CHAPITRE VIII

Je vais vous faire une confidence : plus une souris est locdue, plus elle se comporte bien au dodo. Les gerces mal bousculées ont à cœur de remercier convenablement les mecs qui les honorent de leur attention.

Je commence par emmener miss Bancale dans un petit restaurant à quelques encâblures de Saint-Alban. On se tape un fromage de tête, une omelette aux morilles et un rôti de veau qui ferait une superbe carrière comme semelle de crêpe chez André, le chausseur sachant l’anglais.

Après quoi, on se met à badiner avec l’amour.

La nuit est bourrée d’étoiles et de grillons qui font un ramdam à tout casser (pas les étoiles les grillons !).

J’arrête mon bolide dans un chemin creux et je masse le plexus de la pététeuse qui n’a pas l’air de trouver ça désagréable, bien au contraire…

Comment qu’elle se cambre, la fifille ! Une anguille, à côté d’elle, ressemblerait à un paralytique !

Lorsque j’ai chauffé la chaudière, je me dis que le moment est venu de l’étreindre. Une chaudière trop chauffée finissant toujours par éclater la chose est connue !

J’en touche deux mots à la pépée.

Elle ne me fait pas les objections des bonnes femmes, en pareil cas, à savoir : « Ce ne serait pas raisonnable » ou bien « à quoi ça nous mènerait ? »…

Non, elle est bien trop heureuse pour mettre des bâtons dans le bidet ! La seule chose qui la tracasse c’est ce sacré « qu’en dira-t-on ? ».

— Écoutez, fait-elle, venez chez moi, j’habite juste au-dessus de la poste. Seulement ne vous faites pas voir. Et surtout ne laissez pas votre voiture devant la maison. Je vais rentrer, j’éteindrai et vous me rejoindrez une demi-heure plus tard, d’accord ?

— D’accord, cher trésor.

Je la reconduis à la fontaine et elle s’en va toute contente en claudiquant comme cent quatre-vingt-douze canards.

Je fume une sèche en relouchant les étoiles. Au bout d’un moment, je vais planquer ma guindé sous les platanes de la place et en rasant les murs.

La porte de derrière est ouverte, je m’y insinue comme un lézard. En fait de lézard, j’en tiens un bath à la disposition de la postière.

Elle m’attend en haut de l’escalier. Elle s’est mise en combinaison bleue. Ça me file un court circuit dans la moelle épinière.

J’entre dans sa turne et je repousse la lourde.

Qu’est-ce que vous pensez de ma façon de résoudre la crise du logement ?…

Comme séance c’est du premier choix. Un touriste américain lâcherait une fortune pour bigler ça aux Folies !

La petite postière est moite, chaude, fondante… Son corps sue l’amour et c’est un truc qui fait de l’effet aux mâles dignes de ce nom.

Pour la remercier de son hospitalité, je lui fais mon échantillonnage numéro 4. Celui qui comporte le coup du serrurier, la fleur tropicale et le triporteur hindou. Elle n’en revient pas. Jamais on ne lui a appris des trucs semblables, même dans les manuels scolaires.

Il est deux heures du matin lorsqu’on sonne le cessez-le-feu. Elle a les flûtes en flanelle, ce qui n’améliore pas son infirmité.

On s’endort comme deux brutes et on ne se réveille que lorsque son glandulard de réveil se met à jouer à la gare.

Elle saute du pieu et commence sa toilette.

— Il faut que tu partes, murmure-t-elle. À huit heures, la femme de ménage vient balayer !..

— O.K. !

Je me nippe itou. Et je suis prêt bien avant elle. Pour passer le temps, je regarde des photos qui sont encastrées dans le cadre de la glace plantée au-dessus de la cheminée.

Ces images représentent la môme P.T.T. à différentes époques de sa vie. On la voit à vélo, avec des copines ; endimanchée, devant la Tour Eiffel ; étendue sur une plage ; debout devant son bureau de poste entre deux facteurs…

Cette dernière photo sollicite davantage mon attention que les autres. Je vais vous dire pourquoi. Un peu plus loin que le bureau de poste, dans l’angle gauche du portrait, on distingue l’arrière d’une voiture. Et cette voiture c’est une DS noire, et à la vitre arrière de la bagnole on découvre le museau d’un chien blanc…

Peut-être que je fais de l’hallucination, et peut-être aussi que le hasard Sonne à ma porte une fois de plus.

