CHAPITRE CINQ DONT TU ME DONNERAS DES NOUVELLES !

Ils sont pas croyables, les gens. Ils passent leur vie à réclamer des choses, et quand ils ne demandent rien, c’est parce qu’ils sont en train de faire une connerie.

C’est ça, très exactement, que je me raconte en lisant le journal. Sur les baveux, plus encore qu’à la téloche, tu as le temps de bien comprendre l’à quel point ils sont fumiers, les hommes. Pernicieux de partout, véreux, foireux, requins !

Je balance mon baveux à l’arrière de ma tire car ce que j’attendais arrive : en l’occurrence l’enterrement de Joël Larmiche.

Rien des funérailles de Montand, qui ressemblaient à une parade du cirque Barnum, avec l’affiche du héros sur le corbillard ; que moi, franchement, en voyant ça, j’ai eu honte jusqu’au fin fond de mon trou de balle. Me disant qu’où donc l’indécence s’arrêterait ? A toujours reculer devant le show-biz, la pub, le m’as-tu-vuisme.

Tu vas voir que, quand je vais déposer mon bilan, ils colleront les couvertures de mes books sur le fourgon mortuaire, en lâchant des ballons rouges et en lançant à la foule des petites culottes fendues. Des haut-parleurs annonceront que « la vente continue » dans toutes les bonnes bibliothèques de gare et les librairies pas bêcheuses.

Dans le fond ça fera kermesse, ce sera joyeux. Rien que mes titres, déjà ! Devant le cimetière y aura une pièce de beaujolais (de chez Pivot) à la disposition des soiffards et, si mes ayants droit sont à la hauteur, ils payeront des pipeuses en caravane pour astiquer les tiges de mes potes éplorés, après le funéraire, les replonger rapidos dans la vie, que leur zob aussi ait la larme à l’œil !


Or donc, voilà le convoi du « dillinger ». Un fourgon bordeaux suivi d’une petite bagnole, et point à la ligne. Je quitte ma 500 SL pour filocher les arrivants. Ils cahin-cahatent dans l’allée centrale du petit cimetière de Gazon-sur-Yvette, d’où, je suppose, les Larmiche sont originaires (à moins que ce ne soit du côté de la mère). C’est une drôle d’idée que j’ai eue de vouloir assister à cet enterrement ! Ça fait bateau ! Film policier des entre-deux-guerres. Mais là, le cérémonial est rapide : y a pas de curé. Pourtant ça fait bien, un prêtre, devant une tombe pour l’ultime goupillance, la dernière prière. On le flanque dans un trou et on prie pour qu’il aille au ciel !

Les croques sautent du fourgon. Bonnes bouilles vernies au sancerre ou au côtes-du-Rhône. S’occupent de sortir le meuble, un beau coffiot de chêne, s’il te plaît ! Poignées bronze. Pas de crucifix sur le couvercle ; décidément, on est agnostique, chez le dealer.

Deux fossoyeurs du village s’annoncent ; gros pulls dépenaillés, galoches, casquettes, et prêtent tu sais quoi ? Main-forte !

Je vois alors descendre de la funèbre carriole une grosse femme mafflue, au teint jaunasse et à la moustache grise, assistée d’un julot mince, grand, élégant et à ce point pédé que lorsque son giton lui pose un lapin, il doit s’asseoir sur les bornes d’incendie pour se compenser le manque.

Les deux pleurent comme vache qui pisse en tentant de s’entre-réconforter.

De la petite bagnole suiveuse est sortie une personne entre deux âges (mais, comme disait Jules : plus proche du second que du premier). Du maintien. De la dignité. Elle reste un tantisoit à l’écart.

L’opération mise en terre se fait en silence. On perçoit des chocs, un ordre quand c’est nécessaire. Il fait gris et froid. Je ne regrette pas d’avoir mis mon pardingue en cachemire, doublé cachemire, de chez Zilli. Col de castor ! Il m’a offert ça en plus parce qu’on s’aime bien, Alain. Un prince de la fourrure ! Tous les morninges, la mère Bardot perce sa photo à coups d’épingle et récite des incantations bien funestes ; il est en tête de ses listes, tu penses, avec la qualité qu’il pratique !

