CHAPITRE XI

Changer de chapitre est une grosse responsabilité que prend un auteur, car une telle initiative rompt le rythme du livre en créant un comma (avec deux « m ») susceptible de le faire débander. Mais il arrive que chez les grands romanciers, il constitue une relance de l’intérêt à un moment où, précisément celui-ci ne faiblissait pas. Il y a donc manœuvre technique. Je te prends l’exemple en cours.

J’étais sur une bonne rampe de lancement, te parlant de ces visites nocturnes chez moi dont l’importance ne t’échappe pas et t’annonçant même que la troisième me plongeait dans l’effarement. Je n’avais plus qu’à te dire qui est descendu de ce taxi. Mais moi, oh ! pardon, monseigneur l’écrivain : fume ! Je te retarde l’instant de façon démoniaque, comme la pipeuse surdouée s’interrompt de te lubrifier le sémaphore une fraction de seconde avant que tu ne lâches les amarres.

Ce diabolisme (ça n’était pas français avant aujourd’hui) stimule mon lecteur en retardant la révélation, partant l’assouvissement du désir qu’il a de savoir qui est sorti de cette bagnole. Mais c’est une arme à double (voire à triple) tranchant, car si le nom que je vais balancer te déçoit, si je dis par exemple qu’il s’agit de ma crémière ou de Canuet, tu es horriblement déçu et tu te sens enviandé ; dès lors, l’habileté du procédé se retourne contre le pauvre auteur à la con qui passe pour une pomme.

Notre profession est follement dangereuse, mon petit vieux. Les gens s’imaginent qu’on se fatigue pas, qu’on est chauffé, les pieds dans des pantoufles et qu’on n’a qu’à laisser pisser notre machine à écrire. Fi ! Des niais ! Ceux-là n’ont rien compris à notre pathétique profession et je leur interdis de lire les books de mes collègues pour qu’ils puissent pleinement se consacrer à l’étude de mes procédés.

Mais, basta. Je sais que je t’emmerde déjà, ô mon taciturne lecteur. Pour toi, le coup de pétard prime tout. A la rigueur, tu veux bien que je calce les héroïnes à condition de te fournir tous les détails ; ton inculture est un bastion d’où je ne te délogerai jamais, mille hélas ! Tu mourras la tête vide et les porteurs ne s’en apercevront même pas.

Amen.

Amène-toi, que je poursuive.

Retrouvons le fil de ce récit plein d’épastouillantes péripéties, que merde, je me demande où je vais chercher tout ça, comme ils me disent, ces nœuds volants.

Le taxi stoppe. Une Renault… 30. Modèle déjà ancien, mais robuste. Le film ne serait pus en noir et blanc, je te la décrirais bleu-ciel-couleur-épinard, comme disait mon Francisque. Je sais plus où il est, maintenant, après ce grand cri d’adieu qu’il a poussé. Près de moi jusqu’au bout, ou perdu à jamais dans la grande boîte qui porte son nom ? C’est impressionnant, ce doute immense. Par instants, je ferme les yeux et je le cherche dans ma mémoire où il s’estompe un peu. Mais je me rappelle sa forte poignée de main qui restera imprimée dans la mienne, comme le pas d’un cheval dans une dalle romaine. Je te demande pardon, bipède lecteur. C’est un coup de flou sur ma tartine. Le café, il suffit de le boire pour que sa fumée disparaisse. Je bois. Sois tranquille : je bois. Voilà, c’est fait. Pardon.

Et ce taxi s’étant arrêté devant notre grille, un moment s’étant écoulé, comme meuble d’indécision, une portière s’ouvre et maman en descend.

Voilà, c’est dit, sans ambages ni jambages. Maman, ma vieille, ma Félicie, vêtue de son manteau le plus neuf : le gris avec un col d’astrakan et les manches bordées idem d’agneau karakul né avant terme. Ma chérie, ma régnante. Toute menue, pâlotte semblerait-il, si j’en crois le coup de zoom de l’opérateur.

Elle ouvre la grille ; sort du champ, comme les autres. La pendule modulant le déroulement de l’action annonce une heure quarante.

Ecran blanc.

Réapparition de ma vieille. Félicie marche vite. La pendule marque une heure quarante et une.

Eh quoi ! Félicie bat le record de brièveté en n’étant demeurée qu’une minute at home. Comment se fait-il qu’arrivant chez elle, en pleine nuit, elle n’y soit pas restée ? Qu’est-elle venue y faire, Seigneur ? Elle n’a pas eu le temps de monter aux chambres. Alors ?