J’appelle miss Claudique à la rescousse.

— Dis-moi, cocotte, qu’est-ce que c’est que cette photo ?

— Tu ne le vois pas, mon gros loup ? C’est ta petite femme avec ses idiots de facteurs…

Je m’en rends compte, ma beauté, mais cette voiture arrêtée là…

— Hélas, ça n’est pas la mienne, minaude-t-elle.

— À qui appartient-elle ?

— Je n’en sais rien, mon lapin… Je ne la connais pas, cette voiture-là…

— De quand date cette photo ?

— De trois semaines environ… C’est Clément, le facteur, qui l’a prise. Clément, c’est celui de droite, avec la moustache, il a un appareil qui se déclenche automatiquement…

Je me titille la matière grise…

— Écoute, magnificence de ma vie obscure, chaleur de mes nuits froides, ombrelle de mes étés, glycérines de mes crevasses, tu vas faire un gros effort de mémoire et me dire si, le jour où cette photo a été tirée, les gens qui m’intéressent, les Vinay, sont passés au bureau de poste ?

Elle est debout au milieu de la carrée, à poil, une serviette-éponge à la main, les nichons accusateurs, le front plissé comme du carton d’emballage.

— Si ! s’écrie-t-elle soudain ! Je me. rappelle ! Ils sont venus sur le soir ; un peu avant la fermeture… Lorsque je suis sortie pour me faire tirer le portrait, je les ai vus qui sortaient de la boulangerie…

Une DS avec un chien blanc !

— Chérie, sois l’amour que tu as toujours été, je fais, et offre-moi cette photo en souvenir de la nuit enchantée que je te dois.

« Ça fait vraiment plaisir à mon petit homme ? minaude-t-elle.

Elle commence à me battre les joyeuses, cette souris. Jusqu’ici, elle a été à la hauteur, mais suffit qu’elle se soit envoyée en l’air comme une reine avec le copain du roi, la voilà qui se croit obligée à jouer à la putain contente.

— Ça me fera plaisir, affirmé-je en m’emparant de la photo. Et puis ça m’évitera de redevenir professionnel en la réquisitionnant, j’ajoute.

— Oh ! ma guenille bleue qui fait le brutal, gazouille-t-elle avec des grâces de vache normande en délire.

Je voudrais lui dire que sa guenille bleue va lui mettre un parpaing dans le pif, si elle continue à le prendre pour un vieux sénateur en vadrouille au claque ; mais vous le savez, j’ai de l’éducation et, de plus, la reconnaissance du bas-ventre.

Je lui file sur les fesses la claque de l’amitié et je me trisse.

— Je passerai dans la matinée voir si mon télégramme est arrivé, je dis…

Je cavale au bistrot pour boire un jus et des trucs costauds par-dessus. Ensuite, je me dirige tout droit chez le pharmacien.

C’est un vieux père La Purge avec une calotte noire.

— Vous désirez ? me demande-t-il…

— Un comprimé d’aspirine…

— Un seul ?

— Oui… Et puis prêtez-moi une loupe, vous serez un amour.

Jamais je n’ai vu un mec aussi siphonné que celui-ci. Il en bave des disques de phono.

Mais je dois avoir l’air d’un homme décidé, car il finit par se tirer de son état léthargique et me donne une loupe. J’examine alors la photographie, histoire de pouvoir lire le numéro minéralogique de la voiture. Je finis par le déchiffrer, c’est 446 CF 69. Donc la DS est bien immatriculée dans le Rhône. C’est déjà un indice favorable, ça…

Je remercie le vieux, je lui paie son cachet d’aspirine et je le glisse dans la fente de la bascule automatique, car je n’ai jamais pu avaler un comprimé d’aspirine sans choper une migraine de génisse.

Pépère, je retourne au bureau de poste. En client cette fois, afin d’utiliser les guichets, non la guichetière.

