NATHAN

Je me suis réveillé tard, après les événements de la veille. Le corps endolori et la tête pleine d'images repoussantes. Paula était déjà levée, je l'entendais dans la cuisine, ou plutôt, j'entendais la bouilloire siffler. Je me suis levé, mais elle l'avait oubliée sur le feu que j'ai aussitôt éteint avant de me diriger vers la salle de bains. Où elle prenait un bain. Sauf que la baignoire était vide.

Elle a ouvert les yeux au moment où je posais le pied dans le bac à douche.

«Je te remercie pour le jus d'orange», m'a-t-elle fait d'une voix pâteuse.

J'ai ouvert le robinet d'eau froide et j'ai pris ma douche. J'avais le corps couvert d'ecchymoses. Ouille, ouille. Putain. Je me suis servi d'un savon à cinquante euros pour me frictionner et d'un shampoing que l'on ne trouve que dans les magasins de beauté, au rayon pur luxe. J'avais dû rajouter une longue étagère, rien que pour ses produits, et lui attribuer le petit meuble à roulettes. Je l'avais fait sans discutailler, sans ciller une seule minute. Je n'avais pas à la juger.

En sortant, je me suis enroulé dans une superbe serviette-éponge, rouge cramoisi – les siennes étaient blanches, d'un blanc éclatant. Je me suis inspecté dans la glace.

«Excuse-moi d'avoir tout bu, j'ai déclaré. Mais tu vas comprendre: Marie-Jo est entre la vie et la mort.»

Elle a mollement agité un bras par-dessus le rebord:

«Oh merde, elle a soupiré. Oh non. Merde. Oh là là.

– Je sais que ce n'est pas une excuse, mais j'étais dans un état second, hier soir. Comme tu peux l'imaginer. Je sais que tu me l'as demandé, mais ça m'est sorti de la tête. J'avais besoin de jus d'orange. Tu sais, j'en aurais bu des litres. Mais dis-moi, Paula, tu ne travailles donc pas, aujourd'hui?»

Elle n'en savait trop rien. Je suis allé faire ma gymnastique dans le salon, devant la fenêtre ouverte. En me penchant, j'ai pu jeter un œil dans la chambre de Marc et je l'ai vu qui était en train de baiser avec Eve. Alors qu'il n'était pas loin de midi. Et on dira que j'ai tort de m'inquiéter pour lui. Quand on voit comme le temps passe vite. Quand on voit comme la jeunesse est courte. Je le lui répète sans arrêt. Je lui dis: «Okay, c'est ta patronne, je suis au courant, mais est-ce que c'est pas un peu cher payé? Est-ce que c'est pas trop, dis-moi? Est-ce que des fois, tu n'aurais pas un problème? Parce que moi, je crois que tu en as un. Je rigole pas. Je crois que tu as un sérieux problème, figure-toi.»

Sa réponse était que j'en avais un également, si bien que la discussion s'arrêtait là, en général. C'était une chance que nos parents ne soient plus en vie car ce qu'ils auraient vu les aurait désolés et je n'aurais pas été fier, en tant qu'aîné. De voir où en étaient leurs deux garçons, ils ne m'auraient pas fait leurs compliments.

J'ai lancé une pomme de pin contre son carreau.

«Excuse-moi de te déranger, vieux, mais c'était pour te dire: Marie-Jo est entre la vie et la mort. Et tu sais, elle t'aimait bien malgré tout. Tu l'as souvent mal jugée.»

Eve et moi avons échangé un signe de la main tandis que Marc baissait la tête.

«Ne dis pas qu'on est bien débarrassés, j'ai ajouté. Essaye de trouver autre chose.»

J'ai rejoint Paula dans la cuisine. Elle essayait de me beurrer des toasts noircis comme du charbon. Mais je n'avais pas faim. Je suis allé reprendre une douche. Quand je suis revenu, elle était perchée sur une chaise, les genoux serrés entre ses bras.

Je lui ai raconté ma journée d'hier, la manif suivie de l'épisode Marie-Jo, car elle trouvait que je ne m'occupais pas beaucoup d'elle depuis que j'étais debout.

«J'essaye de reprendre mon souffle, lui ai-je expliqué. Ça n'a rien à voir avec toi. Tu vois, j'essaye simplement de reprendre mon souffle.

– Tu ne m'aimes pas.

– Mais bien sûr, que je t'aime. La question n'est pas là.

– Alors pourquoi on baise pas?»

J'ai posé mes mains sur ses épaules.

«Ça te tracasse à ce point-là, n'est-ce pas? Regarde-moi. Je vais te dire quelque chose. Regarde-moi. Il se pourrait bien, écoute-moi, ouvre bien tes oreilles, Paula, il se pourrait bien qu'on baise très bientôt, toi et moi.

– Quand ça?

– Je n'en sais rien. Je ne peux pas te donner une date précise. Mais très bientôt, ça ne veut pas dire dans six mois.»

Elle m'avait préparé un café presque transparent qui avait tiédi. Je l'ai bu quand même en gardant une épaule de Paula sous une main afin de la pétrir pour lui expliquer qu'elle devait garder espoir.

«Je suis à la veille d'un grand bouleversement personnel, ai-je poursuivi en regardant par la fenêtre et en respirant le jasmin qui venait d'elle. Je dirais une question de jours, au pire quelques semaines. Je ne sais pas trop. Rome n'a pas été bâtie en un jour.»

Je ne lui mentais pas. Les événements se précipitaient brusquement. À présent, je sentais que j'étais transporté, je sentais qu'un formidable courant m'entraînait, je sentais que j'avais perdu le contrôle. Enfin. Après toutes ces terribles interrogations. La vache. Mais quand j'allais sortir de ce puissant maelström, de ce siphon aveuglant, j'allais enfin apercevoir la lumière. J'allais m'engager sur une route, avec l'une ou l'autre, et je ne m'en écarterais plus. Mes yeux allaient s'ouvrir. Tout allait enfin me sembler si simple. Une vie normale, quoi. Je n'éliminais même pas Marie-Jo. Elle était pourtant dans le coma – - ils n'avaient pas voulu m'en dire plus – mais je ne l'éliminais pas. Si tel était mon destin.

J'écoutais la radio dans ma voiture, les tubes de l'été, et j'acceptais par avance la solution que le destin me choisirait. Que ce soit l'une ou l'autre, ou une parfaite inconnue, mais une bonne fois pour toutes. C'était tout ce que je demandais. Je n'attendais qu'un signe. Et comme je le déclarais il y a une heure encore à Paula, tout me portait à croire que c'était pour très bientôt.

Ne pas la baiser devenait de plus en plus difficile à mesure que nous partagions le même lit. Je me réveillais parfois collé contre elle, prêt à commettre une erreur de plus. Parfois, ma résolution vacillait. Ou alors quand elle s'allongeait la tête sur mes genoux et que nous écoutions de la musique, car la plupart du temps, elle ne portait pas de culotte, ou des culottes d'enfer. Ou alors quand elle était dans les vapes et qu'il m'aurait suffi d'un coup de folie pour tirer un coup ni vu ni connu. Elle était comme l'épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Il fallait faire vite. Il fallait piquer un sprint à travers les sous-bois aux épines acérées, il fallait presque se laisser pousser des ailes, mais j'avais confiance.

