Kilébo Kantibez essaie d’affermir sa voix.
Sentant que je réfléchis, il se dit que le moment est venu de passer à la contre-attaque psychologique.
— Commissaire, arrêtez le massacre. Vous vous doutez bien que vous ne sortiriez pas vivant du palais. Nous allons conclure un accord, vous et moi. Vous cessez de mitrailler et je vous fais conduire à l’aéroport, vous et la grosse femme. Vous y prendrez un avion pour la destination de votre choix.
Je rigole.
— La garantie, c’est votre parole, bien entendu ?
— Nous vous accompagnerons, le président et moi, ainsi, jusqu’au moment de décoller, nous vous servirons d’otages.
— Seulement l’avion ne décollera pas !
— En ce cas, je… je demeurerai avec vous pendant le voyage.
Tu parles, Charles. Il y a une drôle de lueur dans ses yeux de sadique en manque. Ce qu’il veut, cézigue-pâte, c’est qu’on s’éloigne d’ici. Je sais pertinemment qu’otage ou non, il sait comment se défaire de moi avant que nous franchissions les grilles.
— Fort bien, réponds-je, en ce cas j’accepte. Mais j’y mets une condition.
— Laquelle ?
— J’emmène avec moi, non seulement la grosse femme, mais l’autre prisonnier au masque de fer.
Sa réponse m’indiquera s’il compte me blouser ou non. En cas d’acceptation de sa part, je serai certain qu’il veut me baiser en canard. S’il refuse, le doute est permis.
Il n’hésite pas…
— Entendu.
— Alors envoyez chercher les deux prisonniers !
— Les gardiens n’ouvrent qu’à moi, commissaire. A moi seul.
— En ce cas, nous allons retourner à la prison. Auparavant dites au vilain général de chiottes qui vous accompagne de me retirer les menottes.
Il confirme mon désir, et un grand dégueulasse qui se prend pour feu Rommel avec ses parements rouges vient en grelottant m’ôter mes cabriolets.
— Si tu fais un geste de trop, j’arrose tout le monde à travers ta carcasse de merde, l’ami ! préviens-je.
C’est surtout la façon dont je tirerais sur ses compagnons qui retient son attention car il me délivre sans oser seulement lever un regard sur moi.
— Parfait, maintenant, déshabille-toi, grand con !
— Quoi ?
— Déshabille-toi, te dis-je.
Il.
J’en fais autant, sans cesser de braquer mon monde, et crois-le, c’est pas commode !
Mais San-Antonio, ne l’oublions jamais, nous qui l’aimons et croyons en lui comme à nous-mêmes, quand il dextère, ne craint personne. Deux minutes plus tard, me voici déguisé en général. Frégoli ! Je ne fais que ça ces dernières heures.
Tout en me loquant, je discute avec le petit requin.
— Dites voir, Kantibez, c’était qui, ce barbu aux lunettes qui m’a d’abord ordonné de filer, puis ensuite m’a kidnappé avec mon cheptel ?
— Il appartenait à la police secrète d’un pays avec lequel nous sommes en train de passer certains accords.
— Concernant les rampes de lancement ?
Il opine.
— C’est lui qui vous a mis au courant de notre mission ?
— Non.
Il a un rire blême de condamné à mort qui plastronne avant son exécution.
— Il ignorait la particularité de ces filles.
— Pourquoi, en ce cas, m’a-t-il ordonné de rentrer en France ?
— Simplement parce qu’il vous a reconnu et qu’il s’est douté que votre séjour ici n’était pas catholique.
— Alors pourquoi a-t-il changé de bord et s’est-il fait le pourvoyeur du président, quand il nous a fait enlever pour, ensuite, lui livrer ces malheureuses en pleine mer ?
— Parce que le président le lui a demandé secrètement et qu’il a voulu lui être agréable.
— Vous, vous saviez tout, n’est-ce pas ?
— En effet.
— Comment ?
