CHAPITRE QUATRE À LIRE DEUX FOIS PLUTÔT QU’UNE !

Y travailler, c’est dur.

Mais y dormir ?

Hein, y dormir ?

Une de mes sottes idées. Une de plus ! J’ai décidé de roupiller à la Grande Taule deux nuits par semaine. Pour cela j’utilise le baisodrome du Dabe où, malgré l’aération, restent concentrées en un cocktail olfactif toutes les fragrances des plus illustres parfumeurs de Paris. La pièce est toute petite : dix mètres carrés à peine. Tendue de velours bleu Klein et meublée d’un canapé aisément transformable en lit, recouvert de velours rouge. Quand il est ouvert, les draps blancs s’adjoignant au décor, tu crois dormir dans les plis d’un immense drapeau français. Une petite penderie où se trouve logé un réfrigérateur, plus une salle de bains de cocotte, et voilà le nid d’amour paré. C’est le genre d’endroit délicieux pour la baise de l’après-midi, quand tu ramènes une sœur de chez Lasserre aux papilles éblouies, mais pas conforme à un lieu destiné au sommeil réparateur. Malgré la petite fenêtre ouverte (qui donne sur la cour de l’usine Pébroque), j’étouffe.

Je me force toutefois à y passer la noye afin de mieux m’incorporer à ma nouvelle vie de grand chef. Je suis le commandant, tu comprends ? Il doit y avoir osmose parfaite entre la formidable maison et celui qui la dirige.

Parfois, je me lève, vais lancequiner, bois un Coca light et pénètre dans le grand burlingue silencieux. J’aperçois les lumières de la ville à travers les grandes fenêtres ; j’entrouvre la porte matelassée donnant sur l’escalier et la rumeur de la boîte monte jusqu’à moi. Les sirènes, dehors, qui viennent mourir au sein de la bâtisse, les protestations des loustics qu’on propulse dans la cage à poules, des échanges de saluts entre mes hommes, réverbérés par la grande cage sonore, parfois une gueulée hystéro de femelle en rogne. La Poule, quoi !

Je me gratte les fesses. Je suis nu dans le solennel cabinet de « Môssieur le Directeur », because la chaleur du baisodrome. Je viens m’asseoir dans le nouveau fauteuil pivotant. Mes couilles se collent sur la surface lisse et fraîche et mon paf s’alanguit. Je le délaisse un chouïa depuis ma promo. C’est ça, gouverner, que veux-tu. L’homme suroccupé néglige le cul. Les honneurs engendrent l’impuissance, si tu n’y prends pas garde. Je vais devoir mettre le holà !

Je regarde la pendulette, sur le bureau. Elle indique trois plombes et vingt broquilles. C’est pas une heure, ça ; ni pour le jour, ni pour la nuit. Ça ne représente rien. Il s’agit d’un temps intermédiaire sans grande portée. Un moment de désœuvrance obligatoire qui permet du moins à l’homme de constater son insuffisance originelle.

L’envie me biche de filer un coup de turlu à Félicie. Mais ce serait charognard de la réveiller ; ensuite elle ne se rendormirait plus. Alors je renonce.

Le bristol sur lequel Mathias a noté les indications concernant les meurtres de l’obsédé sexuel est toujours là, assez semblable à un menu de restaurant aux propositions alléchantes.

Je parcours la liste des trois pauvres prostituées flinguées de si horrible manière. La dernière (la nôtre, les deux autres appartenant à la province) tapinait à Maillot.

Qu’est-ce qui me prend, tout à coup, de me sabouler en vitesse ?


— Vous étiez ENCORE ici, monsieur le directeur ! s’exclame le planton en me voyant franchir le seuil de la Maison Gare-aux-Taches.

— Oui, mon bon, et je vais y revenir !

Le moteur de ma 500 SL émet son hennissement de joie. J’enclenche et la bête a un rush que je maîtrise aussitôt ; mais j’ai savouré cette poussée qui ne doit rien à Archimède et qui plaque ton dossard sur le cuir du siège.


Je suis la Seine en direction de Saint-Cloud. Mais ce n’est pas à la maison que je rentre. O maison de ma mère ! O ma maison que j’aime.

Quand je quitte la voie sur berge, les artères sont pratiquement désertes. C’est jouissif, Paris, quand il est vide. T’as envie de t’en goinfrer. Je champignonne un peu, pour renouveler mes chères petites poussées délectables. Panard de remplacement.

Maillot. J’enquille le sous-bois au ralenti. Des silhouettes font le pied de tu sais quoi ? De grue, mon pote ! Ma somptueuse tire les énerve. Ces dames pensent que le gonzier qui roule dans ce genre de tilbury doit avoir de l’osier plein ses boîtes à gants.

Je stoppe à la hauteur d’une nière en parka fourré et après-ski montants, coiffée d’une toque de fourrure blanche. Elle fait « Docteur Jivapa » pour noces et banquets.

— Tu m’emmènes, Chouchou ? demanda-t-elle après avoir inséré son minois tapé par la portière.

— Monte !

Elle se coule auprès de moi et glousse :

— T’en as une belle charrette, Chouchou !