Mon caberlot s’affole. Je veux piger, il faut que je déchiffre cette nouvelle énigme. Bon, m’man, contrairement à ce qu’on m’a indiqué à l’aéroport, n’est pas allée en Russie. Ou alors elle aurait fait l’aller-retour sans descendre de l’avion ? Invraisemblable ! Elle n’était pas seule dans le taxi. Qui l’escortait ? Toinet ? Oui, probablement. Pourquoi s’est-elle fait conduire à notre pavillon si ce n’était que pour y passer une minute ? Il était prévu qu’elle ne s’y arrête (ou ne s’y arrêtât, pour quelques amis à moi) pas puisque le bahut l’attendait. Elle n’a pas eu le temps d’y prendre des effets ni quoi que ce soit. Probablement, n’est-elle même pas entrée dans le pavillon. Alors ? Oh ! merde ! Je pige.

— Mifigue ! Reprends-moi ça, comme précédemment, en ralenti.

Avec quelle délectation je la revois, m’man… Son manteau, les boutons noirs. Elle pousse la grille. A-t-elle son sac à main ? Non.

Pourtant, elle a l’air de tenir quelque chose à la main gauche, laquelle se trouve à l’opposé de l’objectif. Le ralenti me permet d’apercevoir, très brièvement, le coin d’un objet rectangulaire.

Pigé. Il s’agit d’un message. Elle est venue apporter une lettre à mon intention. Et là, il va me falloir ouvrir une brève parenthèse pour que tu puisses saisir la suite à pleines mains. Lorsque m’man s’absente, elle me laisse chaque fois un petit mot pour me dire où elle va, car elle ne sait jamais, la pauvrette, quand je vais rentrer. C’est une habitude qu’elle a contractée et qui remonte au temps où j’allais à la communale et ne détenais pas encore les clés de la maison.

On a une planque à nous, Féloche et moi. Il s’agit d’une des briques de l’encadrement de la porte, située presque au ras du seuil. Celle-ci est amovible, démasquant une cavité lorsqu’on la retire. On continue de conserver pour notre usage mutuel cette étrange boîte aux lettres.

C’est une connivence romanesque à laquelle nous sommes attachés, au point que, quand j’ai fait retaper le pavillon, voici quelques années, j’ai voulu que « la brique » demeurât ainsi : chacun se cramponne comme il peut au passé. Quand l’un de nous place un message pour l’autre, il lui annonce la chose en glissant une branchette de n’importe quoi derrière le motif de fer forgé protégeant la vitre dépolie de la porte. C’est le signal. Automatiquement, l’arrivant fait pivoter la brique. Te fous pas de notre gueule, l’artiste. La vraie vie est faite de petits trucs comme ça. Ce sont eux qui la rendent plus plausible.

Et alors, bon, je te parie un jambon de Parme contre une violette du même endroit, que m’man est venue planquer une bafouille dans notre niche mystère. Elle a mis une branchette pour m’avertir, mais celui ou ceux qui sont venus assassiner Katerina ont fait tomber le rameau en ouvrant la porte. Oui, oui, oui…

J’exulte. J’ai hâte de foncer chez nous.

— Passe-moi le reste, maintenant, Mifigue !

Et la voix de Mifigue amplifiée par le haut-parleur de me rétorquer :

— Y a plus de « reste », commissaire : tout est là !

Tout se bloque en moi. C’est la grande stase.

« Mais alors, me dis-je, qui donc a décollé Katerina ? L’un des trois kidnappeurs ? L’homme qui ressemble à Humphrey Beau-gars ? Il ne saurait s’agir d’un suicide car je vois mal une jeune femme se sectionner le cigare pour, une fois que sa jolie frimousse a pris un air détaché, se planter dans un ultime effort le sabre dans le bide. Tu parles d’un casse-tronche !

— Bon, je te remercie, dis-je à Mifigue.

Il ne répond pas parce qu’il est en train de me rejoindre dans la cabine.

Il constate ma perplexité, mais comme c’est un garçon discret, il se garde bien de m’interroger.

— Pendant la projection, j’ai eu un appel de Mathias, il est à votre disposition, murmure-t-il.

D’un signe de tête, je lui montre que son message m’est entré dans la caberle. Putain d’elle, qui a décapité Katerina ? Si au moins j’avais le cadavre à disposition, je pourrais faire établir l’heure de sa mort. Mais tous ces gens se sont succédé à la maison dans un mouchoir.

— Bon, tu t’occupes de mes posters mignons, Mifigue ?

— Subito, commissaire. J’irais les déposer sur votre bureau. Plus besoin de moi pour l’instant ?

Au moment de quitter la petite pièce insonorisée, j’avise un porte-pébroques près de la porte. La tête d’un parapluie me fait cygne. Les gens oublient toujours leurs riflards. C’est leur étourderie qui rend viable le commerce des marchands de pépins.

Je retire l’orphelin de sa niche et, sous le regard passablement surpris de Mifigue, l’enquille dans mon bénoche. Je m’essaie à faire quelques pas, lesté de l’objet. Ensuite je m’assieds. C’est là que le bât me blesse.

Cette courte expérience terminée, je replonge le parapluie dans l’oubliette.

— Mifigue, rends-moi service : passe-toi et repasse-toi cette bande en te demandant si l’un des personnages pouvait avoir un pébroque caché dans son futal.