— Par l’un des quatre qui vous ont commandé de venir, señor commissaire. Le jeu de la politique est délicat, bien souvent bizarre…
J’en ai froid jusqu’entre les miches. On vit un temps où plus rien n’est possible, parce que plus rien n’est fiable. Tu regardes du blanc et t’apprends qu’il est noir. Peu à peu nos racines sont arrachées, les gars. On nous tue dans l’avenir en tuant préalablement notre essence. On scie notre arbre généalogique et nous, les branches, ne sommes plus alimentées que par un tronc mourant. Mais combien le savent ? Et parmi ceux qui le savent, combien le disent ? Ils sont tous blottis dans leur trouille et font mine de rien, calquant leurs gueules sur celles de ceux qui ignorent. La société est déjà partie en couille et en quenouille. Ne reste plus que sa photo, mes bons chéris. Derrière le cliché rassurant, ça grouillasse vilain, croyez-moi. On est foutus, déjà répertoriés, désignés, programmés. On ne nous tient plus compte. On est hors de question. Gazeux ? A peine… Incolores, inodores ! Plus que des pets qui ne sentent rien et se dissipent au vent des volontés occultes qui ont ramassé la civilisation dans la fosse à merde où elle était tombée.
Moi, je sais bien quand il a eu lieu, le rapt de la personne humaine. J’ai bien vu la mutation perfide. J’ai essayé de le dire. Faiblement, car j’étais pas très sûr au début. Le moche, avec la gravité, c’est qu’elle fait partie des constats. Au début, on ne pense pas trop à elle. Optimistes, nous sommes. Timorés, encore plus. On n’ose pas réveiller le con qui dort, sans motif valablement valable, de crainte qu’il vous engueule. Et puis voilà, et puis ça y est, on l’a dans le cul, pour probablement toujours. Profond. On n’est plus à nous. On appartient au Grand Machin. Le Grand Machin s’est tellement emparé du pouvoir qu’il ne pourrait pas le lâcher, même s’il en avait l’intention. Et il l’a pas ! En ce moment, tu sais pas ? On court sur notre erre ; ou plutôt sur notre ère. Mais tu vas voir cette plongée précipitale, l’artiste ! C’est imminent. Pas la peine de préparer quoi que ce soit, ce sera du sans-bagages. Alors je te dis adieu tout de suite, pendant qu’on peut encore, pendant qu’on a la possibilité de parler. Qu’un matin ce sera fini complet. Adieu, mon pote. On aurait pu vivre une belle aventure. On aurait pu vivre, quoi, simplement. On a cru qu’on vivait…
— Si vous saviez la vérité, pourquoi n’en avez-vous pas informé le président ? reprends-je.
— Le président était très impressionnable. Je lui ai seulement conseillé de ne pas garder ces filles auprès de lui. J’aurais dû lui en dire davantage. Car il est passé outre mon conseil et se les est fait amener au large de nos côtes…
Ça y est, me voici beau comme un général san bravien. Jamais j’ai été aussi fringant depuis ma première communion. Si t’as ton Kodak sous la main, flashe-moi, c’est pour montrer à Maman.
— Cher Kantibez, poursuis-je, nous allons donc retourner à la prison. Si vous faites un geste, si vous ordonnez autre chose que de délivrer les deux prisonniers, je vous déguise en massacre de la Saint-Valentin ; nous sommes bien d’accord ?
— D’accord.
Je me demande si l’arnaque qu’il mijote va s’opérer tout de suite ou un peu plus loin. Selon mon instinct, ça devrait avoir lieu dans la cour du palais. C’est un gars qui a plus d’une corde à sa harpe, crois-moi. Outillé de première. Je tenterais bien ma révolution illico, mais il me manque un élément déterminant.
Nous formons un mignon cortège : le président, Kilébo, le reste des militaires. Et le gars mézigue, marchant presque contre le vilain secrétaire afin qu’on ne puisse me salver sans lui faire sa fête aussi, à ce rat fétide.
Tout se passe normalement jusqu’à la prison, car il n’y a personne avant la geôle privée du tyran. Les deux soldats avec leurs mitraillettes nous regardent survenir sans broncher.
Kantibez s’avance et sonne.