Moi, s’il y a deux choses que je ne supporte pas d’une femme, c’est qu’elle ait ses ragnagnas et qu’elle m’appelle « Chouchou », et puis aussi qu’elle fume, mais à la rigueur, si elle possède un beau cul, je peux lui pardonner cette troisième infirmité le temps d’un coït.

— Y a longtemps que tu fais le truc dans le quartier ? lui demandé-je.

— Trois, quatre ans, pourquoi ?

Je tire de ma fouille un talbin jaune pisseux illustré d’un Pascal profondément perplexe, étant pris en train de phosphorer sec à propos de l’équilibre des liquides.

— Je préfère que tu me tailles une bavette plutôt qu’une pipe, lui dis-je en laissant tomber la coupure sur ses genoux.

Elle sourcille.

— Qu’est-ce t’entends par là, Chouchou ?

— Parle-moi de la môme Elise. Tu la connais puisqu’elle arpente le même bitume que toi. Elise Lalètra, la gagneuse d’Ali Ben Kalif.

Elle continue de me périscoper avec crainte.

— T’es un poulet ? demande-t-elle. Non, hein, un poulet ne file pas d’artiche aux filles, ce serait plutôt le contraire.

— Ce que je suis, crois-moi, t’en as rien à cirer, ma grande. Et rassure-toi, je ne suis pas là pour te faire du contrecarre.

La pute toquée hoche la tête.

— Justement, Lisa, ça fait deux soirs que je la vois pas et son melon la cherche ; il croit qu’elle l’a doublé et il parle de foutre le feu à Paris !

— Elle a des habitués ?

— On en a toutes ; un mec qui revient nous chercher, c’est déjà un habitué. Les hommes ont des lubies qu’on pige pas tout de suite. Un truc en nous leur a plu, sans qu’on s’en rende compte. Quelquefois c’est un slip brodé, d’autres fois c’est parce qu’on ressemble à une cousine qu’ils ont toujours eu envie de sauter. Si je vous disais, j’en ai un qui vient de Chartres tous les mardis juste pour que je lui entortille autour du paf, pour le pomper, ma petite chaînette d’argent supportant mon signe du Zodiaque qui est la Vierge. Dans la tronche que ça se passe, et pas ailleurs !

Une fille bien, décidément, qui a sa propre vision de la vie et des gens qui la pratiquent.

— Pour en revenir à Elise, ma jolie, t’aurait-elle parlé d’un micheton quelconque, du genre pervers, qui lui aurait demandé des choses très particulières ?

— Mais, mon pauvre Chouchou, des compliqués, des pervers, on ne pratique que ça !

Son pauvre Chouchou se retient de lui filer une tatouille sur le museau pour l’inciter à trouver un autre diminutif ou sobriquet. Mais tous ses clilles, elle doit les appeler Chouchou, histoire de mettre du liant dans les relations.

— La dernière fois que tu l’as vue, c’était quand ?

— Ben, y a trois jours. Oui : il pleuvait, y a même eu un orage de grêle, sur le coup de minuit et demi, on a dû se planquer sous l’abri de la R.A.T.P., là-bas… Un de mes habitués s’est pointé, il m’a chargée, et voilà ; je ne l’ai pas revue depuis.

Soudain, inquiète, elle me demande :

— Il lui est arrivé un turbin ?

— Du genre poisseux ! Un viceloque lui a vidé un chargeur de 9 mm dans la chagatte.

Elle blêmit.

— Oh ! mon Dieu !

— Je te le fais pas dire ! Vous vivez dangereusement, les filles.

— Comment ça s’est passé ?

— C’est ce que je cherche à établir.

— T’es un perdreau, alors ?

— Alors, oui.

— Et tu distribues des talbins ?

— Faut que tout le monde vive, ton temps est aussi précieux que le mien, et du moment que je dispose d’une caisse noire…

— Toi, alors, t’as pas le label du poulet ordinaire.

— Y a poulet et poulet, ma belle. Ceux de Bresse sont meilleurs que les autres.

Je regarde devant moi l’avenue déserte qui stagne dans des grisailles hachurées. Un Seurat !

— Un mec a chargé ta potesse. Il l’a drivée dans un endroit tranquille, a fait joujou avec elle, ensuite il lui a enquillé le canon de son arme dans le frifri farceur, et poum !

Elle frissonne à haute voix :

— Quelle horreur !

Je baisse un tantisoit ma vitre électrique, because le parfum patchoulesque de la pute. Elle renifle comme un mariage au Moyen-Orient.

— T’as école encore longtemps ?

Elle secoue la tronche négativement.

— J’allais fermer. Et puis après ce que tu viens de m’apprendre j’ai besoin de me refaire un mental. Quand Ali va savoir ça…

— Si on allait le lui dire ? On boirait un pot ensemble : je sens poindre un début de grippette et j’ai des idées de grog plein la tête !

Elle opine.


Tu dirais plus un ange qu’un barbeau, Kalif. Il a une belle gueule basanée aux yeux d’un bleu infini, des cheveux châtains frisottés. La vraie gueule d’amour. Feu Miss Elise devait s’en ressentir à outrance pour sa pomme. Jean et blouson de cuir noir doublé de mouton ; il mesure son mètre quatre-vingt-quinze sans grimper sur un tabouret.

