Des rideaux se soulevaient discrètement au passage de l’inconnu. Adamsberg tournait dans les rues étroites de Collery, indécis. Le meurtre avait eu lieu cinquante-neuf ans plus tôt, et il lui fallait trouver ici une mémoire vive. Le petit bourg sentait la feuille mouillée et le vent y transportait l’odeur un peu moisie des surfaces vertes des étangs de Sologne. Rien de comparable avec la majestueuse ordonnance de Richelieu. Une bourgade rurale aux maisons irrégulières se serrant les coudes.
Un enfant lui indiqua la demeure du maire, sur la place. Il se présenta avec sa carte de Denis Lamproie, à la recherche de l’ancienne demeure des Guillaumond. Le maire était trop jeune pour avoir connu la famille mais personne ici n’ignorait le drame de Collery.
En Sologne comme ailleurs, il n’était guère possible d’extorquer un renseignement à la va-vite sur le pas d’une porte. La rapidité désinvolte de Paris n’était pas de mise. Adamsberg se retrouva les deux coudes sur une toile cirée, devant un petit verre d’eau-de-vie, à cinq heures de l’après-midi. Ici, porter un bonnet arctique dans la maison n’indisposait personne. Le maire avait sa casquette et sa femme un fichu.
— Normalement, expliqua le maire, les joues pleines et le regard curieux, on n’ouvre pas la bouteille avant les sept heures sonnées. Mais ma foi, la visite d’un commissaire de Paris, ça excuse. J’ai pas raison, Ghislaine ? ajouta-t-il en se tournant vers sa femme, cherchant l’absolution.
Ghislaine, qui pelait des pommes de terre sur le coin de la table, approuva d’un signe de tête, blasée, retenant d’un doigt ses grosses lunettes dont la monture tenait avec du sparadrap. Il n’y avait pas beaucoup d’argent, à Collery. Adamsberg lui jeta un regard pour voir si, comme Clémentine, elle faisait sauter les yeux des légumes du bout de son couteau. Oui, elle le faisait. Faut y ôter le poison.
— L’affaire Guillaumond, dit le maire en enfonçant le bouchon dans la bouteille d’un coup de paume, Dieu sait si on en a causé. J’avais pas cinq ans qu’on me la racontait déjà.
— Les enfants devraient pas entendre des choses pareilles, dit Ghislaine.
— La maison est restée vide après ça. Personne en voulait. Les gens se figuraient qu’elle était hantée. Des bêtises, quoi.
— Évidemment, murmura Adamsberg.
— On a fini par la démolir. On disait que ce Roland Guillaumond n’avait jamais eu sa tête. À savoir si c’est vrai, c’est autre chose. Mais faut pas avoir sa tête pour embrocher sa mère comme ça.
— Embrocher ?
— Quand on tue quelqu’un avec un trident, j’appelle ça embrocher, je vois pas d’autre mot. J’ai pas raison, Ghislaine ? Tirer un coup de chevrotine, assommer le voisin d’un coup de pelle, je dis pas que j’approuve, mais disons que c’est des choses qui arrivent dans un coup de sang. Mais avec un trident, pardon, commissaire, c’est de la sauvagerie.
— Et sa propre mère encore, dit Ghislaine. Qu’est-ce que vous y cherchez dans cette vieille histoire ?
— Roland Guillaumond.
— Vous avez de la suite dans les idées chez vous, dit le maire. De toute façon, il y a prescription après tout ce temps.
— Bien sûr. Mais le père Guillaumond était relié par lointain cousinage à l’un de mes hommes. Et ça le tracasse. Une enquête un peu personnelle, en quelque sorte.
— Ah, si c’est personnel, c’est autre chose, dit le maire en levant ses mains rugueuses, un peu comme Trabelmann cédant respectueusement devant les souvenirs d’enfance. Je reconnais que ça doit pas être plaisant d’avoir un assassin pareil dans son cousinage. Mais Roland, vous le trouverez pas. Il est mort dans le maquis, à ce que tout le monde a dit. C’est que ça pétait de tous les côtés dans le coin, à cette époque-là.
