NATHAN

Eve Moravini vivait dans un duplex qui dominait la ville. Elle avait gagné beaucoup d'argent. Suffisamment, en tout cas, pour survivre à deux bonnes années de récession mondiale sans ralentir son train de vie. J'aimais bien me réveiller dans cet appartement. Avant d'épouser Chris, Eve et moi étions de très bons amis – surtout sur le plan sexuel – et j'y venais assez souvent. Je me réveillais dans des draps de marque, doux et soyeux, et Eve actionnait la commande électrique d'immenses rideaux qui s'ouvraient sur les nuages – dix-huitième étage, un ascenseur en loupe d'orme – et les banlieues lointaines baignant dans les brumes matinales teintées d'un rose étrange. J'adorais ça. M'étirer de tous mes membres dans ce luxe scandaleux mais tout à fait supportable. Je me serais très bien vu y finir mes vieux jours.

Je faisais encore des rêves erotiques relatifs à cette période – Eve émergeant de l'escalier intérieur les fesses à l'air et portant un plateau où se bousculaient croissants et petits pains en tout genre (le portier assurait le room service pour une somme époustouflante), jus d'orange fraîchement pressé, excellent café torréfié à l'ancienne, marmelades et fruits au sirop, œufs coque et journal du jour. C'était le bon temps. Un solide appétit, un sommeil de plomb, une sexualité insouciante, l'abondance des produits illicites, la paix sur le territoire et une plaque d'officier de police encore flambant neuve, c'était vraiment au poil. Tout le contraire de cette ambiance morbide que nous connaissons aujourd'hui. Ce sentiment d'insécurité et de régression permanentes qui commence à peser lourd. Mais à qui la faute?

Marc était déjà debout quand j'ai ouvert les yeux, J'ai grimacé en silence dans la lumière du jour en portant une main précautionneuse à ma nuque. Paula était couchée en travers de mon corps.

Je l'ai repoussée délicatement, sans la réveiller. Je suis resté un instant assis au bord du lit, les yeux fermés, très en colère contre moi – mes lendemains de cuite sont toujours très mal vus de ma part. Puis je suis allé rejoindre Marc en prenant conscience du peu de plaisir que j'avais à me trouver là, sans doute à cause de tous mes emmerde-ments actuels. Ou à cause du temps passé – signe que, la quarantaine approchant, on est sur la mauvaise pente.

Je me suis mis à ouvrir des placards.

«L'aspirine est à ta droite, a fait Marc du haut de son tabouret.

– Je vais être en retard au boulot.

– Mon vieux, y a des chances.

– Oh là là. Je vais être en retard au boulot.»

Paula a fait un bond. Elle m'a cherché des yeux puis a déclaré «Je t'accompagne» avant d'attraper sa robe et de filer vers une salle de bains. J'ai baissé les yeux vers mon verre où s'agitaient deux comprimés effervescents.

J'ai soupiré d'une voix pâteuse:

«Elle veut m'accompagner où?

– Je ne sais pas comment tu t'y prends, avec les femmes. Tu les rends folles.

– Elle veut m'accompagner où? Je vais au boulot.

– Tu aurais dû voir comme elle a pris soin de toi. Demande à Eve. Tu ne tenais plus sur tes jambes.

– Oui, mais qu'est-ce qu'elle veut, au juste? Hein, toi qui la connais. Marc, toi qui la connais. Hein? Parfois je me réveille en pleine nuit et elle est là. À côté de moi. Elle dort à côté de moi. Je ne l'ai même pas entendue entrer et elle est là, avec un bras autour de ma gorge. Putain.

– Et alors? Ça te dérange?

– Est-ce que ça me dérange? Tu me demandes si ça me dérange?

– • Tu en connais beaucoup que ça dérangerait? Mon vieux, tu as un sacré bol. C'est tout ce que j'ai à dire. Personne ne l'a jamais vue comme ça. Je suis fier de toi, tu sais.»

Loin de me réconforter, ses paroles me faisaient mal. J'ai levé les yeux sur Eve qui descendait l'escalier en petite culotte. Seigneur Dieu. Seigneur Dieu, ai-je pensé, est-ce là ce que tu nous réserves? Quand je me remémorais ce corps de femme, ferme et souple, que j'avais manipulé dans le temps. Seigneur Jésus. Et Marc, mon jeune frère, qui se la faisait à présent. Je trouvais ça si triste, d'une certaine manière. Pour l'un comme pour l'autre. Le fantôme d'Eve se tenait à côté de moi, le fantôme de l'Eve que j'avais connue autrefois et nous étions abattus de les voir ensemble et particulièrement au saut du lit, lui en caleçon et elle en culotte de dentelle mauve, le corps humilié par les ans. Je sentais que j'allais avoir très mal au crâne. Je sentais que je ne pourrais pas y échapper.