Il n’attend pas.

— Il y en a au moins un, commissaire : le type seul, vous avez vu sa démarche.

— Oui, mais il l’avait aussi au retour.

— Il ne devrait pas ?

L’idée d’un fourreau me retarabate l’esprit.

— J’en sais rien, mon biquet, de toute façon étudie les trois premiers.

Je sors. Je suis tellement préoccupé par le message de m’man que j’en oublie Mathias. C’est seulement quand je roule sur l’ouvrage d’art surplombant la Seine que je repense à lui. Tant pis : il n’a qu’à m’attendre.

* * *

En débouchant dans notre rue, je la sonde d’un regard aigu. A première zieutée, elle est d’une innocence touchante. Aucun des véhicules en stationnement ne me paraît suspect. Pourtant, je doute que mes copains popoffs aient abandonné toute planque. Mais, après tout, les dramatiques événements consignés dans les pages précédentes ont pu infléchir leur point de vue, et partant, de mire.

Je roule jusque devant chez nous. Il n’y a pas de place pour ma tire, mais casse la tienne, je l’abandonne en double file. Au petit trot dételé je fonce à notre perron. Un peu de mousse garnit les interstices. J’aime bien. Ma briqueuse de mère aurait tendance à la faire disparaître, mais moi je suis fasciné par les végétaux parasites et j’ai tendance à respecter leurs étranges caprices ; comme Félicie sait cela, elle laisse faire « ma » mousse.

Je retrouve mon cœur de petit garçon pour faire pivoter la brique. Justement, une branche de lilas gît sur les marches. Alors j’ai vu juste.

Ma main se coule dans la cavité. Il y a bel et bien une enveloppe. Le papier en est très mince et craquette sous mes doigts. Papelards pour correspondance par avion. Il est à en-tête de la Lufthansa et ne comporte aucun nom de destinataire. A quoi bon, puisque cette lettre était destinée à notre cachette.

Il est drôlement fébrile, l’Antoniet, quand il tient l’enveloppe. L’est obligé de m’asseoir sur une marche. Je glisse l’ongle de mon petit doigt dans un angle de l’enveloppe pour décoller les lèvres de papier.

Et à cet instant, je te le donne en mille…

La porte de notre maison s’ouvre. Moi, je crois à Conchita, logique. Ce qui fait que je marque un chien d’arrêt avant de me retourner ; toujours logique, hein ? Et quand je m’apprête à le faire, voilà une grosse main velue qui m’arrive devant le nase. Je t’ai raconté mon petit vaporisateur aveuglant dont j’ai usé pour les clébards du docteur Fépaloff ? Le même ! Ou presque. J’ai pas l’opportunité de comparer. Lui, ce qu’il contient, c’est du sirop de rêve. Une seule giclée ! J’ai même pas le temps de me dire « Respire pas, mec, surtout ne respire pas », que déjà je suis en plein break.

Mon flou artistique ne doit pas excéder quelques secondes car, lorsque je peux de nouveau regarder, entendre, et surtout penser, une tire démarre dans ma strasse.

Je regarde autour de moi : plus de letter ! Chouravée vite fait ! Là, j’ai affaire à des artistes professionnels. Opportunité, vitesse et précision sont les trois mamelles de leur comportement.

Je cours en titubant la moindre jusqu’à la rue. L’auto a déjà disparu. Juste j’aperçois survenir le père La Cerise, poussant son vélo dont le porte-bagages supporte un Himalaya de denrées comestibles.

— Vous vous rendez compte : j’ai crevé en quittant le marché, me dit-il. Ou alors c’est des salopiots de garnements qui ont dégonflé ma roue avant.

— Vous venez de voir filer une bagnole ? le déjérémiadé-je.

— Oui, ça se peut.

— Qui la conduisait ?

— Ah ! je connais pas. Pourquoi ?

Ma question est tordue : l’émotion, les vapes…

— Je veux dire, quelle sorte de gens se trouvaient à l’intérieur ?

— Vous êtes bon, comme si je regardais les bagnoles qui me croisent ! J’ai bien assez de pousser mon vélo.

— Vous n’avez aperçu personne ? Putain, ils roulaient vite, ça a dû attirer votre attention.

La Cerise fait enfin quelque chose pour moi : il se détourne et crache la chique de tabac qui lui fait des dents de scatophage.

— Justement : ils roulaient vite. Attendez : la bagnole était bleue, elle était grosse, et il se peut, mais alors là, hein, je jurerais pas sur un seul poil de cul de mes petites Portugaises, il se peut qu’y avait deux hommes dedans et qu’ils étaient métis ou j’sais pas quoi. Franchement, j’en donnerais la tête de personne à couper.

Mot opportun. La tête à couper ! Je revois celle de Katerina sur mon lit ! Je suis complètement déclaveté d’aller vivre des choses pareilles, moi ! Alors que l’auberge du Goujon Folichon ouvre à six heures du matin et que je pourrais y consommer une omelette fines herbes arrosée d’un petit Macon blanc, et ensuite embroquer la patronne qui pèse soixante-quinze kilos, mais elle est veuve, faut comprendre.

