans les geôles de Pilatus. Je me retourne contre Jean avec colère : Et cela n’ouvre pas la bouche de mon fils ?

« Au-dessus de Béthanie, le ciel de la nuit est rouge des incendies de Jérusalem. Ma sœur de cœur Mariamne dit en pleurant : C’est le sang du peuple qui monte au ciel. Comme le ciel est toujours fermé, il le tapisse de notre douleur.

« Un vieillard nous rejoint. Il marche à peine, on l’a transporté dans un char. Il s’adresse à moi : Je suis Nicodème, le pharisien du sanhédrin. Celui qui est venu à Nazareth, chez Yossef le charpentier. Il y a plus de trente ans de cela. A la demande de Joachim, ton père.

« Je le reconnais sous sa vieillesse. Il dit : Je suis là pour toi, Miryem de Nazareth. Je suis là pour ton fils, Yechoua. Introduis-moi près de lui. Ce que j’ai à lui apprendre vaut sa vie.

« Jean le disciple le conduit à Yechoua.

« Nicodème annonce à Yechoua : Je suis du sanhédrin, mais mon cœur m’assure que tu es celui qui peut nous instruire de la volonté du Tout-Puissant. J’ai prié pour que Dieu m’éclaire et j’ai vu ton visage. C’est pourquoi je suis là et te dis : Cette nuit, il te faut agir pour apprendre à tous qui tu es. Et Yechoua de répondre : Qu’attends-tu de moi ? Nicodème : Un signe. Celui que tu as annoncé. Va devant le peuple qui détruit le Temple et remonte-le en trois jours. Yechoua : Comment savez-vous que l’heure est venue ? Vous qui ne savez rien, pas même si vous êtes dans la main de mon Père ! Nicodème insiste : Ce signe, il faut que tu le fasses, ou les Romains te saisiront à l’aube. Caïphe et son beau-père Hanne ont lancé la condamnation du sanhédrin sur toi. Ils te veulent mort pour ce que tu as fait aujourd’hui. Le peuple s’est révolté contre eux. À cette heure de la nuit, il est maté et Barabbas est en prison. Agis dans la main de Yhwh ou le sang sera répandu pour rien. Je te le dis : le peuple de Jérusalem attend ton signe.

« Mon fils se tait. Nous attendons sa réponse à Nicodème. Enfin : Tous, vous voulez accélérer le temps. Passe encore pour une mère impatiente qui oublie sa place. Mais, toi, le pharisien, ne sais-tu pas Qui décide ? Votre impatience vous fait esclave du monde. Pourtant, je vous le dis : dans le monde, vous n’aurez que détresse.

« Nicodème est consterné par ce qu’il entend. Même les disciples espéraient d’autres paroles. Je dis à Mariamne : Mon fils me condamne en public. Ai-je commis une faute ? Ai-je commis une faute irréparable ? Qu’elle s’en souvienne, car c’est la première fois que j’y songe.

« Nicodème s’en retourne comme il est venu. Toute la nuit, Jérusalem retient son souffle. Des milliers attendent le signe de mon fils.

« Il n’y en a pas. Le ciel demeure couvert.

« A l’aube, une cohorte romaine, son tribun et la garde du Temple viennent à Béthanie. Yechoua va entre leurs mains comme un agneau va au couteau. Ils le conduisent à Caïphe, qui le donne à Pilatus le Romain. Dans les rues de Jérusalem, la colère gronde. Cette fois, contre Yechoua. On entend : Où nous a-t-il entraînés, celui-ci ? Il annonce qu’il va remonter le Temple en trois jours, il n’est même pas capable de faire tomber Caïphe de son siège ! Notre sang est dans les rues, et pour quelle issue ?