Eve s'est frotté les yeux puis elle m'a embrassé. Elle se tenait bien droite, la poitrine en avant, mais l'illusion n'était pas totale.

«Nous parlions de Paula, a fait Marc. De Nathan et Paula.

– Elle a besoin de m'accompagner quand je pars au boulot? Non, mais je rêve, j'ai soupiré.

– Chéri, tu as réveillé son instinct maternel. Je ne vois que ça. Je ne vois pas d'autre explication.

– Répète un peu. J'ai réveillé quoi

À ce moment, Paula a surgi de la salle de bains, pleine d'énergie, comme un requin devant de paisibles pêcheurs à la ligne. Elle était prête. Fraîche comme une rose. Depuis mon réveil, je me sentais vieux, je sentais que je fonctionnais au ralenti. Marc avait raison: j'aurais dû me réjouir de ce qui m'arrivait. C'était comme si une jeune actrice à la mode m'avait définitivement choisi parmi la foule qui gémissait à ses pieds et ce, vous l'avez noté, sans que je lève le petit doigt, sans le moindre effort de ma part, et alors que je n'avais rien demandé du tout. N'importe quel crétin se réjouirait d'une telle aubaine. Mais j'étais là, à me poser des questions, à m'interroger sur le sens caché de nos actes, à m'etonner, à ratiociner, à me raidir alors que tout finit par nous emporter d'une manière ou d'une autre.

Seulement, je n'y pouvais rien. Paula, ce n'était pas le moment. Le monde est mal fait.

«Paula, le monde est mal fait. Le monde n'est qu'une source d'injustice dont nous sommes continuellement arrosés. Je tenais à te le dire.

– Tu vas rentrer tard?»

Elle me serrait contre la portière d'un taxi qui filait vers le centre-ville, dans l'ombre mouchetée par le soleil qui passait sous les arbres, et cela semblait suffire à son bonheur. Elle était radieuse.

«Paula, je n'ai pas à te fournir les détails de mon emploi du temps. Entendons-nous bien. Il se peut que je rentre ou il se peut que je ne rentre pas. Que les choses soient bien claires, Paula. Est-ce que c'est clair?

– J'ai envie d'aller lui parler.

– Pardon? Qu'est-ce que tu dis?

– Je crois que je dois avoir une explication avec elle. J'ai envie d'être honnête.

– Quelle explication? Lui expliquer quoi? Ne sois pas stupide. Nous ne l'avons pas encore fait, que je sache. Je suis désolé. Est-ce que nous l'avons fait? Même pas, je suis désolé.

– Ça m'est parfaitement égal. Que nous l'ayons fait ou non m'est complètement indifférent, si tu veux savoir.

– Eh bien, de mon temps, ça se passait autrement, figure-toi. On couchait d'abord et on discutait ensuite. Pardonne-moi d'être aussi vulgaire, mais c'est la vérité. On n'allait pas raconter qu'on était avec Pierre ou Paul tant que ce n'était pas fait. Et aujourd'hui encore, ça me paraît aller de soi. J'estime que c'est la condition minimum. Sinon, on ne s'en sort plus, tu comprends? Sinon, c'est n'importe quoi.»

J'ai fait arrêter le taxi dans une rue transversale. Paula a baissé sa vitre. Je me suis penché.

«Comprends-moi bien, Paula. Je ne suis pas en train de me plaindre de quoi que ce soit. Est-ce que tu saisis? Le monde est mal fait, c'est tout.

– Il est encore pire que ça. Mais tu en connais un autre? Moi non. Alors je fais ce que je peux.

– Je sais bien. On en est tous là. On a envie de s'endormir avec la lumière allumée, pas vrai? Je sais bien. Ne crois pas que tu es la seule.

– Bon. Je vais aller acheter une table.

– Bonne idée. Je viendrai voir ça.

– Une table pour chez toi. J'en ai assez de manger dans la cuisine.

– Hein? Écoute, je n'ai pas besoin d'une table. Si j'avais besoin d'une table, je sais où en trouver. D'accord?

– Je n'ai pas le droit d'acheter une table?

– Non. Ne dépense pas ton argent pour m'acheter une table. Tu m'entends?

– Ne t'inquiète pas pour l'argent. Je gagne de l'argent. Beaucoup plus que toi.

– C'est possible. La question n'est pas là. Je ne veux pas que tu m'achètes quoi que ce soit. Ni table ni chaises ni je ne sais quoi. Je ne veux rien du tout. Est-ce que tu m'as compris?»

Tout en continuant de nous observer dans son rétroviseur, le chauffeur de taxi a déballé un hamburger d'apparence repoussante. Paula me fixait à présent d'un air mi-pathétique mi-revêche. Sa bonne humeur matinale avait tout à fait disparu.

«Et elle? Pourquoi elle a le droit?

– De quoi tu parles?

– Elle a le droit de t'acheter une montre. Je peux t'acheter une montre?

