CHAPITRE TROIS QUI VA TE FAIRE FROID AUX MICHES SI TU NE METS PAS TES COLLANTS DE SKI

Joël Larmiche regarde décarrer Bérurier-le-Méchant au volant de sa grosse caisse ricaine. Se dit qu’il pilote comme un con et que ce péquenot a dû apprendre à conduire sur un tracteur. Craint pour sa pompe, bien qu’elle soit vieille et n’excite même pas la convoitise d’un romanichel.

Il est tard, la rue du Poteau-Rose est aussi déserte que celles avoisinant une centrale thermonucléaire un lendemain de fissure.

Joël est content de regagner son home, de retrouver son homme, ainsi que sa petite maman. Il est présentement maqué avec un danseur du Pet qui Fume surnommé « Friandise ». Aujourd’hui, il fait relâche et l’attend dans leur chambrette tapissée de cretonne bleue et rose. Mme Larmiche l’aime bien et préfère avoir un gendre plutôt qu’une belle-fille. Avec une nana, ça ferait des étincelles ; tandis que « Friandise » est un être délicat qui lui ramène une rose ou un gâteau chaque jour. En outre, le couple est discret et pratique la sodomie avec tact et vaseline.

Larmiche a grand besoin de tendresse après la dure mésaventure qui vient de secouer sa vie. Heureusement que le directeur de la Police a cru à son innocence, sinon l’affaire risquait de mal tourner. Mais y a-t-il cru réellement ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’une ruse ? Une supposition qu’il l’ait fait relâcher, mais en lui mettant un fil à la patte ? Ce serait d’assez bonne guerre, non ? Cette perspective ne parvient pas à atténuer sa joie de retrouver son logis. Il presse le pas.

Peu avant qu’il atteigne son immeuble, une voiture qui se trouvait en stationnement devant sa porte cochère démarre doucement. « Tarte aux fraises (des bois) » qui déambulait au milieu de la strasse emprunte le trottoir pour lui laisser le passage. L’auto sombre n’accélère pas, sans doute pour ménager la quiétude bourgeoise des habitants de la rue. Mais parvenue à deux mètres de Larmiche, elle oblique résolument à droite, escalade le trottoir (bas sur cette voie tranquille) et emplâtre le dealer contre le mur de la teinturerie Crapeau. La mère de Mme Crapeau tenait déjà cette boutique avant la dernière guerre. Même qu’il y a des vieux, dans le quartier, qui se rappellent parfaitement comme elle se faisait miser sur sa banque, après avoir baissé le volet roulant, la daronne. Une pétroleuse dodue, avec de la moustache et des fourchetées de poils qui lui jaillissaient de la culotte lorsqu’on la lui ôtait !

Donc, faut en revenir à Joël Larmiche que la sombre voiture vient délibérément de télescoper contre le mur où s’étale encore une vieille affiche de Georges Marchais, rajeuni sous sa teinture neuve préélectorale.

Il a le bassin broyé, Larmiche, les fémurs aussi et ses couilles ont dérouillé sec, de même que son bide. Il ne peut émettre un son. L’auto marche-arrière chouïa et Larmiche glisse le long du mur. Quand sa poitrine atteint le niveau du capot, le véhicule exécute un nouveau rush et ça craque biscuit dans sa caisse à horloge. Dans la lumière des phares, le conducteur voit dépasser la frime hallucinée du « droguiste » que tu la prendrais pour un bouchon de radiateur, du type Jaguar ou Rolls, mais maintenant ils sont prohibited.

Une seconde fois, l’agresseur s’écarte de la façade et le gars Joël choit plus bas ; mais pas jusqu’au sol. Deuxième mouvement avant et c’est la tronche du pauvret qui éclate.

Alors le conducteur manœuvre pour tout de bon et s’en va sans hâte, laissant un tas de hardes sur le trottoir. Aux aurores, il va devoir se rendre à la station lavage express de son quartier, pour faire disparaître les vilaines éclaboussures.