Et donc, ma pomme, bien au chaud dans mon Zilli (c’est pas de la pube, Achtung ! je broute pas dans ce genre de gamelle ; c’est uniquement de la tendresse), moi, donc, peinard, j’assiste à l’empotage de « Tarte aux fraises (des bois) ».

Les Pompes, qui font bien les choses, ont apporté des roses que les quatre assistants (dont je suis) lancent sur la bière pour faire plus « Folies-Bergère ».


Maintenant, faut que j’ouvre une parenthèse pour te dire que, nonobstant mes intentions premières, je ne suis pas allé enquêter au domicile de l’écrabouillé. Une idée, comme ça… Pas plus biscornue que les autres, mais pas moins ! Je réservais le contact pour les funérailles.

Tu me demanderais de t’expliquer mon cheminement mental, j’en serais incapable de fond en comble. Mes impulsions sont reines. Je leur ai toujours fait confiance. Ce sont elles qui différencient un vrai flic d’un fonctionnaire de police.


Les quatre roses gisent au fond du trou. Mais la maman et le giton s’attardent au bord de leur chagrin, sans tenir compte des fossoyeurs qui se gèlent les couilles en attendant de pelleter.

Je m’approche de la dame guindée.

— Vous êtes une parente ? murmuré-je, la voix déjà mouillée à toutes fins utiles.

— Grand Dieu non !

— Une amie ?

Elle me regarde pleins phares et je vois une lueur implacable dans les prunelles de la personne.

— Encore moins, dit-elle : je suis une ennemie.

Et comme je sourcille :

— Cette crapule est responsable de la mort de ma fille, décédée d’une overdose. Marianne était une enfant adorable, intelligente et jolie. Un jour, l’homme qui gît dans ce trou lui a proposé de la drogue et ça a été la glissade. J’avais toujours voulu venger ma fille. Mais je n’ai rien fait. En apprenant sa mort j’ai décidé d’accomplir l’ultime chose que je pouvais encore faire pour la mémoire de Marianne : le voir descendre dans un trou où il va pourrir !

Inclination de tête.

L’étrange dame s’éloigne et regagne sa voiture dont, par réflexe, je note le numéro.

Maman et le pédoque continuent de bieurler au chagrin.

Moi, je m’approche des employés des Pompes et leur file un bifton couleur d’omelette norvégienne dégueulée.

— Vous pouvez rentrer, messieurs, je reconduirai Mme Larmiche et sa belle-fille chez elles !

Les braves gens ne se le font pas répéter et jouent cassos.

Au bout d’un moment, le couple en peine finit par s’arracher au trou noir. Il regarde autour de lui, ne voit plus le fourgon, pense qu’il est sorti du cimetière et les attend à la porte. Il s’y dirige, moi au train.

Mais une fois dehors : zob, zob ! Nobody. Ces salauds de croque-morts ont mis les adjas. Y a eu confusion. Et les voilà sur la touche, les deux pleureurs. Paumés dans les rurales froidures de Gazon-sur-Yvette, loin du village car tu sais combien, en France, on a tendance à expédier les défunts chez Plumeau ! Dans la plupart des autres pays, on les enterre autour de l’église. Chez nous, basta ! Ils vont confectionner de l’humus au-delà des champs de betteraves, qu’on puisse les oublier tranquillos.

Chiquant le bel indifférent, je m’approche de mon bolide. Alors la fiote de feu Joël Larmiche s’enhardit :

— M’sssieur ! M’sssieur !

— Oui, mademoiselle ?

Il ne relève pas. Au contraire, ça le fait bicher comme ce délicieux chiot que le grand Roger Peyrefitte sodomisait de son médius princier[5].

— Le fourgon est parti sans nous, auriez-vous l’amabilité de demander au village qu’on nous envoie un taxi ?

— Vous allez à Paris ?

— Oui.