– Je viens de te l'expliquer. Je couche avec elle. C'est ça, la différence. Écoute, Paula, elle était là avant toi. Qu'est-ce que tu veux que je te dise? T'es marrante. Elle est là depuis des mois. On couche ensemble depuis des mois. J'étais avec elle quand tu as débarqué. J'étais pas avec elle?

– Je m'en fous. Je m'en fous complètement.

– Réponds-moi: j'ai dit que j'étais libre?

– Je vais acheter une table.

– Si tu achètes une table, Paula, si tu achètes une table, je la prends et je la balance par la fenêtre. Je te le garantis.

– Je m'en fous.»

Elle a demandé au chauffeur de démarrer. «Paula, je te préviens. N'achète pas une table. Sinon, elle finira sur le trottoir. J'en fais le serment.

– Je m'en fous.»

Elle avait la tête dure comme de la pierre. Butée comme trente-six cochons. Elle m'a regardé par la vitre arrière tandis que le taxi s'éloignait en crachant un jet de fumée blanche. C'était vraiment pénible. J'étais pourtant sympa avec elle, la laissant aller et venir chez moi comme elle voulait et même dormant sur le côté, lui faisant de la place dans mon lit sans le moindre commentaire. Et qui donc l'accompagnait dans ses clubs privés, qui donc l'accompagnait dans ses soirées démentes et se laissait présenter à ses amis – des mannequins, des acteurs, des flippes, des tarés – sans broncher? Et elle me remerciait comment?


J'ai passé toute la journée avec Marie-Jo. Quelques heures d'affilée au bureau, à poursuivre nos travaux de petites fourmis laborieuses sous l'œil sévère et distant de notre chef, Francis Fenwick, qui avait de nouveau des problèmes avec sa fille – elle venait une fois encore de se faire coincer dans un squat de banlieue, à fumer du crack avec ses copines lesbiennes dont la fille d'un ministre et celle d'un écrivain notoire, en piste pour le Nobel, ce qui obligeait Fenwick à rester sur le pont pour parer à des fuites éventuelles et le privait de sa partie de golf habituelle, si bien que nous l'avions sur le dos. Ensuite, vers la fin de l'après-midi, n'en pouvant plus, Marie-Jo et moi avons pris une chambre climatisée dans un hôtel et nous avons baisé durant une petite heure.

Une riche idée que nous avons eue là. Quelques étages plus bas, la rue vrombissait d'une activité sans relâche, brutale et têtue, tandis que Marie-Jo et moi reprenions tranquillement notre souffle, les yeux fixés au plafond, un bras replié sous la nuque et une cigarette aux lèvres. Combien d'hommes dans cette ville, me disais-je, combien d'hommes dans cette ville pouvaient se vanter d'entretenir une relation satisfaisante avec une femme? Du genre de celle que j'entretenais avec Marie-Jo. Combien étaient-ils à s'arracher les cheveux, à hurler à la mort, à se traîner à genoux, à s'humilier, à cogner comme des sourds, à boucler leurs valises, à s'enfuir par les toits? Tout le monde me critiquait. Tout le monde me poussait à m'en trouver une autre alors que je n'avais aucune raison de le faire. D'autant que, en dehors de toute autre considération, elle était ma coéquipière. Vous ne pouvez pas comprendre. Je ne peux pas expliquer ça. Les balles ont sifflé autour de nous. Nous avons enfoncé la porte de fous furieux armés jusqu'aux dents. Nous en avons pris en chasse à deux cents à l'heure alors qu'elle était au volant. Nous sommes intervenus dans des avions au-dessus de l'océan, dans des trains à grande vitesse, dans des tours, dans des égouts, dans des sous-sols jonchés de matelas pourris où des tueurs nous prenaient pour cible. Vous ne pouvez pas comprendre. Parfois, ma vie est entre ses mains. Quand nous baisons ensemble, quand nous roulons l'un sur l'autre, le monde finit par s'apaiser autour de nous, du moins en ce qui me concerne. Je ne pense plus à rien. Je laisse dire, autour de moi. Ma grosse fille aux yeux verts.

Nous sommes allés manger des falafels et du kebbé farci dans le quartier arabe où Marie-Jo faisait l'admiration de tous les hommes. Là, un de mes informateurs nous a rejoints pour m'annoncer qu'il n'avait pas appris grand-chose si ce n'était que Paul Brennen avait fait virer de l'argent sur un compte numéroté en Suisse.

«Et ça prouve quelque chose, d'après toi?

– Je croyais que tu voulais savoir s'il avait payé quelqu'un.

– Et il ne t'est pas venu à l'esprit, pauvre abruti que tu es, que Paul Brennen faisait ça tous les jours? Qu'ils mettent tous leurs économies à l'abri? Et tu viens me déranger pour me raconter ce que tout le monde sait? Est-ce que tu as l'intention de revenir demain pour me glisser à l'oreille que des fortunes colossales sont bâties sur la misère du monde? Ou que des petites filles de dix ans travaillent la nuit pour fabriquer ses putains de chaussures?»