— Vous saviez ce que faisait le père ?
— Il était métallier. Un brave homme. Il avait fait un beau mariage avec une vraie jeune fille de La Ferté-Saint-Aubin. Tout ça pour finir dans un bain de sang, si c’est pas malheureux. J’ai pas raison, Ghislaine ?
— À Collery, il y a quelqu’un qui a connu la famille ? Qui pourrait m’en parler ?
— Y aurait bien André, dit le maire après un moment de réflexion. Il va sur ses quatre-vingt-quatre. Il avait travaillé tout jeune avec le père Guillaumond.
Le maire jeta un œil à la grande horloge.
— Vous feriez mieux d’y aller avant qu’il entame son souper.
L’eau-de-vie du maire lui brûlait encore l’estomac quand Adamsberg frappa chez André Barlut. Le vieil homme, en veste de gros velours et coiffé d’une casquette grise, jeta un regard hostile à sa carte. Puis il la prit entre ses doigts déformés et l’examina sous ses deux faces, intrigué. Une barbe de trois jours, un petit regard noir et rapide.
— Disons que c’est très personnel, monsieur Barlut.
Attablé deux minutes plus tard devant un verre d’eau-de-vie, Adamsberg exposait à nouveau ses questions.
— Normalement, je débouche pas la bouteille avant l’angélus, expliqua le vieux sans répondre. Mais ma foi, quand on a du monde.
— On dit que vous êtes la mémoire du pays, monsieur Barlut.
André lui fit un clin d’œil.
— Si je racontais tout ce qu’il y a là-dedans, dit-il en aplatissant sa casquette sur son crâne, ça ferait un livre. Un livre sur l’humain, commissaire. Vous en dites quoi, de cette gnôle ? Pas trop fruitée, si ? Ça cale les idées, croyez-moi bien.
— Excellente, confirma Adamsberg.
— Je la fabrique moi-même, expliqua André avec fierté. Ça peut pas faire de mal.
Soixante degrés, estima Adamsberg. Le liquide lui transperçait les dents.
— Il était presque trop brave, le père Guillaumond. Il m’avait pris comme apprenti et on faisait une sacrée équipe à nous deux. Vous pouvez m’appeler André.
— Vous étiez métallier ?
— Ah non. Je vous parle du temps où Gérard faisait jardinier. La métallerie, c’était fini pour lui depuis longtemps. Depuis l’accident. Couic, deux doigts dans la meuleuse, expliqua André d’un geste significatif en frappant sur sa main.
— Comment cela ?
— Comme je vous le dis. Les deux doigts y sont passés. Le pouce et puis le petit doigt. Il lui en restait plus que trois à la main droite, comme ça, dit André en étendant trois doigts de sa main vers Adamsberg. Alors, forcément, la métallerie, c’était plus praticable, il faisait jardinier. Il était pas manchot pour autant. C’était le meilleur à manier la bêche, je peux le dire.
Adamsberg regardait, fasciné, la main ridée d’André. Trois doigts étendus. La main mutilée du père en forme de fourche, de trident. Trois doigts, trois griffes.
— Pourquoi dites-vous « trop brave », André ?
— Parce que c’est ce qu’il était. Bon comme le pain blanc, toujours à dépanner, toujours à vous servir une blague. J’en dirais pas autant de sa femme et j’ai toujours eu mon idée là-dessus.
— Sur quoi ?
— Sur sa noyade. Elle l’a usé, cet homme. Elle l’a miné. Alors au bout du compte, soit qu’il a pas fait attention à sa barque, qu’avait fendu pendant l’hiver, soit qu’il se soit laissé couler. Si on va chercher par là, ça a bien été de sa faute, à elle, s’il s’est perdu dans l’étang.
— Vous ne l’aimiez pas ?