« Claudia la Romaine, celle qui suit l’enseignement de Mariamne depuis Cana, accourt en pleurant. Elle dit : Pilatus est mon époux. Il n’est pas mauvais. Je vais lui demander la clémence pour ton fils Yechoua. Il ne doit pas mourir, il ne doit pas aller sur la croix. Je lui réponds : N’oublie pas Barabbas. Il est dans […][3]

« […] foule : Lui ! Lui ! Il s’est battu pour nous. L’autre nous a […] sentence de Pilatus doit à l’influence vicieuse d’Hanne sur […]

« […] genoux devant moi : Quelle honte d’avoir été choisi par le peuple à la place de ton fils. À quoi bon cette libération ? Cette vie que l’on me rend, maintenant, que vais-je en faire ? J’aurais préféré mille fois mourir.

« C’est la première fois que je vois des larmes dans les yeux de Barabbas. Sa tête blanche pèse entre mes mains, ses pleurs mouillent mes paumes. Je le relève. Je suis déchirée par ses mots. Je le serre contre moi. Je dis : Moi, je suis heureuse que tu vives, Barabbas. Je suis heureuse que le peuple t’ait désigné à la clémence de Pilatus. Je ne veux pas te perdre en plus de perdre mon fils. Tu sais comme je le sais que nos vies […]

« […] garde de ne pas consentir à ce qu’on lui fasse du mal. Moi, Claudia, cette nuit j’ai eu un songe effrayant. Le feu du ciel ruisselait sur nous après son supplice. Tous te l’ont assuré : Yechoua de Nazareth est un homme de bien. Si la foule a choisi Barabbas, cela ne veut pas dire que la mort de Yechoua n’engendrera pas une nouvelle révolte. Alors mon époux me répond : Tu parles ainsi de ce Nazaréen parce que tu es devenue sa disciple. Moi, Pilatus, gouverneur de Judée, j’écoute ce que me dit le grand prêtre Caïphe. Lui, il connaît le bien et le mal des Juifs.

« À ces mots, chacun soupire. Les disciples protestent et gémissent. Claudia la Romaine dit encore : La vérité, c’est que Pilatus mon époux a peur de César. S’il se montre magnanime, à Rome on dira qu’il est un gouverneur à la main faible et malhabile.

« Après ces paroles, nous savons qu’il n’y aura pas de grâce. Chacun va dans ses larmes et sa tristesse. Mariamne ma sœur de cœur me demande : Pourquoi tes yeux demeurent-ils secs ? Tout le monde pleure, sauf toi.

« Qu’elle se souvienne de ma réponse. Je lui dis : Les larmes, on les verse lorsque tout est achevé. Pour ce qui est de Yechoua mon fils, rien n’est achevé. Et moi, je suis peut-être bien la raison de ses tourments d’aujourd’hui. Mon cœur me dit : Lacère ton visage et demande pardon au Seigneur. Ton fils va mourir à cause de toi. Yechoua t’a dit : Mon temps n’est pas encore venu. Toi, tu es passée outre. À Cana, je l’ai contraint à nous faire signe. Je l’ai contraint à montrer la face du Tout-Puissant en lui. L’eau de Cana devenue vin de Yhwh. J’ai eu l’orgueil de l’impatience. Voilà l’épée qui transperce maintenant mon âme et me fait voir ma faute.

« À Mariamne, je dis : Il n’est pas de nuit et d’heure du jour sans que je prie le Seigneur Dieu de me châtier pour avoir voulu accélérer le temps. J’ai voulu la délivrance ici et maintenant. Je suis comme le peuple, je veux la lumière, l’amour des hommes, et je n’en peux plus du ciel fermé. Mais qu’apportera la mort de Yechoua ? Sa parole n’a pas encore changé la face du monde. Rome est toujours dans Jérusalem. Le vice est dans le Temple, il règne sur le trône d’Israël. Rien n’est encore accompli. Pourtant, ce Yechoua, ne l’ai-je pas enfanté pour qu’adviennent la lumière des jours à venir et la libération du peuple d’Israël ?

« Que Mariamne s’en souvienne, ce sont mes paroles : Je ferai ce que doit faire une mère pour empêcher son fils de mourir dans le supplice de la croix. N’ai-je pas empêché Hérode d’y faire périr mon père Joachim ? Je le ferai encore. Dieu peut me punir. Pilatus peut me punir. J’ai commis une faute, je suis prête pour le châtiment. Que l’on me crucifie à la place de mon fils. Que l’on cloue mes mains et mes pieds.