Je lui ai lancé une poignée de pois chiches à la tête tandis qu'il se sauvait, bousculant une table où des vieillards jouaient aux cartes sous une publicité d'Eurotunnel qui proposait des vacances dans le Kent.

J'ai regardé Marie-Jo dans les yeux pour voir si elle allait ajouter son grain de sel, soupirer après mon entêtement, si stupide à ses yeux» si absurde, mais nous venions de baiser moins d'une heure plus tôt, et elle a choisi de sourire. J'ai commandé un alcool du pays.

«J'ai appris quelque chose de bizarre, a-t-elle dit. J'ai appris une chose tout à fait étrange. À propos de Franck.

– Je vais passer le voir, un de ces quatre. Nous avons ce truc à étudier ensemble. Dis-lui que je n'ai pas oublié.

– Franck menait sa petite enquête personnelle au sujet de Jennifer Brennen. Franck est allé poser des questions à droite et à gauche. Il est allé fourrer son nez je ne sais où.

– Vraiment? Il a fait ça?

– Je ne plaisante pas. Tu es d'accord que c'est bizarre, non?»


Elle trouvait également que l'agression dont Franck avait été victime constituait une étrange coïncidence. Je me suis moqué gentiment de cette cervelle de flic qui fonctionnait vingt-quatre heures sur vingt-quatre et s'efforçait toujours de relier un élément à un autre, fût-ce par les chemins les plus tordus. Mais bien sûr, tout était possible. J'ai même déclaré que si Franck était allé fouiner du côté de Paul Brennen, on s'était sûrement chargé de lui indiquer qu'il faisait fausse route.

«Pas forcément du côté de Paul Brennen, elle a insisté.

– Pas forcément du côté de Paul Brennen si ça t'amuse.»

J'ai failli rentrer directement chez moi après avoir quitté Marie-Jo qui m'a longuement embrassé dans la voiture, avec fougue et application, comme si nous en étions au premier jour et échangions des baisers qui duraient plus de cinq minutes à en tomber raides morts. Elle avait parfois de ces élans incontrôlables dont je ne connaissais pas la provenance et qui me prenaient le plus souvent par surprise. J'en sortais pantois, titubant sur mes jambes, tel un naufragé rejeté sur la berge par des flots bouillonnants et sombres.

Je suis donc allé boire quelques Gibson au bar d'un grand hôtel qui se dressait dans le centre comme un diamant illuminé depuis que ses vitres avaient été soufflées puis remplacées par des neuves. Les bars des grands hôtels sont de parfaits endroits pour boire. À ma droite, il y avait un truand fatigué qui philosophait sur la vie en mangeant des olives. À ma gauche, une femme entre deux âges qui montrait ses cuisses à tout hasard. Et dans mon dos, entre les bras d'un fauteuil profond en cuir de buffle où les fesses d'Hemingway ou de Scott Fitzgerald s'étaient sans doute reposées autrefois – on ne profane pas que les cimetières -, sous le halo aimable des lumières tamisées par de splendides abat-jour de soie grège, se tenait Paul Brennen en personne.

Je l'ai observé à loisir, sans avoir à me retourner, dans la glace, par-dessus mon épaule où il semblait perché comme un ange redoutable. De l'ange, il avait le port altier, l'impeccable veste blanc cassé, le tee-shirt en jersey et le sourire d'une blancheur étincelante. Pour son âge – la cinquantaine bien sonnée – il semblait très en forme, mince et musclé, riche et en bonne santé. Et il y avait trois jolies femmes avec lui et un jeune type qui hochait vivement la tête dès que l'assassin ouvrait la bouche. Quant à redoutable, il l'était, bien entendu. Des centaines de millions de gens, un gigantesque troupeau qui s'étendait d'un continent à l'autre, portaient sa marque. Il aurait pu soulever une armée. Construire une ville. Manger des enfants pour son petit déjeuner. Mais il avait commis une erreur. Faire supprimer sa fille était une grave erreur. De mon point de vue.

À un certain moment, nos regards se sont croisés. Je n'avais qu'une seule chose à lui opposer, une simple chose, mais elle était de taille, faites-moi confiance. J'y avais cru et j'y croyais encore. De loin en loin, sans doute, plus difficilement à mesure que je voyais le monde tel qu'il était, mais elle se manifestait encore en petite fée lumineuse venue d'une autre planète et j'avais encore envie, parfois, quelquefois, de ne pas la décevoir. Cette chose. Cette indicible chose qui m'avait envahi le jour où j'avais prêté serment. Cette chose dont Paul Brennen ne semblait pas évaluer la puissance tandis qu'il cherchait à me pousser dans les cordes: j'étais un représentant de la Loi. Et c'était une seconde erreur de sa part. Car, à y bien réfléchir, Paul Brennen, il représentait quoi? Lui. Que représentait-il, au juste? Rien ni personne n'est au-dessus de la Loi. Ne l'oublions pas. Et la Loi, c'était moi. Il n'y avait rien au-dessus de moi. En dehors du ciel et des étoiles. Ne l'oublions pas.