Miss Claudique est là. Bien sage, derrière son grillage comme si elle était à l’école. Claudique à l’école ! dirait Colette.

— Votre télégramme est là ! dit-elle, pleine de réserve.

Elle me le tend.

Le chef, c’est le Père laconique.

« Rien à signaler dans la Huit du 8 », dit-il. Un point final, c’est tout !

Je froisse le rectangle de papier bleu.

— Sonnez-moi Grenoble, je dis, la P.J.

Mes potes de la judiciaire se sont occupés du cadavre des Serves dans le courant de la nuit. Ils ne savent rien au sujet du défunt. À toutes fins utiles, ils ont diffusé sa photo dans toutes les bonnes maisons, afin d’obtenir du nouveau…

M’est avis que c’est complet pour le moment dans le patelin.

Si je veux pas attraper des champignons sous la plante des nougats, faut que je les mette pour de bon.

— Ma petite fille, je susurre à la postière, je suis obligé de vous dire au revoir… J’espère qu’on se reverra bientôt…

En entendant ce langage fatal, elle devient humide comme la Toussaint.

— Séchez vos larmes, belle auxiliaire des Postes, Télégraphes, Téléphones, je reviendrai ! lui fais-je …

Une ultime pression de main et me voilà en route pour Lyon !


Le chef de bureau qui me reçoit à la préfecture du Rhône ressemble à un portrait illustrant les méfaits de l’alcool sur le foie. Il est jaune comme un canari, il porte des binocles, une chevelure en touffe d’herbe et il a le regard pensif des gens qui ont ou trop ou pas assez mangé.

Je lui pose la question qui m’intéresse. Il se recueille, remonte ses manches de lustrine et s’ensevelit dans un registre qu’à première vue j’avais pris pour la toiture d’une maison préfabriquée.

Le 446 CF 69 est un véhicule automobile appartenant à M. André Compère, 12, rue Philippe-Gonard, Lyon-Croix Rousse.

Je prends note et je le salue bougrement.

M. André Compère me reçoit dans un bureau feutré. Une grande baie vitrée domine la vallée de la Saône. Il fait doux et clair chez lui. Je me suis rancardé dans le voisinage. C’est, paraît-il, un homme d’affaires. Il fait de l’Export-Import, son bisness c’est surtout la soie, comme tous les Lyonnais qui font du commerce international.

Il est grand, bien balancé, brun, quinquagénaire, souriant, avec l’œil cochon et des fringues qu’il n’a pas achetées dans un surplus amerloque.

— De quoi s’agit-il, Monsieur le commissaire ? demande-t-il après que je lui ai montré ma carte.

— Vous avez une voiture, n’est-ce pas ?

— Ah ! fait-il, c’est à ce sujet, vous avez des nouvelles de ma DS ?

Je ne sais pas de quelle façon vous réagiriez si vous étiez à ma place, mais moi qui suis à la mienne, j’en reste comme deux ronds de flan. Que dis-je ! Comme trois, comme quatre ronds de flan.

— Parlez-moi d’elle, fais-je au bout d’un silence…

— De qui ? demande-t-il…

— De votre voiture !

— Numéro 446 CF 69. Noire, housses écossaises…

Il hausse les épaules.

— Alors, tranche-t-il, on l’a retrouvée ?

Je me fais l’effet du gars qui débarque d’une épave flottant sur l’océan depuis le déluge.

— Parce que vous l’aviez perdue ?

C’est au tour de Compère d’ouvrir des châsses grand format.

— Enfin, expliquez-vous, commissaire, fait-il, soudain irrité. Je supposais que vous étiez ici pour m’annoncer qu’on avait retrouvé ma voiture dont j’avais signalé le vol il y a quelque temps au commissariat de mon quartier.

— Non, fais-je, on ne vous l’a pas retrouvée… J’ignorais du reste qu’elle vous eût été fauchée…

— Mais puisque…

— Je sais : vous avez fait une déclaration de vol, seulement nos services ne s’occupent pas que de vols d’autos. Il existe des choses plus graves… Je crois bien, monsieur Compère, que cette malheureuse voiture a participé à certaines opérations peu recommandables !