Quelqu’un doit l’observer par l’œilleton magnétique, car il se met à parlementer (si on peut dire) en sourd-muet. Et moi, c’est un alphabet que je connais parfaitement parce que, quand j’étais mouflet, je fréquentais un club de foot de sourds-muets qui se réunissaient près de chez nous. Et j’ai appris, pour m’amuser, avec mon pote Bilou, un petit gars auquel il ne manquait que la parole. Ainsi, tiens, pour écrire le mot « con » tu mets tes quatre doigts en arc de cercle en leur opposant le pouce, également en arc de cerle, manière de former un « C ». Et puis tu fermes les deux arcs et ça donne un « O ». Ensuite tu places ta main à l’horizontale, la paume tournée vers le bas, en ne laissant pendre que l’index et le médius, les autres salsifis étant repliés, et t’obtiens le « N ». Te dire qu’il a le bonjour d’Antoine, Kantibez.
Il comptait me feinter. Je lui tape sur l’épaule.
— Non, mon chou, ne lui dites pas de donner l’alerte, dites-lui de vous amener ici les deux prisonniers.
Son bras lui tombe. Il me regarde.
Moi, manière de lui en démontrer, de ma main libre, j’écris « pauvre cloche » dans l’espace. Alors il est persuadé de mes capacités.
— Fais ce que je te dis, camarade, m’impatienté-je, sinon je t’étends en guise de paillasson devant cette porte ! Je compte jusqu’à trois avant de te balancer le potage. Un, deux…
— Arrêtez ! Oui, oui ! Tout de suite ! glapit cette vilaine enfoirure.
Il transmet enfin l’ordre que j’exige.
Un court instant. Et puis voici qu’apparaissent, couple singulier — ô combien ! — la dame Bérurière et le second masque de fer.
Tu croirais un film surréaliste, voire d’anticipation. Mortadelle, la bonne sorcière flanquée de son robot dévoué. Aladine à la langue merveilleuse. Chère rasade dans un riz-mec des Mille et Hune nuits.
— De quoi s’agite-t-il ? demande la grosse Béberthe qui monte, monte dans les braguettes. Elle m’avise, s’épanouit.
— Ah, bon, c’est vous, cher Tonio ! Je m’doutais bien que vous me délivrasseriez incessamment. Un garçon comme vous, on peut tout s’attendre. V’ savez que c’t’uniforme vous va à ravir ? D’alieurs, j’vous ai toujours imaginé en saint-cyrien avec les épaulettes et la cassolette sur la tête. Vous eussiez été majordome de vot’ prémonition, j’sus sûre.
— Placez-vous au sein de ce groupe, Berthe ! dis-je, en réponse à ses compliments.
— Volontiers, tous les beaux z’hommes, vous pensez. Où est-ce qu’on va, bon ami ?
— Faire un peu de révolution avant de partir, dis-je.
Elle ne s’étonne pas.
Au contraire, elle opine.
— D’autant plus qu’il fait un temps esplendide, renchérit l’exquise femme.
Tout s’opère sans problème jusqu’à ce que nous débouchions sur l’esplanade du palais.
Les soldats rencontrés en chemin se sont foutus dans un garde-à-vous aveugle en apercevant le président et sa suite. Dans les régimes totalitaires, on perd son sens critique, ses facultés d’observation et son besoin naturel d’en savoir davantage. On se met au garde-à-vous, point à la ligne.
Je vais donc à la ligne.
J’ai dit, pas d’encombre jusqu’au palais.
Nous gravissons le perron.
Je cueille délicatement la mitraillette d’un des gardes.
— Au nom du vénéré président, lui dis-je.
Et il laisse licebroquer le mérinos.
— Prenez cet outil, Berthe, tenez-le braqué dans le dos du petit visqueux en noir et, s’il joue au con, pressez sur cette détente, ici.
— Avec plaisir, assure ma valeureuse compagne.
Ah ! comme elle est digne de son seigneur et maître, Berthy ! Quelle vaillance ! Quel courage souriant ! Rien n’altère sa belle humeur, cette joie d’être qui fait crépiter d’allégresse chaque cellule de son corps abondant.
Ayant ainsi agi, je m’écarte légèrement du groupe, d’un pas environ, afin que mes paroles se détachent mieux. C’est terriblement risqué, car je constitue une cible idéale pour le premier dégourdi venu qui voudrait faire du zèle.
— Soldats, officiers, officiers supérieurs, écoutez-moi ! crié-je. Rassemblez-vous devant ce perron, j’ai une communication de la plus haute importance à vous faire.