J'ai déclenché ma sirène pour rentrer à la maison afin d'éviter les embouteillages. Marc m'avait parlé d'une soirée dans un loft qui donnait sur le fleuve, à l'ouest du quartier gay, pour la sortie d'un nouveau magazine destiné aux célibataires des deux sexes de moins de quarante ans dans le monde occidental, mais je n'ai pas vraiment ralenti en passant au pied de l'immeuble, sinon pour jeter un coup d'œil aux fenêtres éclairées et me persuader que je n'y perdais pas grand-chose.

Dix ans plus tôt, je me serais garé sans hésiter, j'y serais allé, et Paula serait morte. Je n'ai pas cessé d'y penser durant tout le trajet vers l'hôpital. Imagine, me répétais-je, imagine que ton intérêt pour ces rassemblements dérisoires ait été aussi vif que par le passé, eh bien ce serait vers la morgue, mon pauvre vieux, que tu filerais à présent. Une heure de plus et elle était froide. Tu serais rentré une heure plus tard, Paula n'existait plus.


J'ai quitté sa chambre au petit matin, avec des nouvelles rassurantes. Rien n'est vraiment très rassurant en cette période de crise, d'incertitude, de tensions raciales et de batailles sur les fronts intérieur et extérieur, mais si j'en croyais le corps médical, qui n'accepte jamais que l'on mette sa parole en doute, les jours de Paula n'étaient pas en danger.

Une aube fraîche, légère comme un voile de mousseline, douce comme le duvet du poussin, arrosée par les camions-citernes de la ville qui au loin faisaient voler des journaux et des détritus, une aube comme je les aime, à la fois distante et attentive, m'attendait au bas des marches de pierre qui conduisaient au trottoir. J'étais en sueur, couvert d'une sueur glacée et rance dont je pouvais sentir l'odeur à travers ma chemise maculée de sang séché. Le soleil s'est glissé entre deux rues au moment où j'arrivais à ma voiture, et je me suis assis sur une aile, j'ai fermé les yeux en respirant profondément.

«Merde. Et comment c'est arrivé? a demandé Marc en m'offrant de partager de vieilles biscottes et du poisson fumé d'élevage, légèrement plus pâle et plus empoisonné que le normal (Chris m'a donné des cours entiers là-dessus).

– Comment c'est arrivé. Est-ce que je sais. Elle a pris une lame de rasoir. C'est pas plus compliqué.

– Vous vous êtes engueulés?

– On ne s'est pas engueulés. J'ai refusé qu'elle m'achète une table. C'est tout. C'est mon droit, non?

– Mais pourquoi es-tu toujours en train de l'emmerder, à la fin? Qu'est-ce que ça peut bien faire, qu'elle t'achète une table? Nathan, qu'est-ce que tu branles?

– C'est une raison pour s'ouvrir les veines? Parce que je ne veux pas d'une foutue table? Qu'est-ce que ça veut dire?»

Je suis retourné la voir dans la matinée – j'ai dit à Marie-Jo que j'allais chez le dentiste en tenant ma langue contre ma joue.

Marc était à son chevet, en compagnie de deux filles qui semblaient sortir d'une crypte et portaient des haillons griffés. Je les connaissais de vue – l'une d'elles avait perdu connaissance quelques jours plus tôt, à l'occasion d'une fête très arrosée, et le médecin appelé d'urgence avait trouvé, ravi d'avoir mis la main sur la nature du problème, cinq capsules d'ecstasy à demi fondues sous la langue de cette malheureuse. À mon arrivée, elles ont braqué sur moi des regards lourds de reproches. J'ai fait sortir tout le monde.

Comme je n'avais pas dormi de la nuit, je me suis assis sur une chaise. Paula avait un petit sourire douloureux au coin des lèvres. Elle a tendu une main vers moi, que j'ai prise un peu à contrecœur.

«Alors? a-t-elle murmuré d'une voix faible. Comment tu la trouves?

– Ils n'avaient rien avec des rallonges?

– Oh. Je ne sais pas. Mais nous pouvons la changer, si tu veux.

– Non, c'est très bien comme ça. Elle paraît solide.

– Je suis contente qu'elle te plaise. J'avais peur que tu ne l'aimes pas.

– Elle me va très bien. C'est un bon choix.

– Elle date de la fin du dix-neuvième.

– Je vais l'astiquer régulièrement. Sois tranquille.»