«The readiness is all, comme disait Shakespeare. Et j'en connaissais une autre: «Ne permets pas aux événements de ta vie quotidienne de t'enchaîner. Mais ne te soustrais jamais à eux.» J'en avais encore quelques-unes dans cet esprit, mais Chris m'a appelé. Ma chère femme.

Elle était dans tous ses états.

«Wolf a disparu, m'a-t-elle annoncé d'une voix étranglée.

– Ah bon?

– Nathan, j'ai un terrible pressentiment.

– Tu veux dire qu'il t'a laissée tomber?»

C'était une possibilité mais ce n'était pas la bonne, apparemment. Et il fallait que je vienne tout de suite. Je me suis garé pour être tranquille, avant d'écraser un piéton pendu à son portable et qui traverse n'importe où.

«Est-ce que ça presse? Ça ne peut pas attendre?»

Apparemment, non. Sinon, j'étais le dernier des salauds et cette conversation serait la dernière de notre histoire.

«C'est ce que j'aime, chez toi, je lui ai dit. Ton absence de scrupules.»

Elle n'était pas d'humeur à parler de ça. Elle était très angoissée. Elle savait de quoi la police était capable. Une police qui employait des clones était capable de tout. Une police au-dessus des lois. Une police incontrôlable. Une police qui…

Je l'ai interrompue. Je lui ai dit que certains flics avaient encore le sens de la justice et respectaient les droits civiques de leurs concitoyens. Qu'elle n'aille pas tout mélanger. J'en avais marre. J'en avais marre de l'entendre dénigrer la police du matin au soir, surtout depuis qu'elle était avec Wolf. Elle ne s'était pas arrangée avec Wolf. J'espérais qu'il avait disparu pour de bon.

«Et qui va rédiger mon rapport? C'est toi qui vas le rédiger?»

Enfin bref, je lui ai dit que j'arrivais, qu'il était inutile de piquer une crise.

Sur ses conseils, j'ai acheté le journal. 17 morts. 471 blessés. Je m'attendais à pire.

Dix minutes plus tard, Chris sanglotait contre mon épaule. J'ai failli l'embrasser dans le cou. Puis je l'ai assise, je me suis accroupi devant elle et j'ai pris ses mains dans les miennes tandis qu'elle continuait à triturer un mouchoir:

«Alors c'est quoi, le problème?

– Il n'était pas à l'hôpital. Ils m'ont fait poireauter toute la nuit à l'hôpital, mais il n'était pas à l'hôpital. Ou alors il n'y était plus, à l'hôpital.

– C'est quand même incroyable.

– Nathan, j'ai peur.»

Elle n'en menait pas large, ça c'est sûr. Je lui ai servi un verre d'eau. De mon côté, je ne pouvais m'empêcher de penser que la disparition de Wolf, disparition regrettable, devenait presque naturelle. Peut-être que le grand désordre qui semblait s'abattre sur nos vies ne constituait que la mise en place d'un ordre supérieur. J'en aurais été le dernier étonné.

Mais aussi, elle avait raison d'avoir peur. Parce que si Wolf était à l'hôpital, comment se faisait-il qu'il n'y soit plus, à l'hôpital? Il avait appelé Chris pour lui parler de ses trois points de suture et elle ne l'avait pas trouvé.

«Chris, ai-je dit, il faut que tu saches une chose. Je n'aime pas du tout cette histoire. Et je sais que tu sais qu'il y a eu des précédents. Ne faisons pas comme si nous n'étions pas au courant. Et pense que ces gars-là sont couverts, comme au Chili, comme en Italie, comme partout. Ils ont du sang sur les mains. Je ne vais pas t'apprendre ces choses-là.»

Elle s'est mordu les lèvres.

«Enfin, j'ai ajouté, soyons bien sûrs que Wolf ne t'a pas joué un mauvais tour. Tu m'excuseras, mais ça s'est vu.»

Je n'ai pas insisté. Elle ne connaissait Wolf que depuis quelques mois et ils n'étaient en ménage que depuis quelques semaines, mais elle lui vouait déjà une confiance aveugle. J'ai ricané dans mon coin pendant qu'elle s'indignait, que ses joues s'empourpraient. Wolf n'était pas comme ça. Ah bon? Et il était comment? Enfin, bref. Je n'étais pas là pour me mêler de leurs oignons.

J'ai soupiré et je lui ai dit: «Okay. Okay. Okay.»

Je lui ai conseillé d'aller dormir un peu en attendant mon retour. Elle a voulu m'accompagner, mais je lui ai dit non, car là où j'allais, on n'aimait pas les communistes.

J'ai demandé à José de venir pour qu'elle lui donne un somnifère et reste auprès d'elle jusqu'à ce qu'elle soit endormie.

Chris nous a fait chier pendant un moment, sous prétexte qu'elle refusait d'avaler des produits chimiques et j'ai dû lui mettre le marché en main, à savoir que je ne bougerais pas d'ici tant qu'elle refuserait de le prendre, pour qu'elle le prenne. L'ensoleillement de la rue était à son maximum mais les persiennes étaient tirées, ce qui tendait des baguettes lumineuses sur les murs et les personnes présentes: à savoir Chris, qui avalait sa pilule avec une grimace et un râle d'agonisante, José, qui la félicitait, à poil sous son peignoir qui pendouillait contre ses hanches rebondies, et moi-même. Votre serviteur. Qui avait peut-être dormi quelques heures, et encore, ballonné par le jus d'orange et réveillé par des aigreurs, mais qui en avait plein les bottes également, votre serviteur, qui se serait bien accordé un jour de repos dans une campagne perdue ou même seul dans sa chambre avec de la bonne musique et des écouteurs sur le crâne tandis que le soleil effectuait une révolution complète.

José me faisait signe qu'elle craignait le pire, elle aussi.

«On a affaire à des sadiques» n'a-t-elle pu s'empêcher de grogner entre ses dents, ce qui a rendu l'ambiance encore plus pesante. D'autant que la maison était silencieuse, sans doute pleine de plaies et de bosses, de côtes douloureuses, de mâchoires endolories, de rêves malmenés. Eh oui. Le monde était ainsi fait. Le monde allait de mal en pis.

«À cause de gars du genre de Paul Brennen, a-t-elle repris alors que nous sortions de la chambre où Chris était en train de se coucher en ronchonnant. A cause d'ordures comme ce type-là. Des Paul Brennen.»

Je lui ai dit que j'étais d'accord. Et même, personnellement, je le tenais pour responsable de ce qui était arrivé à Marie-Jo. Ramon ou pas Ramon. J'ai dit à José qu'un gars tel que lui ne méritait pas de vivre.

Elle m'a complètement approuvé. Elle a ajouté qu'elle en profitait pour me dire qu'elle m'avait trouvé génial, hier, quand j'avais presque à moi seul alimenté le grand feu qu'on avait allumé devant chez lui, J'avais été vraiment génial.

Elle m'a servi un coca dans la pénombre.

J'avais remarqué depuis longtemps qu'elle était bien faite. Je pouvais le vérifier pendant qu'elle feignait de regarder ailleurs. Je l'avais tirée d'une chaise longue, au soleil, et sa peau luisait d'huile solaire. J'ai souri intérieurement devant la grossièreté du piège que l'on tendait devant moi. Comme si je pouvais être aussi stupide.