— Personne l’aimait. Elle venait de la pharmacie de La Ferté-Saint-Aubin. Des gens bien, quoi. Le coup lui a pris de marier Gérard, parce que Gérard, en son temps, c’était un très bel homme. Et puis après, ça a viré autrement. Elle faisait sa dame, elle le prenait de haut. Vivre à Collery avec un métallier, c’était pas assez bon pour elle. Elle disait qu’elle s’était mariée en dessous de sa condition. Ça a été bien pis encore après son accident. Elle en avait honte, de Gérard, et elle s’embarrassait pas pour le dire. Une mauvaise femme, voilà tout.
André l’avait très bien connue, la famille Guillaumond. Tout gosse, il filait jouer avec le jeune Roland, un fils unique comme lui, du même âge, et qui habitait la maison d’en face. Il en avait passé des après-midi et des dîners chez eux. Tous les soirs après le repas, c’était la même chose, partie de Mah-Jong obligatoire. C’était comme cela qu’on faisait à la pharmacie de La Ferté et la mère maintenait la tradition. Elle ne manquait pas une occasion d’humilier Gérard. Parce qu’attention, au Mah-Jong, c’était interdit de bocher. C’est-à-dire ? avait demandé Adamsberg qui ne connaissait rien à ce jeu. C’est-à-dire mélanger les familles pour gagner plus vite, quoi, comme mélanger des trèfles avec des carreaux. Ça ne se faisait pas, ce n’était pas chic. Bocher, c’était un truc de bouseux. Lui et Roland, ils n’osaient pas désobéir, ils préféraient perdre que bocher. Mais le père Gérard, il s’en foutait bien. Il piochait les dominos avec sa main à trois doigts et il faisait des blagues. Et Marie Guillaumond qui disait tout le temps : « Mon pauvre Gérard, le jour où t’auras la main d’honneurs, les poules auront des dents. » Façon de l’humilier, comme d’habitude. La main d’honneurs, c’était faire une belle partie, comme on abat un carré d’as. Combien de fois il l’avait entendue, cette satanée phrase, et sur quel ton, commissaire. Mais Gérard, il se contentait d’en rire et il faisait pas la main d’honneurs. Elle non plus d’ailleurs. Elle, la Marie Guillaumond, toujours en blanc pour pouvoir repérer la moindre tache sur ses vêtements. Comme si on en avait quelque chose à faire à Collery. Aux cuisines, on l’appelait « le dragon blanc », derrière son dos. C’est bien vrai que cette femme-là, elle l’avait usé, Gérard.
— Et Roland ? demanda Adamsberg.
— Elle lui bourrait la cervelle, il n’y a pas d’autre mot. Elle voulait qu’il fasse une carrière à la ville, qu’il devienne quelqu’un. « Toi, mon Roland, tu seras pas un incapable comme ton père. » « Tu seras pas un bon à rien. » Alors c’est vite venu qu’il se croyait au-dessus de nous, les autres gamins de Collery. Il faisait son prétentieux, il prenait ses grands airs. Mais au fond de ça, c’est le dragon blanc qui voulait pas qu’il nous fréquente. On n’était pas assez bien pour lui, elle lui disait. Au bout de ça, Roland était pas devenu agréable comme son père, ça non. C’était un taiseux, un fier, et gare à qui lui cherchait noise. Agressif et mauvais comme un jars.
— Il se battait ?
— Il menaçait. Pour vous dire, quand on avait pas quinze ans, on s’amusait des fois à attraper des grenouilles près de l’étang, et puis on les faisait exploser à la cigarette. Je dis pas que c’est bien joli, mais on n’avait pas beaucoup de distractions à Collery.
— Des grenouilles ou des crapauds ?
— Des grenouilles. Des rainettes vertes. Quand on leur met une cigarette dans la gueule, elles se mettent à aspirer et plof, elles explosent. Faut le voir pour le croire.
— Je me figure, dit Adamsberg.
— Eh bien, le Roland, combien de fois il est arrivé avec son couteau, et crac, il coupait directement la tête de la grenouille. Ça giclait le sang partout. Bon, au résultat, je reconnais que ça revenait au même. Je veux dire que la grenouille, elle était morte. Mais on trouvait que ça faisait une différence de façon de faire, et on n’aimait pas sa manière. Après, il essuyait le sang de la lame sur l’herbe et il s’en allait. Comme pour bien montrer qu’il pouvait toujours faire plus fort que nous.
