La maison dont il est question est tout ce qu’il y a de plus sobre en fait de cambuse.
Imaginez quatre murs avec un toit pardessus et une cheminée, pour faire plus gai.
Le tout en pisé non crépi.
Les orties croissent et se multiplient autour de la bicoque, ce qui dénote de la part de ses habitants une absence totale d’esthétisme.
La propriété est entourée d’une barrière en fils barbelés. Dans la région, ils paraissent avoir une prédilection pour ce genre de clôture.
Un portail de bois fermant grâce à un cercle de fer passé sur les deux montants se dresse devant moi. Je soulève le cercle et le portail s’ouvre sans autre forme de procès.
Apparemment, il n’y a ici rien de mystérieux. Et pourtant, j’éprouve une bizarre sensation…
Vous commencez à être habitués à mes fameuses sensations, hein, les mecs ? Vous n’ignorez pas que j’ai une antenne à part qui m’avertit lorsque quelque chose ne tourne pas très rond.
C’est malgré moi : mon pifomètre se met à faire du morse lorsque quelque chose cafouille quelque part. C’est sans doute à cause de ce petit don que j’ai embrassé, en même temps que pas mal de souris, la noble carrière de flicard.
J’emprunte l’étroit sentier qui va à la maison. Tout est silencieux.
La porte est fermée et les fenêtres aussi.
Je contourne la crèche. Derrière, il y a un jardin potager où les ronces et les orties s’en donnent à cœur joie. Au milieu de ce jardin se dresse la silhouette grotesque d’un épouvantail. Ses manches bourrées de paille s’agitent doucement dans la brise.
Je reviens à la porte et je, frappe. C’est vraiment une mesure pour rien, car cette boîte sent le vide.
Je tourne le loquet et il obéit comme une enfant de Marie au curé de son village.
Je me trouve dans une grande pièce qui doit être une cuisine. Elle est meublée en vrai rustique. Il est évident que cette construction a été louée toute meublée. Il est re-évident que ceux qui en ont pris possession se foutaient du confort comme de leur première sucette au caramel. Ils avaient besoin d’un petit truc isolé pour mijoter quelque chose de louche. Et en fait de bled isolé, faites un peu confiance, celui-là l’est !
Si un jour vous voulez embarquer Greta Garbo, la Divine, vous n’aurez qu’à l’amener ici. Elle n’aura pas besoin de se mettre du verre fumé sur le museau pour se faire repérer par les photographes.
Ici, c’est le grand motus. Comme qui dirait le no man’s land entre la vie et la mort. C’est à peu près propre à l’intérieur.
Je passe dans une autre pièce ; c’est une chambre. Une chambre de bled dans le genre de celle où j’ai pieuté. Le lit est haut comme l’obélisque de la Concorde. J’avise une garde-robe. Dedans, il n’y a que des cintres… Dans les deux autres chambres, c’est du pareil, avec la différence cependant que les lits ne sont pas faits. Les matelas sont roulés sur les sommiers et simplement recouverts d’un drap.
Je reviens à la cuisine. Au-dessus de l’évier il y a une étagère. Je regarde ce qu’elle supporte ; je découvre un tube de pâte dentifrice presque épuisé, un crayon à sourcils et un flacon vide de « Sous le vent » de Guerlain, format sac. Ces futilités me prouvent qu’une bonne femme créchait icigo et que cette gnère n’était pas une mère Michu !
Dans le bahut, je trouve des boîtes de conserve et de lait. Du nescafé. Bref, de ces choses qu’on emporte en pique-nique, ou bien qu’utilisent les gens ne voulant pas se mettre en cuisine.
La fille en bleu et son métèque venaient ici soit pour s’y cacher soit pour y préparer un sale coup, et moi je penche pour la seconde version en me remémorant l’histoire du toutou-explosif.
Ne trouvant rien d’intéressant, je décide de me propulser à l’extérieur. Le soleil est toujours là, à m’attendre, bien rond, bien chaud, bien provincial… Drôle d’enquête décidément.
Au fait, est-ce bien une enquête ? Je fouinasse comme ça, au petit bonheur, en suivant le vent de mes idées idiotes… Un vieux du métier hausserait les épaules… Et y aurait de quoi, moi je vous l’affirme depuis le premier étage de la Tour Eiffel !
