XV

Pittoresque personnage que le révérend Mickmack.

Tu sais, ces masques qui se composent d’un nez, de grosses lunettes d’écaille et de pommettes rouge vif ?

Eh bien c’est lui. Plus un menton en galoche et une denture qu’il n’a pas fini de se carrer dans le clapoir car on la lui a refilée trois tailles trop grande. Il a le cheveu très plaqué et en longueur, des étiquettes en vol de mouette, et un regard besbythérien dans les tons huître avariée.

Kasleen me présente. Le pasteur me sourit, me dit comment-allez-vous-très-bien-merci-et-vous-pas-mal-allons-tant-mieux-prenez-seulement-un-siège.

Ce qui est éminemment gentil, mais pourquoi « seulement un siège » ? Comme si mon cul en exigeait deux !

Après quoi, se contentant d’un minimum d’explications, il se met à actionner la manivelle d’un téléphone qui a dû être apporté dans l’île par Guillaume le Conquérant. Je regrette que l’appareil ne soit pas relié à une dynamo, car il faut tellement cigogner cette garcerie de manivelle que le digne ecclésiastique pourrait assurer sa production annuelle d’énergie électrique.

Après avoir laissé deux kilos de sueur dans l’aventure, il finit par avoir la poste de Mireyedark, de laquelle il sollicite la police de Plymouth.

Qu’il obtient par miracle, bien que sa religion ne s’intéresse à Lourdes que par le biais du rugby, et me passe. Je discutaille sobrement et on me branche sur le superintendant Fouketts à qui je décline mon blaze, ma qualité (je n’ai que l’embarras du choix) et mes coordonnées à Paris. Le digne fonctionnaire me répond que, la mer étant d’huile, il va s’embarquer immédiatly sur une vedette et qu’il sera là dans moins de deux plombes. Je lui conseille de prendre du monde avec lui et le remercie chaleureusement. On dira ce qu’on voudra « d’eux » ; mais question service, devoir et coopération, « ils » sont de première, non ?

L’attente serait longuette, en compagnie du pasteur, si ma ravissante Kasleen ne participait pas à la soirée. Ce qu’elle est choucarde, cette sœur. Tu l’aurais vue s’occuper de ses cinq lardons ; les baigner, les alimenter, les coucher… Un vrai roman photo de la « Veillée des Chaumières ».

Quand je mate les roberts à Kasleen, je me dis que, tant qu’à faire, elle aurait pu crécher dans l’île de Seins, cette poulette. Tu accrocherais deux chapeaux à ces patères (que je souhaite noster), sans que cela fasse surréaliste.

— Vous êtes marié, inspecteur ? me demande le révérend Mickmack, en me servant deux doigts de « Brandy ».

Douche écossaise, bien que la chose ait lieu en Cornouailles.

Marié !

L’image de Zoé passe, comme un ange silencieux. Je capte son regard triste. Son air désenchanté.

— Non, réponds-je brièvement.

Ce connard d’ecclésiastique vient de me filer le bourdon. Je patinais sur la piste impec de l’optimisme, et puis, une question idiote, passe-partout, superflue… Faut toujours que des tronches te fassent dégoder dans les instants de félicité. Le monde est plein de mecs qui pensent faire leur devoir parce qu’ils font ceux de leurs enfants.

J’ai du mal à surmonter ma déconfiture (de poire). Grâce au radieux sourire de ma petite maîtresse (d’école), j’y parviens tant bien que mal. Me promettant d’oublier dans ses bras, tout à l’heure, ma misère du moment.

Et puis le temps s’écoule et on frappe à la lourde.

Un très bel homme, aux tempes argentées, à la moustache finement retroussée, vêtu d’un complet prince of Wales et de gants de peau, se tient sur le seuil du presbytère.

— Superintendant Fouketts, se présente-t-il.

