J’aurais pas mes intuitions, moi, je peux te dire que depuis des années déjà, toi t’aurais plus de San-A. à te foutre sous les besicles ! Tu serais obligé de te rabattre sur la Vie des Abeilles de Maeterlinck et là, c’est pas le même dard qui fonctionne, espère !
— On dirait que t’as les jetons, ma fille ?
— Je veux partir. Vous n’avez pas le droit. Ça chiera pour vous, tas de guignols, je vous promets.
— Ne deviens pas triviale, gamine, tu finirais par ressembler à une pute… Tu es ici, tu vas y rester. Et aussi longtemps que je le jugerai bon. A moins que tu préfères bavarder un peu avec moi ? Peut-être as-tu des choses à nous dire ?
— Je n’ai rien à dire à personne.
— Aux autres, je m’en tamponne, mais à moi ?
— Je n’ai rien à vous dire ! Rien, rien, rien !
— Même à propos de Hans Kimkonssern ?
Un grand cri.
De stupeur, de… Non, rien que de stupeur, mais alors, mimi, t’sais !
Et ce n’est pas Maud qui l’égosille.
Mais Gertrude.
On lui accorde l’attention à laquelle cette clameur intempestive lui donne droit.
— Qu’y a-t-il, Gertrude jolie ?
— Quel nom venez-vous de prononcer ?
— Hans Kimkonssern, pourquoi ?
Elle croise bellement ses bras contre sa poitrine. On se dirait au théâtre, quand l’héroïne de la tragédie apprend que son fiancé va se chicorner avec son vieux.
— C’était mon père, répond-elle.
Et poum, passe-moi la fiole de rhum que je me ranime la gamberge.
Je crois que c’est Pinuche qui récrie, tel un coq du matin :
— Votre père !
— Oui.
Alors, moi, San-Tonio, le fin du fin, l’homme au chou pommé, le policier super-flic, de demander rudement :
— Pourquoi venez-vous de dire « C’ÉTAIT » mon père ?
— Parce qu’il est mort, bien sûr.
— Comment le savez-vous ?
— Je l’ai toujours su.
Entre les Meunier et les Tudor, pour s’y retrouver, faudrait une pendule.
— Comment ça, vous l’avez toujours su ?
— Albrecht me l’a appris dès que j’ai été en état de comprendre, puisqu’il était mon tuteur, avant de devenir mon époux.
— Mais nom de Dieu, dites-moi quand est mort votre père ?
— En 1945, fait-elle, je venais de naître…