«Tu sais que tu as été formidable?» a-t-elle précisé en s'approchant de moi.

Chris ne m'avait fait aucune déclaration à ce sujet. Alors que j'aurais recueilli un simple remerciement avec plaisir. Mais c'est comme ça.

Tandis que José a glissé sa main dans ma nuque et m'a embrassé sur la bouche.

Je n'en demandais pas tant à Chris.

José m'a dit que j'étais le premier flic qu'elle embrassait et qu'elle avait toujours pensé que ce serait la dernière chose au monde dont elle serait capable.

«Je te comprends très bien, ai-je acquiescé.

– J'avais à peine quatorze ans quand un flic m'a ouvert le crâne. Ça se passait à Brixton, au sud de Londres. Une sacrée bataille. Je crois même que je portais encore des nattes.»

Je l'ai observée en hochant la tête et je lui ai demandé de garder un œil sur Chris jusqu'à mon retour. Pour le reste, je n'ai pas trouvé de mots, je lui ai adressé un geste vague, accompagné d'un sourire amical.

Elle m'a répondu: «Ne t'en fais pas. Rien ne presse.» Voilà une fille qui savait prendre son temps. Et elles sont rares.


Le soir tombait quand j'ai pu constater que Wolf était bel et bien mort. J'étais à la morgue. Je l'ai vu. Après qu'on m'eut fait courir dans tous les sens durant tout l'après-midi, avec des airs soupçonneux, en traînant des pieds, en me faisant poireauter, en me mettant des bâtons dans les roues, en grinçant des dents, pour enfin me retrouver à la morgue.

J'étais penché au-dessus de Wolf – un Wolf poussiéreux, ensanglanté, comme s'il avait dévalé une colline, en moins exagéré – et de l'autre côté, en face de moi, il y avait un Noir en blouse blanche.

Il pensait que j'étais de la famille. «Ils appellent ça un arrêt cardiaque», qu'il me fait.

Wolf. Ça me fichait un drôle de coup, pour être honnête. Je n'avais jamais voulu ça.

«Pour sûr, que c'est un arrêt cardiaque, a repris l'autre en ricanant. C'est pas la grippe.»

Je lui ai dit qu'il n'était pas obligé de me croire, mais qu'ils envoyaient des clones à présent. «Les clones, c'est comme des bêtes», ai-je lâché avec une grimace.

Ça ne l'étonnait pas. Il pensait que les Blancs étaient dégénérés.

Il était au courant des razzias que la police avait effectuées dans les hôpitaux après la manif.

«Ne m'en parlez pas», j'ai soupiré.

Trois macchabées, dont Wolf, étaient arrivés directement de l'hôpital – après une halte dans les sous-sols d'une caserne où on leur apprenait à vivre. J'ai levé les yeux au ciel, la gorge serrée.

«Ils ont un quota, m'a-t-il expliqué. Mais faut pas qu'ils le dépassent.

– Non, cette histoire de quota, c'est des blagues.

– C'est pas des blagues.»

On s'est regardés.

Qu'est-ce que j'en savais, au fond? Je considérais le beau visage viril de Wolf, salement amoché, les muscles de ses pectoraux qui saillaient sous son tee-shirt maculé, ses bras d'athlète, ses jambes de sportif, et j'en étais malade, sincèrement. Il lui manquait une chaussure, par-dessus le marché, ce qui rendait le spectacle particulièrement atroce. Deux traînées de sang séché sortaient de son nez. Qu'est-ce que j'en savais s'ils ne se fixaient pas un quota? Qu'est-ce qui pouvait encore nous surprendre, ici-bas?

En quittant la morgue, je me suis senti obligé d'aller donner de mes nouvelles à Francis Fenwick avant que mes affaires ne se gâtent. J'avais plusieurs messages sur mon portable et j'étais certain que la moitié d'entre eux provenait de mon supérieur – mais je n'avais envie d'écouter ni les uns ni les autres. Même pas la radio. J'ai rongé mon frein dans les embouteillages qui paralysaient toute la ville, avec ces cons de banlieusards qui rentraient chez eux et venaient vous raconter le bonheur de vivre à la campagne et pas dans cette stupide ville de merde. Malheureusement, je devais garder ma vitre ouverte car ma clim était en panne. L'air empestait. Les visages luisaient comme si on les avait léchés. J'avais envie de me boucher le nez. J'avais également envie de me boucher les yeux et les oreilles. Mais je n'avais que deux mains.

J'ai examiné les photos et je les ai reposées sur son bureau.

«J'étais là pour la surveiller, j'ai déclaré. Je ne fais pas de politique.»

J'ai regardé Francis Fenwick droit dans les yeux.

«Croyez-moi, j'ai ajouté. Je n'ai rien à me reprocher.

– Qu'est-ce que je vais faire de toi? Tu veux me le dire?»

Il était d'un calme étonnant. Il portait une cravate aux couleurs agréables et restait assis derrière son bureau au lieu de me tourner autour comme il en avait l'habitude.

«Je ne savais pas que c'était votre anniversaire, j'ai déclaré. Personne ne m'a rien dit.»

J'étais passé sous une banderole en arrivant.

Tout le monde avait un verre à la main. Et avant que je n'aie pu en saisir un et me fondre parmi les autres, Francis m'avait invité à le suivre d'un signe de l'index. J'étais devenu sa bête noire.

«Ça vous fait combien?» j'ai demandé.

Sans daigner assouvir ma curiosité, il a repris les photos et les a considérées avec une grimace douloureuse.

«Tu es communiste?»

J'ai claqué mes mains sur mes cuisses et j'ai regardé le plafond en souriant.

«Réponds-moi, a-t-il insisté. Tu es communiste?»

Après avoir pouffé en silence, j'ai baissé les yeux sur lui:

«Écoutez, ma femme est folle, hein, alors, qu'est-ce que j'y peux?»

Il était interdit de fumer, mais j'ai allumé une cigarette tandis qu'il cherchait à fouiller dans mon âme.

«Vous savez ce que c'est d'avoir une femme folle? j'ai poursuivi. Vous savez ce que c'est? Et vous croyez que c'est une raison pour la laisser tomber? Vous croyez ça? Eh bien, pas chez moi, Francis. Je regrette, mais pas chez moi. Désolé. Je l'aurais accompagnée dans un défilé de cathos intégristes ou à une réunion de skins si ça s'était présenté. Je m'en serais foutu pas mal, vous voyez.»

Il a brandi la photo où j'étais en train de balancer un morceau de banc dans le bûcher, celle où j'avais une vraie tête d'extrémiste, de casseur enragé.

«Alors que dis-tu de ça? a-t-il rétorqué. Dis-moi que tu ne te sentais pas impliqué. Tu ne te sentais pas impliqué, peut-être? Essaye de me prendre pour un imbécile. Tu es communiste, avoue-le.»

J'ai soupiré:

«J'emmerde les communistes. Ecoutez, je les emmerde du premier jusqu'au dernier, les communistes. Est-ce que ça vous va?»