« Mariamne répond : Cela ne sera jamais. Tu ne pourras pas remplacer Yechoua dans le supplice. Ici, les femmes n’ont aucun droit, pas même celui de mourir sur la croix.

« Je sais qu’elle a raison. Je vais vers Joseph d’Arimathie : Qui peut me venir en aide ? Cette fois, je ne veux rien demander à Barrabas. Les disciples de Yechoua le montrent du doigt. Il cache sa honte d’avoir été libéré à la place de mon fils. Il souffre tant qu’il n’a plus assez de raison pour que je m’appuie sur lui. Joseph me répond : L’aide, c’est moi qui vais te l’apporter. Celui qui saura sauver ton fils, c’est moi. Dieu fera le jugement. Si la volonté de tuer ton fils sur la croix appartient au Tout-Puissant, Yechoua mourra. Si elle n’appartient qu’à Pilatus, alors Yechoua vivra.

« On se réunit en tout petit nombre. Joseph d’Arimathie désigne ceux qui peuvent être utiles sans trahir : Nicodème, le pharisien du sanhédrin, Claudia la Romaine, les disciples esséniens accourus de Beth Zabdaï à sa demande […][4]

« […] dressée, ainsi que Claudia la Romaine l’a annoncé. A la gauche de sa croix, l’homme au supplice est Gestas de Jéricho. Une pancarte dit qu’il a tué. A la droite, l’homme est plus vieux de beaucoup. Son nom est Demas. Il est de Galilée. Dessous, sa famille le pleure en criant qu’il n’est pas un larron mais un aubergiste qui répand le bien autour de lui.

« Sur la croix de Yechoua, il est écrit sur une planche : Yechoua, roi des Juifs. En hébreu, en araméen, en grec et en langue de Rome : toutes les langues d’Israël. Les Romains savent que le peuple de Jérusalem a nommé ainsi Yechoua devant le Temple. Ils désirent humilier tous ceux qui ont cru en lui.

« Que Mariamne se souvienne, nous, les femmes, les mercenaires nous maintiennent au loin, la lance basse. Mariamne supplie et se met en colère. En vain. Même Claudia, la femme de Pilatus, ils ne l’écoutent pas.

« Quand le soleil est haut, les curieux viennent en nombre. Certains crient : Est-ce là, sur ta croix, que tu vas remonter le Temple ? D’autres ont pitié et se taisent.

« Arrivent Joseph d’Arimathie et ses disciples de Beth Zabdaï. Ils vont sous la croix et chassent ceux qui crient. Arrive Nicodème sur la chaise que portent ses serviteurs. Le corps suspendu aux liens, Yechoua parle. Les paroles qu’il prononce, nous, les femmes, nous ne pouvons les entendre. Je dis à Mariamne : Regarde, il est vivant. Tant que ses lèvres bougent, je sais qu’il est vivant. Et moi, de le voir ainsi, je suis comme morte.

« Le soleil est de plus en plus haut. La chaleur grandit, l’ombre n’est plus qu’un fil. Arrive le centurion Longinius, celui dont Yechoua a sorti la fille de la maladie, à Capharnaüm. Longinius fait un signe à Claudia. Il ignore Joseph d’Arimathie et Nicodème. Il nous ignore, nous qui sommes tenus à l’écart. Il discute avec les soldats au pied de la croix. Ils rient. Ce rire me transperce. Longinius joue le rôle que lui a assigné Joseph d’Arimathie, mais ce rire, on ne le supporte pas.

« Mariamne ma sœur de cœur s’écrie : Quelle honte ! Ce Romain dont la fille a été sauvée par Yechoua, voilà qu’il se moque. Infamie sur lui ! Les mercenaires la font taire. Qu’elle se souvienne et me pardonne. Moi qui sais, je n’apaise pas sa douleur. Je me tais. C’est le prix à payer pour la vie de mon fils.