J’adore la baise du matin qui n’arrête pas le pèlerin mais, bien au contraire, lui met de l’ardeur dans le sang.

— Qu’appelez-vous des métis, voisin ?

— Ben, des niacoués, quoi ! style chinois ou j’sais pas quoi, vous voyez un peu le genre ?

Il appuie le cadre de son vélo contre son ventre, sort un paquet de gris de sa vague, y pique une pincée de tabac qu’il roulotte entre ses doigts, comme toi tu procèdes avec une crotte de nez, et se la fourre dans le clape, toujours comme tézigue avec une crotte de nez.

— Je peux pas voir ces rastas, commissaire. C’est eux qui contaminent tout. Voulez-vous que je vous dise ?

Oui, je veux bien qu’il me dise. Mais je m’en fous ! M’être laissé secouer la babille de ma Félicie, faut-il que je sois crêpe ! Que faisait-il chez nous, ce type ? Au fait, et Conchita ?

Olé !

* * *

Un simple mot sur la table de la cuisine, car m’man dresse bien nos soubrettes et exige qu’elles indiquent où elles vont lorsqu’elles s’absentent en son absence à elle.

« Je sous t’été à la posse per envoilié le monda à la mama. Conchita. »

Sa signature ressemble à la touffe de poils qui jaillit de sous ses bras. Elle mousse et n’arrête pas de faire des bouclettes.

Une rapide inspection de la maison ne m’apprend rien.

Tout est en ordre, quotidien, paisible. Jamais on ne pourrait se figurer qu’un crime atroce a été perpétré sous notre toit. Pourvu que ma Félicie n’apprenne pas la chose !

Moi qui tiens tant tellement à la tenir le plus possible en dehors de mes aventures de corne-diable ! Je lui voudrais la vie qu’elle mérite, à ma vieille. Un cours lent comme celui de la Loire ; j’ai appris à la communale. Mille kilomètres de long, la Loire. Le plus long fleuve français. Prend sa source au mont Gerbier-de-Jonc. Ça me donnait à rêvasser. Quoi de plus beau qu’un gerbier, quoi de plus champêtre que des joncs ? J’en tressais, quand j’étais mouflet. Qu’ensuite je confectionnais des petits paniers de guingois que m’man m’achetait deux francs pièce. Les joncs, c’est beau, c’est souple. Tu pourrais en confectionner une corde pour te pendre si tu étais pris au dépourvu. La nature est généreuse. Conciliante, ça oui. Pratique aussi.

Bon…

Grand con d’Antonio de ses grosses deux, va ! Se laisser poisser la lettre secrète à m’man. Elle m’annonçait quoi, dans sa babille, ma Féloche ? Et les « niacoués » dont parle La Cerise, que venaient-ils branler at home ? Et puis en fin de compte, c’est qui est-ce qui m’a rendu veuf ? Et pourquoi les Ruskis ont-ils emporté le cadavre et changé le matelas ? Et pourquoi ceci ? Et pourquoi cela ? Pourquoi m’a-t-on marié de force ? Au fait, était-ce bien vrai ? Et pourquoi Félicie a-t-elle été embarquée pour la Soviétie ? Et pourquoi n’y est-elle point allée ? Et pourquoi un zig déguisé en Humphrey Bogart s’est-il pointé trois minutes chez moi ? Pourquoi ? Pourquoi ? POURQUOI ? Merde !

Hé ! dis, l’artiste, t’es pas plus fufute qu’un mulot des champs, mon gars. Va falloir changer de turbin. Aller rejoindre le cher Béru sur ses terres saint-locduciennes. Tu deviendras garçon de ferme, grand. Je sème à tout-va, comme dit Pierre Larousse qui n’amasse pas mousse. T’es plus bon à nibe. Juste à te laisser manœuvrer par n’importe qui et à te flanquer dans des béchamels impossibles. Que même on est obligé d’aller réveiller le père Pinuche pour qu’il t’en sorte !

Tu veux que je te dise ? Tu gamberges trop et t’agis pas suffisamment. Tu perds ta vie à la penser. C’est mauvais pour ta carrière. Puisque la numismatique t’attire, hésite plus, Tonio. Retire tes piastres de la cage à écureuils et achète un pas-de-porte dans le quartier de la Bourse. Tu te spécialiseras dans les « royales » françaises. Le Double Louis de Noailles, le Louis XVI à la corne deviendront ton gros régal, baby. Le Salut d’or, le Franc à pied, les testons d’Henri II ou III et de François Pommier, t’auras plus qu’eux en tête, grand glandu ! Ce panard ! La vie sera fleur de coin !

J’entends chantonner Viva España. C’est la Conchita qui radine, sa jaquette marron sur l’épaule. Elle mange un petit pain au chocolat ; mais elle a appris à chanter la bouche pleine.