Je me barre donc, et, en ralliant le portail, je me pose une question. Je me la pose à cause des orties qui envahissent la cour. Je me demande où les locataires de la masure carraient leur guindé. En effet, je ne vois pas traces d’une voiture au milieu de cette forêt vierge miniature. De plus, le sentier venant du chemin à la maison est beaucoup trop étroit pour permettre le passage d’une assez forte bagnole. Alors ?
Je retourne au point d’intersection. Je musarde un peu plus loin et je découvre que le chemin, passé le hameau, décrit un coude brusque et passe à proximité du jardin situé derrière la bicoque.
Des traces de pneus dans l’herbe me font comprendre que c’est derrière ce jardin que les zigs remisent leur carrosse. Je bigle dans l’herbe râpée, machinalement… Mais je ne découvre que des traces d’huile.
Bon, eh bien, m’est avis que je peux m’attraper par la pogne et m’emmener promener.
Je fais trois pas et je m’arrête. Mais tonnerre de foutre, qu’est-ce qui se passe donc ?
Je suis là, inquiet comme une bête qui flaire les prémices d’un séisme. Il va y avoir un tremblement de terre ou quoi ? Pourquoi suis-je incapable de m’en aller ? Qu’est-ce qui m’attache un fil à la patte ?
Lorsque mon individu se comporte ainsi, on peut parier une défense d’éléphant adulte contre une défense d’afficher qu’il y a du louche à tous les rayons. Du louche que mon petit cerveau de contribuable ne réalise pas, mais que mon tarin de flic décèle.
Je murmure :
« Mon tarin de flic. »
Et alors ça déclenche tout un pastaga sous mon chapiteau.
Je comprends que, ce qui me lie à cette maison, c’est précisément mon nez.
C’est mon brave pifomètre qui renifle l’air du milieu et qui émet le S.O.S.
Cet air, si j’analyse ma sensation, est chargé d’une odeur douceâtre et écœurante, fade et salement voluptueuse…
Une odeur que je connais trop bien pour l’avoir respirée mille fois déjà… Une odeur de cadavre.
Cette découverte une fois admise, il me reste à trouver d’où vient l’horrible senteur.
Je bigle vachement autour de ma pomme, en regardant par terre. Mais je ne vois rien… Au fond, il s’agit peut-être tout simplement d’un rat crevé quelque part dans le coin.
Pourtant non, maintenant, je sais que c’est d’un cadavre humain qu’il est question.
Je relève la tête, perplexe. Je la relève juste pour entraver le pot aux roses.
Mes yeux se posent sur l’épouvantail du jardin abandonné. Ils ne sont pas les seuls à se poser sur lui… Une nuée de mouches bleues en font autant.
Je m’approche. Oui, c’est d’un homme, d’un homme mort qu’il s’agit. Il est lié à un pieu planté dans le jardin, lequel devait servir primitivement de support à une barrière. Le macchabée est en bras de chemise, mais on a boutonné par-dessus un imperméable qui a été souillé de terre et mis en lambeaux intentionnellement. On a bourré les manches de l’imperméable avec de la paille. On a enfoncé sur la tête du mort un chapeau de feutre préalablement cabossé après avoir noué sur le visage un linge pour faire croire qu’il s’agit d’un sac de chiffons.
J’arrache le chiffon. Le mort me sourit, d’un hideux sourire. On ne lui a même pas fermé les châsses. Il pose sur moi un regard dur et fixe, et il me sourit cruellement.
C’est un métèque.
Ou du moins, c’était un métèque. Car la mort unifie tous les hommes, quelle que soit leur race…
Jolie pensée, n’est-ce pas ? Simplement afin de vous montrer que Pascal, La Rochefoucauld, Montesquieu et consorts n’étaient que des petits plaisantins à côté de moi.
Ce mort est le compagnon de la fille en bleu. Elle lui a envoyé la fumée, au zig ! Juste au moment de monter dans la tire qu’il remisait ici. Et puis, à cet endroit, elle ne craignait pas d’être aperçue par un nabus en rodage. Seulement, elle était marron avec la dépouille, because le type est un balaize et qu’elle ne pouvait pas s’en faire un paquet pour l’emmener promener. Fallait le laisser sur place. Elle n’avait pas le temps de l’enterrer. D’autre part, en l’abandonnant dans l’herbe, un paysan passant par-là l’aurait aperçu… Alors, elle a eu l’idée de le transformer en épouvantail. Elle le laissait sur place ; au contraire, elle le mettait bien en vue pour mieux le soustraire aux regards. Ça, croyez-en ma bonne vieille expérience, c’est de quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux et qui a autre chose que de la limonade dans la moelle épinière. Elle commence à foutrement m’intéresser, cette greluche…
Je recoiffe le zèbre de son bada. Et je l’abandonne aux mouches. Il y a à parier un, tombereau de betteraves contre le râtelier de l’Aga Kan qu’elle ne reviendra plus.