« Joseph d’Arimathie montre Yechoua : La soif lui craquelle les lèvres. Nicodème demande : Qu’on le fasse boire. Les disciples de Beth Zabdaï crient : Il faut le désaltérer. Le centurion Longinius dit : C’est bon. Il donne l’ordre aux mercenaires.

« Un soldat va pour tremper un linge dans une jarre. Longinius a prévenu : elles sont remplies de vinaigre. Ainsi, Rome désaltère les condamnés en ajoutant de la souffrance à la souffrance. Longinius arrête la main du mercenaire. Il lui tend une autre jarre, que Nicodème a apportée dans son char sans que quiconque s’en aperçoive. Longinius dit au soldat : Utilise plutôt ce vinaigre-là. Il est plus fort. Il conviendra au roi de Juifs. Il rit quand le soldat trempe le linge.

« Mariamne crie à mon côté. Les mercenaires nous repoussent durement. Je n’ai plus de souffle. Je crains tout. De la pointe de sa lance, le mercenaire fourre le linge dans la bouche de Yechoua. Je sais ce qui doit arriver, pourtant mon cœur cesse de battre.

« La tête de Yechoua bascule sur sa poitrine. Ses yeux sont clos. On peut le croire mort.

« Mariamne tombe sur le sol. Qu’elle me pardonne mon silence. Moi aussi, j’ignore si mon fils est vivant ou mort. J’ignore la volonté du Tout-Puissant.

« Le grand nombre est attiré par nos cris et nos larmes. La foule se presse sous la croix de Yechoua. On entend : Voilà le Nazaréen. Il est mort comme un homme sans forces, celui qui devait être notre Messie. Même les larrons qui l’entourent sont encore en vie.

« La fin du jour approche. Le lendemain est shabbat. Le grand nombre rentre en ville. Le centurion Longinius annonce : Celui-ci est mort, inutile de rester ici. Il s’éloigne sans se retourner. Les mercenaires le suivent.

« Les disciples de Beth Zabdaï font le cercle sous la croix et défendent qu’on l’approche. Les autres se tiennent à distance.

Ils prient en pleurant. Et nous aussi, les femmes, on nous laisse. Je cours pour voir le visage de mon fils. C’est un visage sans vie, brûlé par le soleil.

« Joseph dit à Nicodème : Il est temps. Allons chez Pilatus, vite. Claudia la Romaine dit : Je vous conduis. Mariamne s’étonne à travers ses larmes : Pourquoi aller chez le Romain ? Je réponds : Pour demander le corps de mon fils afin qu’on lui fasse une sépulture digne. À mon visage, Mariamne devine que je suis entre la terreur et la joie. Elle demande : Qu’y a-t-il que l’on me cache ?

« Alors que les murs de Jérusalem sont rouges du crépuscule, Joseph et Nicodème ne sont pas de retour. Arrive une cohorte de mercenaires. L’officier ordonne aux soldats : Achevez les condamnés ! Avec une masse sur un long manche, ils brisent les jambes, les côtes des larrons. Les disciples de Beth Zabdaï se tiennent au pied de la croix de Yechoua, prêts à se battre. Nous sommes glacés de peur.

« L’officier nous regarde. Il regarde mon fils. Il se moque : Celui-là est déjà mort. Inutile de se fatiguer avec les masses. Quand même, par vice et par haine, un soldat pointe sa lance. Le fer entre dans le corps de mon fils. Du sang coule. De l’eau aussi. C’est un bon signe. Je le sais. Joseph d’Arimathie me l’a dit. Yechoua mon bien-aimé ne donne pas signe de vie. L’officier dit au mercenaire : Tu vois, tout à l’heure les oiseaux s’en occuperont.

« Je tombe sur le sol comme si ma conscience m’abandonnait. Mariamne ma sœur de cœur me prend dans ses bras. Elle pleure dans mon cou : Il est mort ! Il est mort ! Comment Dieu peut-U laisser faire une chose pareille ? Qu’elle se souvienne et me pardonne. Je ne lui dis pas ce que je sais. Je ne dis pas : il vit encore. Joseph d’Arimathie l’a endormi avec une drogue pour le faire passer pour mort. Je me tais et je crains.