Deux plombes plus tard, Bérurier est de retour avec la grosse ricaine. Il aperçoit un zig allongé le long d’une façade de teinturerie, mais le prend pour un clodo et gagne l’impasse du sculpteur. Fidèle aux consignes qu’il a reçues, il gare l’auto sur son emplacement réservé, prélève la clé de contact, verrouille les portes et se met en chemin.

A cet instant, l’une des statues lui adresse un « Tsssiiit ! » que seuls les gens possédant comme Noah les dents du bonheur réussissent à la perfection.

Le Gravos s’approche de la statue sifflante. Son regard fait des grumeaux car il a passablement picolé (non pas du beaujolais nouveau, mais des vin blanc-rhum, sa nouvelle passion). Il constate une femme en pyjama, survêtue d’un pardingue d’homme qui lui dissimule ses mains et ses mollets. Elle est rondelette, blonde frisottée, avec des yeux de ruminant distingué (du fait qu’ils sont très clairs). Elle est chaussée de pantoufles de cuir bordées de cygne.

— Qu’est-ce que vous fabriquez ici ? demande-t-elle d’un ton catégorique. C’est une propriété privée, ne savez-vous pas ?

— Je rapporte la bagnole de mon pote Larmiche dont il m’a prêtée, rétorque le Gros en agitant les clés du tas de ferraille à roulettes. Et vous, jolie p’tite maâme, vous rêvez z’à la lune comme su’ l’couvercle d’une boîte à biscuits qu’on avait chez nous dans mon enfance et qui représentait Colombine z’av’c son Colombin ?

— Moi, je sors ma chienne qui a des ennuis d’intestin, révèle la noctambuliste en désignant un fox-terrier pour gramophone occupé à déféquer au pied d’Apollon, cela à grand-peine et avec force trémoussements.

— V’devreriez y faire boire d’l’huile d’olive, prescrit le vétérinaire Alexandre-Benoît Bérurier, de Maisons-Alfort, c’est juste un peu d’constipation consécutif aux fécules lentes.

Puis son admiration pour la dame se déclenchant, il demande :

— Vous habitez chez l’esculpteur ?

— Je suis sa femme.

— Sa femme ! Mais j’m’ai laissé dire qu’c’tait un vieux schmoll ?

— Ça ne l’a pas empêché d’épouser une fille de trente ans sa cadette ! Je lui servais de modèle, et puis…

Elle montre une Diane aux bains, près de là.

— C’est moi, ça !

Le Mastard émet un sifflement admiratif.

— Dedieu de Dieu ! bée-t-il. Vous permettasses qu’je visualise av’c les mains ? J’sus comme les aveug’, moi, dans certains cas.

Il se met à caresser les seins de la statue en forme de calebasses et son cul comme deux citrouilles en nourrice.

— J’comprends qu’il vous eusse épousée, mon trognon ! D’autant qu’ je parille qu’ la réalité est aussi dure que l’affliction. Ça m’intéresserait d’vérifier, mais p’t-être allez-vous me jugeasser trop hardi, comme disait Laurel ?

Elle a un sourire complice. Il ne sollicite pas d’autres Ausweis et amène ses rudes paluches sous le pardingue heureusement relâché.

— Dedieu de Dieu ! ronronne le bipède : c’est aussi gros, aussi ferme, mais beaucoup plus chaud. Ya yaïe ! Moi, des roberts commaks, j’en f’rais mes choux-raves jusqu’à vital-éternit ! Et le michier, dites ! Alors là, la nana de béton peut aller se refringuer ! Il a presque quasiment doublé, d’puis qu’vot’ vieux kroum l’a modèdelé. Et la moulasse, parole d’homme, on croirerait plus la même !

Il passe le tranchant de sa dextre entre les jambes de pierre, puis, immédiatement après, plaque sa pogne complète entre les jambes de chair.