On le trouve devant une bibine, en compagnie d’autres Maghrébins au café Du Carrefour. Une musique arbi, aigrelette et nasillarde retentit en fond sonore. Un immense poster représentant la casbah tapisse le fond de l’établissement.

Tout ça est assez mélanco, parce que hybride. Pourquoi il se casse le cul avec son nationalisme, Nonœil ? Pourquoi ressent-il l’étranger comme une souillure ? Il a rien pigé ! Qu’on les laisse venir et s’installer à leur guise, jamais la France ne deviendra maghrébine, parce que c’est la terre qui fait les hommes. En trois générations : gloup ! Absorbés, nos petits trouilles. Français, fils de Gaulois ! Ramadan mon cul ! Champagne pour tout le monde ! Coq au vin ! Le Chat Noir aura remplacé le tchador ! Ils seront bretons, comme le Jean-Marie. Ils fêteront l’arrivée du beaujolais nouveau. J’en connais des tombereaux : fils et déjà plus français que toi. Assimilés à outrance. Diplômés, techniqués. Tamanrasset ? Fume ! Ils préféreront Dunkerque ! T’as oublié les bagnoles à kroum, les syndicats, le club Med, la machine à laver, la bouffe congelée, l’école laïque, la Roue de la Fortune et toutes ces françaiseries amollissantes qui nous enveloppent de graisse et de cholestérol. Voilà le mot clef lâché, on les annexera par le cholestérol, mon vieux Cyclope. Ils seront francisés grâce au cochon qui leur faisait si peur.


La copine d’Elise adresse un signe d’inintelligence à Ali Ben Kalif. Elle et moi prenons place à une table libre où le bel animal nous rejoint bientôt d’une démarche ondulatoire. Avant de s’asseoir, il interroge la fille d’un hochement de menton pour qu’elle lui explique qui je suis.

— Monsieur a une sale nouvelle à t’annoncer, prévient la fée des neiges.

Je désigne à l’Arbi la chaise faisant face à la mienne.

— Posez-le là, grommelé-je, vous êtes tellement grand que vous me foutez le torticolis !

Mon ton péremptoire lui en impose. Il s’assoit.

— Sais-tu où se trouve l’institut médico-légal ? le cueillé-je-t-il à froid.

Ça me rappelle la blague du flic nouveau chargé d’aller annoncer à une dame le décès accidentel de son époux. Je te l’ai racontée ? Tu te la rappelles pas ? Alors c’est comme si elle était neuve.

Donc, le jeune flic, escorté d’un vieux, sonne chez la personne en question.

« — Bonjour, madame, on vient vous dire que votre mari est mort ! »

La malheureuse s’écroule, évanouie.

Le vieux flic engueule son jeune collègue :

« — Tu as de ces façons brutales ! Je vais te montrer avec quel doigté il faut présenter ce genre de nouvelles. »

Ils se rendent chez une autre dame dont le mari est également mort sur la voie publique.

Le vieux flic sourit à la personne qui leur ouvre :

« — Vous êtes bien madame veuve Dugenou ? »

« — Je m’appelle Dugenou, mais je ne suis pas veuve », répond la dame.

« — Qu’est-ce qu’on parie ? » fait le vieux flic.


Je m’inspire carrément du gag, tu vois.

— C’est quoi, l’institut médico-légal ? demande Ali.

— La morgue. J’aimerais que tu ailles y faire un tour pour reconnaître le corps de la fille Lalètra Elise.

Le mec, c’est pas un chaudron, espère. Tu crois qu’il marque de la stupeur ? De la colère ? Du chagrin ?

— A qui ai-je l’honneur ? me demande-t-il sobrement.

— Antoine San-Antonio, directeur de la Police judiciaire.

Et je dépose une carte toute fraîche sur le marbre.

— Le directeur de la boîte s’occupe des faits divers, remarque l’ex-souteneur d’Elise.

— Violon d’Ingres, plaidé-je. Et puis, là, c’est beaucoup mieux qu’un fait divers, il s’agit d’un assassinat : un chargeur dans la connasse, et du gros calibre. Tu as habité Lyon, monsieur Ben Kalif ?

— Oui, pourquoi !

— Et Bourg-en-Bresse ?

— Non, mais je connais. Pourquoi ?

— Je te le dirai peut-être bientôt.

— Mais putain, parlez net !

— On se calme ! laissé-je tomber sèchement. Ta petite « protégée » t’a-t-elle parlé d’un client bizarre qui l’aurait inquiétée ?

— Elle ne me causait jamais boulot.

Ce qui me plaît chez lui, c’est qu’il ne cherche pas à battre à niort. Il admet avoir été son souteneur et assume son rôle. En étudiant son beau visage à la fois mâle et chérubinesque, je me dis que de deux choses l’une : ou il ignore tout du drame, ou c’est lui qui a tué. Mais, franchement, il n’a rien d’un sadique.