— Moi aussi. Je vais vous emmener. Les « deux plus deux » étant ce qu’elles sont, vous ne serez pas très confortable derrière, mais souple et mince comme vous êtes…

Et voilà qu’on s’installe. La grosse vieille passe devant. Elle pue la pisse et le tabac froid. Me remercie de mon obligeance, puis me demande qui je suis pour venir aux funérailles de son pauvre Joël. Elle enchaîne avant que je lui aie répondu, savoir si ça me gênerait qu’elle fumât. Tu parles que ça me gêne ! Nez en moins, je lui réponds que pas du tout. Alors elle sort un cigarillo noirâtre de son réticule et le combustionne à l’aide de mon allume-cigares (six gares). En moins de jouge j’ai l’impression de faire un reportage dans une taverne jamaïcaine.

Pendant qu’elle nous pollue, je lui explique comme quoi je suis le professeur Fursteinberg de l’hôpital Macheprot et que depuis deux ans je soigne son Joël.

Elle avale la fumaga de sa queue de rat.

— Il était malade ?

— Très, fais-je, mais c’était un garçon stoïque qui gardait secrètes ses misères physiques. Maintenant qu’il n’est plus, je suis délivré du secret professionnel ; je peux donc vous dire que votre fils était atteint du Sida.

Couinement à l’arrière ! Mam’zelle Chochotte qui défaille en apprenant une aussi cruelle nouvelle. Ainsi, il se faisait taper dans la lune par un mec contaminé ! Du coup son chagrin immense fait place à un ressentiment bien plus grand encore. Il se met à injurier le mort. A le traiter de criminel, de salopard, de pourri ! Et des tas d’autres mots qui lui déferlent du bec, au minet. La mère, outragée, s’emporte ! Elle entame la croisade des invectives à son tour, qualifie le petit danseur de lopette, d’enculé, de trou duc faisandé, de sale vermine ! Lui dit qu’il prenne ses robes et aille se faire miser ailleurs ! Dans un sens, elle est un peu réconfortée, la Larmiche, d’apprendre que son garnement était zingué de toute manière, que son assassinat lui aura épargné une longue et pénible agonie. On s’accroche à n’importe quoi dans de tels cas.

Moi, je savoure en gourmet l’effervescence produite par mon paveton dans la mare. Faut pas grand-chose pour modifier le comportement de quelqu’un.

Je les laisse s’épuiser en insultes fracassantes.

Le petit Bichet finit par éclater en sanglots et me supplie de le soigner. Je lui rétorque qu’impossible. Je ne soigne jamais les deux protagonistes d’un couple d’invertis. C’est contraire à ma déontologie. Là-dessus, la mémère qui pue émet l’hypothèse que c’est sûrement « Friandise » qui a filé la méchante poivrade à son garçon !

Il a une gueule de chtouillé, ce petit con ! Blanc comme endive, toujours enrhumé : comment n’y a-t-elle pas pensé plus tôt ?

L’autre est effondré. Le climat s’épaissit.


Parvenus rue du Poteau-Rose, dame Larmiche me presse de monter à l’apparte pour un cordial. Il faisait si froid dans ce cimetière ! Elle est partante pour un vin chaud, un vrai, de sa composition. Mais attention : pas le premier picrate venu ! Elle réprouve les gens qui, sous prétexte qu’on sucre et chauffe ce breuvage, utilisent du jaja d’épicemard. Elle, elle emploie un vrai bourgogne : chambertin de préférence. Quelques rondelles d’orange, une pincée de poivre, une autre de cannelle, beaucoup de sugar ! Faut pas que ça bout, sinon ça dégaze le vin. Il perd son arôme, ses vertus.

Le logement est moyen, tout petit-bourgeois, médiocre et malodorant. On y trouve des meubles de famille philippards, des tapis exténués, des tableaux à chier, des « bronzes en plâtre », des abat-jour en perles.

Elle se dépouille de son voile et de son manteau, répète à la lopette qu’elle doit vider les lieux. « Friandise » pousse des cris d’orfèvre. Supplie qu’on le garde ! Moi, ils finissent par me déburner, avec leurs scènes.

La vieille continue d’enchaîner ses putains de cigarillos et de vitupérer. Je me dis qu’est-ce qui t’a pris, Glandu, de leur foutre la merde avec cette histoire de Sida à ces deux tordus brins d’épaves.

— Fous le camp, que je te dis, enculé !

Il passe dans la chambrette où son pote « Tarte aux fraises (des bois) » allait lui tisonner l’oigne. Revient affolé en clamant comme quoi on a fouillé sa turne pendant l’enterrement. Mémère qui incrédulise va voir, se rend compte. J’y vais aussi. Fectivement c’est sens dessus dessous : tiroirs, penderie, valtoches.