— Plus du tout la même fente, ma colombe ! On sent qu’v’s’avez déluré d’puis qu’l’artiss y est allé d’ son œuv’. Vot’ frifri s’est pas croisé les jambes ces derniers temps ! Charogne ! Vous parlez d’une escalope ! Là, y a d’quoi r’faire des oreilles à Lauda ! Et des chouettes, façon Jumbo ! Ça festonne, ma loute ! On peut dire qu’vous pavoisesez du trésor. V’savez qu’vous m’excitez, mine de rien ?

La compagne du sculpteur rétorque, d’un ton pincé :

— J’en suis flattée, mais refrénez vos bas élans, monsieur, car je dois vous avouer que vous n’êtes guère mon genre !

Oh ! la bêcheuse ! Il en est soufflé pire qu’à Murano, Bibendum. Qu’est-ce qu’elle se prend, cette pécore ? La Couine of England ? Elle est là, puant le plumard non ventilé dans son pyjama à la limite du hors jeu, affublée d’un lardeuss qui ferait honte à un épouvantail, et elle te joue les chochottes du gland, avec sa babasse en babines d’hippopotame !

Il faille s’indigner fort, Zéphirin, rameuter les endormis de Belleville. Mais il lui vient une idée subreptice dont il garantit l’efficacité.

— Ah ! j’sus pas ton genre, Gamelle ?

Un bruit sec de fermeture Eclair actionnée à l’énergie. Le tumultueux coule sa main par l’entrebâillement de la fenêtre, s’empoigne le module vibrant, l’extrait de la grotte miraculeuse et le laisse dodeliner à l’air libre.

— Et ça, la mère, c’est ton genre ?

L’épouse du sculpteur se fige, pétrifiée par la stupeur et l’admiration.

Si tu savais la fière allure qu’il a ce monstrueux paf, à la clarté lunaire, dans ce jardin extraordinaire digne de l’immortel Trenet ! La lumière d’un réverbère parvient jusqu’à la tige royale (royale car elle a l’air d’un sceptre, et non d’un spectre). Son beau casque (forme germanique, hélas, mais pour le fourrer où il le fourre, c’est bien suffisant) rutile. Le dieu Priape vient de se joindre aux autres divinités de l’impasse. La dame continue de considérer l’hémisphère sud de ce mâle surdimensionné. C’est chaque fois pareil, quand le Gros dégaine à l’improviste. La stupeur engendre le silence. Sans blasphémer, je qualifierais celui-ci de « religieux ». Tant de sentiments forts se croisent, s’entremêlent : incrédulité, admiration éperdue, ferveur, instinct grégaire, ardente croyance dans les destinées de l’espèce, respect surtout ! D’emblée, toute spectatrice délivre une minute de silence et déplore de ne pas avoir de drapeau français à disposition afin de l’agiter en entonnant la Marseillaise.

Béru a la victoire élégante. Il triomphe en souplesse.

— Mouis, j’sais, dit-il. Première rédaction : la taisance. N’ensute, vous voudrerez l’toucher, voir n’en quoi qu’il est, si c’est d’la viande ou du cayoutchouc. Et puisse, quand vous l’aurez bien flatté d’la main, y vous viendrera l’besoin d’vous l’faire carrer en moniche, ma pauv’ chérie ! Vot’ instincte féminin de femme. En vous, quéqu’chose s’déclenchera, vous vous direrez qu’un zob commak, c’est p’t’êt’ la Providence qui l’a placé su’ vot’ route. V’n’avez jamais vu l’pareil et n’ l’reverrerez plus, au grand jamais. Vous décadrerez alors d’vous engouffrer c’trognon, à tout prix, ne fusse-t-il que pour pouvoir raconter la chose à vos amies. Une espérience d’ c’diamètre, c’s’rait d’la folie d’lu passer l’outre, ma colombe !

Elle écoute sans entendre, ou bien entend sans écouter. Et le canevas énoncé par Sa Majesté se déroule point par point. Elle s’approche, tend une main extraordinairement préhensible, fait « pin-pon pin-pon » avec l’objet dont la rigidité va croissant.

Légère digression, au plan de bataille prévu : elle s’agenouille devant cette magnificence divine, égosille de la clape, s’écarquille les mâchoires, fait dents de velours et entonne le chant des partisanes.

