EPILOGUE

Nous passons huit jours à Aden, dans la douillette demeure de notre correspondant. Il faut colmater les brèches. Béru, qui a un début d’infection à sa main cloutée, subit un traitement sévère à l’hôpital Glotemuch, de même que ce pauvre Alcide.

J’ai câblé un rapport circonstancié au Vioque pour lui faire part de cette victoire sensationnelle. Victoire endeuillée hélas par l’absence de Pinaud.

La môme Lola est ravie de revoir Paris.

En attendant, elle me prend pour Pâris.

On se paie un croissant de lune de miel, et puis, un matin, on grimpe dans le Boeing qui va nous recracher à Orly.


En fin de journée, un peu éclopés, nous débarquons à la Grande Cabane.

Nous sommes d’une tristesse affreuse, le Gros et moi. Depuis que nous faisons équipe, c’est la première fois que nous rentrons incomplets. En passant le porche austère, des larmes nous viennent aux yeux et nous grimpons directo dans le bureau du Vioque.

Il se précipite sur nous.

— Ah ! mes amis ! Mes amis, fait-il, quel triomphe ! Le ministre veut vous serrer la main. Votre plus belle victoire !

— Patron, je coasse, nous n’avons pas le cœur à ça.

— Et pourquoi ? demande une voix ?

Je regarde dans un angle de la pièce. Assis dans un fauteuil, un cigare entre les doigts, Pinaud, dit Pinuchet, dit Lapinuche, dit Pinaud-occulte est là, goguenard et souriant, qui nous regarde.

Le Gros se met à baver sur sa cravate et moi à ouvrir des yeux pour lunettes postiches.

— Non ! C’est pas possible, je balbutie… C’est un rêve !

La Vieillasse secoue sa tête chenue pour refouler cette sotte hypothèse.

— C’est tout de même moi qui suis arrivé le premier à Paris, fait-il fièrement. Et j’ai déjà raconté toutes nos tribulations à M. le Directeur, ce qui t’évitera d’écrire un rapport.

— Mais comment t’en es-tu sorti ?

Il ouvre grand sa veste.

— Avec les honneurs, fait-il noblement.

En effet, je découvre, barrant sa chemise, un large cordon de soie verte sur lequel sont brodés des palmiers, des dromadaires et des cucurbitacées.

— Quand vous avez eu le dos tourné, dit-il, je me suis mis à haranguer les soldats du palais. L’un d’eux parlait marocain, comme moi. Il traduisait… La troupe s’est mis du côté des révolutionnaires. Le lendemain l’émirat devenait République. Ce qui a facilité les choses, c’est la fuite de l’émir Obolan. Comme j’étais un des artisans de la victoire socialiste, le nouveau gouvernement m’a décoré du grand cordon de la Courgette libérée.

Du coup, Béru, jalmince, grogne avec aigreur.

— Vous avouerez, M’sieur le Directeur, que ce Pinaud a le fignedé bordé de nouilles !

M’sieur le Directeur, qui n’apprécie pas ce genre de langage fronce ses sourcils réprobateurs.

— Et c’est pas le tout, poursuit la Vieillasse. Ils vont parait-il donner mon nom aux ouatères publics que les républicains ont promis de faire construire à la place de la mosquée.

Pris d’une intense émotion, il s’abat brusquement dans mes bras en hoquetant :

— Ah, San-A, mon petit, on dira ce qu’on voudra, mais c’est tout de même beau, la gloire !

FIN
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