Des moutons !
Et pourquoi d’ailleurs insulter ces braves bêtes qui fournissent au moins des gigots et de la laine, alors que nous autres, plus dociles encore qu’eux, ne donnons que de la merde et des bulles ?
Pareils à des hommes, aussi pleutres que des hommes. Plus soumise que des hommes, la horde soldatesque se masse à nos pieds. Les visages luisants se brandissent. Ce spectacle de moi, inconnu, jactant en présence du président et de son secrétaire apeurés, déjà ça les bouleverse. Ils comprennent qu’il s’est passé quelque chose et que de grands chancetiquements vont se produire. Ils l’espèrent très fort. L’homme raffole du changement. Son rêve, c’est de voir capoter les routines pour que s’en instaurent de nouvelles. Du nouveau ! Baudelaire l’a dit, ce con. Le but suprême ! La tentation universelle.
Je me racle la gargante et j’attaque :
— Vaillants militaires qui êtes le soutien et la gloire du San Bravo, la Providence m’a dépêché parmi vous pour vous apporter la lumière de la vérité. On vous a trompés ! Pendant plusieurs années, vous avez été la victime d’un imposteur. Tiago Chiraco n’était que le président en titre de votre vaillante nation. En réalité, il n’a jamais gouverné. Celui qui commandait, dans l’ombre, c’est son soi-disant secrétaire, l’abominable Kilébo Kantibez, ici présent. Lui, seul. Maître absolu des destinées de ce pays. Tyran sanguinaire. Despote éhonté, et j’en passe. Il était relié en permanence avec la personne du Chiraco par un astucieux système de radio à ondes brèves. Je le prouve ! Voici les lunettes de Chiraco !
Je brandis les lunettes prises naguère au président.
— Les branches contiennent des écouteurs à modulations fragolées, tandis que le bas de la monture, à l’endroit des verres, recèle un micro. Maintenant, regardez, vaillants militaires, regardez bien.
Je cueille Kantibez par le paletot, ouvre ce dernier.
— Dans la poche intérieure de son veston, il y a un poste récepteur miniaturisé. Ceci (je désigne la fleur piquée à son revers) est un micro. Ce micro lui permettait de donner des instructions au président à tout instant de la journée et en tout lieu, sauf lorsque les deux hommes se trouvent distants l’un de l’autre de plus de cinquante kilomètres. Pourquoi cet homme a-t-il agi ainsi, soldats, militaires et divers ? Pourquoi ? Parce qu’il préférait assurer le pouvoir par personne interposée. Ainsi évitait-il tous les risques inhérents à cette haute fonction. Chiraco était exposé aux attentats, aux pressions, à d’autres grands dangers, et lui pas. Et puis, mes amis, et puis regardez-le, a-t-il la stature d’un chef d’Etat, ce cloporte fait pour l’ombre ? Que non pas ! Auriez-vous consenti, valeureux militaires habillés en soldats, à suivre aveuglément cette raclure d’humanité ? Ce vilain petit rat qui pue ? Jamais ! Je vous connais, il suffit de vous regarder, de lire l’intrépidité et la noblesse sur vos mâles visages pour savoir qui vous êtes et que, contrairement à ce minus, vous, vous avez du monde dans vos pantalons ! Maintenant, me direz-vous, apportez-nous la preuve de ce que vous avancez. Le fait que Chiraco et son secrétaire soient reliés par radio ne prouve rien. J’admets cette objection, mes amis. Et je la devance. Et j’y réponds. Quelqu’un a-t-il une clé à molette à portée de la main pour venir ôter le masque de fer de cet homme qui était, il y a un instant encore, prisonnier de l’infâme Kantibez ? Vous, mon général mécanicien. Alors, approchez, vous serez de la sorte le premier à savoir.
Le général sus-mentionné se pointe sur le perron. Il a les mains pleines de cambouis. Il s’attaque aux boulons du masque. L’instant est solennel. Personne ne bronche, pas plus Chiraco que Kantibez ni que les militaires rassemblés. On perçoit seulement un borborygme de Berthe Bérurier qui, à voix onctueuse, me demande :
— Pensez-vous qu’il en eusse t’encore pour longtemps, Antoine ? car j’ai besoin d’aller au petit coin.