Je bois trois grogs en compagnie du couple. La fille s’appelle Natacha, ce qui explique sa mise troïka-sur-la-piste-blanche.

Elle a les larmes aux yeux, à cause du décès tragique de sa camarade de ruban.

A un moment donné, Ali s’enhardit à poser sa main sur ma manche.

— Vous comptez retrouver l’assassin ? me demande-t-il.

— Je l’espère bien.

— Moi, en tout cas, je le retrouverai, et je vous préviens, tout directeur de la Police que vous êtes, quand je lui aurai mis la main dessus, j’éviterai des frais à la Justice.

Son regard d’azur brille d’une étrange lueur. Il devait avoir un sérieux béguin pour sa gisquette !


Ils me regardent bouffer en silence, respectueux de ma mastication si auguste. Deux croissants croustillants dans du café noir bien sucré.

Il y a là Béru, Blanc et Mathias.

Je me sens vaseux à cause des grogs ! Rhum de mauvaise qualité. Comme quoi faut jamais s’alcooliser en milieu musulman, l’alcool, si je puis dire, c’est pas leur tasse de thé (à la menthe).

Au retour j’ai dormi comme : une souche, un loir, un sonneur, un sénateur. Heureusement que j’avais réglé mon radioréveil. C’est les cours de la Bourse qui m’ont fait déjanter. Chute continuelle de l’or. Le métalrefuge ? Mon zob !

C’est plus l’époque des terreux ! Tout leur foire entre les mains, à mes nabus : le prix de la viande sur pied, du blé, du beurre, de la betterave sucrière. Et jusqu’aux jaunets de leurs bas de laine qui foirent sucette, se dévalorisent à toute pompe because les Ruscofs qui bradent leur jonc pour s’acheter des blinis. Le péril jaune, on avait pas pigé : c’était pas les Chinetoques mais les louis d’or ! Depuis lurette, j’ai remarqué, on appréhende toujours à tort. On redoutait le communisme, et c’est le Sida qui déboule !


Je bouffe mon croissant ventru avec délectation. Le croissant, y a qu’à Paris, ou alors à l’Oustao de Baumanière.

Je leur dis :

— Moi, j’ai la bouche pleine, pas vous, alors parlez-moi ; vous ressemblez aux Rois mages en hypnose devant le petit Jésus. Des choses nouvelles à me bonir ?

— Mrrr ! grondent les trois compères.

— Alors au rapport ; à toi, Melchior !

Jérémie renifle, ce qui lui est fastoche avec des narines grandes chacune comme une cloche à fromage.

— Dans la soirée d’hier le dénommé Larmiche Joël, que tu avais relâché, a été tué à deux pas de son domicile. Une bagnole l’a écrasé contre une façade, délibérément, en s’y reprenant par trois fois aux dires d’une vieille concierge insomniaque qui a assisté à la scène depuis sa loge.

Je reste de marbre.

— C’est tout ?

— En ce qui concerne TON affaire, oui.

Imperturbable, je me tourne vers Mathias :

— Je t’écoute, Gaspar.

Le Rouquemoute se racle la gargane.

— J’ai procédé à un examen minutieux des vêtements de la fille Lalètra. D’après mes différentes analyses, il appert…

— De couilles ! place opportunément Bérurier.

Mathias a un haussement d’épaules méprisant et reprend :

— Il ressort…

— A boudin ! lance le Gros, très en verve.

Clappement de langue agacé de l’Incendié.

— Il est vraisemblable que cette femme n’a pas été tuée dans une voiture, mais sur un tapis chinois de médiocre qualité. On a traîné son corps sur ledit et ses vêtements sont constellés, dans la région du dos, de brins de laine teints. Cela dit, à l’autopsie, le médecin légiste a découvert que très peu de temps avant sa mort, la victime a ingéré de l’alcool de cactus connu sous le nom de tequila. Détail important, elle a bu cette eau-de-vie comme on la prend au Mexique, c’est-à-dire en accompagnant chaque gorgée de sel et de citron. Là-bas, les gens pratiquent de la façon suivante : ils tiennent un quartier de citron entre le pouce et l’index. A l’intersection de ces deux doigts, la peau forme une espèce de palme au creux de laquelle on place du sel de cuisine. L’amateur de tequila mord dans le citron, donne un coup de langue sur le sel et de sa main libre porte le verre à ses lèvres.

M. Blanc opine. Il dit :

— Conclusion…

— Intestinale ! jubile Alexandre-Benoît.

— Directeur ! gronde Jérémie, tu es obligé de te farcir et de nous imposer ce sac de merde, bien que tu sois directeur ?

Je souris.

— C’est Triboulet ! plaidé-je.

— Et toi, tu es François Ier ? ironise le Noirpiot.

Je hausse les épaules.

— Continue ! Tu disais ?

— Je disais que Mathias dépose un élément capital dans la corbeille de mariage : le meurtrier est mexicain ou a vécu au Mexique.

— Tu sais, d’autres personnes que les Mexicains sont au courant du petit cérémonial de la tequila. Ainsi, moi, je le connaissais.

— Tout de même…

— Savez-vous l’idée qui me vient ? propose Xavier Mathias.