— Oh ! alors, si maâme sert déjà les z’hors-d’oeuv’ ! roucoule Sa Seigneurerie, où va-t-on-ce ?

Mais l’épouse du sculpteur s’étouffe à l’oral. Déjà qu’elle ne supporte pas l’abaisse-langue du docteur, alors tu parles, une aubergine d’un kilogramme, tout épluchée !

Galant, l’Enflure récupère sa torpille terre-cul.

— Laisse, tu vas aller au refile, ma grande. Tourne tes miches du côté du Sacré-Cœur et appuille-toi des coudes sur c’te colonne ; voilà ! T’as tout pigé. A présent, on écarte les cannes, ma toute belle, bien faciliter l’entrée du gladiateur dans la fosse aux ours ! Pas de regimberies, je te conjure ! Tu laisses flotter les rubans, j’vas te pratiquer dans l’velouteux, l’vaporeux. Une vraie valse de Chtrosse. Tu t’croiereras au septième ciel avant Jésus-Christ, tant tell’ment mon champignon anatomique va t’réjouir l’couloir à tringlette ! T’seras ensorcelée, gamine ! Folle d’mon zob ! Des fois, j’me dis qu’je devrerais en faire faire un moulage et qu’on l’vendrait dans les sesques-shops aux gonzesses que l’époux est monté sapajou, ou bien aux veuves qu’ le temps leur tricote des toiles d’araignée à force de faire tintin, les pauvrettes !

« Là, voilà ! T’es parfait’ment à point pour toucher ton bon d’caisse, la mère ! Soye aimab’ : guide M’sieur Popaul jusqu’à la suite présidentielle. Gaffe qu’y rentre pas d’poils en même temps que lui, ça m’le rayerait biscotte il est encore plus chauve que M’sieur Daniel Boulanger, l’académicien. Bien. Croive pas qu’j’vas arquebrouter ! Pas de ça, Lisette : force et souplesse. Milord rentre chez lui sans ses fractions, su’ la pointe du nœud : c’t’un délicat. La sauvagerie, il laisse ça aux Cosaques ! La baisouille franchouillarde, ma jolie. Normande ! Donc la vraie.

« Voilà, tu le sens mon gros raminogrobis qui te chuchote dans la moniche ? Tu croirerais le clapotage des vagues su’ l’lac du Bourget. Féerique, non ? Ah ! tu vibres, hein ? Ça t’intéresse mieux qu’un discours de Maurice Chirac ! Assure bien ton assiette, fillette, il se pourrerait qu’j’ poussasse les feux. Quand je frénésise, moi, j’ai du mal à r’tenir la telage. Voilà, c’est parti pour la gagne ! Mon infanterie pilonne l’arrière d’tes positions. Dis, la petite mémé, c’est pas ta joie d’viv’ qu’je te pratique là ? Non, surtout gueule pas, tu risquerais d’alerter ton vieux ! Comment ? Il est constipé des feuilles ? Ah bon ! Nanmoins t’as des voisins !

« Mais qu’est-ce y s’passe ? Oh ! dis : ta chienne qui m’lèche les noix ! C’t’affectionneux, ces p’tites bestioles, hein ? Tu peux pas y dire d’rester tranquille, ça m’fait marrer, la chatouille. Elle s’appelle comment t’est-ce ? Finette ! Voilions, Finette, laisse mes roustons peinards ; on n’joue pas av’c ça, c’est des choses sérieuses ! Allons bon : l’oignon, maint’nant. C’t’une vraie gourmande ! On m’avait dit : les fosse-terriers, c’est viceloque ! Toujours la truffe au cul d’quéqu’un !