Je voulais lui dire ce que je pensais d'une femme qui s'ouvre les veines pour une histoire de table, mais je n'ai pas pu. Elle faisait trop pitié à voir dans ce lit d'hôpital, avec ses perfusions, ses horribles pansements aux poignets, sa main serrée dans la mienne, son sourire timide, sa pâleur – naturelle, cette fois -, son petit coin de ciel au-dessus d'un mur de briques aveugle, sa bouteille d'eau minérale, son appréhension relative à ce que j'avais en tête.

Elle devait imaginer que j'allais être furieux, que je pouvais très bien l'envoyer promener car la plupart des hommes se barrent en courant dès qu'une femme en arrive à ces extrémités, conscients que les choses ne vont pas s'arranger mais au contraire se compliquer avec un numéro pareil, se compliquer affreusement. Et ils ont raison. Rien ne peut pousser à choisir la croix qu'on devra porter alors que la vie est si courte. Rien ne dit qu'il n'existe pas une vie simple, parsemée de bonheurs tranquilles, une vie à vivre en bonne intelligence, sans conflits exagérés, sans luttes permanentes, sans tragédies.

La sagesse voulait que je prenne mes distances avec Paula, que je laisse à d'autres le soin de chercher ce qui n'allait pas avec elle. Non seulement je ne voulais pas être emmerdé, mais je ne voulais pas m'en occuper, je n'avais pas le temps.

D'un autre côté. D'un autre côté, comment mettre fin à une chose qui n'a pas commencé? Que pouvait-il bien m'arriver? En quoi étais-je concerné?

Après ma visite, je suis allé tout droit chez l'antiquaire afin de payer cette table avec mon propre argent. Le gars était d'accord. Malheureusement, l'affaire a tourné court et j'ai rangé mon carnet de chèques car ce n'était pas dans mes moyens.

Mais passons. Paula est sortie le lendemain matin. Après avoir réfléchi, je ne suis pas allé la chercher. Je me suis penché sérieusement sur la piste des tueurs de Jennifer Brennen. J'ai consulté des fichiers, j'ai glané des informations à droite et à gauche, j'ai fait des recoupements, j'ai appelé Interpol, j'ai demandé à Edouard – il traitait à présent son acné avec une pommade jaune et luisante, d'un effet ahurissant – de me fournir les portraits de tous les hommes de main qui se baladaient en ville, j'ai étudié leurs méthodes, je suis allé discuter avec des flics qui approchaient de la retraite et qui avaient tout vu, j'ai examiné longuement une photo de Paul Brennen qui fixait l'objectif, je suis descendu dans un magasin de chaussures et on m'a montré des Doc Martens dont le bout était renforcé d'une coque de métal, je suis retourné au labo, j'ai repris tout ce qu'on avait sur Jennifer – sa vie de militante et sa vie de pute -, j'ai ignoré Marie-Jo qui m'observait en vrillant un doigt sur sa tempe, j'ai hurlé après mes indics, j'ai secoué la machine à café, j'ai regardé le soir tomber au-dehors, dorant les feuillages, transportant une vague odeur de gaufres, j'ai écrit des noms sur une page blanche qui s'est noircie de points d'interrogation.

Pour cinq mille euros, on pouvait trouver une personne pour en supprimer une autre. Voilà où était le problème. Pour la moitié de cette somme, on en trouvait déjà beaucoup si l'on se contentait de cinglés, de drogués ou de types au bout du rouleau dont la population augmentait à vue d'œil depuis la succession de krachs boursiers, de délocalisations sauvages, d'affrontements sociaux ou ethniques, de guérillas urbaines, de problèmes liés à la misère et autres sujets d'atterrement qui étaient devenus monnaie courante. Vous vouliez faire tuer quelqu'un? Des types se battaient devant votre porte et cassaient les prix pour obtenir le boulot. Voilà pourquoi je ne m'en sortais pas. Ceux qui pouvaient me conduire à Paul Brennen pouvaient être n'importe qui.

Mais je savais m'armer de patience quand il le fallait. Je ne lâchais jamais ma proie. Je ne perds jamais confiance dans le cadre d'une enquête. Il y a quelques années encore, Francis Fenwick me prenait par l'épaule et me donnait en exemple. Chris était fière de moi. Elle se promenait le ventre en avant, elle marchait en canard, et jamais à cette époque elle n'aurait prétendu que je n'étais qu'un petit flic de rien du tout. Bien au contraire. Elle avait de l'admiration pour moi.

De l'admiration. Annie Oublanski en éprouvait également à mon égard lorsque j'avais quatorze ans et que je courais le cent mètres en 10"42. Elle m'admirait tant qu'elle s'était offerte à moi dans le gymnase de l'école – ma première pénétration avec éjaculation à la clé -, sur le carrelage glacé des douches – ouvrant ainsi une ère nouvelle de mon adolescence où la course à pied est tombée en désuétude. Annie Oublanski. Nous nous étions perdus de vue. Puis, par le plus grand des hasards, elle était devenue officier de police en même temps que moi. Nous avions prêté serment le même jour. Annie Oublanski. Qui l'eût cru?