Sans me quitter des yeux, il a brisé un crayon entre ses mains. Il a reposé les bouts sur le bureau et les a contemplés un instant en caressant sa cravate.

«Qu'est-ce que je vais faire de toi? il a rembrayé.

– Qu'est-ce qui se passe?

– Tu crois que tu peux venir ici quand tu veux? C'est-à-dire à l'occasion? Quand tu as un moment? Mais où est-ce que tu te crois?

– Écoutez. Chris était morte d'inquiétude.

– Non, attends une minute. Est-ce que tu te sens bien? Ça veut dire quoi, Chris était morte d'inquiétude

Parfois, on était en droit de se demander si les gens que l'on côtoyait partageaient un minimum de valeurs avec soi. Quelles étaient les bases sur lesquelles ils fondaient leur existence. Quelles étaient leurs priorités, dans la vie. À quoi ils donnaient de l'importance. Quelles étaient les choses qui comptaient vraiment pour eux.

Que pouvais-je faire comprendre à Francis Fen-wick? Quand il me reprochait, avec une touche de mépris grinçant, d'avoir pris ma journée pour courir après l'amant de ma femme, je voyais bien que tous mes efforts seraient inutiles.

Comme cette histoire que j'avais vidé mon chargeur dans les genoux de Ramon, en quoi il n'était pas d'accord? J'en tombais des nues. Alors que j'aurais dû être en train de le poignarder sur son lit l'hôpital. Où était le problème? Qu'est-ce qui n'allait pas? Je me foutais d'avoir le droit ou de ne pas l'avoir.

«Écoutez, je lui ai dit, ce n'est pas moi, le monstre. C'est vous, le monstre.»

Après quoi, je n'ai même plus écouté ce qu'il me racontait. Son discours me rentrait par une oreille et ressortait par l'autre. Je ne l'entendais plus. Je voyais simplement les expressions de son visage qui changeaient et il était la dernière personne au monde dont je me souciais. Je n'étais pas étonné pour sa fille. On pouvait bien fumer du crack quand on avait un père tel que lui.

Avant de partir, je lui ai demandé si j'étais viré. Il m'a répondu que ça ne tenait qu'à un fil. J'ai dit que c'était comme tout. Ce fil, il a poursuivi, je le devais au fait que j'avais arrêté l'assassin de Jenni-fer Brennen.

J'ai ricané.

«Mais ça ne suffit pas, il a continué. Tu en prends trop à ton aise, méfie-toi. Ne m'oblige pas à t'en faire baver. Parce que j'apprécie qu'une affaire soit résolue, ça me va très bien, je n'y reviens pas, mais je te conseille de te faire oublier. C'est un bon conseil que je te donne. Finies, les conneries, tu m'entends? C'est terminé.»

Son bureau était d'une tristesse épouvantable. Tellement impersonnel. Tellement imprégné de choses lamentables que l'air en était écœurant.

«On est bien d'accord? a-t-il insisté.

– Si vous avez fini, j'ai dit, je dois aller annoncer à ma femme que la police a tué son amant. Je lui transmets vos condoléances?

– Reconnais que tu mènes une vie de cinglé. Je te l'ai déjà dit. Tâche d'y mettre un peu d'ordre, et tu verras que tout ira mieux. Parce que ça déteint sur ton travail. Tu n'as pas la tête à ce que tu fais.

– Je regrette, mais ma vie n'est pas plus compliquée que celle d'un autre.»

Pourquoi discutais-je avec lui? Pour m'entendre dire que j'aurais pu être un excellent flic si je n'avais pas fusillé mon mariage, ce beau couple que nous formions à l'époque, Chris et moi, et elle, cette jolie fille, qui n'aurait pas fait de politique si j'avais été à la hauteur? Pour m'entendre dire ça? Que j'avais gâché quelque chose? Que j'avais gâché ma chance de fonder une famille?

J'ai bu quelques coupes de Champagne avant de sortir. On est venu me dire que c'était moche, ce qui était arrivé à ma coéquipière. La nuit était tombée, mais le cœur des ténèbres était encore plus sombre. Et il m'attendait.

Car Chris a voulu le voir et je l'ai emmenée à la morgue. Ruisselante de larmes silencieuses – sans doute les pires. Je ne l'avais jamais vue autant pleurer. Et lorsqu'elle a posé ses lèvres sur celles de Wolf, ouh là là, le Noir et moi n'en menions pas large. Le Blanc et lui étaient dans leurs petits souliers.

Et puis je l'ai ramenée, elle s'est effondrée sur le lit. Elle a étouffé ses sanglots dans un oreiller qui devait être celui de Wolf si j'en jugeais par la manière dont elle l'étreignait. J'ai posé ma main sur son épaule mais ce n'était pas une bonne idée. Elle m'a envoyé promener. Je me suis senti de trop, sur le lit. Je m'y étais installé sans réfléchir.

Nous avons passé une nuit abominable.

Au petit matin, elle est venue me réveiller pour me dire que je pouvais partir.

On aurait dit un spectre.


Au cours des jours qui ont suivi, je me suis rendu compte à quel point elle tenait à lui. J'étais sur une enquête concernant une femme et ses trois enfants qui avaient péri dans un incendie criminel et je recherchais le mari, mais j'appelais Chris régulièrement pour prendre de ses nouvelles. Et elle n'était pas bavarde. Elle s'excusait même, parfois, d'être aussi peu aimable avec moi, mais elle ajoutait qu'elle n'y pouvait rien. Puis il y avait un silence parce que sa gorge se nouait.

Pourtant, les journées étaient magnifiques, d'une éclatante beauté. Des gens roulaient en décapotables, d'autres pataugeaient dans les bassins. Le ciel était radieux.

Je voulais l'emmener à la piscine, mais ça ne lui disait rien. Quelquefois, je me trouvais à une soirée, vidant mon verre sur le toit d'un immeuble d'où je pouvais contempler les derniers scintillements de l'horizon et je l'appelais pour qu'elle vienne nous rejoindre. Je lui vantais l'extrême douceur de la nuit, le peu de mal qu'il y avait à vouloir se changer les idées dans sa pénible situation, mais elle ne voulait rien savoir.

Quand Paula venait me retrouver, elle me demandait à quoi je pensais. Je lui indiquais le ciel étoile d'un geste vague, mon portable à la main comme un petit oiseau mort, Puis Marc arrivait et nous serrait tous les deux dans ses bras – il cherchait à précipiter les choses entre Paula et moi depuis que Marie-Jo était hors jeu et Chris dans les affres d'un deuil qui jusque-là ne me plaçait pas en pôle position sur le chemin de son cœur.

Si Paula rentrait pour me chercher un verre, il la suivait des yeux et n'en revenait pas de la chance que j'avais de pouvoir refaire ma vie avec une fille aussi chouette.

«Je ne dis pas le contraire, je soupirais. Je ne dis pas le contraire.»

Puis j'ai appris que Chris était enceinte.

Wolf était enterré depuis une semaine et j'apprends qu'elle est enceinte.

C'était un soir. Quand ma journée était finie, je passais prendre des nouvelles de Marie-Jo qui errait toujours dans les limbes, entre la vie et la mort Franck et moi restions plantés derrière la vitre, échangeant de tristes mines. Ensuite, j'allais espionner Paul Brennen, j'attendais qu'il sorte de son bureau et je le suivais jusque chez lui, histoire de me familiariser avec ses habitudes. Après quoi, je rentrais en ville, je faisais quelques courses et je les apportais à Chris.