« Attends, môme, bouge plus : v’là du monde. J’t’le conjure, reste immobile, j’t’ finirai dès qu’y s’ront r’partis. Et ta pute de chienne qui me tire des grands coups de langue râpeuse su’ l’filet, merde ! »

Le Mastard se tait, because une voiture a pénétré dans l’impasse, y a manœuvré comme si elle entendait repartir, mais elle stoppe au niveau de la bagnole de Joël Larmiche. Le conducteur coupe les gaz et les phares. Il descend de son siège, suivi d’une fille vêtue on ne peut plus court de collants noirs, d’une jupe-culotte à peine plus étoffée qu’un slip et d’un manteau trois-quarts en fourrure. Détail croustillant : elle porte des cuissardes noires, moulantes comme des gants de chevreau.

Le couple marche jusqu’à la grosse tire ricaine. L’homme sort de menus outils de sa poche et entreprend de libérer le verrouillage central. Pendant qu’il s’active, sa camarade fait le guet.

Elle chuchote :

— C’est impressionnant, ces statues au clair de lune.

Son panoramique stoppe sur le groupe Béru-femme du sculpteur.

— Tiens, il fait dans l’érotique ! note-t-elle.

Elle va pour s’approcher du couple uni par la levrette éternelle, mais son ami la rappelle à l’ordre :

— Dis, on n’est pas au musée, Charlotte !

Alors elle revient à lui.

Il a ouvert et l’un et l’autre pénètrent dans la tire du dealer : l’homme à l’avant, Charlotte à l’arrière. Les voilà qui se mettent à jouer les fourmis, examinant tout avec componction. Quand ils en ont terminé de cette inspection, ils sortent, enlèvent les banquettes et les dossiers afin de poursuivre plus loin leur exploration minutieuse. Mais ils doivent rester sur leur faim car ils rouscaillent à mi-voix.

Béru, toujours dans les fesses de la dame au fox-terrier hardi, commence à prendre des fourmis dans le virevolteur de complaisance. Quant à sa partenaire, à gestes insensibles, elle recule pour que s’engage plus avant le chibre monumental de sa nocturne rencontre. Finette continue de savourer l’incomparable rectum béruréen, mais elle a la judicieuse initiative de procéder sans bruit ni clapage intempestif, en chienne bien élevée qu’elle est.

Les visiteurs du soir remettent maintenant les banquettes en place et vont ouvrir le coffre. Bien que celui-ci soit vide, ils en explorent les recoins : roue de secours, trousse à outils, tas de chiffons, boîte à chaînes pour la neige. Mais décidément ils ne trouvent rien de ce qu’ils sont venus chercher. Alors quoi, que veux-tu qu’ils branlent dans ce jardin où les statues baisent ? Ils remontent dans leur carrosse et se font la belle.

Toutes affaires cessantes, Bérurier qui commençait à se les geler, se les réchauffe et la promeneuse de chienne lubrique dérouille une bitée farouche qui la fait gueuler nonobstant les adjurations du Gros !

Tu vas trouver que je m’exprime grossièrement, et j’en conviens extrêmement volontiers, mais tu voudrais écrire ou parler comment, toi, dans le monde décati, le monde de catins au sein duquel nous tentons de gérer nos pauvres restes ? Tout est si abominable et foutu ! Pernicieux et obstrué ! Déshumanisé et poisseux ! Egaré chez tous ces occlusés intestinaux ou ces diarrhéiques injugulables. Perdu dans un vivier grouillant de cons barboteurs qui se noient en croyant nager, la langue de Montaigne et de Dutourd n’a plus son efficacité. Les tympans saturés ne perçoivent plus que les jurons. On ne caresse plus les chiens, mais les porcs-épics. Les visages sont devenus inexpressifs et l’on ne réagit plus encore qu’à quelques culs. Même la mort n’intéresse personne. On a beau gonfler les disparitions illustres (et te gonfler avec), elles ne font pas recette. Y a désabusance totale, démobilisation générale. Puisque rien ne peut durer, que tout finisse donc ! A force d’à force, tu sais quoi ? On finit par ne plus s’aimer soi-même, on n’en a rien à branler de son destin !