— Que me dites-vous là !

Il paraît tout excité, tout frémissant. Les bons Français moyens sont tous cornac ; sitôt que l’aventure montre le bout du pif par la porte de service de leur vie, ils ne se sentent plus et sont prêts à convoquer les actualités Éclair-Journal pour un travelling avant sur leur physionomie.

Du moment qu’il n’est pas dans le coup, Compère, ça n’est pas la peine de lui résumer mon effarante histoire, non ?

— Dans quelles circonstances vous a-t-on volé votre voiture ? je questionne.

Il hausse les épaules.

— Comme toujours, dit-il… Elle était en stationnement, j’avais oublié de la fermer… Lorsque je suis sorti, elle n’était plus là !

— Vous ne connaissez pas une femme ayant une prédilection pour le bleu et portant une bague ornée d’une énorme pierre bleue ?

Il secoue la tête.

— Du tout !

— Elle se balade en compagnie d’un Arabe.

— Enfin, commissaire, puisque je vous dis ne pas la connaître.

— Le métèque est mort, poursuis-je….

Compère dit :

— Qu’est-ce que cette histoire à laquelle je ne comprends rien ?

— Une vilaine histoire… Vous lirez tous les détails dans les journaux, un de ces quatre matins…

Je me lève et prends congé sans plus de cérémonie…

Le sol s’effondre sous mes pieds au fur et à mesure que je me déplace.

Dès que je lève un morceau de piste, elle va droit à un gouffre.

En sonnant chez Compère, je me sentais champion, je pensais tenir le bon bout et voici que tout est remis en question.

La voiture dont j’avais retrouvé l’origine était une simple voiture volée…

Comme j’arrive au bas de l’escalier, un facteur des recommandés s’annonce. Il demande à la concierge :

— Y a quelqu’un chez Compère ?

— Oui…

Je regarde le facteur… Il me fait songer, par enchaînement de pensées, à ma petite boiteuse de Saint-Alban. Et ce qu’il vient de dire me fait songer à autre chose aussi.

Vous savez qu’il y a un drôle de turbin sous mon dôme, à certains moments ?

Je musarde un bon moment au volant de ma jeep ; ou plus exactement de la jeep à Duboin. Je choisis les voies paisibles.

Je laisse travailler ma centrale survoltée.

Ensuite je m’arrête devant un bureau de poste.

Il est dit que j’aurai fait marner les P.T.T. ces temps-ci…

Je vais au guichet du téléphone et je demande à la préposée de me refiler sa collègue de Saint-Alban.

C’est du rapidos.

— Allô ? que fait ma môme Claudique.

— On ne reconnaît pas sa guenille bleue ? je ricane. On a un courant d’air à la place de la cervelle, alors ?

Elle pousse une exclamation de ravissement, puis une autre de contrariété, car, dans son mouvement d’enthousiasme, elle a fait choir son encrier sur le cahier des valeurs déclarées.

— C’est toi, mon bijou, gazouille-t-elle.

Doit y avoir personne dans son estanco, probable, pour qu’elle se laisse aller aux mignardises.

— Écoute, ravissement de ma trajectoire humaine, je murmure, je vais te susurrer un nom, un nom rigolo, tu me diras s’il ne te rappelle rien : Compère !

Elle répète, sur le mode pensif :

— Compère…

Puis c’est l’exclamation que j’espérais sans pourtant oser y croire.

— Bien sûr, dit-elle, c’était la signature du fameux télégramme…

Une gisquette comme celle-là, croyez-moi, ça vaut son pesant de bons du Trésor… Encore que chez nous on doive plutôt appeler ça les bonds du trésor…

Je lui dis qu’à notre prochaine (et entre nous soit dit, problématique) rencontre, je lui ferai connaître mon dispositif amoureux numéro 1, celui qui comprend : l’amour à la cul-de-jatte ; le soleil de minuit, la tablette de chocolat et papa-maman chez les Turcs !

De quoi la faire rêver jusqu’à ce qu’il pousse des capucines après le grillage de son guichet !

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