— Personne n’est venu, ce matin ? je lui questionne.

— Non, personne, señor Antonio. Vous voulez qué jou prépare à déjouner ?

Je la regarde, indécis.

— Non, merci.

Elle avale d’une forte glottée sa bouchée en cours et met toute l’Andalousie dans sa prunelle pour me demander :

— Vous voulez quoi, alors ?

Nada, ma beauté.

Tu paries que si je lui demandais de me montrer son cul elle le ferait séance tenante ? Un instant je suis tenté. Oh ! pas par désir, mais pour étudier les réactions de l’individu. Ce qui me retient c’est le vieil adage comme quoi les ancillaires c’est sacré. Tu trempes avec eux et ensuite c’est toi qui l’as dans l’oigne.

De plus en plus écœuré par ma vie du moment, je retourne au burlingue.

Dans l’escadrin, je me casse le pif contre Pinaud. Le Branlant descend en tenant bon la rampe. Il regarde bien où il pose ses pattounes, de peur de rater un degré et d’émietter le col de ses chers fémurs.

— Tu pars déjà ? je lui demande.

— Je vais prendre une aspirine au café du coin.

— Avec un grand coup de blanc pour la faire passer ?

Il hoche la tête.

— Tu connais la nouvelle ? « Ils » ont saqué Béru.

— Oui, je sais ; les temps sont difficiles.

La Pine a la rampe sous son bras, comme s’il s’agissait de la crosse d’un fusil, ou mieux d’une béquille, ce qui indiquerait qu’il a pris position pour un long conciliabule.

— L’atmosphère a changé, tu ne crois pas, Antoine ?

— Un peu, c’est vrai.

— Mes rhumatismes me taquinent, je me demande s’il ne va pas y avoir la guerre.

— La guerre avec qui, César ?

— Avec n’importe qui, ce ne sont pas les adversaires qui manquent : tout le monde est l’ennemi de tout le monde, de nos jours. A propos, je ne sais pas ce qui est arrivé à Mathias, mais il est impossible aujourd’hui.

— Qu’appelles-tu impossible ?

— Lui qui a toujours été d’une gentillesse à toute épreuve, lui qui est si prévenant, si courtois, si respectueux, il vient de me parler d’une manière honteuse.

— Vraiment ?

— Je suppose que sa jeune mégère doit être à l’origine de ce revirement. Tant qu’il ne lui mettra pas une bonne rouste, un jour, sa vie clopinera.

— Et pourquoi cette rebuffade, Beau Blond ?

— Question politique…

— Allons donc !

— C’est venu à propos du licenciement de Bérurier, je lui disais que nous glissions peu à peu vers le marxisme intégral ; alors il s’est fâché. Il m’a dit que je n’étais qu’un vieux crabe sénile, que je représentais la moisissure d’une société décadente, ce sont ses propres termes, et que je ne méritais même pas de toucher mes émoluments ; il a ajouté que je lui faisais pitié et qu’il espérait que je vivrais suffisamment pour assister au triomphe du véritable socialisme.

Pinaud se dérampe lentement.

— Alors je vais prendre de l’aspirine car il m’a flanqué la migraine.

Je cesse de lui barrer la route du muscadet et il continue sa lente descente. Il est peiné jusqu’à la moelle, mon vieux Débris. Va lui falloir au moins trois ballons de blanc pour se remettre.

Je rigole à cause du mot ballon.

Le ballon ! La plus importante invention de l’homme. Fallait trouver la boule, c’est-à-dire la chose inerte prête à se déplacer à la plus légère sollicitation. Sans ballon, l’homme n’aurait pas survécu longtemps. Il se serait fait chier à crever, et il serait mort. Tu t’imagines l’Univers sans football, sans rugby, sans tennis, sans basket, sans boulodrome ? J’en frémis.


Mathias m’attend dans mon bureau, assis près de la fenêtre. Il lit L’Humanité. Mon entrée ne lui fait pas abaisser son baveux.

— Alors, Rouillé, l’interpellé-je, où en sommes-t-on ?

Il bondit.

— Je vous en prie ! s’écrie-t-il. Vos stupides familiarités ont suffisamment duré, commissaire. Mon nom est Mathias. Officier de police Mathias. Veuillez l’utiliser quand vous m’adressez la parole. Vous avez trop tendance à prendre vos confrères pour des fantoches mis à votre disposition pour vous permettre d’exercer votre esprit de l’escalier ! Souvenez-vous : Mathias, M, A, T, H, I, A, S.

Je m’approche de lui pour vérifier s’il est soûl ou drogué.

— Que t’arrive-t-il, bonhomme ? T’as bouffé de la vache enragée ?

— Et je vous interdis de me tutoyer ; le fait que vous soyez mon supérieur hiérarchique ne vous en donne pas le droit, compris ?

Tu sais qu’il m’inquiète, cézig-pâte, d’autant qu’il n’a pas l’air de vouloir plaisanter. J’ai beau le défrimer, je ne constate qu’un regard implacable, impersonnel, hostile.