— On vous a dérobé quelque chose ? demandé-je, pratique.

— Je vois pas, il blablate, je vois pas. J’ai ma montre en or sur moi, mon portefeuille, ma médaille de la verge. Mon tutu est sur le plancher, mes revues danoises pornographiques reliées cuir aussi !

Il ne possède pas grand-chose, « Friandise ». C’est un gagne-petit de la danse et du trou de balle, pas épargnant le moindre.

— Faites l’inventaire ! recommandé-je.

La vieille dit qu’il doit en profiter pour emballer et qu’il disparaisse au trot !

— Allez, venez boire le vin chaud, docteur. Je.

Le breuvage est délicieux, j’en conviens.

Mme Larmiche me dit que ça l’a rassérénée d’apprendre que son garçon avait un Sida avancé. Elle accepte mieux sa disparition, maintenant qu’elle la savait inéluctable.

— Un si bon petit, docteur ! Il travaillait dur pour gagner le bœuf de la maison.

— Que faisait-il ?

— Baby-sitting. Il s’était spécialisé là-dedans et avait une bonne clientèle. On se l’arrachait. Il branlait les petits enfants pour les endormir. Les chiares étaient dingues de lui.

Du temps qu’elle raconte, on entend claquer la lourde de l’appartement avec violence.

— Il s’en va déjà ? s’étonne la grosse vioque. Il a fait vite. Dites, il n’a pas eu le temps matériel de faire sa valise.

Troublée, elle se lève pour aller aux nouvelles. Je bois mon breuvage brûlant. Un canari que je n’avais pas encore remarqué fait soudain cui-cui dans sa petite cage au-dessus de l’évier.

Et voilà que je reçois un bieurlement sauvage en plein dans les trompes d’Eustache. Quelque chose comme : « Wwrrrrouaaaa ! ».

Je me précipite. La vieille se cramponne au chambranle de la porte. Son cigare fumant gît sur le plancher ; elle n’est plus jaune, mais vert bronze. J’approche. Je vois. Instant d’incertitude, de pure stupeur.

« Friandise » est plaqué contre le panneau de la lourde, à l’intérieur de la chambre. Il s’y trouve comme épinglé par un poignard effilé, à lame longue, qui lui traverse la gorge. Il vit et ses yeux horrifiés roulent comme ceux d’un mannequin de fête foraine.

Je me précipite à la fenêtre, laquelle donne sur la rue. Tout ce que j’aperçois, c’est une Mercedes 190 de couleur bleu marine qui disparaît au loin.

M’armant de courage, je tire ma pochette de soie, l’étale sur le manche du poignard, saisis celui-ci, bande mes muscles et tire un coup sec. Je morfle un flot de sang en pleine bouille. Le pauvre « Friandise » glisse sur le sol. Je vois illico qu’il a la carotide sectionnée et que c’est râpé pour lui. Il ne sera jamais grand-mère. Je cours à la salle de bains attenante (où le meurtrier, surpris par notre arrivée, se tenait planqué). J’empare une serviette-éponge que je roule et plaque sur la plaie béante.

— T’inquiète pas : j’appelle une ambulance, dis-je au danseur. T’as rien de vital qui soit atteint.

Je cours tubophoner à Mathias qui promet de faire le nécessaire. La mamie est toujours prostrée, un tantisoit dépassée par les événements.

— Tu connaissais le gars qui t’a fait ça ? demandé-je au blessé.

Bats des paupières pour dire oui.

Il abaisse ses paupières diaphanes, frangées de longs cils (jamais perdre de vue la littérature !).

— C’est un ami à toi ?

Son regard reste fixe.

— Un ami à Joël ?

Acquiescement des paupières translucides.

— Il trafiquait avec lui ?

« Oui » fait le mourant. Je dis mourant car la serviette maintenant est toute rougie de sang et le raisin ruisselle sur le sol.

— Tu étais au courant de ses affaires de came ?

« Oui. »

— Tu participais ?

Il conserve le regard fixe, et il a une sacrée raison pour cela : il est mort !

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