Il fallait qu'elle mange. Que ça lui plaise ou non. Je supportais sa sombre humeur sans broncher – je l'avais pratiquée durant des années, cette femme, et son sale caractère pouvait glisser sur moi quand je le décidais. J'allais lui chercher des trucs bio après une longue journée de labeur alors que ça bouchonnait aux caisses, le temps que chacun se fasse expliquer l'importance des lavements durant un jeûne ou la chasse aux radicaux libres ou les incertitudes qui pesaient sur la DHEA. Sans parler d'une ambiance parfois tendue entre Paula et moi, sous prétexte que je rentrais tard. Elle ne comprenait pas. Contrairement à Marie-Jo qui était tout simplement jalouse de Chris, Paula ne comprenait pas. Elle me disait: «Je ne comprends pas. Je ne comprends pas le plaisir que tu trouves à jouer les infirmières avec elle. Vraiment pas. Tu ne lui dois rien du tout. Et moi je t'attends, pendant ce temps-là. Je tourne en rond, pendant ce temps-là. Je n'ai pas droit à toutes ces attentions.»

Les périodes transitoires sont des périodes difficiles. Je baissais la tête et je faisais le dos rond. Le soleil poursuivait sa course au-dessus de moi, les nuits filaient au-dessus de ma tête comme des dragons volants, puis l'aube apparaissait et j'avançais vers son linceul en tenant la terre sur mes épaules, et ce depuis que des événements tragiques avaient semé la confusion dans nos rangs.

Je la faisais manger. Ce soir-là comme les autres soirs. Je prenais le journal en attendant qu'elle ait fini ou je regardais CNN en lui glissant quelques encouragements.

Or la voilà qui repousse mes lasagnes aux légumes ce soir-là et qui m'annonce qu'elle est enceinte. Et voilà que je me mets à pleurer.

Puis je la félicite et je sors.

Je reviens le lendemain soir. J'ai mis la main sur le type qui a brûlé sa femme et ses trois enfants – mais j'ai refusé de parler avec lui. Je suis allé voir Marie-Jo et soudain, tout le monde s'est mis à cavaler car elle sortait du coma. J'ai suivi Paul Brennen jusque chez lui, une maison au bord du fleuve que nous avons longé, ses eaux noires. J'ai appelé Paula, je lui ai demandé ce qu'elle faisait.

Je reviens voir Chris et je lui demande quelles sont ses intentions.

Elle veut garder l'enfant. Je m'y attendais. Je lui dis que ça me paraît évident. Je lui annonce que je veux participer aux frais. Elle refuse. Je lui réponds que c'est pas grave. Je vais me chercher un verre d'eau. Je la regarde et je me dis: «Enceinte. C'est pas possible. Je dois avoir de la fièvre. Rien ne me sera épargné.»


J'ai décidé de balancer Paul Brennen dans le fleuve au kilomètre 28. Une chute d'une trentaine de mètres. Je le suis dans des voitures volées, à distance respectueuse. Et c'est durant ces trajets, quand nous sortons de la ville et empruntons la route qui sinue le long des berges, c'est durant ces silences où seul un vent fou vrombit à mes oreilles que j'examine longuement la situation.

Cet enfant qui n'est pas de moi. Un sale coup. Mais si c'était le prix à payer?

Ai-je le choix, à présent?

Quand je la revois, je lui propose d'être le parrain. Elle refuse. Ça me rend dingue. Je lui dis: «Je suis puni. Tu m'as déjà puni des millions de fois. Ça ne te suffit pas?»

Du coup, je suis désagréable avec José. Je lui dis qu'elle n'est pas mon genre. Ça l'amuse. Je lui dis que le sexe est le dernier de mes soucis. Elle applaudit.

Les voitures, je ne les vole qu'une heure ou deux, je ne les abîme pas. Je me sers dans le parking de l'hôpital et il m'est arrivé de refaire le plein d'essence avant de m'en séparer.

Je choisis les grosses cylindrées. Certaines sont pourvues d'un toit ouvrant.

Ces visites à Marie-Jo me flanquent le cafard.

Depuis qu'elle a ouvert un œil – l'autre est fermé et sa mâchoire est cousue – je ne les prends plus qu'avec le toit ouvrant. J'ai besoin d'air. Et si je trouve un cigare dans la boîte à gants, je ne m'en porte pas plus mal. J'ai besoin de décompresser.

Franck m'a raconté que, au mieux, elle finirait ses jours dans un fauteuil roulant car sa moelle épi-nière en avait pris un coup.

J'ai embrassé la main de Marie-Jo, ensuite je l'ai embrassée sur le front.

Franck m'a déclaré que, à son avis, elle ne nous entendait pas. En voilà un autre qui semblait perdu. Et tout ça, toute cette souffrance, toutes ces complications, toutes ces horreurs qui nous étaient tombées dessus, Paul Brennen en était la cause, oui, d'une manière ou d'une autre, de près ou de loin, Paul Brennen en était la cause.

J'ai exposé mon point de vue à Franck. Il y a réfléchi et m'a concédé que, vu sous cet angle, je n'avais pas tout à fait tort

À midi, je m'arrangeais pour aller déjeuner avec lui. Il n'était pas encore très vaillant et ses étudiants étaient partis en vacances. Mais je le trouvais pourtant dans sa classe, installé derrière son bureau et toujours plongé dans un livre.

Je lui avais remis un texte, une histoire policière, et ce choix m'inquiétait, il m'avait inquiété depuis le début.

«Ça s'appelle prendre des risques, me disait-il. Et si tu n'es pas prêt à prendre des risques, ne va pas plus loin. Ne me fais pas perdre mon temps.»

Il en avait de bonnes. Je me cassais vraiment la tête pour faire un truc bien. Mais dès qu'on parlait de littérature avec Franck, ça ne plaisantait pas.

«Tu as commencé par comprendre que c'était très mauvais, ce que tu écrivais. Vraiment à chier, avouons-le. Et je ne devrais pas te le dire, mais c'est un bon départ. Il n'y en a pas d'autre. Quand on comprend qu'on n'est rien du tout, on a déjà fait un grand pas. Tu en es là. Je ne sais pas par quel miracle, mais tu en es là. C'est-à-dire, pas très loin, au demeurant. Le chemin que tu as parcouru est minuscule.»

Il me regardait droit dans les yeux. La plupart du temps, nous étions sur un banc avec nos lunettes de soleil, avec nos sandwiches et nos cocas, avec une bande d'oiseaux qui tournait autour de nos pieds çt se dandinait dans l'herbe. Les bâtiments alentour, les arbres, les façades, étaient inondés de lumière. Des gens, il y en avait. Sur des vélos ou des patins à roulettes, sur des planches, il y avait des gens qui dormaient et d'autres qui se caressaient ou tombaient amoureux, il y en avait qui étaient mal ou d'autres qui cherchaient un sale coup à commettre ou d'autres qui espéraient une simple rencontre, il y en avait pour tous les goûts, des gens. Je les observais. Et ils en pensaient quoi, les gens, du roman policier? Franck me regardait droit dans les yeux et je voyais le terrible éclat des siens à travers nos verres fumés, c'est pour vous dire.