Je ressens un sentiment étrange. Comme s’il n’était plus lui-même. Mathias, c’est un fils de famille bien-pensante. Son frère est prêtre et il va à messe tous les dimanches avec sa grognasse et ses seize chiares. Chaque année, il emploie ses vacances à chiquer les brancardiers bénévoles à Lourdes. Alors là, je ne pige plus. Ou alors j’ai peur de comprendre.

— Monsieur l’officier de police Mathias, avez-vous étudié la cassette que je vous ai soumise ?

Il me fixe en plein dans les vasistas.

— Oui, monsieur le commissaire.

— Avez-vous découvert quelque chose à propos de cet objet ?

— Oui.

— Quoi ?

— Cela ne vous concerne pas.

— Pardon ? bondis-je.

Mais il me défie.

— Cela ne vous concerne en aucune façon, répète-t-il, d’ailleurs je suis allé rendre cette cassette à ses propriétaires.

T’as des varices, Evariste ? Pour le coup, le sol tangue sous mes paturons. Il y a gros temps sur Pantruche today, non ? Comment je me retiens de ne pas le massacrer, mon ex-gentil Rouquemoute, c’est un mystère de plus à percer. T’as pas une aiguille ?

L’apoplexie, je crois comprendre en quoi ça consiste : une énorme boule qui prend naissance dans ton estomac, et qui te grimpe dans les soufflets, comprimant ton cœur et toute la bastringuée.

— Monsieur Mathias, vous venez de commettre une faute inqualifiable et qui sera sanctionnée.

— Je n’ai fait que mon devoir, monsieur le commissaire, répond-il avec des daims.

Tu sais que je vais lui bouffer la rate, à ce mec, si on poursuit un peu ? Lui arracher le foie ! Lui découper les couilles avec des ciseaux à broder ! Et puis lui casser les ratiches une à une avec un marteau de cordonnier ! Non mais il est paré pour la camisole, l’apôtre !

— Vous prétendez avoir restitué cette cassette à ses propriétaires. Qui sont-ils ?

— Ce n’est pas votre affaire, monsieur le commissaire. J’ai agi en homme de devoir, un point c’est tout.

C’est là qu’il y a comme un défaut dans ma glande qui sécrète la patience. Je peux plus me contenir, tu comprends ? Je ne suis qu’un homme, moi, après tout. Ma droite part en promenade, comme une grande et rencontre le menton du Rouillé. C’est le k.-o. parfait, net, sans contestation. Le Rouquin fléchit sur lui-même. J’ai que le temps de l’emparer par le veston, pas qu’il emplâtre la fenêtre, et amortis son effondrement sur le plancher.

Il est raidard, bras le long du corps comme un gisant.

Ma pomme, avant tout, je respire en grand pour me refaire une cage thoracique. Qu’après quoi-ce, je vais téléphoner à la dame de l’Endormi.

C’est un de ses chiares qui décroche ; à la voix je le situe en fin de production : il zézaie et laisse de grands silences entre les mots.

— Ta maman est là, mon bijou ?

Le bijou m’apprend que ladite est en train de faire des frites.

— Dis-lui de venir au téléphone.

La Mathias se pointe en grésivaudan ou en maugréant, je sais plus où j’essuie, pardon : où j’en suis.

Me nomme. Pas chaleureuse, elle ronchonne un « Bonjour » plus vilain que sa pauvre poitrine mise à sac par sa chiarée. Elle peut pas me piffer, la dadame. Me trouve trop libertin et trop cynique. Je ne suis pas une chefferie convenable pour son époux. Et puis avec ce que j’écris ! Dis, tu as déjà lu ce que j’écris ?

Si c’est le cas, tu peux comprendre qu’elle m’ait excommunié. Les culs pincés sont mes ennemis instinctifs. Heureusement que j’ai pour moi les plus hauts représentants du clergé, qui, eux, savent bien que je suis pas un nocif, au contraire, mais un homme qui crie la misère et bat le rappel pour l’amour.

— Ma chère amie, il faut que vous veniez immédiatement à la Grande Maison.

— Moi ?

Et puis la lueur de compréhension :

— Il est arrivé malheur à mon mari !

— Malheur, non, disons qu’il n’est pas dans son état normal.

— Vous l’aurez fait boire ! accuse-t-elle pour aller au plus pressé.

— Non plus. J’ai besoin de votre concours.

— Il est sérieusement malade !

— S’il l’était, c’est à l’hôpital que je vous demanderais de venir.

— Mais comment voulez-vous que je sorte avec tous les petits, je leur préparais à manger…

— Ecoutez, m’emporté-je, je vais vous envoyer un escadron de C.R.S. pour les surveiller, mais de grâce rappliquez ici, c’est important. Votre voisine ne peut pas y jeter un œil en attendant que mes renforts arrivent ?