Et comme notre silence est un encouragement, il expose :

— Et si l’assassin était un travelo sud-américain qui entreprend une croisade contre les putes traditionnelles ?

On étudie sa suggestion. Elle est valable. Pourtant elle ne me séduit pas.

— Tu vois un travelo embarquer une pute, toi ? objecté-je.

— Ils pourraient être copains ?

Je fais la moue : je ne suis pas très preneur.

— A toi, Balthazar, de déverser le contenu de ta hotte.

Tu penses qu’il n’attendait que ça, l’Hénorme. Et comme il est fier de se produire en vedette ! Il prend son temps. Fait des vocalises par le haut et par le bas. Réussit même une note voisine du contre-ut avec son anus. Son besoin d’auto-bruitage est tel qu’il va jusqu’à faire craquer toutes ses phalanges à la fois pour accompagner une salve de pétounets.

En termes précis, quoique fleuris, il raconte sa surveillance dans l’impasse du sculpteur. La manière aisée dont il embroque l’épouse dissipée de l’artiste ; la survenance en cours d’action d’un couple motorisé qui se met à explorer la tire du « dillinger ». L’homme et la femme repartent, bredouilles, sans s’être aperçus qu’ils viennent d’être photographiés en plan américain.

Béru sort des images de sa poche. Il les a pliées en deux pour pouvoir les y loger et c’est une monstrueuse connerie de plus à son actif, car ça fout des balafres sur les gueules.

Le roi Mathias s’emploie à redonner une cohérence aux clichés endommagés. Tout en s’activant, il examine le couple.

— Je connais l’homme, assure-t-il. Tu permets, directeur, que je monte aux sommiers avec l’une de ces images ?

Geste autorisateur du DIRECTEUR.

Il sort.

Je me sens curieusement investi. Puissant serait le mot juste. Je pige lentement l’effet que produit ce bureau directorial sur celui qui l’occupe. Un commandant sur sa dunette ! Quant tu es ici, t’as plus besoin d’être soutier, de t’affairer dans les coursives, de repeindre les canots ou la coque, tout baigne. T’as juste à convoquer, à juger, à questionner, à déléguer. Tu es le remontoir d’une immense horloge, à toi de bien te gaffer qu’elle indique l’heure juste.

J’allonge mes mains sur le burlingue, comme le faisait Achille. Je soupire, d’un ton détaché :

— Question !

Les deux autres, kif des clébards chasseurs, lèvent une patte de devant et tirent leur langue frétillante.

Je reprends :

— Question ! L’homme qui a écrasé Larmiche contre un mur est-il le même que celui qui est allé fouiller sa bagnole un peu plus tard ?

— Je ne le pense pas, rétorque l’Ange Noir. Si c’était le cas, il serait allé à l’auto aussitôt après l’assassinat. A quoi bon attendre ? Une fois la mort de Larmiche découverte, la police risquait de s’occuper de sa tire.

— C’est la vieille pipelette qui a donné l’alerte ?

— Non : un gars qui rentrait chez lui à une heure avancée.

— Pourquoi la vioque n’a-t-elle rien dit tout de suite ?

— Elle prétend avoir eu peur. C’est une vraie vieillarde, tu sais, et elle n’a pas le téléphone dans le gourbi lui servant de loge.

— Elle a pu décrire l’auto meurtrière ? Je ne parle pas du numéro minéralogique, ce serait trop beau.

— Rien ! Pour elle, toutes les bagnoles se ressemblent, qu’elles soient grosses ou petites ; je me demande même si leur couleur constitue à ses yeux un signe distinctif.

— Tu es allé enquêter personnellement, malgré tes hautes fonctions ?

Il marque une légère gêne :

— Je savais que l’affaire te tiendrait à cœur. Et puis j’ai besoin de prendre l’air…

— C’était comment, la réception d’hier soir ?

Il répond par une grimace à mon sourire ironique.

— Exactement comme tu l’imaginais, en plus chiant encore : plus les gens sont « haut placés », plus leur connerie est évidente. Je ne comprends pas que jamais un régime totalitaire, usant de son pouvoir discrétionnaire, n’ait prohibé la connerie.

— Il ne pouvait prendre une telle mesure, étant con lui-même !

— Dommage. J’imaginerais volontiers des camps de cons ! Et ils devraient porter obligatoirement un « C » rouge sur la poitrine pour être identifiés illico, sans qu’on ait à leur parler.

Bérurier hoche la tête :

— Il s’y croive déjà, ton mâchuré, d’puis qu’ tu l’as donné des charges honorifiantes ! Si on lui laisserait l’pouvoir, tu verrais la manière qu’il nous dorcerait !

Je l’écoute distraitement, vu qu’une alchimie intéressante s’opère sous ma coiffe. Mathias revient déjà, une de ses chères fiches en main.

Il récite, par cœur :

— Lugo Lugowitz, sujet lithuanien, a travaillé deux ans à l’ambassade d’U.R.S.S. à Paris avant de se faire expulser à la suite d’une affaire de vol de documents. Son pedigree, d’après ce que nous en savons, est assez chargé : soupçonné de meurtres en Italie, d’actes terroristes à Bruxelles, de vols à main armée à Madrid, c’est un client assez spécial, comme vous le voyez.

