Il est curieux de constater que nos actes les plus secrets, que nous accomplissons dans la solitude, ont parfois des témoins que nous ne soupçonnions point. Faut-il voir dans ce phénomène l’expression d’une autorité supérieure ? Et si oui, cette expression a-t-elle pour but de nous mettre en garde ou de nous châtier ?
Pach remit en place le capuchon de son stylo et relut sa note. Son cahier quadrillé touchait à sa fin et il lui faudrait bientôt en prendre un autre. Il ne se faisait guère d’illusion sur le devenir de son journal. Cette littérature privée (en existe-t-il qui le soit vraiment ?) n’avait aucune chance d’être publiée un jour.
Et d’ailleurs, qui intéresserait-elle ?
Il ferma le cahier en soupirant et le glissa dans le tiroir de son bureau à cylindre. Comme il avait du temps devant lui, il ramassa le journal qui gisait sur le plancher, « mort d’avoir été lu », et examina la photographie qui s’étalait à la une. Celle d’une femme au visage assez marqué, exagérément peint, coiffée d’une toque de fourrure.
Il la connaissait pour l’avoir examinée plusieurs fois à travers les vitres embuées de sa voiture. La dernière fois, il avait presque failli « la choisir » ; il s’en était fallu d’un rien. Au moment où il allait l’aborder, un autre affamé s’était arrêté devant la fille, au volant d’une ancienne Jaguar de couleur lie-de-vin. La femme à la toque était montée à son côté, en fait de quoi Pach avait jeté son dévolu sur une autre putain qui, tout compte fait, l’inspirait davantage.
La vie se montrait stupide ; « après », on appelait ses errements « le destin », mais tout ça n’était qu’une somme de hasards enchevêtrés.