— Je vais demander à notre voisine, la colonelle de Vidroupette si elle veut bien, mais quand je ne suis pas là, ils s’en donnent, vous savez.

Je raccroche, Mathias dort toujours. J’espère que mon taquet ne lui a pas démoli le maximillaire Robespierre !

Mon tubophone grésille, à peine que viens-je de le reposer sur sa fourche Claudine. Le standard m’annonce :

— Commissaire, c’est une communication qui vient d’U.R.S.S.

Tu parles d’un roman, j’ai à peine le temps de licebroquer ! Les choses se précipitent comme on dit. Et sur ma hure, en plus. Que j’en morfle une sur la nuque, de chose, et c’est cuit, le coup du lapin.

Une voix qui slave tous les matins m’annonce le camarade Gériatrov.

Le cher homme ! Toujours en vie depuis hier ! La médecine russe russit des miracles.

L’organe un tantisoit gélatineux de l’Excellence me dégouline dans l’entendement :

— Commissaire San-Antonio ?

— Mes respects, monsieur le camarade.

— Je tenais à vous remercier personnellement pour cette belle initiative que vous avez prise.

— De quelle initiative voulez-vous parler ?

— Eh bien, vous vous en doutez : de ce que votre officier de police a porté ce matin à notre ambassade de Paris.

Son convertisseur fonctionne à merveille, cependant, comme pour les communications transcontinentales, il s’opère un léger décalage entre les répliques.

Bon, voilà au moins un point d’éclairci : Mathias a remis la cassette aux Soviétiques ; ces messieurs croient que c’est de ma part et ont la gracieuseté de m’en savoir gré par la voix d’une haute autorité. Ça me rappelle une anecdote que m’man se plaît à raconter. Un jour, elle avait acheté une pendulette pour offrir à de futurs jeunes mariés. En sortant de chez le bijoutier, elle passa dire un petit bonjour à une amie. La voyant nantie d’un paquet cadeau, cette dernière crut qu’il lui était destiné et sauta au cou de Félicie en la remerciant chaleureusement. Ma gentille n’osa rectifier le tir, se laissa congratuler et retourna acheter une seconde pendulette.

La cassette, c’est la pendulette de ma vieille. Gériatrov m’exprime sa reconnaissance, ne me reste donc plus qu’à chiquer les magnanimes.

— C’est tout naturel, mon camarade, nos deux pays ne sont-ils pas unis par des liens indélébiles machins trucs choses qui que quoi dont où, hmm ? Je ne sais plus quel homme politique, à moins que ce ne fût un écrivain ou un pharmacien de première classe a dit « Qu’entre France et Russie, il n’y avait qu’une histoire d’amour. »

Anton Gériatrov toussote.

— Il arrive pourtant que nous nous fassions quelques petites misères, au second degré, tout à fait au second degré… J’espère que Mme votre mère… heu… n’est pas trop fatiguée par son voyage ?

Donc, il la croit rentrée au bercail.

— Il n’y paraît pas, je lui dis-je, afin de rester au creux du vague.

Mon terlocuteur raspoutine du gosier, biscotte ses muqueuses sont en manque de lubrifiant.

— Allons, allons, tant mieux, ajoute-t-il. Si je puis vous être utile, commissaire…

— Vous pouvez me guérir des vilaines affres de la curiosité, Excellent camarade.

— Je vous écoute ?

— Mon mariage… J’avoue n’y avoir rien compris.

— Il n’y a pas de mariage !

— Il y en a eu un.

— Simple mesure de sécurité.

— Où est la sécurité ?

Il a un petit rire aigrelet.

— Pas par téléphone, mon cher. Vous recevrez dans la journée la visite de Piotr Couillapine, un secrétaire de notre ambassade ; il vous expliquera.

On se sépare, pour peut-être toujours. Que c’est triste la vie, presque autant que Venise au temps des amours mortes, moi je dis. Tu fais une rencontre intéressante. Tu sens que ça pourrait marcher, elle et toi, que vous auriez des choses à vous dire, à vous faire, peut-être. Et les circonstances vous sectionnent le lien nouveau.

Au revoir, camarade Gériatrov ! Ou adieu…

Mathias est revenu à lui, à moi, bref, à nous tous. Il s’ébroue en se massant le menton (Alpes-Maritimes) et roule des yeux furibards.

— Vous m’avez frappé, commissaire ! déclare-t-il.

— J’avais cru le remarquer, conviens-je.

— Je porte plainte pour voies de fait.

— Et pourquoi pas, grand.

— Je vous interdis de m’appeler « grand ». Votre familiarité est insupportable.

Mais que m’arrive-t-il, moi qui raffole du Rouillé ? Justement, ça doit être à cause de ça : tu supportes moins bien les déblocages des gens que tu aimes.

Toujours est-il que je lui balanstique une nouvelle cacahuète ; schplaoff ! Oh ! la la ! Le bras à l’Antonio, quand il pétarde, tu parles d’une bielle !