Pendant qu’André se resservait une rasade, Adamsberg essayait de boire son eau-de-vie le plus lentement possible.
— Seulement, il y avait un os, ajouta André. C’est que Roland, tout obéissant qu’il était, il vénérait son père, ça je peux le dire. Il endurait pas comment le dragon le traitait bas. Il disait rien mais je voyais bien que le soir, au Mah-Jong, il serrait les poings quand elle lâchait ses phrases.
— Il était beau ?
— Comme un astre. Pas une fille de Collery qui lui tournait pas autour. Nous autres, on avait l’air de moins que rien. Mais Roland regardait pas les filles, à croire qu’il était pas normal de ce côté. Ensuite, il est parti à la ville pour faire des études de monsieur. Il avait son ambition.
— Des études de droit.
— Oui. Et puis il est arrivé ce qu’est arrivé. Il pouvait rien en sortir de bon, avec toute cette méchanceté dans la maison. À l’enterrement du pauvre Gérard, la mère a même pas eu une larme. J’ai toujours pensé qu’en revenant, elle avait dû lâcher une saleté.
— Par exemple ?
— Quelque chose à sa façon. « Eh bien maintenant, on n’a plus ce lourdaud sur les bras. » Une vacherie comme elle avait la manière d’en dire. Et le Roland, il a dû tourner au rouge, avec tout le chagrin qu’il avait des obsèques. Je le défends pas, mais j’ai mon idée. Il a dû perdre la tête, attraper l’outil de son père et lui courir après à l’étage. Et c’est arrivé. Il a tué le vieux dragon blanc.
— Avec le trident ?
— C’est ce qu’on a supposé, à cause de la blessure et que l’outil avait disparu. Son trident, Gérard était sans cesse à le bricoler dans la salle, à le mettre au feu, à en redresser les pointes, à l’affûter. C’est qu’il prenait soin de ses outils. Une fois qu’on labourait, le trident a cassé une pointe sur une pierre. Vous croyez qu’il en aurait changé ? Non, il a bricolé son outil dans le feu et il a ressoudé la pointe. Il connaissait son affaire en métallerie, forcément. Sinon, il s’occupait à graver des petites images dans le bois du manche. Ça la rendait folle, la Marie, qu’il s’amuse à des bêtises comme ça. Je dis pas que c’était de l’art, mais ça faisait très joli quand même, sur le manche.
— Quelles sortes de dessins ?
— Un peu comme à l’école. Des petites étoiles, des soleils, des fleurs. Ça allait pas bien loin mais je dis que Gérard, il avait un tempérament. Enjoliver, c’était son idée. Pareil pour le manche de sa pioche, de sa bêche, de sa pelle. On pouvait pas confondre ses outils avec les autres. À sa mort, j’ai gardé sa bêche en souvenir. Plus brave que lui, ça existait pas.
Le vieil André s’était éloigné et rapportait dans ses mains une bêche polie par les ans. Adamsberg en examina le manche lustré, et les centaines de petits dessins gravés sur le bois, imbriqués et patinés. Avec l’usure, cela faisait presque songer à un petit mât totem.
— C’est vrai que c’est joli, dit sincèrement Adamsberg en passant doucement ses doigts sur le manche. Je comprends que vous y teniez, André.
— Quand je repense à lui, j’ai de la peine. Toujours un mot pour les autres. Toujours une blague. Mais elle, non, personne l’a regrettée. Je me suis toujours demandé si c’était pas elle qui l’avait fait. Et si Roland l’avait pas su.
— Fait quoi, André ?
— Fendre la barque, grommela le vieux jardinier en serrant le manche de la bêche.