Quelques extrasensibles s’intéressent un peu à leurs enfants, juste pour dire… N’empêche qu’ils les laissent se camer et leur achètent des motos, acceptent sans broncher qu’ils s’en aillent traîner leurs lattes à travers les hémisphères, les longitudes, pour se forger un moral de clodo, de cloporte. De nos jours, un môme qui sort premier d’H.E.C., ses vieux n’osent pas le dire aux amis et connaissances, tellement que ça fait louche. Leur grande fille est reçue au bac avec mention very well ? On organise dare-dare la conjuration du silence, tant on a honte qu’elle soit pas vaillamment partie pour Katmandou avec les autres, cette brebis galeuse ! La mode, c’est roulasse, pétasse, drogasse, connasse. L’amour ? Ques aco ?

Voilà pourquoi, moi qui sais tout ça, plus le reste ! voilà pourquoi je balance ferme et fort. Y a plus d’oreilles chastes : y a que des oreilles mitées ! Faut pas craindre, mon fils ! Crache-leur bien tes noyaux de mots à travers la gueule ! Et s’il pouvait y avoir un peu de glave autour, ça n’en serait que mieux !


Donc, Béru a dûment assaisonné les meules de la dame au chien. En homme épris d’hygiène, il s’essuie subrepticement le braque avec le pardingue du sculpteur qui semble avoir été soustrait à une invasion de gastéropodes et promet à sa partenaire de la revoir bientôt ; un de ces soirs. Il fera comme le train : il sifflera trois fois sous ses fenêtres. A quoi bon se gêner puisque son Léonard de Vinci a les cages à miel fanées. Il lui recommande de préparer une carouble pour la prochaine, et surtout de laisser son cador bouclarès dans la cuisine, vu que c’est pas joyce de se faire pourlécher le recteur et les aumônières en cours d’ébats. Y a des tordus que ça ferait frétiller de la membrane, mais lui, Alexandre-Benoît Bérurier, il est pas porté sur la zoophilie. Il a bien sodomisé une chèvre, quand il était adolescent, mais uniquement parce qu’elle avait de beaux yeux.

Il envoie une caresse osée à la moulasse en cours d’expertise de la dame. Il embrasse peu, le Mastard, tu remarqueras. Le baiser buccal, c’est pour l’amour vrai, « celle » qui te chancetique le guignol et te laisse des langueurs. Sa prise de congé habituelle, c’est la paluche plongeante entre les cuisses de l’intéressée.

Il est gonflé de contentement. Ce couple venu en pleine nuit s’intéresser à la tire du « dillinger », quelle aubaine ! Un moment, il a eu l’idée de déculer pour arraisonner ces zozos ; mais il a préféré chiquer au groupe statufié : Jupiter embroquant Junon ! La première fois qu’il joue les personnages minéralisés, Béru ! Encore heureux qu’il ait pas eu besoin de craquer une louise. C’est un truc qu’il n’a jamais pu contenir, le chérubin. Un pet, faut qu’il aille au bout de son propos. Tout ce qu’il peut, pour atténuer son impact, c’est ne pas le moduler. Le balancer en vrac, sans chercher à faire des vocalises anales, des triolets, voire du syncopé, malgré son goût pour le jazz.

De son pas chyderme lourd et ébranleur de terres meubles, il retourne à l’auto. Il n’ira pas rendre les clés de Larmiche tout de suite. D’ailleurs, rien ne presse, le « dillinger » doit roupiller[3].

En policier con sans cieux, il retourne à l’endroit où il a conduit ce tas de boue très naguère.


Ça se trouve à dache, dans le treizième, près d’un entrepôt dont la verrière lapidée par les garnements du quartier bâille à la lune avec des crocs acérés.

Un portail de fer peint en bleu Royal Air Force avec des caractères jaunes : « Justin Peuplux-Techniques de pointe ».

Près dudit portail, une porte genre anglais donne accès à une maisonnette aux volets verts. Béru enfonce le timbre de la sonnette et le maintient coincé en attendant que le quartier soit réveillé. Bientôt, une fenêtre du premier s’entrouvre et une femme blonde paraît.

— Vous êtes malade ou quoi ? aboie-t-elle.