Mon téléphone intérieur grésille. C’est Violette, ma « conseillère privée ». Pas joyce. Elle bougonne :

— Je vois qu’il y a conférence au sommet pendant que je me vernis les ongles dans un bureau à peine aéré !

Tiens, je l’avais oubliée, cette commère !

— Arrive !

Elle se présente, very bioutifoul, avec une jupe marine et une veste rose cerise. Maquillée soigné, pompes de chez Stephane Kélian. La classe.

Elle salue gravement l’assistance, bien qu’elle ait sucé rigoureusement tous les présents et dérouillé leurs mandrins dans la barbichette.

— Tu veux qu’on te résume, ma biche ?

— La phonie de nos deux bureaux était restée branchée, élude-t-elle.

J’enregistre. Faudra que je me gaffe, à l’avenir. Je déteste qu’on m’espionne.

— En ce cas, tu as des remarques à faire ?

— Je les proposerai le moment venu, monsieur le directeur.

Je lui adresse un signe de « comme-tu-voudras ». La môme, pas bégueule, se dépose sur un coin de ma table, la jupe retroussée, et la température de mes trois mousquetaires grimpe illico d’un bon degré. Violette, classe ou pas, faut qu’elle déballe ses charmes secrets quand elle se trouve en compagnie. Elle ne se pardonnerait pas qu’un gonzier puisse quitter la pièce en étant incapable d’annoncer la couleur de son slip. Aujourd’hui, ce dernier est bleu avec un liseré de fine dentelle blanche. Très rare ! On apprécie.

Je pertube le sortilège :

— Bon, écoutez, les gars, on triquera plus tard. Pour l’instant il s’agit de faire le point. A première vue, cette affaire se divise en trois parties. Primo : un crime de sadique, répétitif puisqu’on en est au troisième meurtre connu. Secundo : une affaire de stupéfiants. Tertio : une ramification X avec l’entrée en scène d’un malfaiteur de classe internationale.

— Tu veux qu’j’te dirais ? attaque Bérurier.

— Pas nécessairement, Gros.

Mais il est parti et le dit quand même :

— La folie, c’est d’avoir relâché ce Larmiche de mes deux ! J’l’eusse travaillé à mon idée, y s’ mettait à table. Au lieu d’ça, môssieur l’ direqueteur le congédie av’c un baisemain. Et conclusion, on est niqués, le dillinger se fait aplatir comme un’ pizza, et pour en savoir plus, faudra consulter un’ estraluciole !

La colère de Béru s’auto-alimente. Le temps de respirer et il éclate, violacé comme une bite en turgescence :

— Bonté divine, Viovio, cache ton piano, qu’autment j’réponde plus d’ rien. A m’fout un’ chopine d’ours, c’te greluse à nous déballer sa rôtissoire ! Qu’on lui voye jusque z’aux crins ! Tu d’vrais t’élaguer un peu la moniche, ma gosse : t’exubères d’trop du poilu d’ Verdun ! Va faudre te cloquer des grosses pinces à cheveux dans la cressonnière, si on voudra baliser ton parcours du combattant. T’as beau te teindre en blonde, ton jardin botanique annonce ta vraie couleur qu’est l’roux ardent ! N’a côté d’ton crépu, la tignasse à Xavier ressemb’ à d’l’or infusion. C’t’ marotte d’ déballer sa chatte à tout un chacun ! Ton rêve, c’s’rait d’t’ tenir à quat’ pattes dans une vitrine, le dargif pointé vers l’estérieur !

L’intrépide Violette lui virgule une œillée méprisante.

— Il grossit mal, ce goret ! décrète-t-elle. Dites-lui de la fermer, patron, qu’on puisse penser tranquillement.

Patron ! A moi ! Je suis tenté de me retourner pour m’assurer qu’il n’y a personne d’autre dans mon dos.

— L’heure de la récapitulation a sonné, dis-je.

Je me renverse contre le dossier du fauteuil-trône, croise mes mains sur mon ventre et me mets à contempler le plaftard.

— Tu vas faire la script-girl, Violette, et noter au passage les points forts de mon résumé. Un sadique tue (pour la troisième fois) en tirant dans le sexe d’une pute. Pour se débarrasser du cadavre, il le place dans le coffre de la bagnole de Larmiche. Connaît-il ce dernier, ou a-t-il agi au hasard ?

La main branleuse de Violette caresse la feuille de mon bloc, la couvrant de caractères relâchés.

— T’oublilles qu’c’est p’t’être Larmiche l’assassin, acharne le Gros. D’marchand d’ came à tueur, y a pas loin !

— Inscris l’interruption de Watson, Violette, ordonné-je.

Et je repars :

— Le dealer qui était surveillé par nos services se fait serrer au moment où il vendait sa marchandise à des lycéens. Nos confrères des Stups découvrent le cadavre de la dénommée Elise Lalètra dans la tire du gars.