Bon, moi j’ai de plus en plus de pain sur la planche. Cette fois, ça devient plus que sérieux…
Je retourne à ma jeep. Y a des mouflets arrêtés autour et qui zyeutent comme s’il s’agissait d’une soucoupe volante.
Je vais pour leur dire de se faire la malouze, mais je me dis — avec juste raison — qu’à la cambrouse, les péquenots ne l’ouvrent jamais et que, si j’ai quelqu’un à interroger, j’ai beaucoup plus de chance avec des mômes qu’avec des adultes.
C’est because je sors un bifton de cinq cents de mon larfeuille et je le montre à la progéniture de l’endroit comme si c’était le Très Saint Sacrement.
Les petits têtards, on a dû les élever dans le culte du grisbi parce que faut voir comme ils lorgnent mon Victor Hugo.
— Écoutez, les petits potes, je fais. Je viens pour retrouver des amis à moi, et ils ne sont pas là ! Lequel d’entre vous les a vus partir ? Qui peut me renseigner ? Ce billet de cinq cents francs est à lui.
Un môme me regarde.
— La dame est partie d’hier, dit-il.
— Ah !.. Et le monsieur ?
— On l’a pas vu…
— Y a longtemps qu’ils habitent ici ?
— Trois semaines.
— À qui appartient la maison ?
— À M. Rivellin.
— Qui est-ce ?
— L’adjoint…
— Il n’habite pas les Serves ?
— Non.
— Que font-ils, la dame et le monsieur, lorsqu’ils sont là ?
Le gosse est un petit lardon du genre terreux vicelard. Il a une figure triangulaire ; des yeux fuyants, des cheveux roux.
Il hésite.
— Ils se promènent, dit-il…
— Avec leur chien ? je questionne.
Là, le lardon marque le pas.
— Non, fait-il, ils n’ont plus de chien depuis quelque temps.
— Ah ! ils s’en sont séparés ?
— Oui… Ils l’ont fait tuer, à ce qu’ils ont dit. Paraît que Fifi courait après les autos…
J’apprends enfin le nom du cador mort : Fifi.
— Sans blague, fais-je, ce sacré Fifi ! Comme ça, il courait derrière toutes les voitures ?
— Non, fait le gosse. Pas derrière toutes ! Je l’ai vu… Il en avait aux camions…
— Aux camions ! Hé bé…
— Oui, toutes les fois que le boulanger passait livrer il se précipitait contre son auto. Fallait que le boulanger s’arrête pour pas l’écraser…
— Non ?
— Si !
— Et il ne courait pas après les autres voitures ?
Le gosse réfléchit.
Je me félicite de l’interroger. Je comprends que dans le bled, personne n’aurait pu mieux que lui me renseigner, du moins avec cette franchise naturelle.
— Non, se décide-t-il, il n’en avait qu’aux camions. Lorsque le docteur venait ici, ou bien le vétérinaire, il ne bronchait pas…
— Ah…
Je roule mon billet et je le lui tends. Il s’en saisit comme un gars sur le point de se noyer, s’agrippe à une bouée.
Je retourne chez mon épicière.
Elle m’accueille avec un sourire qui donnerait à réfléchir à Cécil B. de Mille.
— Vous avez trouvé ? demande-t-elle.
— Couci-couça, je réponds. Mais j’aimerais avoir un petit entretien avec un certain M. Rivellin.
J’ajoute :
— Il habite ici, n’est-ce pas ?
Pour toute réponse elle demande :
— Lequel ?
Moi, j’en suis comme quatre ronds de flan.
— Comment, lequel ?
Elle fait un rapide calcul sur ses doigts.
— Ils sont douze, dit-elle.
— Je veux parler de celui qui est propriétaire de la maison de… mes amis !
— Alors, dit-elle, c’est Rivellin Jules, voyez derrière le monument aux morts.
Le monument aux morts ! Il me paraît bigrement de circonstance !