«Tu es encore tout en bas, poursuivait-il. Et ça se perd à des altitudes que tu ne peux même pas imaginer. Tu verras ça. Tu verras ça peut-être un jour. Je te le souhaite. Mais en attendant, qu'est-ce que tu me chantes, en attendant? Tu es en train de me dire quoi, au juste? Que tu as la trouille? Que tu t'inquiètes de ce qu'on va penser de toi?»

Je n'avais pas choisi le professeur le plus tendre.

«Il n'y a pas de genre mineur. Il n'y a que des écrivains mineurs.» Le salaud. Il avait torturé des générations d'étudiants avec ça. Le salaud. Qu'est-ce qu'on pouvait lui répondre?

«Avoir peur, c'est ce qui peut arriver de pire à un écrivain. Avoir peur, Nathan, c'est s'avouer vaincu.»

Ça laissait perplexe.

J'y repensais, le soir venu, pendant que je suivais Paul Brennen. Je profitais des embouteillages pour consulter mes notes et ruminer ce que Franck m'avait enseigné. Sinon, il passait son temps au chevet de Marie-Jo-

«On va déménager, il me dit. Ne serait-ce que pour trouver quelque chose de plus adapté. Quelque chose de plain-pied. Ça sera bien plus adapté.»

Et au même moment, je vois l'œil de Marie-Jo fixé sur moi et j'ai une envie folle d'éliminer Paul Brennen sur-le-champ.

Idem, le jour où j'accompagne Chris sur la tombe de Wolf. Je me tiens à l'écart ainsi qu'elle me l'a demandé sur un ton sec dont je ne prends pas ombrage. J'ai tout mon temps. Je hais passionnément Paul Brennen. J'ai apporté des fleurs, moi aussi. Je devrais être satisfait que Wolf soit six pieds sous terre, mais bizarrement je ne le suis pas. C'est comme une victoire par abandon. Et encore, une victoire, je ne sais pas. Il est encore trop tôt pour le dire.

«C'est encore trop tôt, Paula. Encore un peu de patience, nom de Dieu.» Elle me taille des pipes. Je lui rends la pareille. C'est chacun son tour. Mais je vois bien que nous ne pourrons pas continuer très longtemps ainsi – même si ça permet de tenir. J'imagine que sa patience a des limites.

J'ai envie de tuer Paul Brennen plusieurs fois par jour. J'ai mille raisons de vouloir le faire. Il intervient dans toutes les facettes de ma vie. Jamais en bien.

Puis un soir, voilà comment ça se passe:

Il a quitté son bureau très tard. Je le guettais depuis deux longues heures et j'étais en train de discuter avec Paula qui m'attendait dans les salons d'un vernissage à l'autre bout de la ville. J'essayais de lui rappeler que j'étais un policier et que mes horaires étaient élastiques. «Paula, écoute, il faudra bien t'y faire. Paula, baiser ensemble n'y changera rien. Ça n'a vraiment rien à voir. Je suis un flic, tu sais. Ce n'est pas comme si j'étais, je ne sais pas moi, un employé du gaz.»

J'entendais à sa voix qu'elle avait pris quelque chose et je me demandais quoi. Elle m'a dit que c'était ma faute. Parce qu'elle s'ennuyait sans moi. J'entendais également de la musique et les voix d'une demi-douzaine de types qui lui tournaient autour. «C'est bien fait pour toi, m'a-t-elle déclaré. C'est tout ce que tu mérites.» J'ai pris sur moi. J'ai serré les dents, j'ai envoyé un coup de poing dans le plafond capitonné de la grosse Mercedes coupé, intérieur cuir, qui m'était tombée sous la main, mais j'ai pris sur moi dans un effort pour me mettre à sa place.

«Écoute, Paula. Pense que je travaille pendant que tu t'amuses. N'oublie pas ça. Ne rends pas les choses plus pénibles. Écoute. Si je ne finis pas trop tard, je viendrai te chercher. Redonne-moi l'adresse.»

J'étais en train de griffonner le plan sur mon carnet quand Paul Brennen est sorti. Il était accompagné de cette petite frappe de Vincent Bolti, l'homme qui m'avait jadis cassé le petit doigt quand je lui avais tiré une balle dans le mollet, Vincent Bolti qui était son garde du corps ce soir-là, dans un costume sombre, impeccable.

J'ai coincé mon portable contre mon oreille en me ratatinant sur mon siège: «Ne dis pas ça, Paula, s'il te plaît. Tu sais très bien que j'ai envie de toi. Alors ne dis pas ça. Tu sais que je suis perturbé, en ce moment. Ça peut t'arriver à toi aussi. Ça peut arriver à n'importe qui.»

Pendant ce temps-là, Paul Brennen avait allumé une cigarette sur le parvis de son immeuble. Vincent lui tenait la portière ouverte – une A8, si je ne m'abuse, couleur crème.

Paul Brennen prenait son temps. Il n'avalait pas la fumée. Il promenait un regard tranquille et indifférent sur les alentours – des vitrines de mode, éclairées pour la nuit, des femmes qui descendaient de voiture en talons aiguilles, des enseignes multicolores, de drôles de chiens tenus en laisse, un coin de ciel étoile. Après tout le mal qu'il avait fait. Je ne savais même pas s'il en était conscient, du mal qu'il faisait autour de lui.

Il était neuf heures du soir. Je parlementais avec Paula. Paul Brennen a jeté sa cigarette. J'ai mis le contact. «Dis à Marc de s'occuper de ses affaires, ai-je soupiré dans l'appareil tout en déboîtant pour me glisser dans la circulation. Il y a ce que Marc te dit et il y a ce que moi je te dis. Tu ne peux pas me fixer un ultimatum. Ça ne marche pas comme Ça, figure-toi.»

Elle me raccroche au nez. Je la rappelle. Je lui dis: «Ne recommence pas. Ne me fais pas chier.» Et on a enfin une conversation de grandes personnes. J'ai des sentiments pour elle. Oh, j'ai des sentiments pour elle. Voilà ce qui est. Je lui dis: «Laisse-moi remettre un peu d'ordre dans ma vie. Tu vois bien que je m'y emploie. Souviens-toi quand je te disais que tu n'arrivais pas au bon moment. Et regarde quand même où nous en sommes. Est-ce que ça ne va pas dans le bon sens? Sois honnête.»

La circulation est fluide. C'est bon signe. Vincent s'est installé derrière le volant. Paul Brennen est à l'arrière. Je vois sa chevelure argentée.

Elle veut savoir ce que j'attends. Sur le coup, ça me paraît simple. Mais quand je veux le lui expliquer, ça ne l'est plus.

«Tu ne pourrais pas être un peu plus vague? elle me fait. Tu ne pourrais pas être un peu plus obscur?»

Quand nous sortons de la ville, jaillissant d'un périphérique, elle me dit qu'elle vient d'apercevoir Catherine Millet.

«Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse?»

Elle me répond qu'elle va finir comme elle, si ça continue. Je comprends de travers. Je pense: devenir écrivain. Alors je lui demande si elle croit qu'il suffit de claquer des doigts. Elle rectifie. Elle me parle de coucher avec une équipe de foot tous les soirs. Je lui demande si elle ne charrie pas un peu.