— Mande pardon, c’est pour une urgerie, s’excuse le Délicat (essen). Dites à vot’ mari qu’c’est moi dont j’sus venu t’t’à l’heure av’c une pompe ricaine.

— Non mais vous croyez que c’est une heure pour sonner chez les gens ?

Le Gravos baisse la voix et exhale :

— Police !

Le ton est urbain, mais ferme. La dame ne répond rien et part à l’assaut du sommeil marital.

Dès lors, Alexandre-Benoît n’a plus longtemps à poireauter. Les deux vantaux du portail s’écartent et il se trouve nez à nez avec son interlocuteur de naguère : un grand diable maigre et abondamment barbu. Son regard ardent luit parmi ses poils comme deux diamants noirs dans du crin. Il porte un short et un tricot de corps, plus des sandales de cuir ravaudées avec du fil de laiton. Il a les paupières alourdies de sommeil et pue de la gueule comme une exhumation.

Sa frime perpétuellement tragique fait que ça n’a pas d’importance qu’on le réveille en sursaut dans son premier sommeil.

— J’ vous casse probab’ment les roustons, mon cher, déclame le Vigoureux, mais vot’ engin a déjà fonctionné et j’vous saurais un plein pot d’gré si vous m’en récupérez le résultat.

Le grand Christ acquiesce :

— D’ac.

— C’s’ra-t-il long ? s’inquiète le fameux détective. J’vous d’mande ça parce que les bistracs sont fermagas dans le quartier.

Le barbu hoche la tête.

— Entrez chez moi, Martine va vous préparer un café.


Elle a ravalé ses rognes nocturnes, la blonde. Bien qu’il vienne de bouillaver comme un malade, Béru en est interloqué du glandulaire. Faut dire qu’elle y met du sien, la Martine. Elle est grande (un mètre huitante, de la cave au grenier), très blonde, pleine de formes et de viande appétissantes, à consommer sur pied. Mais alors, le fin des fins, écoute ! Elle porte un tu sais quoi ? Baby-doll ! Oui, j’ai dit et je répète : un baby-doll, comme dans les sixties (crois-je). Pour ceux qu’ont pas eu la chance de connaître, je rappelle qu’il s’agit d’un vêtement de nuit féminin vaporeux, arachnéen, en forme d’abat-jour, et qui ne cache que la moitié des fesses. D’ailleurs il ne cache RIEN. Il voile seulement. A peine ! De la fumée transparente !

Bérurier s’arrête, frappé de paralysie.

Il bougonne :

— Quel fumier, ce barbu !

La Martine rebiffe. Aussi sec, elle prend les suifs de son julot.

— C’est de Justin que vous parlez ? sévérise-t-elle.

— Et comment ! Me faire ça à moi !

— Qu’est-ce qu’il vous a fait ?

— Une femme pareille, pour lui ! Et pas pour moi ! Je m’suicid’rerais si j’avais un pétard coudé !

Elle se décrispe, prenant la chose pour un compliment.

Alors Béru déclare, jouant son va-tout :

— Ecoutez, mon p’tit cœur. Le baratin, c’est du vent. C’qu’importe, c’est les actes, et même les entractes. Pour être franc, j’viens d’ finir une p’tite ménagère, y a pas vingt minutes. En levrette, c’qu’est assez performateur dans son genre. N’importe qui, j’vous mets au défi, lu faut deux trois plombes pour s’reprendre, r’charger ses batteries. Nous sommes bien d’accord ? Ben, d’vous apercevoir, moi, v’là l’résultat !

Assez théâtral, le bougre, il débraguette comme saluaient les mousquetaires dans un envol de feutre et de plumes. Et le prodige se répète ! Présent ! Un monstre ! Encore énervé par les agaceries récentes.

Eternel recommencement. Mouvement océanique du membre béruréen. Ah ! la fière hallebarde, et comme elle salue bien ! Comme les gardes du Vatican ont l’air engoncés, comparativement. Un coup à droite, un coup à gauche ! Faites la belle, Miss Ziffolo ! Voilà, merci, bravo !