Le maire l’avait reconduit en camionnette jusqu’à la gare d’Orléans. Assis dans le hall d’attente glacé, Adamsberg attendait son train en mâchant un morceau de pain pour éponger l’eau-de-vie, qui lui brûlait le ventre comme les paroles d’André brûlaient encore sa tête. L’humiliation du père, portant sa main amputée, l’ambition de la mère, mortifiante. Dans cet étau, le futur juge, altéré, avide d’abolir la faiblesse du père, de transformer l’infirmité en pouvoir. En tuant avec le trident comme avec la main difforme, devenue instrument de toute-puissance. Fulgence avait gardé de sa mère la passion de la domination et de son père la vexation intolérable d’un faible. Chaque coup du trident meurtrier rendait honneur et valeur à Gérard Guillaumond, qui avait coulé vaincu dans les vases de l’étang. Sa dernière blague.
Et bien sûr, il était impossible au tueur de se séparer du manche orné de l’outil. C’était cette main du père qui devait frapper. Cependant, pourquoi n’avoir pas reproduit à l’infini le matricide ? Pourquoi n’avoir pas détruit des images maternelles ? Des femmes d’un certain âge, autoritaires et écrasantes ? Dans la liste sanglante du juge figuraient autant d’hommes que de femmes, des adolescents, des adultes, des gens âgés. Et parmi les femmes, des toutes jeunes filles, à l’opposé de Marie Guillaumond. S’agissait-il de prendre le pouvoir sur la terre entière, en frappant au hasard ? Adamsberg avala un morceau de pain brun en secouant la tête. Cette destruction furieuse avait un autre sens. Elle faisait plus qu’anéantir l’humiliation, elle amplifiait la puissance du juge, comme le choix de son patronyme. Elle était une élévation, un rempart contre tout amoindrissement. Et en quoi empaler un vieillard pouvait-il procurer à Fulgence une telle sensation ?
Il ressentit l’envie soudaine d’appeler et provoquer Trabelmann pour l’informer que, après avoir saisi l’oreille, il avait extirpé le corps entier du juge et qu’il s’approchait à présent de l’intérieur de sa tête. Tête qu’il avait promis de lui rapporter plantée sur son trident, sauvant le maigre Vétilleux du cachot. Quand il pensait à l’agression du commandant, Adamsberg ressentait l’envie de le fourrer dans une fenêtre haute de la cathédrale. Un tiers du commandant seulement, le haut du buste. Nez à nez avec le dragon des contes, le monstre du Loch, le poisson du lac Pink, les crapauds, la lamproie et autres bestioles qui commençaient à transformer le joyau de l’art gothique en un véritable vivier.
Mais coincer un tiers du commandant dans une fenêtre gothique n’effacerait pas ses paroles. Si la chose était si simple, chacun y aurait recours à la première vexation et il ne resterait plus une seule fenêtre libre dans le pays, jusqu’à la moindre baie d’une chapelle de campagne. Non, cela ne s’effaçait pas comme cela. Sans doute parce que Trabelmann n’était pas passé loin de la vérité. Vérité qu’il commençait à effleurer prudemment, grâce au puissant coup de pouce de Retancourt, dans ce café du Châtelet. Quand le blond lieutenant vous donnait un coup de pouce, cela vous traversait le cerveau comme la mèche d’une perceuse. Mais Trabelmann s’était trompé d’ego. Tout bonnement. Car parfois, il y a soi, et soi, songea-t-il en marchant le long du quai. Soi, et son frère. Et il était possible, pourquoi pas, que l’absolue protection due à Raphaël l’ait retenu en orbite assez loin du monde, à bonne distance des autres en tout cas, dans une apesanteur. Et bien sûr à distance des femmes. S’en aller dans cette voie, c’eût été lâcher Raphaël et le laisser crever seul dans son antre. Un acte impossible qui l’obligeait peut-être à s’absenter devant l’amour. Voire à le détruire ? Et jusqu’à quel point ?
Il fixa le train qui entrait en gare. Obscure question qui le ramenait en droite ligne à l’effroi du sentier de portage. Où rien ne prouvait que le Trident avait été présent.
En s’enfonçant dans la ruelle où logeait Clémentine, il claqua des doigts. Il lui faudrait penser à raconter à Danglard l’affaire des rainettes de l’étang de Collery. Il serait certainement content d’apprendre qu’avec les grenouilles, cela marchait aussi. Plof, et explosion. Un son un peu différent.