Au bout d'un moment, la route surplombe le fleuve. Jusque-là, je n'avais pas eu de chance, il y avait toujours des voitures dans les parages. C'était des témoins gênants. Même si, en général, les gars préféraient filer en vitesse pour éviter les ennuis – plus personne ne s'arrêtait la nuit tombée, en pleine campagne, ni même en ville finalement, pour voler au secours de son prochain, il y a eu trop d'histoires.

Or, pour l'heure, la route est déserte. La nuit noire s'étend derrière moi. Je commence à me demander si cette nuit n'est pas la bonne. Je croise les doigts au kilomètre 24. Je regarde ma montre et j'annonce à Paula que j'effectue une filature pendant que je lui parle, mais que si tout se passe bien, si les cabines de péage ne sont pas en flammes – on a des bandes ultra violentes, en ce moment, les pompiers sont sur les genoux du matin au soir -, eh bien, que je serai près d'elle dans une petite heure. Et que j'aimerais bien, que ça me ferait vraiment plaisir de ne pas la retrouver dans les toilettes ou sur une civière de police-secours. Elle sait très bien de quoi je veux parler.

«Tu exagères, se plaint-elle. Tu es vraiment dur avec moi. Après tout ce que tu me fais supporter.»

Je jette un œil sur le fleuve qui miroite en contrebas, bordé d'ombres pointues. Ce sont des arbres. Ils sont encore plus noirs que la nuit.

«Écoute. Il se pourrait que nous soyons coupés, lui dis-je. Mon client a l'air de vouloir entrer sous un tunnel. Mais quoi qu'il en soit, je retire ce que j'ai dit. Tu es la fille la plus formidable que j'ai rencontrée, ces derniers temps. Je tiens à ce que tu le saches.»

Elle fait hum et pousse un profond soupir.

«Et quand je dis ces derniers temps, je précise, je veux dire que ça remonte à loin.»

Je l'imagine à côté de moi, avec un ou deux enfants à l'arrière au cours d'une balade nocturne, le vent tiède miaulant au carreau – c'est le meilleur moyen pour les endormir et Paula garde la tête posée sur mon épaule. S'il n'y avait pas Chris et Marie-Jo, je n'hésiterais pas une seconde. Quitte à lui offrir une cure de désintoxication. Quitte à la prendre par la main pour l'y accompagner.

«Tu m'entends, Paula? Allô? Je ne t'entends plus. Paula? Merde. Je suis dans un tunnel, Paula.» Je raccroche.

Au kilomètre 27, la voie est toujours libre. Aucune lueur de phares à l'horizon. J'essaye d'avoir une pensée pour Jennifer Brennen, cette pauvre fille, une autre pour Wolf- même s'il n'est qu'une victime indirecte -, pour me mettre un peu dans le bain. J'ai une pensée pour Marie-Jo. Une petite pour Franck. Je pense à Chris, bien sûr. J'accélère un peu pour me rapprocher de Paul Brennen. Nous traversons un vague sous-bois aux remblais couverts de bruyère, nous longeons un pré argenté sous la lune, du maïs, un champ de tournesols, et j'aperçois enfin le virage que j'attendais. Sans ce virage, la route s'envolerait vers le ciel.

J'accélère alors de plus belle, je déboîte, et je me porte à la hauteur du Paul Brennen en question.

Je le regarde. Il me regarde.

Puis je le dépasse et me rabats violemment de son côté. Les tôles se froissent. Le choc est rude. Le résultat instantané. L'Audi percute les barrières de sécurité, les enfonce comme du fer-blanc et c'est la chute. Sa carcasse est en aluminium.


Une semaine plus tard, je constatais une chose le monde était débarrassé de Paul Brennen, mais ça ne se sentait pas. Autant le dire franchement. Il semblait que tout le monde s'en fichait.

Cela ne signifiait pas que je regrettais mon geste. Ni que j'en attendais des miracles. Mais j'avais le sentiment que lorsque certaines choses doivent être faites et qu'elles sont faites, le monde devrait aller mieux. Au moins devrait-on y voir plus clair.

Personnellement, j'étais soulagé. C'était un poids. Mais ça ne m'empêchait pas de rester assis, la tête entre les mains, sans être plus avancé.

Je suppose qu'il y a des brouillards qui sont comme les neiges éternelles.

Parce Que j'avais la conviction que les choses pouvaient s'arranger avec Chris, vu la nouvelle conjoncture, mais d'autre part elles s'accéléraient avec Paula

Marie-Jo me disait: «Qu'est-ce que t'as? Hein, qu'est-ce qui va pas?»

Avec moi, elle gardait les sourcils froncés. Elle ne voulait pas que je la touche. Elle m'interrogeait sur un ton peu aimable. Je l'aimais toujours autant qu'avant mais elle ne semblait pas en avoir conscience. Une femme qui m'avait sauvé la vie à tant de reprises, comment aurais-je pu ne pas l'aimer?

Elle était bleue, verte et jaune. Rose et blanche, par endroits. Les veux injectes de sang. Elle était recousue, transfusée, plâtrée. Elle avait perdu quelques dents. Nous lui apportions des fleurs qu'elle considérait d'un œil fixe, des aliments écrasés qu'elle avalait avec une paille, des mots croisés qu'elle jetait. Derek abandonnait son salon pour lui rendre visite, Rita passait des après-midi entiers auprès d'elle, Franck était là tous les soirs. Chris venait quelquefois, et même Paula.

Je ne savais pas ce que ces deux-là lui racontaient, mais elle n'était pas bête. Elle savait très bien ce qui n'allait pas. Elle savait très bien ce qui m'obsédait. Mais nous n'en parlions pas directement, ou alors je niais tout en bloc.

J'avais peur de lui faire mal.

Quand on a pu la sortir, je la trimbalais, je la pilotais dans les rues, je lui faisais prendre l'air, je l'emmenais au parc.

L'enquête à propos de la mort de Paul Brennen avait été confiée à des types qui n'auraient pas reconnu leur mère sur un site porno ou durant une soirée en famille, si bien que je n'avais pas à m'in-quiéter de ce côté-là, pas même besoin d'y mettre mon nez pour brouiller les pistes et l'on s'acheminait tranquillement vers un décès accidentel. Je m'étonnais de voir à quel point tout était si facile. Il y avait tellement de failles dans le système, tellement de faiblesses et d'incompétences.

«N'empêche que c'est moi qui avais raison, m'a-t-elle déclaré pendant que je la poussais par monts et par vaux dans un écrin de verdure ceint d'un écran d'arbres au-dessus duquel se dressaient de hautes façades lumineuses. Tu aurais pu me dire: "Marie-Jo, je te dois des excuses. Marie-Jo, c'est moi qui me suis trompé." Mais j'attends toujours. C'est pas très sympa de ta part. C'est même pas gentil du tout.»

Je venais de me casser le nez devant la porte de Chris qui avait dû partir en week-end sans m'en avertir et je m'étais claqué un muscle en soulevant des poids dans la nouvelle salle où Rita m'avait traîné après m'en avoir longuement cassé les oreilles. Mais il faisait bien beau, malgré tout. Hein, le ciel était compatissant. Nous avions au moins ça. Des enfants qui jouaient au ballon, des oiseaux qui volaient. La température qui avait agréablement baissé de quelques degrés et la ville qui se dressait dans l'air tiède avec les narines frémissantes.