La femme du barbu en a les larmes aux yeux ! Mais la grosse bébête la terrorise. Curieusement, elle n’a pas envie de palper, encore moins de se laisser carrer ce missile dans le train des équipages.

Elle mimique pour exprimer la sidérante, l’effroi devant pareille monstruosité. Cela dit, elle craint les phénomènes, Martine : les sœurs siamoises, le géant Atlas, le nain Tom Pouce, l’homme-singe, elle en fait pas ses choux gras. Elle préfère un bon film. Néanmoins, une queue aussi extravagante la perturbe, la déroute. Elle frissonne à l’idée qu’une dame femelle se laisse enquiller une épaule roulée d’un tel diamètre.

Bérurier flatte l’objet, comme il sait si bien le faire, plaçant sa main sous la chose pour la faire sautiller, lui donner des couleurs, de la fringance.

— Tu t’imagines avec ça dans les moustaches, la mère ?

— Sûrement pas ! assure-t-elle.

— T’as peur que ça t’écarguille d’ trop l’escarguinche ? Ton Moustaki t’astique au cigarillo italoche ?

— Non, ça me dégoûte ! répond la dame blonde avec un baby-doll et rien dessous.

Oh ! le Béru ! Ce camouflet !

— Dégoûtée ! Un cerv’las d’ c’te fraîcheur ? beugle-t-il. Mais si j’le montrerais à la fête de l’Huma, faudrerait qu’j’misse un calbute en fonte pour pas qu’on m’l’arrachasse ! Et des barbelés autour !

— Probablement, admet Martine, mais pour ma part je ne suis pas cliente !

Le sang (épais) du Gros ne fait qu’un tour.

Il sourit.

— Ecoute, ma grande, tu parles juste pour causer et p’t’être aussi pour dire, mais j’te prédille que doré de l’avant t’oubliereras plus mon asperge. J’te r’donne une chance. V’là ma brème d’visite. Toute neuve, offerte par l’administration, c’est ta pomme qui l’étrennes. Si tu t’ravises et que ton frifri veule me faire plus ample connaissance, passe-moi un coup de grelot, j’ t’organiserai un oral d’rattrapade. Réfléchille bien, ma poule. Quand l’ destin frappe à ta lourde avec un bâton comme çui-là, si tu l’ouvres pas, t’es la reine des pommes !

Il réintègre « gros nounours » dans son entresol Renaissance, non sans humeur. Puis le barbu revient en agitant trois clichés photographiques tout frais.

— C’est pris à l’infrarouge, fait-il en les présentant à Bérurier, donc c’est un peu écrasé.

Le Mammouth examine les documents. Ils montrent le type de l’impasse en gros plan avec, à son côté, mais en léger décrochement, la femme.

L’homme a la trentaine, avec une gueule pas sympa. Il porte un imper clair à épaulettes officières. La fille pourrait être châtain ou rousse (semble-t-il). Elle bouffe la vie avec une bouche grande comme celle de Fanny Ardant peinte sans doute d’un rouge foncé. Elle a des yeux pâles, une gueule pétassière, les pommettes proéminentes. Elle est vêtue d’un manteau trois-quarts en fourrure.

— Bioutifoule boulot ! apprécie le Gravos. Où l’aviez-vous-t-il logé, c’t’appareil photo ?

— Dans le capiton du couvercle ; il se déclenche cinq secondes après l’ouverture du coffre, à raison d’un cliché par seconde. La lumière de la malle n’est plus branchée sur une batterie de 16 volts, mais sur un petit générateur à infrarouge logé dans la boîte à outils.

Ces explications font bâiller Béru que les techniques laissent froid.

— Merci, en tout cas, fait-il ; j’croive qu’mon nouveau dirluche va t’êt’ content.

Il rote en puissance sa choucroute du soir, saisit la main de l’hôtesse et, comme son mari a déjà gagné la cour afin de le raccompagner, la frotte sur sa queue toujours très présente en chuchotant :

— Comme vous le voiliez, on pense t’à vous ! Alors, pensez t’à nous !

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