Même circuit que précédemment : fléchissement du Rouillé, rattrapade par le colback, allongeage sur le plancher. J’en ai la paluche endolorie. Je l’écarte en grand pour la décontracter, comme si je voulais mesurer mon empan. Je ne vais tout de même pas passer ma vie à knock-outer Césarin.

Lassé d’un long voyage, je n’attends pas les brouillards du soir pour retourner à mes roseaux. Ma chaise à bras, promue fauteuil par cette adjonction, m’accueille. Mon sous-main reçoit mes pieds. Belle posture du guerrier moderne après l’effort.

On dirait que ça s’éclaircit tout de même un tout petit brin, côté Russes, en tout cas. Quand va-t-il se manifester, le camarade Couillapine ?

Mifigue passe un beau morceau de son faciès par l’entrebâillement de ma porte.

— Je ne dérange pas ?

Il tient un paquet de photos ruisselantes dans une corbeille de plastique.

— J’espère que ça vous plaira, commissaire ; je ne pense pas qu’on puisse faire mieux.

Il renâcle en avisant Mathias par terre.

— Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

— Quatre phalanges au bouc ; c’est mieux qu’une infusion de tilleul.

— C’est vous qui l’avez allongé ?

— Je n’en suis pas plus fier pour ça.

— Qu’est-ce qu’il vous a fait ?

— Il m’a manqué d’irrespect.

J’empare les photos. Beau travail. Mon cœur cigogne quand je trouve m’man, avec son manteau à col de fourrure. Ce qui me frappe, malgré le flou consécutif à l’agrandissement, c’est son expression hagarde. Elle paraît folle d’angoisse, ma vieille chérie. En visionnant la bande je ne l’avais pas remarqué et mon sang se glace.

Je passe ensuite en revue les bonshommes, m’attardant plus particulièrement sur celui qui ressemble à Humphrey.

Pinuche revient du bistrot, souriant.

— Combien ? lui demandé-je sans lever les yeux.

— Combien de quoi ?

— De muscadets ?

— Quatre, répond-il loyalement ; pour lors je n’ai pas eu besoin d’aspirine et je m’en félicite car ça me détraque l’estomac.

A son tour, il aperçoit le gisant.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Mes nerfs. Je crois qu’il doit mettre des dents ou planquer une blennorragie dans son slip car, effectivement, il est devenu asocial.

— Je le ranime ? demande la Pine, bonne âme nonobstant ses rancœurs.

— Non, j’attends son vulnéraire.

Je lui présente les images des visiteurs du soir.

— Le pied de guerre, César ! Il faut absolument que je sache avant ce soir qui sont ces messieurs.

« Mobilisation générale, te dis-je. Fais tirer autant de portraits que nécessaire et qu’on les répartisse dans tous les services : au fichier, bien entendu, et puis chez les copains de la D.S.T., du S.R., de la gendarmerie. Exécution, et que ça saute ! »

Il renifle.

— Compte sur moi.

Pour me prouver que ça va vraiment être le gros patacaisse, il change de mégot et allume le nouveau.

A peine est-il parti que dame Mathias surgit. Pissevinaigre, la houri. Menue, pointue, corrosive. Elle a enfilé un imper fatigué par-dessus une robe épuisée. Pas fardée, le regard inquisiteur, la bouche extra-mince, la taille déformée par ses multiples grossesses, elle se déplace comme une truite remonte le courant, avec une prestesse ondulatoire.

En voyant son bonhomme à terre, elle commence des criailleries de pintade.

— Il est évanoui ?

— K.-o., seulement.

— Il est tombé ?

— Là-dessus ! fais-je en montrant mon poing.

Elle va pour égosiller de plus belle, mais je lui montre L’Humanité qui gît au sol ; près du rouquin.

— Voilà ses nouvelles lectures, madame Mathias.

La belette blette identifie l’imprimé, une expression d’horreur intense déguise sa figure ingrate en capote anglaise après usage.

— Jamais vous ne me ferez croire cela !

— Et pourtant, elle tourne, comme disait Galilée, je lui réponds-je placidement. Il faut prendre conscience de la réalité, douce amie ; votre époux est devenu marxiste.

Mais elle continue de secouer sa belle tête de marteau de savetier qui aurait les yeux bordés de rouge.

— Non, non, je ne le croirai que s’il me le dit lui-même, vous mentez !

— Il va vous le dire très bientôt et alors vous comprendrez l’étendue du désastre. Voilà pourquoi nous devons faire alliance vous et moi. La France a besoin de votre concours, madame Mathias, et plus encore l’Eglise catholique.

Elle s’apaise, comme la mer lorsque le soir descend et qu’elle remise ses vagues dans le tiroir du dessous.

— Je suis prête, déclare-t-elle, avec un héroïsme de bonne qualité. Mais auparavant, si vous le voulez bien, nous allons réciter un pater et un ave pour nous fortifier.

— Avec joie, réponds-je.

Nous nous signons simultanément, comme dans une mise en scène de Robert Hossein.

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