«Je croyais que ça allait de soi, ai-je fini par lui répondre tandis que des jeunes cadres tombaient leur veston et s'allongeaient sur l'herbe avec un sandwich. Ça allait de soi, non?»

Il y avait aussi des jeunes cadres avec des jupes courtes et des chemisiers fraîchement repassés et des lunettes de soleil. Cependant, Marie-Jo insistait.

«Mais ça t'ennuie de me dire que j'avais raison? Est-ce que c'est si difficile?

– Non, tu me connais mal.

– Tu crois? Je ne suis pas sûre de te connaître aussi mal que ça.»

Naturellement, s'il y en avait une qui se doutait de quelque chose, c'était Marie-Jo. Mais je n'avais pas envie d'en parler.

«Tu es tellement têtu, elle a ajouté. Tu es tellement buté, par moments. Ce que tu ne veux pas voir, tu ne le verras jamais.»

Je n'ai rien répondu. Pendant qu'elle fermait les yeux et prenait le soleil, j'ai appelé Chris pour savoir où elle était et je suis tombé sur sa boîte vocale. Je me suis éloigné de Marie-Jo pour laisser un message. «Allô, Chris? C'est moi. Tout va bien. Je ne sais pas où tu es, figure-toi. Je suis avec Marie-Jo. Je l'emmène récupérer ses affaires. Tout va bien, de ton côté? Tu sais que tu peux me joindre quand tu veux. Je n'ai pas besoin de te le dire. Bon, nous sommes samedi matin et il est 13 heures 48. Marie-Jo t'embrasse. Je suis passé regarder la machine à laver, mais ça sera pour une autre fois. Ça sera quand tu veux. Ever. Pardon, excuse-moi, pardon. Je voulais dire over, pas ever. Je voulais dire que le message était terminé. Over.» Un instant, je me suis demandé si je l'avais fait exprès ou non. Difficile de trancher.


Je n'avais pas annoncé que ça finirait mal entre Francis Fenwick et moi?

Ce n'est pas moi qui l'ai cherché. Je me faisais même tout petit, ces derniers temps. Je me faisais oublier. J'allais lui lécher le cul quand j'en avais l'occasion. Mais j'avais affaire à un cyclothymique. Vous savez ce que c'est, quand on est affligé d'un chef qui vous a comme un os en travers de la gorge. Ça se voit assez souvent.

Alors on est là, avec Marie-Jo, on est en train de ranger ses affaires, et le voilà qui débarque pour m'annoncer que je vais passer devant le conseil de discipline pour encore cette histoire que je n'aurais pas dû tirer dans les genoux de Ramon.

«Écoutez, je lui dis. Nous pourrions peut-être en parler plus tard.»

Marie-Jo était en train de passer un sale quart d'heure. Nous mettions ses affaires dans des boîtes. Certains venaient lui toucher l'épaule, des femmes l'embrassaient sur la tête puis disparaissaient C'était dur. Je la voyais serrer les dents, plisser le front, ouvrir ses tiroirs comme des caveaux puis regarder dans le vague, les lèvres pincées. C'était vachement dur pour elle. Il fallait s'appeler Francis Fenwick pour ne pas s'en apercevoir.

«On n'en parle pas plus tard, qu'il me fait. On en parle maintenant

Mais quelle mouche l'avait piqué?

«Non, Francis. Plus tard. Marie-Jo est en train de rassembler ses affaires. Alors, plus tard. Ayons un peu de décence, voulez-vous?»

C'est ce mot, décence, qui ne lui a pas plu. Mon air méprisant, peut-être. Je ne savais pas s'il me soupçonnait de quoi que ce soit – Paula se mélangeait si facilement avec les dates que j'avais un alibi en béton. Non, ou alors c'était d'une manière générale. Il me soupçonnait a priori, de n'importe quoi. Quelque chose en moi lui semblait louche. Définitivement. Il m'aimait bien une minute, mais le reste du temps, j'étais de nouveau sa bête noire.

Je l'ai abandonné pour me consacrer à Marie-Jo qui venait de sortir sa plaque et la considérait en silence. Le spectacle était pathétique. Marie-Jo baignait dans un nuage de particules lumineuses qui voltigeaient dans un rayon de soleil ronflant à une fenêtre. Sa lèvre inférieure tremblait légèrement.

J'ai regardé Francis Fenwick, pensant que nous allions partager ce moment d'émotion et de recueillement, mais va te faire foutre, il n'avait pas l'intention de me lâcher aussi facilement. Il paraissait très tendu. Comme s'il s'était mis à fumer du crack à son tour.

«Où étais-tu pendant qu'elle avait besoin de toi? Hein, où traînais-tu au juste?»

Quel coup bas, vous imaginez? D'une brutalité inouïe. J'en ai titubé sur place.

«Non, Francis, je vous en prie, a murmuré Marie-Jo.

Non, Francis? Et pourquoi, non, Francis? a-t-il rétorqué en me fusillant du regard. De la faute à qui, tout ça? J'écoute. Qui était occupé à flanquer le feu dans les rues au lieu de faire son boulot? Devinez qui. J'écoute.»

Là, il me faisait très mal. Un instant, j'ai eu l'impression que tout vacillait autour de moi tandis qu'une affreuse mélancolie venait se nicher dans ma poitrine et broyait mon cœur. Un instant, j'ai cru que la nuit était tombée.

Marie-Jo a baissé la tête. Je me suis pris la mâchoire dans une main pour examiner la situation.

Pendant ce temps-là, Francis Fenwick continuait sur sa lancée et abordait un autre sujet fort sensible, celui de ma vie privée dont il critiquait la perversité et les alliances contre nature.

«Et tu vois où ça nous mène? a-t-il conclu en m'agitant sous le nez ce que je supposais être ma convocation pour le conseil de discipline. Tu vois ce que tu as fait? Tu vois à quoi ça conduit?»

Nous nous sommes empoignés et nous nous sommes battus comme des chiens. Je l'avais annoncé. Nous avons renversé des chaises et roulé sous les bureaux. Je l'aurais tué. Malgré mon muscle déchiré qui me brûlait l'épaule.

Puis, avant que les choses ne se compliquent vraiment pour moi, j'ai attrapé les poignées du fauteuil de Marie-Jo et nous avons filé en vitesse.

Je me revois franchir avec appréhension la volée de marches qui nous séparait du trottoir, avec Marie-Jo qui se cramponnait courageusement à ses accoudoirs sans prononcer un seul mot.

Et comme j'ai couru jusqu'au prochain carrefour avant de reprendre mon souffle. Comme les passants s'écartaient.

«Hou là là. Tu as commis une grosse bêtise, a soupiré Marie-Jo. Tu vas t'en mordre les doigts.»

Nous nous sommes engagés dans une rue ombragée.

«C'est dur de quitter la police», elle me dit.

Je grimace en me tenant l'épaule.

«C'est dur, Nathan, de ne plus être avec toi. C'est vraiment dur», qu'elle me dit.

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