« Joseph et Nicodème reviennent. Ils montrent une lettre de Pilatus : Le corps de Yechoua est pour nous. Ils voient la plaie : Vite, vite.

« Les disciples de Beth Zabdaï défont les liens et descendent Yechoua de la croix. Je songe à Abdias, mon bien aimé, qui descendit pareillement mon père du champ de douleur, à Tibériade. Je sens son aile, il est avec moi, mon petit époux. Il me rassure.

« Je baise le front de mon fils. Joseph demande de l’aide. On place un emplâtre sur la plaie. On entoure son corps en entier avec des bandes de byssus enduites d’onguents. Dans le char de Nicodème on le transporte à la grotte achetée depuis cinq jours.

« Nous, les femmes, nous restons dehors.

« Joseph d’Arimathie et les disciples de Beth Zabdaï ferment l’entrée de la grotte au moyen d’une grande pierre roulante qu’on appelle un gotal. Avant d’entrer, Joseph m’a laissée voir la fiole. Celle qu’il avait à Beth Zabdaï pour tirer la vieille femme de la mort. Celle qui fit crier la foule et croire au miracle.

« Ceux du sanhédrin viennent et questionnent avant que commence le shabbat. Les disciples, en tunique blanche comme on la porte dans les maisons d’esséniens, les repoussent : Ici, le sanhédrin n’a pas de pouvoir. Ici, on vient pour bénir, non pour maudire. À nous, les femmes, ils demandent de prier et que nos voix s’entendent de loin.

« À la nuit, Joseph est près de nous : Il faut s’éloigner, maintenant. Les disciples gardent la grotte. Allons dans la maison de Nicodème, près de la piscine de Siloë.

« Je suis seule avec Joseph, je lui demande : Il vit ? Je veux le voir. Il me répond : Il vit. Tu ne le verras pas avant que les espions de Pilatus se soient assurés que la grotte est son tombeau.

« Je le vois dans la nuit d’après le shabbat. On entre dans la grotte par une faille dissimulée derrière un arbuste de térébinthe. Mon fils est dans des linges, sur une couche de mousse que l’on a recouverte d’un drap. Il y a du myrte dans l’huile des lampes, pour que ça ne sente pas mauvais. Joseph me dit : Pose la main sur lui. Sous ma paume, je sens battre son cœur. Joseph dit : Si Dieu le veut, ce ne sera pas plus difficile que pour la vieille femme que tu as sauvée à Beth Zabdaï. Et Dieu le veut, car autrement, Il ne l’aurait pas laissé survivre jusqu’ici.

« On le veille trois jours. Après trois jours, il ouvre les yeux. Il me voit. La lumière des lampes n’est pas suffisante pour qu’il me reconnaisse.

« Quand il peut parler, il demande à Joseph : Combien de temps depuis que tu m’as descendu de la croix ? Trois jours. Il sourit, heureux : N’avais-je pas annoncé qu’il me suffirait de trois jours pour redresser le Temple en ruine ?

« Encore une nuit et il annonce qu’il veut partir. Je proteste : Tu n’as pas assez de force ! Il m’offre pour la première fois depuis longtemps un regard de tendresse : Que sait une mère de la force de son fils ? Nicodème lui dit : Tu n’es pas en sûreté dans ce pays. On te cherchera. Ne te montre plus au peuple. Ta parole te survivra. Tes disciples la sèmeront. Joseph d’Arimathie lui dit : Attends quelques jours, mes frères de Beth Zabdaï te conduiront à notre maison près de Damas. Tu y seras en sécurité.

« Il n’écoute pas. Il s’en va en annonçant : Je retourne d’où je viens. Ce chemin, je le ferai seul. Joseph d’Arimathie et moi, nous comprenons qu’il veut faire le chemin jusqu’en Galilée. On se récrie encore. Rien n’y fait. Yechoua s’en va.

« Quand on ne le voit plus, qu’il nous repousse d’un signe de main, nous retournons à la maison de Nicodème.