— Ce sera vite fait, Berthe, pronostiqué-je.
Et, en effet, le général mécano sait boulonner, donc déboulonner. On ne l’a pas promu général pour ses beaux yeux, tu penses ! D’abord, il louche !
Moi, j’ai hâte qu’il en termine, parce que plusieurs centaines d’hommes, tu ne maintiens pas leur attention jusqu’ad vitam aeternam, comme disent les joyeux compères Pierre Larousse et Claude Augé à la page une de leurs pages roses.
Enfin cric crac, voilà. Le masque est séparé en deux parties équidistantes. Le général à molette pousse un cri.
Pour ma part, et quant à moi, j’ai un pincement aux burnes, car enfin, je me dis que j’ai pu après tout me gourer dans mes hypothèses et échafauder à côté de la plaque. Alors je regarde vite vite. Et respire.
Poussant le malheureux aux épaules, je le montre à la foule, comme Danton brandissait tête au peuple après son exécution si capitale pour lui.
— Regardez, tout le monde !
Et alors, ces gens, ces militaires, ces hommes indécis, mais gourmands de nouveauté, qui, jusqu’alors m’ont écouté sans mot dire, sans maudire non plus, poussent un cri immense. Un « Ahahaooooo ! » de bourrasque. Tu croirais une ventée d’orage dans les frondaisons de la forêt amazonienne (si tu vois ce que je veux dire ?). Oui, exactement : « Ahahaooooo ! »
Et on ne peut le leur reprocher.
Tout cela est tellement insensé. C’est tellement tellement. Qu’on admet une pareille clameur. Rends-toi compte, cher vieux cocu à rondelle, rends-toi bien compte. Et même rends-toi Comte (comme ce cheik costaud qui faisait un numéro de comte-cheik costaud).
Le démasqué, c’est Chiraco.
Un autre Chiraco.
Un troisième Chiraco, le premier étant mort sur son yacht où il est allé loncher les trois frangines, hors d’atteinte du circuit radio qui reliait le faux tyran au vrai !
Une double histoire de triplés, en somme.
— Comprenez-vous, maintenant, guerriers impétueux, sang pur de la nation, comprenez-vous que Kantibez vous a joués ? Il disposait de trois frères pour lui servir de marionnettes, comme un ventriloque a plusieurs poupées de rechange. Ainsi, celui qui est habillé en président n’est pas le même que celui qui est sorti de ce palais avant-hier. Et pour cause, car celui de l’autre jour est mort. Kantibez retenait ces deux malheureux dans son infâme prison, à toutes fins utiles. Telle est la forfaiture d’un misérable qui vous a joués, vous, les plus fameux d’entre les fameux. Quel est le plus haut gradé d’entre vous ?
Un bras se lève.
— Vous, monsieur le maréchal de bananes ? Très bien. En ce cas, vous allez assurer l’intérim du pouvoir en attendant que le peuple san bravien choisisse son destin.
Et j’écrie, en levant le bras du maréchal abasourdi :
— Voici votre nouveau président provisoire !
« Vive le président ! » hurle la foule militaire, docile, parce que, vois-tu, y a pas à se faire chier avec les mecs, n’importe leur nationalité, voire leur degré de sottise : il suffit d’imposer, de rendre naturel ce qui n’avait aucune raison de le sembler.
Je tends la main au nouveau président.
— Tous mes compliments pour cette élection, vénéré président.
Et j’ajoute, à mi-voix :
— Il n’y a aucune raison pour que vous ne conserviez pas le pouvoir pour peu que vous sachiez faire montre d’autorité.
Le « nouveau » est un gros mec congestionné, avec une moustache en guidon de course.
Il opine gravement, preuve qu’il n’est pas plus con qu’un autre, voire même que toi.
Faire montre d’autorité. Il sent qu’il convient de ne pas lésiner. Il doit s’imposer dare-dare. Spectaculairement.
Alors, l’idée géniale lui vient.
Il sort son revolver et fait sauter la tête de Kilébo Kantibez.
— Vive le président ! mugit la foule.
— Il est dégueulasse, ce mec, regardez ma robe ! glapit la mère Bérurier.