Je lui ai rendu visite. Au cours de mes recherches de l'après-midi, j'avais découvert que Paul Brennen employait des gardes du corps par l'intermédiaire d'une agence qui s'occupait de protection rapprochée. Une agence qu'Annie avait ouverte trois ans plus tôt après avoir contracté la maladie du charbon à l'occasion d'une descente dans les milieux extrémistes – ce qui l'avait décidée à donner sa démission, à stopper les frais comme elle disait, car un mois plus tôt, elle s'était pris une balle dans la cuisse et une autre dans la fesse. «Nathan. Mon salaud.

– Annie. Dans mes bras.»

C'était une femme virile, avec son franc-parler, blonde décolorée, portant un tailleur strict dont les coutures gémissaient aux épaules et autour des hanches. Je me suis avancé pour qu'elle referme ses bras grands ouverts dans mon dos et me barbouille de rouge à lèvres sur les deux joues.

«Alors, mon salaud.

– Content de te voir, Annie.»

Nous ne nous étions pas vus depuis plusieurs mois. Elle m'a parlé de l'ulcère de Pat, son mari, depuis que leur fils aîné s'était mis en ménage avec une adepte des Témoins de Jéhovah, elle m'a parlé de l'ouragan qui avait emporté le toit de leur maison de campagne et leurs deux chiens, d'un jeune amant qui l'avait quittée et profondément blessée mais qui lui avait donné, malgré tout, d'incroyables et inoubliables orgasmes. À mon tour, je l'ai mise au courant de ma rupture définitive avec Chris que je vivais comme une seconde séparation, chose dont je me serais très bien passé, d'autant qu'elle fréquentait une espèce de cinglé que je devais tenir à l'œil, comme si je n'avais que ça à faire. Je lui ai dit que Marie-Jo se portait comme un charme et l'embrassait et m'avait chargé d'organiser une soirée avec Pat, histoire de se retrouver entre copains et de tordre le cou à cette vie de dingues qui nous tenait éloignés les uns des autres. «Et Annie, à part ça, je suis venu te demander quelque chose.

– Vas-y, mon salaud.

– Je veux que tu me dises la vérité. Au sujet de Paul Brennen. Au sujet des types que tu fais travailler pour Paul Brennen.

– Tu veux savoir quoi, camarade?

– Je veux savoir si ces gars-là, Annie, et toi et moi savons bien que tu n'es pas responsable de ce qui pourrait leur passer par la tête, je veux juste savoir si ces gars-là, Annie, d'après toi, sont susceptibles de commettre un meurtre pour de l'argent.

– Beaucoup d'argent?

– Un bon paquet.

– Alors la réponse est oui, que veux-tu que je te dise. Tu sais, je ne leur demande plus leur casier judiciaire. Hein, qui a envie de faire ce boulot, aujourd'hui? C'est comme les pilotes d'avion ou les convoyeurs de fonds.

– Et les postiers.

– Tu avoueras que ce monde est vraiment malade.

– Est-ce que je peux avoir leurs noms?»


Lorsque je suis rentré, Paula dormait à poings fermés.

«C'est qui, cette fille? a demandé Chris.

– C'est rien.

– Et c'est quoi, cette table?

– C'est rien.»

Elle avait un air pincé. Elle était venue chercher le robot ménager multifonctions, notre Kenwood en acier chromé, sous prétexte qu'à son avis je ne devais pas m'en servir tous les jours. Ajoutant qu'elle avait l'intention de préparer pour Wolf, un fin gourmet, certaines choses peu ordinaires – nous avions terminé notre aventure matrimoniale avec des congelés et des pizzas de chez Allô Pizzas -, elle en profitait pour regarder autour d'elle et ce qu'elle voyait semblait la décontenancer.

Ce qu'elle voyait n'était pas la réalité: je ne m'étais pas remis en ménage. Même si les apparences étaient contre moi.

«Mais Nathan, tu n'as pas à te justifier.

– Je sais. Mais je t'explique,»

Elle tournait à présent autour de la table, qu'elle caressait du bout des doigts.

«Dis donc. Vous ne vous emmerdez pas. C'est une antiquité. Je ne te connaissais pas ce goût pour ce genre de choses. C'est nouveau.

– C'est comme toi avec la cuisine. Si tu vas par là.»

Il y avait également quelques affaires appartenant à Paula, suspendues à des cintres, sur un portant à roulettes, Chris les a examinées en passant, avec une moue détachée, presque méprisante.

«C'est quoi, cette fille? Une gravure de mode?

– À ton avis?»

Je l'ai rabattue vers la cuisine. J'ai fermé la porte. Je me suis accroupi devant un placard et j'ai sorti le robot et ses multiples accessoires pendant qu'elle regardait autour d'elle, les mains sur les hanches, jouant à celle qui visiterait l'appartement pour la première fois.