Tu le verrais, ce gus, à minuit, sur un îlot battu par les flots, tu croirais qu’il sort de chez lui. Pas du tout le genre du monsieur qui vient de se respirer une traversée chahuteuse. Rasé de près et de frais, le lobe talqué, la cravate de laine nouée avec soin, c’est le parfait gentleman, un peu rigide et infiniment courtois produit par la chère Grande-Bretagne. Une espèce de sergent Thomson.

On le fait entrer.

— Vous avez fait diligence, monsieur le superintendant, déclaré-je. Votre esprit de coopération… Nani nana nana nanère…

Je puise, de mémoire, dans l’armoire à tartines du Vieux. Un orfèvre, mon vénéré boss. Y’en a pas douze sur la place de Paris qui soient capables de te remouiller la compresse avec autant d’art, de grâce dix-septième.

Il s’incline.

— Votre affaire m’intéresse d’autant plus vivement, mon cher collègue, que l’on m’avait chargé primitivement de faire une légère enquête sur les étrangers acquéreurs de la conserverie. Le fait qu’ils possèdent un hélicoptère et se livrent à un étrange va-et-vient trouble les paisibles populations de l’île.

Bon, je comprends pourquoi il est si serviable. C’est bibi qui est venu apporter de l’eau à son moulin.

— Puis-je vous demander, monsieur le commissaire, de me relater l’affaire en question avec précision ? Ensuite je vous dirai, moi, ce que je sais des gens en question.

Le révérend Mickmack nous virgule une lichouille de brandy, et je plonge. Ce que je bonnis à mon confrère britiche c’est inutile de le répercuter dans tes trompes puisqu’aussi bien, j’ai eu l’honneur et le mince avantage de te le seriner à moultes reprises sur fond musical.

L’homme de police m’écoute vachetement gravement (moi, je me confectionne des sandwiches d’adverbes et je ne m’en porte pas plus mal). Il opine d’un air fort civil (d’ailleurs il n’est pas en uniforme) lorsque je reprends ma respiration ou règle le débit de ma salive.

Bon, donc, j’y dis.

Tout.

Après quoi, je finis mon verre car ma menteuse a tendance à chauffer, son système de refroidissement par air s’annonçant insuffisant.

— C’est une très étonnante histoire, assure Fouketts.

Tu me croiras si tu voudras, mais il a conservé ses gants, le chéri. Peut-être que c’est le fin du fin de la politesse dans son patelin de Plymouth ? Des us et des coutumes, hein ? Y’a des pays où il est bien de loufer à table et d’autres où t’as l’air d’un puant si tu ne brosses pas la maîtresse de maison (comme c’est l’usage en Laponie et à Paris, par exemple).

Il est précieux, le superintendant Fouketts. La pensée me traverse qu’il est peut-être de la jaquette fendue, mine de rien. Il tient son bras droit collé à lui, comme la patte au repos d’un échassier. Ça fait un peu chochotte.

— Une chose est très particulièrement stupéfiante, rêvasse-t-il, c’est la disparition de ce cadavre de l’homme au charnier. Je suppose, en fait, mon cher confrère, que c’est vous qui l’avez mis en lieu sûr, n’est-ce pas ?

Sa réflexion me choque !

Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que je le berlure pour le plaisir ? L’emmène en barque, ce vaillant fils d’Albion ?

— Mon Dieu, monsieur le superbe intendant, rétorqué-je, votre réflexion me déconcerte. Pour quelle raison prétendrais-je qu’on m’a volé ce cadavre si ce n’était pas vrai ?

— Peut-être parce que la carcasse de cet homme présentait un intérêt brûlant, non ? Allons, mon cher collègue, ne me faites pas de cachotteries, ce n’est guère gentil. Notre collaboration doit être empreinte de la plus totale franchise pour être efficace.