« Le mec, interrogé par nos soins, nie être le meurtrier de la prostituée et prétend ignorer la présence de son corps dans sa charrette. Quelque chose me donne à croire qu’il est sincère et je le relâche afin d’étudier son comportement. Il ramène sa voiture dans l’impasse privée où il la remise. Béru la lui emprunte afin de la faire équiper d’un gadget. Il s’agit d’installer un appareil photo secret dans le coffre. Pourquoi ? Parce que je me suis dit que, rien ne se produisant, le meurtrier se demandera si le cadavre a été découvert et voudra vérifier la chose.

« En regagnant son domicile qui se trouve à deux pas, Joël Larmiche est trucidé de propos délibéré par un mystérieux automobiliste.

« Nota : s’agit-il d’un règlement de compte ? Ses “employeurs” de la filière “came” ont-ils su qu’il avait été interpellé, conduit à la Grande Maison, puis relâché ? Possible. Qu’ils veuillent s’assurer de son silence paraît logique.

« Quelques heures à peine après la mort de Larmiche, un couple arrive dans l’impasse qui servait de garage à Larmiche et d’alcôve à Bérurier et se met à fouiller l’auto. Ce n’est pas le cadavre de Lalètra Elise qu’il cherche puisque ces deux mystérieux personnages inspectent l’habitacle et regardent sous les banquettes avant d’ouvrir le couvercle de la malle arrière. Alors quoi ? De la came ? S’agit-il d’un autre département de la filière à laquelle appartenait “Tarte aux fraises (des bois)” ? On pourrait admettre qu’il existe une section “règlements de comptes” et une section “récupération”.

« Ce qui est troublant, c’est que le dernier type, ce Lugo Lugowitz, identifié par Mathias, est un seigneur de l’action directe ; il ne travaille pas dans la bricole, lui. Voyez-vous, mes drôles, selon moi, là réside le vrai mystère. »

— Somme toute, note Jérémie, ce Joël Larmiche est un type beaucoup plus mystérieux qu’il n’en a l’air.

Exultation fiévreuse du Féculé.

— Ah ! t’vois, Tonio ! Même un nègre pense comme moi ! On a laissé passer l’heure av’c cézigue. Fallait y écraser l’museau, y arrachecher les burnes, y brûler la plantigrade des pieds !

— O.K., on lui écrira tout ça ! fais-je. Maintenant, quelqu’un a-t-il une suggestion à formuler concernant la suite de l’enquête ?

Jérémie lève le doigt.

— Oui, Blanche-Neige ?

— Rue du Poteau-Rose, fait-il laconique.

— Développe !

— Il conviendrait d’enquêter auprès du sculpteur et de sa femme pour savoir s’il y a eu des allées et venues autour de la voiture de Larmiche ces derniers temps. De même, il conviendrait d’aller à son domicile pour parler avec ses familiers.

— C’est ce que je comptais faire, assuré-je. Toi, va avec Bérurier dans l’impasse, puisqu’il est introduit auprès de l’épouse du Rodin de Belleville. Et toi, Mathias, j’aimerais que tu interviewes la vieille concierge que Jérémie a déjà rencontrée.

— Elle n’a rien de plus à déclarer, assure M. Blanc, piqué.

— Probablement, mais deux interlocuteurs valent mieux qu’un seul !

— Et moi, demande âprement Violette, je continue de me faire les ongles ?

— Non, j’ai même un boulot délicat à te confier ; je t’expliquerai de quoi il retourne après le départ de nos amis.

Le Gravos ramasse son bitos sur le parquet ciré.

— Si qu’on serait d’trop, gêne-toi pas pour nous l’dire, raille l’Obèse.

Ils sortent, pensifs. On arrive mal à se faire au nouveau climat consécutif à mon irrésistible ascension. On est comme empêtrés dans du sirupeux. Ça fait comme si nous avions perpétré quelque chose de honteux, tous, du moins de pas glorieux. A escalader l’échelle sociale, on finit par manquer d’air.

On reste emberlificotés dans un silence de gueule de bois, Violette et moi.

Elle finit par demander :

— C’est vrai que vous avez du travail à me confier ?

— Tout ce qu’il y a de vrai.

— J’aurais plutôt cru que vous aviez envie de baiser. Il y a une curieuse lueur dans votre œil.

— L’un n’empêche pas l’autre.

— Pour moi, ça devient intenable, assure-t-elle. Vous me laissez prendre l’initiative ?

— Fais à ta guise.

— Surtout, ne bougez pas !

— Je m’en garderais bien !

L’Excitée s’approche et s’insinue entre mon fauteuil et le bureau. Elle trousse gentiment sa jupe à plis et s’assied sur le sous-main de cuir (Cordoue, pour son corps fou).

Elle a une agilité simiesque, la gueusette ! Pose chacun de ses pieds sur mes accoudoirs, puis, nonobstant l’inconfort, se penche pour s’attaquer à ma braguette qui n’a jamais été l’une des grandes places fortes de l’Histoire. Elle préambule par des caresses, du dos de la main, manière d’éveiller l’éventuel dormeur ; mais il y a longtemps que le bonhomme en bois des Galeries Tâte-fesses s’énerve dans son gîte.