« Mariamne ma sœur de cœur voit ma détresse. Elle questionne. J’ai honte du secret qui m’a fermé la bouche. Je lui avoue : Yechoua est vivant. Joseph d’Arimathie l’a sauvé de la croix. J’ai fait ce que j’ai dit. La grotte n’était pas son tombeau. Mariamne crie : Maintenant, où est-il ? Sur la route de Galilée. Sur la route de Damas. Elle court pour le rattraper. Je sais qu’elle, il ne l’a pas repoussée.

« Barabbas nous rejoint à la maison de Nicodème. Il nous apprend les rumeurs de la ville. Une femme a découvert la grotte ouverte, la pierre de l’entrée roulée. La foule vient voir. On crie au miracle. On clame : Yechoua était bien celui qu’il disait. Les prêtres du sanhédrin vont sur le parvis du Temple. Ils disent : Les démons ont roulé la pierre qui fermait le tombeau du Nazaréen. Ils ont emporté son corps pour nourrir les enfers !

« Il y a des bagarres. Barabbas prédit : Ils ne se battront pas longtemps. Pilatus a fait savoir que les disciples de Yechoua iront sur la croix. Demain, ils seront doux comme des agneaux.

« Claudia la Romaine approuve : Jamais je n’ai vu mon époux avoir si peur. Si je vais près de lui aujourd’hui, il ne me reconnaîtra pas et me jettera dans ses geôles.

« Barabbas a eu raison. Trois mois se sont écoulés, déjà les disciples qui entouraient mon fils au premier jour se sont débandés. Il n’est que Jean qui demeure près de moi. Les autres pèchent dans le lac de Génézareth. Pour apaiser leur conscience, certains disent que je suis folle.

« Dans Jérusalem, le sanhédrin enseigne que Yechoua n’est jamais né comme il est né. On dit : Sa mère Miryem de Nazareth est une folle qui a couché avec les démons. Elle n’a pas voulu qu’on le sache. Elle a inventé et masqué la naissance de son fils.

« Vous, mes sœurs qui suivez à présent l’enseignement de Mariamne, vous dites : Si Miryem n’avait pas fait ce qu’elle a fait, Yechoua serait grand aujourd’hui. On ne l’oublierait pas. Vous dites : Miryem sa mère a refusé la mort de son fils, mais le Tout-Puissant voulait sa mort pour en faire la colère de la révolte. Désormais, rien n’adviendra plus.

« Moi, je réponds : Vous vous trompez. Le Tout-Puissant ne se préoccupe pas de notre révolte mais de notre foi. La révolte, elle, est entre nos mains aussi longtemps que nous soutenons la vie contre la mort et la lumière contre les ténèbres. J’ai voulu que mon fils Yechoua demeure vivant tant que rien n’est accompli de ce qui l’a fait naître. Rome est toujours dans Jérusalem, l’injustice règne sur Israël, les puissants massacrent les faibles, les hommes méprisent les femmes…

« Vous dites : Yechoua est vivant aujourd’hui. Mais nul ne se soucie de l’entendre, sinon les trois disciples qui lui restent. Vous dites : Sur la croix, il faisait honte et la vengeance pouvait naître de sa souffrance.

« Je réponds : La vengeance ne vaut pas plus que la mort. Laissez-la à l’Éternel Tout-Puissant, Maître de l’univers. C’est une parole de Yechoua. Qu’on fasse mon procès, car j’ai commis la faute de l’impatience à Cana. Dieu est courroucé. Je n’ai pas laissé mon fils mourir. Dieu est courroucé. Mais comment le Tout-Puissant, Dieu de miséricorde, peut-Il être courroucé de voir Yechoua en vie ? Comment pourrait-Il choisir la souffrance et la malédiction au lieu de la joie et la bénédiction ? Comment peut-Il vouloir que demain ne soit qu’une ombre où règnent l’humiliation et la haine des uns pour les autres ? Que l’Eternel Seigneur pardonne la fierté d’une mère. Celle qui a donné naissance à Yechoua, celle qui l’a révélé au monde et l’a gardé en vie. Pour toujours. Amen.

« Voilà la parole de Miryem de Nazareth, fille de Joachim et Hannah, Marie selon le nom de Rome. »


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