Du coup il commence à m’arpenter les boules de gomme à l’allure d’un fantassin morpion en permission, Fouketts. Je hais qu’on mette mes dires en doute. Surtout quand je ne mens pas. La plupart des gens, tu remarqueras, c’est quand on doute de leurs mensonges qu’ils se foutent en pétard. Ben, moi, Grain de Courge, c’est quand on prend mes vérités pour du toc.

— Écoutez, Fouketts, je n’ai pas l’habitude qu’on mette ma parole en doute. Je vous affirme que ce sont les gars de la bande Himker qui m’ont barboté le corps de Merdanflak, un point c’est tout !

Le policier hoche la tête.

— Il est incorrigible, soupire-t-il.

Et sais-tu ce qu’il fait ? Non, je te laisse pas deviner : on serait encore là mardi prochain, et faut que j’aille chez le dentiste.

Il prend dans le gousset de son gilet un petit truc nickelé, ou p’t-être bien chromé, et le porte à sa bouche. C’est un sifflet. Il émet un seul son, mais terriblement aigu. J’en ai les feuilles qui biscornent de l’intérieur.

Presqu’illico[10], la porte du révérend s’ouvre en force et trois mecs armés bondissent dans la pièce. Parmi eux, non mais tiens-toi bien, car tu te laisserais choir : le vilain Krakzecs, Bulgare de son état et chauffeur-mitrailleur par amour de lard.

Écoute, julot : je viens de potasser le Robert pour chercher des synonymes à « sidérer ». J’ai trouvé qu’ « abasourdir » et « stupéfier », ce qui est d’une faiblesse crasse pour exprimer l’intensité de ce que j’éprouve. C’est de la liqueur de vocabulaire, ça. Du sirop de syllabe. Me faut donc inventer un terme susceptible de m’assouvir la sidérante et abasourdissante stupeur. Ce que je suis, à cet instant ? Eh ben, tiens, je suis « craouchte ». T’entends, Dunœud ? « Craouchte ».

Et je pèse mes mots.


Oh, naturliche, je ne mets pas des années à piger que je suis l’objet d’une machination, comme on dit dans la prose sous cellophane.

Bité jusqu’à la garde, enviandé de première. Couillonné à toute extrémité. Niqué. Zobé. Plumé. Misé. Quoi encore ? T’en veux d’autres ? Oh, et puis merde, t’as qu’à chercher toi-même avec ta cervelle en accordéon.

Le révérend a dégainé un Lüger de son paletot. Kasleen se marre comme une follingue. Le superintendant conserve son bras droit contre son buste, comme s’il soutenait un portefeuille de garçon de recettes. À ce propos, tu te rends compte qu’il n’y a pas si longtemps encore, les encaisseurs se baladaient dans la rue en uniforme, leur sacoche sous le bras ? Seulement ils ont fini par comprendre que de nos jours on n’allait pas loin avec dix ou vingt briques. Alors ils se sont déguisés en parfaits anonymes, ce qui vaut mieux pour leur larfouillet et leur santé.

De cette façon, quelques-uns parviennent à atteindre la retraite.

Ou pour le moins, le coin de la rue.

Or, donc (conjonctionné-je) j’entrave le ciné de ces gens-là. Je pige une foule de choses importantes : par exemple que tout l’îlot est occupé par la bande. Je réalise aussi que ça n’est pas eux qui m’ont fauché le corps de Merdanflak. Je comprends qu’ils tiennent à le récupérer ABSOLUMENT. Ils pensent que c’est moi qui l’ai planqué et m’ont joué cette ravissante saynète bouffonne pour tenter de m’arracher la vérité par la ruse. Je me rends parfaitement compte que l’avenir qui se prépare est plus merdatoire que des chiottes de gare régulatrice en période de mobilisation générale. Car, du moment que cette idée d’un San-Antonio receleur d’adjoints défunts est ancrée dans leur bulbe, ils vont revenir aux grands moyens, comme tantôt dans la cuve à anchois.

Tu risques de la sentir passer, baby.

Gare à tes plumes !

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