— Si tu continues, l’extraction deviendra difficile, l’avertis-je (tige).

— C’est cela que je veux.

Tu vois, c’est une vraie salope, une scientifique du radaduche. Elle m’obtient le pic d’Aneto en moins de temps qu’il n’en faut à un radar pour prendre ta photo de dos au volant de ta tire quand tu roules à deux cents pour épater une frangine.

Ensuite, elle entreprend de me la déharder. Opération laborieuse, la bête se montrant rétive, fière et dominatrice ; mais Violette possède une technique à toute épreuve. Elle engage sa main par l’échancrure de mon décolleté pour empoigner Mister Ziffolo au raz des moustaches. Son avant-bras plaqué contre le personnage, le protège d’éventuelles éraflures pouvant consécuter de la fermeture Eclair. Voilà le petit ermite à l’air, ébloui par la lumière, déconcerté et dodelineur.

Alors satisfaite, l’exquise dompteuse prend du recul pour contempler cette réussite absolue de la nature qu’est mon paf. Ses lignes aérodynamiques, sa grâce, son maintien, sa nonchalance naturelle, ses mouvements de dandy la fascinent.

Au bout d’un moment d’enchantement, elle murmure :

— Voyez-vous, monsieur le directeur, il en est de plus forts, il en est de plus longs, mais aucun qui possède cet aspect appétissant. Votre membre est denrée comestible avant tout. Et puis il est harmonieux. Tout sexe masculin bandant exprime naturellement la virilité, pourtant le vôtre comporte un must. Il est… sexy. Oui, vous possédez un sexe sexy, et je vais vous faire une confidence : c’est rarissime. Il en est tant et tant de rougeauds, de balourds, d’arqués, de fripés, de violacés ou de grisâtres, de sinistres, d’étiques, d’informés, de minuscules, de tristes, de ridicules, d’écœurants ! Oh ! oui, monsieur le directeur : d’écœurants ; ça, surtout ! Leur propriétaire vous supplie de le sucer, alors, parce que vous vous êtes placée dans cette situation et que vous êtes bonne fille, vous faites droit à sa demande. Et vous voilà avec un paquet de couenne crue dans la bouche, désemparée, haïssant cette soif d’amour qui vous a conduite à ce traquenard ! Tandis que là, oh ! le bonheur simple et tranquille ! Cet équilibre ! Cette harmonie ! Vous avez un vit en vie ! Sobre, sûr de lui, vibrant, fabuleusement présent. Un membre actif, si j’ose dire, mais actif dans la joie. Pas un braquemard de soudard ; c’est le sexe enjoué de Bel-Ami. Je vais au bout de ma pensée ? Cette queue est française, monsieur le directeur ; typiquement française. Elle s’écoule mais ne tarit pas ! Elle donne faim. Elle chante au ventre. On voudrait s’endormir joue contre joue avec elle.

Epuisée par sa diatribe, elle se tait, avance ses mains jointes sur Gentleman Jim. Les deux proues de ses menottes se disjoignent pour cueillir la belle zézette en sandwich. Elle garde ses paumes bien à plat et se met à exercer un lent mouvement de tréfilage qui me donne l’impression d’allonger mon pénis. Sensation délicate.

Violette me sourit béatifiquement[4] en exécutant cette suave manœuvre. Ah ! l’altruiste enfant ! Comme on sent qu’elle aime dispenser le plaisir, plus encore que le recevoir.

— Etes-vous capable de me donner vos directives, tout en subissant mes entreprises, mon directeur aimé ?

— Je vais essayer.

Et alors, tandis qu’elle me malaxe, me cigarille, me fellationne, me pelote-basque, me lubrifie, me frétille sur la veine bleue des Vosges, je lui expose mon plan, calmos, par le menu. Bien qu’une personne de bonne éducation ne doive pas parler la bouche pleine, elle m’exprime son intérêt, par des affirmations, des onomatopées, des bouts de phrases baveuses.

Avant d’atteindre la fin de mon propos, sentant la douce mort venir et soucieux de ne pas succomber en égoïste, j’émets l’intention d’ôter son inestimable slip pour, aussitôt après, l’installer à califourchon sur mon plantoir ; mais elle s’y refuse.

— Non, non, continuez de parler, je suis en train de mémoriser ce que vous me dites et ne peux, de ce fait, prendre le risque de manquer le plus important de votre discours par suite d’une pâmoison. Abandonnez-vous sans scrupule, monsieur le directeur, si j’ose dire, c’est ma tournée !

Au plus fort de « La Flûte Enchantée », inspirée du grand Mozart, je me défargue de ma cargaison en réussissant l’exploit stupéfiant de continuer mon exposé sans faiblir de la voix. Prise au dépourvu, Violette échappe de justesse à un début d’asphyxie.

Mais en brillante amoureuse, rompue aux joutes les plus subtiles, elle parvient à restituer à ses cordes vocales leur liberté d’expression.

— Bravo, dit-elle, c’est une grande première pour moi !

— Question de volonté, dis-je. As-tu bien assimilé mon plan d’action ?

— Votre plan… et le reste, assure cette efficace collaboratrice à nulle autre pareille !

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