«Tu as pris une femme de ménage ou c'est elle?

– Qu'est-ce que ça peut bien faire? Hein, que ce soit elle ou pas? Je te demande si Wolf passe l'aspirateur?»

Elle portait une jupe assez courte. Vous voyez, cette femme. Je n'y pouvais rien. Elle me rendait vraiment marteau. Vous voyez, ces cuisses. Elles n'étaient pas les seules au monde. Eh bien, elles étaient pourtant les seules qui m'excitaient, qui éveillaient en moi un désir irrépressible. J'avais envie de les lécher, de les presser contre ma joue.

Sans doute, nous ne baisions plus durant les derniers mois, mais la situation était alors différente. Quelque chose me protégeait. Tandis qu'à présent, depuis son départ, j'en avais presque des bouffées de chaleur. Il fallait que je me fasse soigner.

«Le moule à kouglof t'intéresse?

– Et tu la connais depuis longtemps?

– Écoute. Merde. Ne te méprends pas.

– Remarque, ça m'est bien égal.»

Quelqu'un aurait-il pu m'expliquer pourquoi elle se fichait totalement que je couche avec Marie-Jo et semblait agacée par Paula? Car de toute évidence, elle était agacée, perturbée, en tout cas faussement indifférente. Plus précisément, une sourde nuée d'hormones voletait autour d'elle. Elle se tenait les fesses appuyées à l'évier, le pubis tendu en avant, la poitrine gonflée, les cheveux rejetés en arrière, un vague sourire aux lèvres. On comprenait vite qu'il y avait deux femmes dans l'appartement – bien que l'une des deux fût endormie, quasi exsangue et quasi dénuée d'attrait sexuel, de mon point de vue.

Sans réfléchir, j'ai glissé une main sous sa jupe et j'ai attrapé sa chatte. Calmement.

«Nathan, voyons, a-t-elle fait sur un ton amusé. Qu'est-ce que tu fabriques?

– Pourquoi pas?

– Parce que c'est comme ça.

– Tu en es sûre?

– Absolument sûre.»

J'ai retiré ma main.

«Excuse-moi. Je ne voyais pas où était le mal.

– Écoute. Tu sais bien que ce n'est pas aussi simple. Nathan, tu le sais très bien.»

La cuisine donnait sur un balcon de deux mètres carrés où nous avions un jour casé une table en plastique et deux chaises. Nous nous y sommes installés pour boire un jus multi-vitaminé que j'ai sorti du frigo pour nous rafraîchir. La nuit était douce et tranquille, à peine ridée par le vol en cercles d'un hélicoptère qui balayait le quartier de ses instruments à infrarouge.

«Tu ne te mets pas à ma place, ai-je déclaré. Je ne te reproche rien, mais tu ne te mets pas à ma place.

– Je pense que tu n'es pas encore tombé sur la bonne personne. Mais ça viendra.

– Je n'en suis pas aussi sûr que toi. Malheureusement. Permets-moi d'en douter. Chris, j'en croise tous les jours des quantités, j'en croise de toutes les sortes, mais aucune ne me fait cet effet-là. Tu es la seule. Va y comprendre quelque chose.

– Écoute, j'imagine que ce n'est pas drôle, mais qu'est-ce qu'on y peut?

– Je sais qu'on n'y peut rien. J'en suis bien conscient.

– Et si je m'habillais autrement? Si je mettais des pantalons quand on se voit?

– Ça ne marchera pas. Je te remercie, tu es gentille, mais ce serait peine perdue. C'est inutile. Non, tu vois, j'ai pratiquement perdu tout espoir. Tu enfilerais un sac de pommes de terre, ce serait du pareil au même. Tu sais, je regardais tes cuisses, tout à l'heure, et je sentais que mon cerveau s'engourdissait. Est-ce que tu saisis?

– Excuse-moi. C'est ma faute. J'ai déconné.

– Non, ce n'est pas ta faute. C'est comme ça. Aucune autre femme ne m'attire. En tout cas, rien de comparable avec toi. Oh, je sais. Bien sûr. Je sais ce que tu vas me dire. Bien sûr. Qu'il n'y a pas que ça dans la vie. Eh bien, détrompe-toi.

– Je sais que nous nous entendions bien. Je n'ai jamais dit le contraire.

Nous nous entendions bien? Je ne prenais même pas la peine de me retirer. Tu as oublié? Nous ne reprenions même pas notre souffle. Nous recommencions aussitôt.

– Je n'ai rien oublié du tout.

– Nous changions les draps deux fois par jour.

– Je le sais très bien

– Alors ne dis pas que nous nous entendions bien. Trouve autre chose. Il n'y a que toi et moi, sur ce balcon.

– Nathan. Écoute-moi. Il n'y a pas que toi et moi sur ce balcon.

– Hein?

– Tu as très bien compris.»

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